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23 OCTOBRE 1997
« Il n'y a plus de problème des réfugiés. Les réfugiés sont morts. » (traduction ). C'est par cette boutade cynique que, dans un article d'opinion du N.R.C. Handelsblad, Derk Jan Eppink traduit à juste titre l'urgence du problème des réfugiés dans la région des grands lacs africains.
Le déchaînement de la violence ethnique au Rwanda a provoqué un afflux énorme de réfugiés dans les pays voisins. L'ex-Zaïre, en particulier, a dû accueillir des centaines de milliers de personnes, principalement des Hutus fuyant l'avance des troupes de l'A.P.R. Dans un premier temps, la communauté internationale a assumé sa responsabilité en s'efforçant, autant que possible, d'organiser les camps de réfugiés et de coordonner l'aide accordée.
Il était certain, dès le début, que la présence d'un si grand nombre de réfugiés créerait des tensions dans la région. Le nouveau régime en place au Rwanda ne pouvait se permettre de tolérer la présence, parmi les réfugiés, d'anciens extrémistes hutus (F.A.R. et Interahamwe). En outre, la communauté internationale n'est pas parvenue à désarmer ces extrémistes hutus. L'attention de la communauté internationale pour le problème des réfugiés s'est finalement relâchée, et ce en dépit de la situation misérable régnant dans les camps et des tentatives effectuées en vue de rapatrier les réfugiés au Rwanda.
À l'automne 1996, des troubles éclatent dans l'Est du Zaïre et l'A.F.D.L., sous la direction de Kabila, prend progressivement le contrôle de la région frontalière. Il est apparu rapidement que l'armée rwandaise jouait un rôle néfaste dans la guerre de l'Est du Zaïre. Les centaines de milliers de réfugiés présents dans les camps prirent précipitamment la fuite à l'approche de l'A.F.D.L., appuyée par l'armée rwandaise. Il y eut alors de nombreuses indications convaincantes de massacres perpétrés sur les réfugiés hutus par l'armée rwandaise. Malgré ces nouvelles alarmantes, la communauté internationale a adopté une fois de plus une attitude attentiste. Il a fallu que l'on dispose d'images et de témoignages choquants pour qu'elle réagisse, non sans réticence, et organise un pont aérien en vue de rapatrier les réfugiés hutus. Ce retour, souvent forcé, des réfugiés, a attisé encore la méfiance qui existait déjà entre Hutus et Tutsis au Rwanda.
Après ce rapatriement forcé et l'évacuation des camps de réfugiés, la communauté internationale a cru que le problème était réglé. Les préparatifs en vue de constituer une force militaire d'intervention dirigée par le Canada ont été arrêtés. Pourtant, les rares organisations humanitaires encore actives dans la région, et qui avaient été autorisées à fournir de l'aide, ont continué à tirer la sonnette d'alarme. Une véritable diaspora des réfugiés hutus s'était déclenchée dans l'ex-Zaïre, et ce jusqu'au Congo-Brazzaville et en Angola.
La commissaire européenne, Mme Bonino, et la Belgique, par le truchement du secrétaire d'État à la Coopération au développement, M. Moreels, ont continué eux aussi à insister auprès de l'Union européenne pour qu'elle prenne les mesures nécessaires sur le plan de l'aide humanitaire.
Dans l'intervalle, les combats continuaient à faire rage dans la région. Il s'avéra assez rapidement que l'armée rwandaise, en échange de son appui à Kabila, avait conçu le plan d'exterminer définitivement les Hutus sur le territoire de l'ex-Zaïre. Dans les territoires occupés, les crimes contre l'humanité et les actes de génocide avaient cessé d'être des notions théoriques.
Au printemps de cette année, l'A.F.D.L. est parvenue à conquérir l'ensemble du Zaïre et à en chasser le président Mobutu. En dépit des grandes espérances que la population avait plaçées en lui, le président Kabila n'est parvenu à gagner la confiance ni de la classe politique ni d'une grande partie de la population, et ce d'autant moins que les Rwandais sont présents en grand nombre aux postes les plus importants. En outre, le sort des réfugiés ne figurait pas au rang de ses préoccupations principales. Tantôt, il permettait aux organisations internationales d'organiser des actions d'aide et tantôt, il leur interdisait l'accès à certaines régions.
Le 6 mars, le haut-commissaire pour les droits de l'homme a demandé que le représentant spécial de l'O.N.U. pour le Zaïre enquête sur les premières accusations de massacres collectifs de réfugiés. Après une brève visite dans la région, le rapporteur Roberto Garretón signalait qu'il avait localisé plus de quarante charniers et concluait à la nécessité d'une enquête approfondie de la Commission des droits de l'homme. En mai, l'équipe dirigée par Garretón n'a cependant pas été autorisée à se rendre dans la région.
Le 7 août, les observateurs des droits de l'homme des Nations unies signalent dans un rapport que l'A.P.R. a massacré 2 022 personnes dans la région de Gisenyi, en guise de représailles aux attaques répétées, menées dans la zone frontalière par des groupes armés d'anciens soldats rwandais. Le rapport fait clairement état d'un massacre perpétré au mois de mai, à Nkuli, une commune de l'Ouest de la préfecture de Gisenyi, sur des personnes âgées et des enfants de neuf à douze ans. On a également enregistré de nombreuses plaintes relatives à des actes d'intimidation de témoins et à des attentats meurtriers sur le personnel rwandais des organisations humanitaires. Amnesty International aussi a confirmé, le 7 août, dans un communiqué officiel, qu'elle recevait chaque jour des témoignages de massacres perpétrés au cours des opérations de l'A.P.R. dans la région.
D'après Human Rights Watch Africa, des groupes armés auraient assassiné des centaines de civils les 8, 9 et 10 août, à Kanama et Mahoko. Entre 200 et 300 prisonniers détenus à la prison de Rubavu auraient en outre été massacrés par les soldats de l'A.P.R. Les autorités rwandaises ont reconnu que 185 prisonniers avaient trouvé la mort, mais attribuent ces meurtres à l'attaque d'un groupe armé inconnu. Elles ont également signalé avoir arrêté treize soldats de l'A.P.R. qui seraient responsables du massacre perpétré au marché de Mahoko.
En août, à la suite des pressions exercées par la communauté internationale et les États-Unis, une commission de l'O.N.U. avait initialement été autorisée à mener une enquête approfondie sur les tueries massives dans l'Est du Congo. Le 27 août, le régime de Kinshasa a interdit à cette commission d'enquête de travailler tant que certaines conditions ne seraient pas remplies. Le secrétaire général de l'O.N.U. a rejeté ces conditions supplémentaires le 29 août.
Il a en outre exigé que la commission de l'O.N.U. puisse commencer ses travaux le 2 septembre au plus tard. Kabila a d'abord marqué son accord à la condition que sa propre équipe accompagne la commission et que l'on n'enquête que sur les événements antérieurs au 7 mai c'est-à-dire à la date de son accession au pouvoir. De plus, la commission devait limiter ses travaux à l'est du Zaïre.
Après six semaines d'attente à Kinshasa, à la fin de septembre, le président Kabila a demandé à l'équipe de l'O.N.U. de quitter le Congo immédiatement. Il accusait la commission de parti pris et d'immixtion dans la politique intérieure du Congo. Il a par ailleurs interdit à la plupart des organisations humanitaires, à l'exception de la Croix-Rouge internationale et de l'Unicef, de déployer encore des activités dans l'Est du Congo. Ces deux organisations travaillent principalement avec des personnes déplacées du Congo même. D'après l'Unicef, la mesure prise par Kinshasa touche toutes les organisations qui s'occupent de l'accueil des réfugiés du Rwanda. D'après les témoignages des membres des organisations humanitaires sur place, on a interdit à l'équipe de l'O.N.U. de se rendre dans la région pour permettre à l'A.P.R. et aux troupes de Kabila d'éliminer les charniers ainsi que toutes les traces des massacres.
Dans un rapport de Human Rights Watch publié au début du mois d'octobre, la situation au Congo oriental est présentée comme tout simplement dramatique. Le rapport confirme que l'armée rwandaise et l'A.F.D.L. ont organisé des massacres à grande échelle parmi les réfugiés. Ces violations graves des droits de l'homme ont eu lieu principalement pendant la guerre de sept mois qui a sévi au Congo. L'armée de l'ex-Zaïre et les Interahamwe ont également été montrés du doigt. Toutes les parties concernées se sont rendues coupables de violations des droits de l'homme. On ne sait par contre pas très bien quel rôle les autorités congolaises ont joué dans ces massacres.
Erika THIJS. André BOURGEOIS. |
Le Sénat,
Vu les activités guerrières qui sont menées par plusieurs groupes au Kivu et dans la partie occidentale du Rwanda, faisant de nombreux morts, mais incitant aussi des milliers de personnes à fuir à nouveau la région;
Vu la politique délibérée consistant à prendre volontairement et systématiquement pour cible la population civile dans le cadre de ces combats;
Préoccupé par le sort incertain qui est le lot de nombreux réfugiés au Congo et au Rwanda;
Vu l'urgente nécessité de mener une politique cohérente des réfugiés dans la région des grands lacs africains;
Vu la déclaration du 15 septembre par laquelle le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne souligne qu'il importe que soit menée à bien l'enquête de la mission de l'O.N.U. sur les massacres de réfugiés rwandais;
Vu les déclarations du même Conseil selon lesquelles la coopération sctructurelle avec le Congo dépendra des progrès que celui-ci réalisera dans le domaine du respect des droits de l'homme, de la démocratisation et de la mise en place d'un État de droit;
Vu les nombreux rapports et comptes rendus d'Amnesty International, de l'Unicef, de la Croix-Rouge internationale et d'autres organisations humanitaires;
Vu le rapport provisoire du rapporteur de l'O.N.U. Roberto Garretón et le rapport du « Joint Investigative Team of the Commission on Human Rights » du 2 juillet faisant état de charniers et d'actes de génocide;
Vu le rapport de Human Rights Watch Africa du 9 octobre, accusant les gouvernements du Congo et du Rwanda de violations des droits de l'homme, de tueries massives et d'actes de génocide;
Vu le refus du régime de Kinshasa d'autoriser une mission de l'O.N.U. à enquêter sur les accusations de massacres et d'actes de génocide;
Vu la décision du président Kabila d'expulser du pays toutes les organisations humanitaires internationales, à l'exception de l'Unicef et de la Croix-Rouge internationale;
Vu la présence de troupes rwandaises sur le territoire congolais;
Considérant qu'une enquête indépendante des Nations unies ne saurait être considérée comme une immixtion dans les affaires intérieures d'un pays;
Demande au Gouvernement fédéral :
de réclamer au gouvernement du Congo des éclaircissements sur le sort des réfugiés hutus dans l'Est du Congo;
d'insister, en concertation avec l'Union européenne et les Nations unies, auprès du régime de Kinshasa pour que celui-ci autorise sans délai et sans aucune condition la commission de l'O.N.U. à effectuer ses travaux;
d'inviter le gouvernement rwandais à retirer ses troupes du Congo;
d'insister auprès des Nations unies pour qu'une force d'intervention soit envoyée dans l'Est du Congo afin, d'une part, de désarmer les groupes opérant dans cette région et, d'autre part, de traduire en justice les personnes qui se sont rendues coupables d'assassinat et de violation des droits de l'homme, ce qui constitue une condition pour la pacification de la région;
d'inciter le gouvernement du Congo à rouvrir l'accès de son territoire aux organisations humanitaires internationales afin qu'elles puissent venir en aide aux réfugiés;
d'insister auprès des Nations unies pour qu'elles élaborent une politique cohérente en faveur des réfugiés du Congo oriental et du Rwanda;
d'insister auprès de l'Union européenne pour qu'elle mette tout en oeuvre afin d'améliorer la situation des réfugiés et des personnes déplacées;
d'insister, auprès des Nations unies et des gouvernements du Rwanda et du Congo, pour permettre un rapatriement des réfugiés avec des garanties suffisantes en ce qui concerne leur sécurité et leur réintégration;
de lier l'aide gouvernementale aux pays d'Afrique centrale au respect des droits de l'homme;
de transmettre la présente résolution au président de la Commission européenne, au président du Parlement européen, au président du Conseil de l'Europe, au secrétaire général des Nations unies, au secrétaire général de l'O.U.A ainsi qu'aux gouvernements du Congo et du Rwanda.
Erika THIJS. André BOURGEOIS. |