1-363/11

1-363/11

Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

27 FÉVRIER 1997


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision de l'article 59 de la Constitution


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR M. ERDMAN


I. INTRODUCTION DU RAPPORTEUR

L'article 59 de la Constitution est repris dans la déclaration de révision de la Constitution du 12 avril 1995 (Moniteur belge du 12 avril 1995).

Le 21 juin 1996, la Chambre des représentants a transmis un projet de texte au Sénat (doc. Sénat, nº 1-363/1, 1995-1996), qui l'a amendé sur plusieurs points :

· Le Sénat renonce à faire de la notion de « poursuite » la clé de la réforme. Le maintien de cette notion dans le texte de l'article 59 ne changerait rien aux principes, aux désavantages et difficultés qui ont été invoqués pour justifier la révision. Dans la phase de l'instruction, un parlementaire ne pourrait être interrogé et confronté à des témoins qu'avec l'autorisation préalable de la Chambre concernée. Le Sénat a opté pour un texte qui prévoit clairement quels sont les actes de l'instruction requérant respectivement l'intervention de la Chambre concernée, et celle du premier président de la cour d'appel.

· Les mesures de contrainte exigeant l'intervention d'un juge doivent être ordonnées par le premier président de la cour d'appel.

· Les perquisitions et les saisies ordonnées par le président de la cour d'appel ne peuvent avoir lieu qu'en présence du président de la Chambre concernée ou d'un membre désigné par ce président.

· L'autorisation de la Chambre concernée est requise pour l'inculpation et pour le renvoi ou l'assignation directe devant une cour ou un tribunal. La notion d'« inculpation » n'étant pas encore définie formellement dans le Code d'instruction criminelle, le texte approuvé par le Sénat a prévu une disposition transitoire.

· Pendant la durée de la session, seuls les officiers du ministère public et les agents compétents peuvent intenter des poursuites répressives à l'encontre d'un parlementaire. Elles ne peuvent donc l'être par constitution de partie civile ou par voie de citation directe émanant d'un particulier.

Le Sénat a adopté le texte ainsi amendé le 16 janvier 1997, par 50 voix contre 19. Ce texte a également été adopté par la Commission de révision de la Constitution et de la réforme des institutions de la Chambre (doc. Chambre, nº 492/9 ­ 95/96). Le projet de révision de l'article 59 a toutefois été amendé sur deux points lors de son examen en séance plénière de la Chambre. En résumé, on peut dégager des débats en commission et en séance plénière de la Chambre les lignes de force suivantes :

1. Tout d'abord, des objections sont émises à l'encontre du maintien de l'inculpation en tant qu'acte d'instruction requérant l'autorisation de la Chambre concernée. S'il est vrai qu'en vertu du projet de loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, l'inculpation peut donner lieu à des mesures contraignantes ordonnées par le juge, elle ouvre aussi des droits en faveur de l'inculpé. À partir de l'inculpation, en effet, l'intéressé dispose du droit de consulter son dossier. En subordonnant l'inculpation à l'autorisation préalable de la Chambre concernée, on soumettrait l'octroi de ces droits à une condition supplémentaire.

En outre, dans le cadre de la réforme de l'immunité parlementaire, on s'est toujours efforcé de se rapprocher autant que possible du régime applicable à la responsabilité des ministres. Or, les lois portant exécution temporaire et partielle des articles 103 et 125 de la Constitution subordonnent l'arrestation et la détention provisoire d'un membre du Gouvernement à l'autorisation préalable de l'assemblée législative concernée, mais elles ne prévoient pas cette autorisation pour l'inculpation.

C'est pourquoi il a été décidé de supprimer l'inculpation de la liste des actes d'instruction requérant l'autorisation de la Chambre concernée. Du coup, la disposition transitoire définissant la notion d'inculpation devenait sans objet.

2. À la suite de cette modification, l'autorisation préalable de la Chambre concernée est désormais limitée à l'arrestation et au renvoi ou à l'assignation directe devant une cour ou un tribunal. Il en résulte que la Chambre concernée n'a plus le moyen de faire cesser à temps les poursuites qui seraient intentées de manière inconsidérée, irresponsable ou vexatoire à l'encontre d'un parlementaire, ce qu'elle aurait parfaitement pu faire si son autorisation avait été reprise pour l'inculpation. Aussi a-t-il été décidé de prévoir une « sonnette d'alarme » permettant aux parlementaires, à n'importe quel stade de l'instruction, de solliciter de la Chambre concernée la suspension des poursuites.

Pour ce qui est des thèmes et des observations d'ordre juridique développés au cours de l'examen à la Chambre, le rapporteur renvoie à la discussion détaillée qui a été menée en commission du Sénat (doc. Sénat, 1-363/5, 1996/1997), ainsi qu'au rapport présenté par le rapporteur en séance plénière du 15 janvier 1997 (Annales parlementaires , Sénat, 1-85, 15 janvier 1997). Il renvoie en outre au rapport de M. Vandenberghe sur le projet de loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution (doc. Sénat, 1-501/4, 1996/1997), ainsi qu'à l'exposé présenté à ce sujet par le rapporteur en séance plénière du 30 janvier 1997 (Annales , Sénat, 1-90, 30 janvier 1997).

Le texte amendé a été adopté en séance plénière de la Chambre le 20 février 1997, par 122 voix contre 12 et 4 abstentions. Il a ensuite été transmis au Sénat.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU PREMIER MINISTRE

Le Premier ministre rappelle que le Sénat avait modifié sur deux points le projet de texte de l'article 59, tel que la Chambre le lui avait transmis une première fois le 21 juin 1996.

Comme l'ont souligné les professeurs Franchimont et Traest, le texte adopté par la Chambre reflétait imparfaitement les intentions de cette assemblée. Après le stade de l'information, l'autorisation de la Chambre concernée aurait, en effet, encore été requise pour interroger le parlementaire et le confronter avec des témoins. Grace aux modifications apportées par le Sénat, la justice peut, dans tous les cas, procéder librement à l'interrogatoire ou à la confrontation avec des témoins et ce, même au stade de l'instruction.

Afin de maintenir le parallélisme avec le nouveau régime en matière de responsabilité pénale des ministres, le Sénat avait également décidé que les mesures contraignantes qui requièrent l'intervention d'un juge ne pouvaient être ordonnées que par le premier président de la cour d'appel.

Du fait de ces modifications, l'autorisation préalable de la Chambre concernée n'était plus requise que pour l'inculpation, l'arrestation et le renvoi ou l'assignation directe devant une cour ou un tribunal.

Personnellement, le Premier ministre n'était pas favorable au maintien de l'inculpation en tant qu'acte d'instruction requérant l'autorisation de la Chambre concernée. L'inculpation n'a en effet pas encore été définie par une loi. En outre, l'instruction ­ et partant l'inculpation ­ n'est en principe pas publique. Or, le fait de demander l'autorisation d'une Chambre a pour effet de rendre le dossier public. Enfin, conformément aux dispositions du projet de loi relative à l'amélioration de la procédure pénale (doc. Chambre, 857/1, 1996/1997), l'inculpation, au stade de l'instruction, ouvre des droits en faveur de l'inculpé. Si le juge d'instruction est obligé de demander l'autorisation avant d'inculper, il risque de retarder cette mesure autant que possible et l'inculpé ne pourra prétendre aux droits qu'il pourrait retirer de l'inculpation.

Ces objections relatives au maintien de l'inculpation parmi les actes d'instruction qui requièrent l'autorisation de la Chambre concernée étaient partagées par une large majorité à la Chambre. Un compromis équilibré a été élaboré à l'issue de contacts informels avec le Sénat : la justice peut certes inculper un parlementaire sans autorisation préalable de la Chambre concernée, mais le parlementaire peut, à n'importe quel stade de l'instruction, demander à cette Chambre de suspendre les poursuites. Cette dernière solution est très proche de ce que M. Erdman avait suggéré à l'origine.

Un parlementaire pourra ainsi se protéger contre des poursuites qui, par exemple, seraient arbitraires ou d'une longueur déraisonnable. Il devra cependant étayer sa demande de suspension par des arguments convaincants. C'est pourquoi la Chambre concernée ne peut ordonner la suspension que par une majorité des deux tiers des votes exprimés.

Par conséquent, l'autorisation n'est plus requise que pour l'arrestation et le renvoi ou l'assignation directe devant une cour ou un tribunal. Si, dans le cadre d'une réforme du droit de la procédure pénale, l'on décidait d'inclure l'inculpation dans la procédure pénale, les parlementaires seraient soumis au même régime que les citoyens ordinaires.

Il importe d'attirer l'attention sur la distinction entre la suspension ordonnée conformément au cinquième alinéa du texte en projet et celle qui est ordonnée en vertu du sixième alinéa du même texte. Le cinquième alinéa dispose que la Chambre concernée peut, à la demande du parlementaire et à la majorité des deux tiers des votes exprimés, ordonner la suspension des actes d'instruction qui ne requerraient pas d'autorisation préalable. Par contre, conformément au sixième alinéa, la Chambre concernée peut décider de sa propre initiative et à la majorité simple de suspendre la détention d'un membre qui a été décidée en dehors de la session ou la poursuite d'un membre devant une cour ou un tribunal qui a été intentée en dehors de la session.

Le Premier ministre est d'avis que le texte qui est maintenant à l'examen est bien équilibré. La navette entre la Chambre et le Sénat a permis de l'améliorer.

III. DISCUSSION

Un membre est d'accord avec le Premier ministre pour considérer que le texte à l'examen forme un ensemble cohérent. Son groupe souhaite que l'on supprime autant que possible l'immunité parlementaire, et le texte répond à ce souhait en grande partie.

Le rapporteur signale que l'insertion d'une « procédure de sonnette d'alarme » rend le texte très proche de la démarche qu'il avait adoptée initialement.

Dans la pratique, l'application de ce texte dépendra dans une large mesure des rapports entre les différents pouvoirs.

En outre, la philosophie de cette réforme de l'immunité parlementaire risque d'être compromise si les différents responsables ne respectent pas leurs obligations en ce qui concerne le secret de l'instruction et le secret professionnel.

Enfin, il se pourrait bien qu'après avoir soumis le texte à l'épreuve de la pratique, on décide à terme d'adopter un texte de portée générale.

Un membre rappelle l'attitude constante adoptée par son groupe dans le cadre de la révision de l'article 59 de la Constitution. Son groupe a toujours considéré que le régime d'immunité parlementaire en vigueur était, pour les parlementaires eux-mêmes, plus un boulet à traîner qu'une bénédiction.

Le projet d'article 59 tel que transmis une première fois par la Chambre au Sénat le 21 juin 1996 n'était pas satisfaisant, parce que la justice ne pouvait librement interroger le parlementaire ou le confronter avec des témoins que dans la phase d'information.

Le Sénat a remédié à cette insuffisance, mais maintenu aussi l'inculpation comme un des actes d'instruction requérant l'autorisation de la Chambre concernée. L'intervenant rappelle que M. Foret et lui-même ont, à cette occasion, cosigné l'amendement nº 6 de M. Verhofstadt (doc. Sénat, 1-363/3). Cet amendement proposait un dispositif qui, dans les grandes lignes, est identique à celui qui est proposé aujourd'hui.

Le système élaboré par le Sénat au début de l'année apparaissait néanmoins, à l'époque, tout à fait défendable. Mais l'actualité politique évolue particulièrement vite. C'est la raison pour laquelle le membre peut comprendre ceux qui, aujourd'hui, réclament une réforme plus radicale de l'immunité parlementaire. Concrètement, cela signifie que l'inculpation n'est plus considérée comme un acte d'instruction exigeant l'autorisation de la Chambre concernée.

Un membre constate que la Chambre s'est ralliée aux idées qui avaient déjà été concrétisées dans les amendements que son groupe a déposés au Sénat. Contrairement au texte adopté par le Sénat le 16 janvier 1997, le texte à l'examen emporte l'adhésion de son groupe, qui n'en continuera pas moins à oeuvrer pour la suppression totale de l'immunité parlementaire.

Un autre intervenant observe que l'on n'a pas tout à fait respecté le parallélisme avec le nouveau régime en matière de responsabilité ministérielle. En effet, les ministres ne disposent pas de la procédure de sonnette d'alarme que les parlementaires peuvent engager en vertu de l'article 59, alinéa 5, en projet. Une procédure similaire devra être prevue quand on élaborera le règlement définitif de la responsabilité des ministres.

Le Premier ministre souligne que les deux régimes présentent encore d'autres différences qui compensent l'absence d'une procédure de sonnette d'alarme pour les ministres. N'importe quel juge d'instruction peut ouvrir une instruction à l'encontre d'un parlementaire alors que, pour un ministre, elle doit l'être à la requête du procureur général près la Cour de cassation et par un conseiller à ladite cour.

Un membre confirme que le projet transmis par la Chambre au Sénat le 21 janvier 1996 traduisait imparfaitement la volonté de la Chambre ainsi que l'accord de Gesves.

Dans un premier temps, le Sénat avait opté pour le maintien de l'inculpation comme acte d'instruction requérant l'autorisation de la Chambre concernée. Le Premier ministre avait alors souligné, à raison, que les dossiers risquaient de ce fait d'être rendus publics très tôt. Mais, par ailleurs, le fait de subordonner l'inculpation à l'autorisation préalable de la Chambre concernée permettait précisément à celle-ci de protéger ses membres contre des poursuites arbitraires.

Cet objectif est à présent atteint dans une large mesure par le biais d'une procédure de sonnette d'alarme. Celle-ci rétablit l'équilibre que l'on avait perdu en supprimant l'autorisation obligatoire pour procéder à l'inculpation.

Un membre se réjouit de cette révision de la Constitution. Il y a trois ans, il avait déposé une proposition de révision de ce qui était alors l'article 45 de la Constitution. Cette proposition limitait déjà l'immunité parlementaire puisqu'elle n'exigeait plus l'autorisation de la Chambre concernée que pour l'arrestation et le renvoi devant une cour ou un tribunal.

Le rapporteur souligne encore que les cinquième et sixième alinéas de l'article 59, tels qu'ils figurent dans le document 1-363/10, doivent être réunis en un seul alinéa.

IV. VOTES

L'article unique et, par conséquent, l'ensemble du projet, ont été adoptés à l'unanimité par les 12 membres présents.

Le rapporteur propose de remplacer, dans le texte néerlandais, la phrase « Deze Kamer dient hiertoe met een twee derden meerderheid van de uitgebrachte stemmen te beslissen. » par ce qui suit : « Deze Kamer dient hiertoe bij meerderheid van twee derden van de uitgebrachte stemmen te beslissen. »

Après avoir reçu l'accord de la Chambre, la commission approuve cette correction de texte.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Le rapporteur,
Fred ERDMAN.
Le président,
Frank SWAELEN.