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Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

23 NOVEMBRE 1995


Proposition de loi instituant l'union civile

(Déposée par Mme Merchiers et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend la proposition qu'avait déposée M. Guy Swennen à la Chambre des représentants, le 20 juillet 1993 (Doc. 1143/1).

La réalité postmoderniste

Pourquoi le droit serait-il condamné à être toujours en retard de plusieurs décennies sur les moeurs et les mentalités ?

La présente proposition de loi a pour but d'actualiser notre législation en ce qui concerne les formes de cohabitation et de prévoir des formules qui soient adaptées à la réalité sociale actuelle, la réalité postmoderniste.

L'époque où, grâce à leur fonction normative et à leur pouvoir mobilisateur, les mythes et credos idéologiques, philosophiques ou religieux constituaient des références rassurantes et sécurisantes est largement révolue, certainement en ce qui concerne le style de vie individuel.

En dépit de son évidence, ce constat n'a guère eu de prolongement concret.

L'éthique politique était, par tradition, un système de valeurs dominant élevé, par le législateur, au rang de morale et de code de conduite exclusifs.

De la réaction à cette situation sont nés les grands débats éthiques de la politique belge. C'est surtout au cours de la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale que les mentalités ont évolué dans de larges couches de la population, au point que des systèmes de valeurs concurrents et d'ampleur comparable se sont trouvés face à face. L'éthique jusque-là dominante devint même minoritaire.

Le débat politique et éthique restait toutefois animé par les oppositions philosophiques et gardait un effet mobilisateur, même s'il est devenu beaucoup moins intense.

L'individualisation accrue des systèmes de valeurs que l'on a constatée ces dernières années est caractéristique de ce que l'on appelle l'époque postmoderniste.

Nous vivons de plus en plus dans une mosaïque de valeurs et un débat éthique qui ne serait axé que sur quelques valeurs de référence bien établies serait tout à fait dépassé.

Telle est l'essence du nouveau débat politico-éthique postmoderniste : comment le législateur peut-il satisfaire au mieux toutes les aspirations du citoyen tout en garantissant la liberté et le respect d'autrui ?

Le législateur devra s'efforcer d'actualiser notre droit en fonction de l'évolution des mentalités.

La présente proposition de loi se situe au coeur même du droit familial et touche donc inévitablement à certaines valeurs éthiques traditionnellement délicates, mais par lesquelles la grande majorité de la population ne se sent plus guère concernée. C'est cela la nouvelle réalité.

Il s'agit, pour l'exprimer en termes plus courants, de jeter des ponts et de combler le fossé qui s'est creusé entre les citoyens et les hommes politiques.

Neutralité active du législateur en matière de droit relationnel

Tout individu doit, à tout moment, pouvoir décider librement dans quelle relation il s'engage ou à quelle relation il met fin.

Dans la mesure où la liberté et le respect des tiers ne sont pas compromis, l'autorité publique doit s'abstenir de tout paternalisme.

Le législateur doit faire preuve de la plus grande neutralité possible à l'égard des formes que peuvent revêtir les relations personnelles et la vie commune, sous peine de porter atteinte à la liberté individuelle, y compris même en ce qu'elle touche l'intimité de la personne. Le citoyen a le droit le plus absolu d'organiser sa vie familiale comme il l'entend.

La neutralité ne peut toutefois, en l'espèce, être synonyme de passivité ou d'indifférence.

Actuellement, notre législation ne reconnaît en fait pleinement qu'une seule forme de vie commune : l'union hétérosexuelle, monogamique. Au fond, il s'agit là, ni plus ni moins, d'un régime d'exclusivité à prendre ou à laisser, et notre droit familial ne prête pas la moindre attention aux autres formes de vie commune. Bien plus, alors que le vingtième siècle touche à sa fin, la loi impose toujours un véritable parcours du combattant à celui qui, ayant choisi de s'engager dans l'institution légale exclusive, veut par la suite quitter cette institution légale pour une autre forme de vie commune.

Il faut cependant reconnaître qu'il n'y a pas si longtemps de cela, les obstacles étaient bien plus importants encore : l'institution du mariage s'apparentait alors à une prison juridique.

Il est également exact que toute une série d'autres formes de vie commune sont tolérées par le législateur.

Le vide dû au silence du législateur quant aux autres formes de vie commune s'est transformé en un espace d'innovation dans lequel la jurisprudence tente, fût-ce graduellement et, pendant très longtemps, avec réticence, de pallier au silence en élaborant des solutions juridiques adéquates.

La législation actuelle en matière de divorce atteste à suffisance les préjugés dont la loi s'est nourrie. Pour atteindre à la neutralité, ou du moins s'en approcher beaucoup plus, il faut agir, c'est-à-dire légiférer d'urgence.

La tolérance à l'égard des autres formes de vie commune peut difficilement passer pour de la neutralité.

On peut affirmer sans crainte d'exagération que les autres formes de vie commune sont l'objet d'une discrimination légale.

Si l'on estime que le législateur se doit de faire preuve de neutralité à l'égard des différentes formes de vie commune, on ne peut, dans l'état actuel de la législation, se confiner dans l'immobilisme. Il faut agir, c'est-à-dire faire oeuvre législative et faire subir au vieux droit civil napoléonien une sérieuse cure de jouvence en faisant un sort aux dispositions indigestes qui restent sur l'estomac des époux à qui l'avenir conjugal paraît sans issue.

L'élaboration de nouvelles règles de droit régissant les formes alternatives de vie commune nous contraint à tenter deux exercices d'équilibre délicats.

Premièrement, la caractéristique essentielle de toutes les formes de vie commune extraconjugale, et, en particulier, de la cohabitation, est la souplesse. L'absence de statut légal assure aux intéressés la non-immixtion dans leur relation, la liberté qu'ils ont eux-mêmes choisie. Cette souplesse et cette liberté doivent être respectées, quel que soit le régime légal retenu pour régir ce type de relation, faute de quoi la neutralité du législateur serait battue en brèche. L'équilibre une fois atteint dans l'abstrait, il faudra dès lors réaliser une symbiose entre souplesse, liberté, surtout pour ce qui est de la cessation de la vie commune, et effets de droit, qui ne devront pas être perçus comme des entraves mesquines à la liberté, mais comme des mesures s'inscrivant dans une approche positive.

Seule une telle approche permettra d'éliminer la discrimination par rapport à l'union conjugale.

Ceci nous amène au deuxième exercice d'équilibre : comment supprimer toute forme de discrimination légale entre les différentes formes de vie commune ?

En théorie, la solution est simple, mais, dans la pratique, on se trouve confronté à une multiplicité de situations individuelles qui ont des conséquences tout aussi multiples quant aux effets juridiques souhaités.

Un exemple permettra de mieux appréhender cette diversité : s'il existe des cohabitants non mariés qui voient une injustice dans le fait qu'en cas de décès de leur partenaire, ils ne peuvent invoquer, comme le conjoint survivant, le bénéfice des dispositions du droit successoral, il en est d'autres qui se refusent formellement à envisager une telle possibilité.

De même, si certains cohabitants non mariés estiment qu'il serait tout à fait normal que la loi prévoie, en cas de séparation, un régime de pension alimentaire sérieux en faveur du partenaire qui est en situation précaire, cet avis n'est évidemment pas partagé par tous.

La solution idéale consisterait à permettre à chacun de se choisir, selon ses préférences, un régime « à la carte » dans un menu légal dont les possibilités ne seraient limitées que par le souci de protéger efficacement les intérêts du partenaire.

Cette solution idéale se situe à cent lieues de la législation actuelle et nous sommes conscients que la perfection ultime restera à jamais du domaine de l'utopie.

On peut améliorer considérablement la situation actuelle en élargissant l'éventail des conventions (et des variantes) possibles en matière de vie commune.

Le seul cadre légal en matière d'union est le mariage. La présente proposition institue un deuxième cadre légal d'union : « le régime volontaire d'union civile ». En gros, les couples se verraient offrir quatre options légales « à la carte » :

­ Le mariage : même si les modalités de dissolution étaient considérablement assouplies, ce régime n'en demeurerait pas moins le plus formaliste, offrant les possibilités les plus larges en ce qui concerne les effets juridiques;

­ L'union civile : particulièrement souple tant en matière d'union que de dissolution; les droits successoraux sont identiques à ceux du conjoint survivant dans le cadre du mariage, avec des variantes plus restreintes en matière de droits patrimoniaux et des jalons concernant l'obligation de verser une aide financière;

­ La « cohabitation conventionnelle » : réglée par une convention de cohabitation; il ne s'agit pas d'une union légale, mais ­ ainsi qu'il ressort de l'article 1er de la présente proposition de loi ­ cette convention sera désormais légalement reconnue, de sorte que sa légitimité ne pourra plus être contestée, notamment lorsque les cohabitants sont du même sexe;

­ La cohabitation non conventionnelle : il s'agit d'une forme de vie commune dont les intéressés ne règlent pas les effets juridiques par convention préalable, et pour laquelle la jurisprudence offrira des solutions à l'amiable en cas de litige.

On pourrait se demander au premier abord s'il n'est pas discriminatoire d'attribuer des effets juridiques à une forme de vie commune et non à une autre.

Imaginons le contraire : si le législateur conférait les mêmes effets juridiques à toutes les formes de vie commune, il s'ensuivrait un tollé général parce que l'on aurait supprimé toute liberté de choix.

Ce raisonnement a contrario fait immédiatement apparaître le noeud du problème : en quoi consiste la discrimination ? Selon une définition grossière et très générale, la discrimination consiste à traiter de manière délibérément inégale des personnes se trouvant dans des situations semblables ou comparables.

Cela nous amène à considérer les caractéristiques fondamentales des différentes formes de vie commune. Force est de reconnaître que la cohabitation n'est qu'une caractéristique commune qui peut correspondre aux situations les plus diverses.

En optant pour une certaine forme de vie commune, les individus peuvent être animés par les motivations les plus diverses, dont les moindres ne se situent certainement pas au niveau des effets juridiques souhaités. Étant donné qu'il n'existe pas en l'occurrence de situations identiques, comparables ni même analogues, la critique ­ facile ­ qui consisterait à crier à la discrimination serait sans fondement.

Le choix d'une forme relationnelle n'est d'ailleurs généralement pas seulement inspiré, mais bien souvent déterminé essentiellement par les effets juridiques qui en découlent.

Une « carte » variée de formes relationnelles proposée par le législateur ne saurait donc être qualifiée de discriminatoire. Même si la présente proposition devient loi, le choix des formes relationnelles proposées restera sobre. Mais il aura déjà l'attrait que présente le menu du restaurant original qui vient d'ouvrir ses portes par rapport à la nourriture de cantine que nous connaissons aujourd'hui.

Pour conserver l'image, nous dirons que le cuisinier de la cantine devra se retrousser les manches. En d'autres termes : la neutralité du législateur belge à l'égard des formes de vie commune doit être une neutralité active.

Succès de l'union libre

Il ressort du dernier recensement qu'environ 18 % des personnes résidant en Belgique vivent ensemble sans être mariées.

Une enquête très récente effectuée auprès de 600 jeunes âgés de 16 à 21 ans par le bureau d'études I.M.A.R.A. Marketing Research pour le compte du journal De Standaard , publiée dans ce même quotidien le 28 avril 1993, montre que 67 % des jeunes Flamands ne considèrent pas du tout le mariage comme une institution surannée, mais 22 % pensent le contraire, 11 % étant sans opinion.

Les jeunes sondés affirment dans un même élan qu'ils considèrent la compréhension, la tolérance, la fidélité et une entente sexuelle harmonieuse comme les principaux ingrédients d'une relation réussie : une majorité écrasante, pas moins de 94 % des personnes interrogées, croit à la famille.

À la même époque, Marketing Unit a effectué, pour le compte du journal Le Soir , une enquête auprès de 1 700 jeunes Belges, également publiée le 28 avril 1993.

On a comparé les résultats à ceux d'une large enquête réalisée en 1980 auprès de jeunes de la même catégorie d'âge, à savoir entre 17 et 23 ans. Il apparaît que le mariage est en régression : par rapport à 1980, le mariage perd 18 % de son attrait et seulement un jeune homme sur dix de cette catégorie d'âge opte pour le mariage classique.

La même question a été posée, tant en 1980 qu'en 1993, aux jeunes de la tranche d'âge précitée : si vous aviez le choix, pour quelle forme de cohabitation opteriez-vous actuellement ?

Seulement 10 % des jeunes interrogés en 1980, mais pas moins de 20 % en 1993 ont donné la réponse suivante à cette question : pour une cohabitation avec un ou plusieurs amis. En 1980, 33 % des sondés préféraient le mariage; treize ans plus tard, ils n'étaient plus que 15 %. En revanche, l'union libre a manifestement le vent en poupe : en 1980, elle avait la préférence de 13 % des jeunes de la tranche d'âge précitée; en 1993, ce pourcentage est passé à 17 %.

Les résultats du recensement et de ces différentes enquêtes montrent le succès croissant de l'union libre, qui s'explique pour diverses raisons analysées succinctement ci-après.

À première vue, cette tendance semble paradoxale, étant donné que pas moins de 94 % des jeunes interrogés croient à la famille. Mais le paradoxe n'est qu'apparent.

Le malentendu découle de la confusion qui entoure la notion de « famille ».

Traditionnellement, la « famille » désignait l'entité matrimoniale hétérosexuelle, constituée du père, de la mère et des enfants.

Cette conception traditionnelle de la famille a éclaté. La famille est aujourd'hui une notion qui recouvre beaucoup de choses : les couples mariés avec ou sans enfant, les familles monoparentales, les familles composées, les familles adoptives, l'union libre, avec ou sans enfant, les relations homosexuelles.

Tout cela montre que de plus en plus, les composantes traditionnelles de la vie familiale (sexualité, intimité, cohabitation, mariage, choix d'avoir des enfants) se dissocient pour se réassocier en diverses combinaisons.

Les choix individuels en matière de vie commune, dictés par l'inclination personnelle, l'ont emporté sur la pression sociale et ont eu raison de la conviction selon laquelle le mariage constituerait la forme idéale de vie commune.

Cette évolution a été rendue possible par les bouleversements économiques et notamment par l'édification de la société-providence, avec ses nombreux garde-fous.

Pourquoi la cohabitation de partenaires non mariés tend-elle à supplanter toutes les formes nouvelles, désormais possibles, de vie commune ?

Parallèlement à la mosaïque de formes de vie commune, il existe une série de motifs individuels qui poussent à choisir une de ces formes.

De tout temps, un de ces motifs a été la révolte intellectuelle, le choix anarchiste de cohabiter sans lien conjugal pour s'opposer à la forme dominante de vie commune que constituait le mariage. Ce type de motif existe encore sous une forme atténuée, mais la norme s'est tellement assouplie qu'il a perdu de son importance.

Le choix de cohabiter est à présent dicté par des considérations plus pratiques : on opte pour une forme de vie commune extraconjugale pour éviter de s'engager, soit que l'on redoute les complications inhérentes au mariage, soit que l'on en appréhende certains aspects, tels que les problèmes que pose la rupture.

Dans ce cas, on opte simplement pour une forme souple de vie commune et donc pour une alternative durable au mariage.

D'autres n'excluent pas de se marier et souhaitent même, à terme, un ancrage très formaliste; en attendant, ils « tâtent le terrain » au cours d'une phase préconjugale, d'un « prémariage ».

Par ailleurs, nombreux sont ceux qui voudraient se marier mais qui, ce faisant, perdraient un avantage quelconque, ce qui les pousse à persister dans le concubinage.

C'est ainsi que la perte de la pension de survie explique la décision de nombre de veufs et de veuves de s'installer dans le concubinage. On pourrait parler, dans ce cas, d'un « concubinage de vieillesse ». De même, la sauvegarde des droits successoraux des enfants issus de mariages dissous par la mort ou le divorce fait souvent obstacle au remariage.

Enfin, il y a la catégorie importante des cohabitants célibataires qui ne peuvent pas accéder au mariage, qu'il s'agisse de concubins adultères ou d'homosexuels, également nombreux dans notre pays.

La question fondamentale est de savoir combien de cohabitants célibataires opteraient pour le régime d'union civile s'il existait.

D'aucuns sont convaincus que cette forme de vie commune remporterait un vif succès dans le contexte social actuel.

Législation sur le concubinage dans certains pays d'Europe occidentale

La Suède est le premier pays d'Europe occidentale à avoir accordé, à certains égards, un statut légal aux concubins. La loi du 18 juin 1987 régit en effet les rapports patrimoniaux entre homosexuels, s'inspirant en cela de la législation relative aux cohabitants de sexe opposé, qui date, elle, des années 50.

Le concubinage n'étant, en vertu de ces lois, assimilé au mariage qu'en ce qui concerne le droit patrimonial, cette forme de cohabitation est quelquefois qualifiée de « mini-mariage » à la suédoise.

Au Danemark, la loi du 7 juin 1989 a créé, à côté du mariage, le « partenariat enregistré ». Il s'agit d'une institution, créée en fait pour les homosexuels mais pour laquelle peuvent également opter les cohabitants hétérosexuels, dont les effets sont comparables mais certainement pas identiques à ceux du mariage.

Les partenaires ne doivent pas cohabiter en permanence et avoir des relations sexuelles pour pouvoir passer un contrat d'union civile; celui-ci fait d'ailleurs l'objet d'une procédure très souple et est consigné au registre des mariages, tenu par l'officier de l'état civil.

Cette union civile est, en apparence, relativement rigide, puisque ses effets sont identiques à ceux du mariage en ce qui concerne l'obligation alimentaire, le régime patrimonial, le droit successoral et la dissolution, tandis que les dispositions relatives à la filiation et à l'adoption s'appliquent exclusivement au mariage.

Si le régime suédois est un mini-mariage, l'institution danoise est un quasi-mariage, qui a pour objet explicite de conférer un statut aux couples homosexuels.

La procédure en divorce étant très souple au Danemark, il n'y a pas lieu de craindre que le régime de l'union civile soit trop rigide.

Chez nos voisins du Nord, une proposition visant à donner un statut volontaire aux cohabitants attend d'être adoptée, tandis que chez nos voisins du Sud, une proposition analogue a apparemment été mise au frigo.

En 1992, la Commission d'évaluation des projets législatifs a transmis au ministre néerlandais de la Justice un avis sur l'approche juridique des formes de cohabitation. Cette commission s'était fixée comme objectif fondamental de rechercher la manière de réglementer plus objectivement les différentes formes de cohabitation.

Cette commission a proposé, dans son avis, d'instaurer deux formes d'enregistrement volontaire pour les cohabitants non mariés.

La première forme d'enregistrement, que l'on pourrait qualifier de « simple », n'aurait que des effets de droit public (par exemple, en matière de fiscalité et de sécurité sociale).

La seconde, plus élaborée, équivaut à la création d'une institution comparable au mariage.

Le mini-mariage suédois et le quasi-mariage danois coïncident, dans les grandes lignes, aux deux formes d'enregistrement que nous proposons d'instaurer.

L'enregistrement plus élaboré ­ également accessible aux homosexuels ­ a en effet des conséquences juridiques comparables à celles du mariage : obligation alimentaire, devoir d'habiter ensemble, régime matrimonial et droits successoraux. La filiation et l'adoption sont soit réservées exclusivement au mariage, soit admises avec certaines réserves si le couple opte pour la forme d'enregistrement plus élaborée. La dissolution de l'union s'effectuerait par acte notarié, inscrit aux registres de l'état civil.

Cette faculté d'enregistrement ne fait pas encore partie du droit positif néerlandais, bien qu'un certain nombre de communes aient instauré un registre de partenariat. Quoi qu'il en soit, on peut estimer que les Pays-Bas ne tarderont plus à adopter une législation réglant la cohabitation.

En France, on n'en est de toute évidence pas encore à ce stade. En juin 1992, des parlementaires socialistes ont déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à introduire un nouveau concept dans le Code civil : « Le contrat d'union civile ». Cette initiative a été suscitée par l'affirmation de l'Institut national d'études démographiques selon laquelle on peut estimer à deux millions le nombre de couples non mariés en France : un enfant sur trois est issu de tels couples.

Le contrat d'union civile prévu par le Code civil serait accessible à tous, quel que soit le sexe des partenaires.

Ce contrat, dont le régime général serait celui de la séparation de biens, pourrait être conclu devant l'officier d'état civil.

Il pourrait être résolu unilatéralement six mois après sa notification à l'officier d'état civil. Outre une série d'autres effets juridiques, il emporterait application des règles du droit successoral en vigueur pour les conjoints.

Les arguments essentiels en faveur de l'union civile

Le législateur doit-il intervenir dans les problèmes liés au concubinage, et en particulier pour tout ce qui relève du droit civil ?

Tant en ce qui concerne le droit civil qu'en ce qui concerne les autres branches du droit, une solution juridique s'impose sur la base d'une série d'arguments : s'il n'est pas question d'instaurer un régime légal obligatoire applicable à tous les cohabitants, l'objectif est par contre de créer dans le droit civil belge un régime d'union civile, accessible à tout le monde sur base volontaire.

Les principaux arguments en faveur de cette nouvelle institution sont les suivants :

1. Le fait que certains cohabitants n'optent pas pour le mariage ne signifie nullement qu'ils ne souhaitent pas bénéficier de certains effets juridiques inhérents à ce statut. Pour certains de ceux-ci, la jurisprudence ne veut ou ne peut proposer de solution, pour d'autres, même les conventions de cohabitation n'offrent aucune solution sûre ou satisfaisante. Un régime d'union civile simple et transparent offrirait la sécurité juridique requise.

2. La neutralité du législateur à l'égard des formes de vie commune est renforcée. D'une part, on accroît la cohésion et, d'autre part, on maintient la diversité parce qu'il est tenu compte des conceptions différentes qu'ont les partenaires de la cohabitation.

3. La liberté des partenaires demeure entière et est même renforcée. Certains distinguent deux types de cohabitation : d'une part, le concubinat, qui se caractérise par le fait que les partenaires ne manifestent aucune « affectio maritalis », c'est-à-dire aucune intention de transformer le concubinage en lien durable. On peut ranger dans cette catégorie la cohabitation avant mariage, la cohabitation passagère ainsi que le concubinage de longue durée sans intention de « fonder un foyer ».

D'autre part, il existe une forme de cohabitation conçue comme une alternative au mariage, dont on rejette non seulement le formalisme mais surtout les limites mises à sa dissolution et la trop grande intrication, sur le plan patrimonial. C'est essentiellement cette dernière forme de cohabitation qui s'est très fortement développée ces dernières années.

Ces cohabitants pourront donc choisir de donner un statut légal à ce mode de vie commune alternatif dans lequel ils ont souhaité s'engager. Ceux qui ne le souhaitent pas pourront opter pour la cohabitation non organisée ou pour un type de cohabitation organisée par un contrat de cohabitation.

4. L'« union civile » respecte une des spécificités fondamentales de la cohabitation des personnes non mariées, à savoir la souplesse de l'engagement et de sa rupture. L'union est contractée sans aucun formalisme : une simple déclaration remplace tout le cérémonial avec témoins et lecture de la litanie des devoirs des conjoints, quoique, dans les deux cas, l'officier d'état civil joue un rôle essentiel. À la course d'obstacles imposée en cas de dissolution du mariage sera substituée une simple déclaration unilatérale.

5. Enfin ­ et ce n'est pas la moindre des choses ­, notre proposition confère finalement un statut (volontaire) aux homophiles et aux lesbiennes.

Il s'agit incontestablement d'un des principaux arguments en faveur de l'instauration de l'union civile.

Si l'on constate que la liberté de choix s'accroît pour les cohabitants non mariés en général, il n'en va pas du tout de même en ce qui concerne les homosexuels (terme qui sera utilisé ci-après pour désigner aussi bien les homophiles que les lesbiennes).

Les homosexuels n'ont en effet aucun choix, puisqu'ils ne peuvent pas se marier. Ils peuvent, certes, choisir de vivre seuls ou de cohabiter. Les hétérosexuels cohabitants non mariés peuvent, dans certains cas, profiter, grâce au droit commun, d'une jurisprudence permissive qui leur confère un statut juridique de fait. Les homosexuels, quant à eux, se trouvent face à un vide juridique complet. Il n'existe pratiquement aucune jurisprudence concernant des demandes formulées par des homosexuels qui cohabitent ou ont cohabité. La crainte et l'autocensure, encore très présentes chez les homosexuels en cas de contestation, ne sont sans doute pas étrangères à cette situation, d'autant que ces personnes redoutent, non sans raison, de voir leur demande rejetée ou déclarée nulle pour cause de relations illicites ou immorales. On en trouve une illustration frappante dans le fait que, lorsque certains homosexuels concluent des contrats de cohabitation, ils y font figurer une clause qui, en cas de contestation, ne donne pas compétence au tribunal, mais chargent le bâtonnier du barreau de désigner trois avocats en vue d'un arbitrage. Ils essaient ainsi d'éviter à tout prix de recourir au tribunal, alors que, si le résultat de l'arbitrage est contesté, ils doivent quand même s'adresser à lui pour obtenir un titre exécutoire, tout en risquant de surcroît une annulation.

Les homosexuels ne disposent donc pratiquement d'aucun moyen juridique sûr de protéger concrètement leur relation.

L'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit fondamental au mariage. Ce droit n'est toutefois pas reconnu aux homosexuels, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que des lois nationales des pays signataires de la Convention.

Les articles 6 et 6bis de notre Constitution consacrent les principes d'égalité et de non-discrimination. Ce principe de non-discrimination est également consacré par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui, étant directement applicable, a force de loi en Belgique. Et l'on aura beau s'efforcer de prouver le contraire, il restera incontestable qu'interdire aux homosexuels l'accès à une institution ouverte aux hétérosexuels constitue une discrimination fondée sur les tendances homosexuelles.

Si l'on considère la question à la lumière du principe d'égalité, il n'y a en fait qu'une seule attitude possible : donner aux couples homosexuels le même statut légal qu'aux couples mariés ou cohabitants.

Même les associations qui défendent les intérêts des homosexuels reconnaissent toutefois qu'il n'y a guère de chances de voir, du jour au lendemain, célébrer des mariages entre homosexuels. Nul ne contestera cependant qu'une « union civile », accessible aux homosexuels, constituerait un progrès considérable.

Les homosexuels bénéficieraient ainsi non seulement d'une reconnaissance formelle, mais aussi d'un cadre juridique qui leur permettrait de donner corps à leurs sentiments et à leurs souhaits.

Les développements de la loi danoise précitée du 7 juin 1989 sont absolument pertinents et recueillent l'assentiment du professeur Senaeve, dans son ouvrage « Concubinaat. De buitenhuwelijkse tweerelatie », publié en 1992 : « un argument supplémentaire en faveur de l'instauration d'une telle union (danoise) enregistrée, avec tous les effets juridiques importants qui y sont liés, est que celle-ci doit permettre aux homophiles et aux lesbiennes de mener une vie qui soit en adéquation avec leurs aspirations.

Il est en effet probable qu'une reconnaissance formelle par le biais d'une législation explicite contribuera à mieux faire accepter les couples homosexuels par la société, de sorte que les intéressés, pour qui il est parfois long et pénible de faire un choix conforme à leur nature, devront moins se préoccuper de données irrationnelles, telles qu'une réaction négative de la société et de leur entourage. » (Traduction.)

Une proposition de loi fondamentale

Cette proposition de loi est tellement révolutionnaire que Napoléon Bonaparte va sans doute se retourner dans sa tombe.

« Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d'eux » : en droit belge, cet adage appartient désormais au passé. Du moins, si les dispositions que nous proposons ­ ou certaines d'entre elles en tout cas ­ sont inscrites dans notre Code civil.

On peut, sans exagération, estimer que 30 p.c. de la population ­ homosexuels et hétérosexuels confondus ­ souhaitent que l'union libre ait des effets juridiques. Ce chiffre sera encore plus élevé si l'on tient compte des hétérosexuels qui font un essai de vie commune avant le mariage et qui souhaitent que cette période d'union libre ait des effets juridiques.

Il nous paraît inconcevable que notre proposition de loi ne bénéficie pas du soutien de la majorité de la population : elle prévoit en effet l'insertion d'articles cruciaux dans notre Code civil et ne constitue d'ailleurs qu'un début. Il s'agit donc d'une proposition de loi fondamentale, qui devrait ouvrir définitivement la voie.

Il restera cependant beaucoup à faire pour que la cohabitation ait enfin un statut juridique approprié.

Le droit civil doit subir une adaptation plus profonde : par exemple, en ce qui concerne le principe et les modalités de l'adoption pour les couples non mariés et de sexe différent, mais aussi la non-discrimination en ce qui concerne le dédommagement en cas de quasi-délit lors du décès du partenaire.

Nous sommes confrontés au même défi dans d'autres branches du droit, telles que le droit fiscal et la législation relative aux accidents de travail. Et qu'en est-il, par exemple, des effets de l'union civile dans le cadre de la législation relative à la nationalité ? La problématique des droits de succession et d'enregistrement a déjà été évoquée par ailleurs.

Enfin, des questions se posent également dans le domaine du droit social au sens large.

Des cohabitants non mariés, et a fortiori des partenaires dans un régime juridique d'union civile, peuvent-ils faire valoir leurs droits à une véritable pension de survie, et ce, à certaines conditions ?

En adoptant comme principes directeurs la cohérence en matière d'effets juridiques et la non-discrimination entre des formes comparables de vie commune, nous avons ainsi dressé une liste non limitative de problèmes qui appellent une initiative du législateur.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

Cet article est conforme à la prescription de l'article 83 de la Constitution.

Article 2

Article 311ter . ­ L'inscription dans cet article de la possibilité de passer une convention de cohabitation met fin à toute insécurité juridique fondamentale. Il s'agit d'une reconnaissance légale formelle des contrats de cohabitation usuels.

Désormais, la licéité de telles conventions de cohabitation, qu'elles soient conclues par des personnes de sexe différent et par des personnes du même sexe, ne sera plus discutable. En ce sens, les dispositions proposées constituent une reconnaissance légale non équivoque de l'homosexualité et des couples homosexuels en particulier.

Cet article permet plusieurs formes de vie commune, une sorte d'« union à la carte ».

Ou bien, on choisit de cohabiter sans se marier, sans aucune forme d'organisation juridique (les restrictions apportées par la jurisprudence à l'application du droit commun atténuent inévitablement le caractère informel de l'engagement), ou bien on choisit de régler, dans une convention, les effets juridiques de la cohabitation.

Quant aux deux autres régimes légaux régissant des formes de vie commune (l'union civile, qui constitue un régime souple et minimal, et le mariage, qui constitue une institution formaliste et maximale), ils sont plus que des contrats types réglant les effets juridiques de la cohabitation. Il s'agit dans les deux cas, malgré les différences d'intensité, d'une institution faisant partie intégrante du droit familial, étant donné qu'elle règle globalement les effets juridiques de l'union.

Il ressort clairement de la combinaison des articles 311ter et 311quater que tous les couples, quels que soient le sexe ou les tendances sexuelles des partenaires, peuvent conclure une convention de cohabitation ou contracter l'union civile. Le mariage, quant à lui, reste réservé aux personnes de sexe différent.

Sous réserve des possibilités prévues par le droit commun, les conventions de cohabitation conclues par plus de deux personnes ne bénéficient pas de la sanction légale.

Dans l'union civile également, le nombre des partenaires est limité à deux.

Pour le reste, les dispositions relatives aux qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont applicables.

Article 311quater . ­ La terminologie et la philosophie de « l'union civile » traduisent la caractéristique essentielle de la cohabitation : la souplesse.

Une simple déclaration devant l'officier d'état civil suffit à rendre exécutoires les effets juridiques de « l'union civile », à l'exception des droits successoraux.

La souplesse de l'union civile contraste fortement avec le formalisme du mariage. La publication, la possibilité de faire opposition et le cérémonial devant l'officier d'état civil ne sont pas d'application dans le cadre de l'union civile.

Le fait que la déclaration doit être faite devant l'officier d'état civil ne signifie nullement que la présence de ce dernier soit requise, mais implique que la déclaration soit faite au service d'état civil de la commune ou de la ville. Ces mêmes règles s'appliquent à l'heure actuelle en cas de déclaration de naissance; il convient de remplir les formalités requises.

La présence de témoins est superflue. La vérification de l'existence de motifs d'opposition incombe à l'officier d'état civil, qui doit consulter à cet effet le registre national.

La vérification de l'existence de conventions de cohabitation pose un problème particulier, étant donné que leur enregistrement est facultatif.

L'officier d'état civil n'est donc pas obligé de procéder à des vérifications à ce niveau.

Les contradictions entre les conventions de cohabitation successives non résiliées seront résolues conformément aux dispositions et aux modes d'administration de la preuve du droit commun.

Étant donné que l'union civile et le mariage font l'objet d'une publicité et d'une protection légales, les conventions de cohabitation tacites sont considérées comme caduques, sous réserve, évidemment, d'un dédommagement et d'autres prétentions de tiers ou d'intéressés en raison de la résiliation unilatérale de la convention de cohabitation.

Art. 311 quinquies. ­ Dans un souci de transparence et de simplicité, il n'a pas été opté pour un calque pur et simple des dispositions du régime matrimonial des couples mariés. Le choix sera limité à la communauté réduite aux acquêts ­ le régime matrimonial légal ­ et la séparation de biens pure et simple.

En obligeant les parties à faire connaître leur choix au moment de la déclaration, on les incite à faire un choix délibéré. Si cette obligation de déclaration n'était pas inscrite dans une disposition légale et que, faute de choix, le régime légal était applicable mutatis mutandis , il y aurait nettement moins de chances que les partenaires choisissent en connaissance de cause. Ce problème est d'autant plus important que de nombreux cohabitants aimeraient que les dispositions de réciprocité en matière de droits successoraux leur soient applicables comme aux époux légitimes, tout en craignant par ailleurs de s'engager trop avant de leur vivant dans un régime comportant une fusion trop poussée des patrimoines.

La déclaration faite devant l'officier de l'état civil permet dès lors de limiter délibérément et de manière simple les effets juridiques de l'union civile.

Art. 311 sexies. ­ La facilité d'accès à l'union civile, combinée à la souplesse des modalités de résolution, constitue un préalable essentiel au maintien de la caractéristique fondamentale du concubinage, à savoir l'absence de tout engagement. L'absence de tout obstacle à la sortie du régime est sans nul doute, pour beaucoup , encore plus importante que la facilité d'accès. L'article proposé prévoit que la dissolution peut être demandée par une des parties devant l'officier de l'état civil, mais il va de soi que les deux parties peuvent en faire la demande conjointement. Dans cette hypothèse, il est évident que la formalité de la notification par exploit d'huissier de justice devient sans objet.

Pour le cas où une des parties seulement remet une déclaration de rupture, nous avons opté pour une notification par exploit d'huissier de justice plutôt que par lettre recommandée, la première formule présentant bien moins d'inconvénients en ce qui concerne la sécurité juridique. L'obligation d'acquitter au préalable les frais lors de la remise de la déclaration de rupture procède de la logique même et ne peut guère être considérée comme un obstacle.

Les principes qui figurent dans la disposition relative à l'aide financière à payer après la rupture de l'union civile constituent, dans une large mesure, des innovations par rapport aux dispositions actuelles régissant le secours alimentaire entre époux. La question se pose dès lors de savoir si le régime proposé est calqué sur le régime relatif à l'obligation d'entretien dans le cadre d'un divorce non fondé sur la culpabilité. Nous répondons à cette question en partie par l'affirmative, en partie par la négative.

Par l'affirmative, parce que le régime proposé respecte un certain nombre de principes qui doivent indubitablement faire partie intégrante d'un régime de pension alimentaire dans le cadre d'un divorce sans culpabilité. Par la négative, parce que le régime d'aide financière consécutif à la rupture d'une union civile laisse au juge un pouvoir d'appréciation plus important, eu égard à la spécificité du type de cohabitation.

Le régime proposé n'en constitue pas moins un progrès par rapport au régime actuel applicable aux couples non mariés, étant donné que le juge jouit, dans ce vide juridique, d'une liberté pour ainsi dire sans limites, sauf celles formées par les principes généraux du droit commun. Nous avons tracé des limites précises.

Sur le plan juridique, l'octroi de l'aide financière ne se justifiera que si la partie demanderesse peut démontrer son indigence. Il est manifeste que cette aide n'a pas pour but de permettre au partenaire qui la reçoit de conserver le même niveau de vie que pendant la durée de l'union civile. Il appartiendra au juge de fixer, selon les circonstances, le montant de cette aide financière en fonction des possibilités financières de l'autre partie, étant entendu que ledit montant ne pourra excéder un tiers des revenus dont le débiteur peut disposer ou qu'il est raisonnablement en mesure d'acquérir.

Pour contrebalancer le fait qu'elle sera accordée sur simple déclaration d'indigence, sans qu'il faille prouver que les difficultés économiques sont liées à la période qu'a duré l'union civile, l'aide financière sera strictement limitée dans le temps : en principe, elle ne sera octroyée que pour un terme égal à celui de l'union civile. On pourra objecter que le système prévu est assez forfaitaire; il sera toutefois possible aux tribunaux de le moduler en fonction de circonstances exceptionnelles : le terme pendant lequel l'aide sera octroyée pourra être écourté ou allongé si des circonstances économiques particulières le justifient.

Si, d'une part, la limitation de l'aide dans le temps consacre le principe selon lequel tout adulte doit subvenir lui-même à ses besoins, l'instauration d'une phase transitoire vise, d'autre part, à atténuer fortement la rigueur dudit principe, compte tenu des injustices qui peuvent naître lorsqu'il est mis fin à l'union civile.

Le fait que la durée de la phase transitoire soit proportionnelle à la durée de la vie commune dans le régime de l'union civile se fonde sur l'intensité et les perspectives d'avenir de la relation.

Article 3

Les contestations au cours de l'union civile ne seront ­ selon toute vraisemblance ­ pas nombreuses. La souplesse des modalités de rupture de l'union civile permettra de résoudre les conflits sérieux dans le cadre des effets de cette rupture.

La justice de paix est assurément l'instance la plus proche du citoyen et la plus indiquée pour résoudre des conflits familiaux. Étant donné que les justices de paix ont tendance à être surchargées et que les contestations postérieures à la rupture de l'union civile relèvent plutôt de la sphère de compétences des tribunaux de première instance, ce sont ces derniers qui connaîtront des conflits concernant les effets de la rupture de l'union civile.

Article 4

Cet article détermine la manière dont l'officier de l'état civil tiendra le registre des déclarations de conclusion et de rupture de l'union civile et n'appelle pas d'autres commentaires.

Article 5

Cet article prévoit que le régime de succession légal du conjoint survivant dans le cadre du mariage s'appliquera intégralement aux parties qui contractent une union civile. Le régime successoral est sans nul doute un des effets juridiques du mariage qui intéressent le plus les cohabitants. Il est essentiel que l'affection réciproque des cohabitants puisse se traduire par une protection économique aussi étendue que possible en cas de décès du partenaire.

S'il existe un vide juridique en matière de droit successoral, c'est parce que les cohabitants sont considérés comme des étrangers, ce qui revient à nier l'existence de l'affectio maritalis , alors qu'elle est une réalité dans de nombreux cas. Le choix de l'union civile peut en outre être considéré comme une preuve explicite de l'affectio maritalis , de sorte que rien ne peut s'opposer à ce qu'un régime successoral légal soit prévu pour les cohabitants.

Toutefois, l'union civile ouvre aussi la porte à d'éventuels abus, puisqu'on pourrait y recourir afin d'éluder les droits de succession.

C'est la raison pour laquelle il est prévu de ne rendre le droit successoral applicable qu'à partir du moment où l'union civile a duré deux ans sans interruption. S'il est vrai que cette règle ne vaut pas pour le mariage, on notera cependant que, dans ce cas, c'est le formalisme qui joue le rôle de frein.

Nadia MERCHIERS.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Les dispositions suivantes sont insérées dans le Livre Ier ­ « Des personnes » ­ du Code civil, sous un titre VIbis , intitulé « De l'union civile » :

« Art. 311ter . ­ Toute personne physique capable au sens des articles 1123 et 1124 peut passer avec une autre personne physique une convention de cohabitation, dans la mesure où elle n'est pas liée par une autre convention de cohabitation, un mariage ou une union civile, telle qu'elle est définie ci-après.

Cette convention ne peut être conclue entre parents et alliés jusqu'au troisième degré. Le Roi peut toutefois lever cette interdiction pour motif grave, lorsqu'il s'agit d'une relation entre oncle et nièce, tante et neveu, beau-frère et belle-soeur.

Art. 311quater . ­ Les parties peuvent cependant opter pour l'union civile telle qu'elle est définie ci-après en faisant à cet effet une déclaration devant l'officier de l'état civil du domicile de l'une d'elles, dans la mesure où aucune d'elles n'est liée par un mariage ou une autre union civile.

Art. 311quinquies . ­ Le régime des biens de l'union civile est celui de la communauté réduite aux acquêts ou celui de la séparation de biens. Les parties font connaître leur choix au moment où elles font la déclaration prévue à l'article précédent.

Art. 311sexies . ­ L'union civile est résolue à la demande d'une des parties, effectuée devant l'officier de l'état civil du lieu où la déclaration prévue à l'article 311quater a été faite.

L'officier de l'état civil notifie la résolution à l'autre partie par exploit d'huissier, après acquittement des frais y afférents.

La partie qui démontre son indigence peut recevoir de l'autre partie une aide financière. Cette aide sera octroyée pour un terme égal à celui de l'union civile.

Ce terme peut cependant être écourté ou allongé en fonction des circonstances économiques.

Le montant de l'aide ne peut en aucun cas excéder un tiers des revenus dont le débiteur peut disposer ou qu'il est raisonnablement en mesure d'acquérir. »

Art. 3

Le juge de paix du domicile des parties connaît de toutes les contestations qui surgissent entre celles-ci au cours de l'union civile.

Le tribunal de première instance du domicile des parties connaît de toutes les contestations concernant les conséquences de la résolution de l'union civile.

Art. 4

Un article 101bis , libellé comme suit, est inséré dans le Titre II ­ « Des actes de l'état civil » ­ du Livre Ier ­ « Des personnes » ­ du Code civil, sous un nouveau chapitre VII, intitulé « Registre des déclarations d'union civile » :

« Art. 101bis . ­ Les officiers de l'état civil tiendront un registre des déclarations d'union civile et feront figurer la mention de l'union civile en marge de l'acte de naissance des parties.

De même, la résolution de l'union civile sera inscrite sur un registre et mention en sera faite en marge de l'acte de naissance des parties.

Les officiers de l'état civil délivreront des extraits certifiés conformes de ces registres. »

Art. 5

Un article 745octies , libellé comme suit, est inséré dans le même Code :

« Art. 745octies . ­ Les dispositions des articles 745bis à septies sont applicables à l'union civile dès lors que celle-ci a duré deux ans sans interruption. »

Nadia MERCHIERS.
Frederik ERDMAN.
Paula SÉMER.
Francy VAN DER WILDT.
Lydia MAXIMUS.
Guy MOENS.
Eric PINOIE.
Patrick HOSTEKINT.
Louis TOBBACK.