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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

14 DÉCEMBRE 2004


La problématique de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR M. LIONEL VANDENBERGHE


I. INTRODUCTION

La commission des Relations extérieures et de la Défense a consacré six réunions à la problématique de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Dans le cadre des discussions, les auditions suivantes ont été organisées :

1. le 19 octobre 2004 :

— M. Martin Harvey, chef d'unité f.f. de la DG Élargissement de la Commission européenne (p. 2);

— M. Elmar Brok, président de la commission des Relations extérieures du Parlement européen (p. 5);

— M. Bronislaw Geremek, membre du Parlement européen, et ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne (p. 8).

2. le 16 novembre 2004 :

— Mme Jenny Vanderlinden, représentante d'Amnesty International (p. 23).

3. le 16 novembre 2004 :

— M. Luc Delvaux, General Manager chez Fortis (p. 36).

4. le 23 novembre 2004 :

— M. Robert Anciaux, professeur émérite, ULB (p. 50);

— S.E. M. Erkan Gezer, ambassadeur de la République turque (p. 62).

À la suite de ces auditions et des échanges de vues qui ont suivi, la commission a consacré deux réunions à la rédaction d'une proposition de recommandations.

II. AUDITIONS

1.1. Exposé de M. Martin Harvey

Voici une dizaine de jours, la Commission a adopté trois documents relatifs à la Turquie.

Premièrement, un rapport régulier que la Commission prépare chaque année pour tous les pays candidats. Deuxièmement, un document traitant des questions posées par la perspective de l'adhésion de la Turquie. C'est une sorte d'étude d'impact préliminaire. Troisièmement, une recommandation relative à l'ouverture des négociations.

Avant d'aborder ces documents dans les détails, l'orateur rappelle brièvement l'historique des relations entre l'Union européenne et la Turquie.

Depuis 1963, il existe un accord d'association entre l'Union européenne et la Turquie. Cet accord indique clairement la vocation européenne de ce pays.

Un des points les plus importants de cet accord fut la création, en 1995, d'une union douanière, entrée en vigueur au début de l'année 1996, qui sert de cadre pour la libre circulation des biens. C'est aussi un autre élément de l'acquis communautaire, notamment en matière de politique de concurrence.

Décembre 1999 est aussi un autre moment important, puisque c'est alors que s'est tenu le Sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne à Helsinki. C'est lors de cette réunion qu'on a annoncé que la Turquie avait le statut de pays candidat à l'Union européenne. Dès ce moment, nous avons entamé la préparation du rapport régulier et nous avons commencé à traiter la Turquie en tant que pays candidat.

Autre date importante, décembre 2002 : les chefs d'État ont invité la Commission à assister à une réunion à Copenhague en vue de préparer le rapport et les recommandations relatives à l'ouverture des négociations. C'est à cette invitation que la Commission a réagi le 6 octobre dernier en adoptant les différents documents.

L'orateur présente plus en détails les différents documents.

Tout d'abord, le rapport régulier. Il s'agit d'un document d'environ 150 pages qui traite des différents aspects de l'alignement de la Turquie sur les standards de l'Union européenne. Il comprend trois parties. Tout d'abord, une partie politique dans laquelle on constate les progrès réalisés en matière de critères politiques. Ensuite, une importante partie économique et, enfin, une partie qui examine les différentes politiques de l'Union européenne. On voit dans ce chapitre où se situe la Turquie par rapport à la législation européenne. Tous ces documents se basent sur les critères de Copenhague.

C'est lors d'une réunion qui s'est tenue en 1993 à Copenhague que les chefs d'État ont fixé certains critères pour les nouvelles adhésions, essentiellement en vue des adhésions des pays d'Europe centrale et orientale.

Les critères portaient sur la politique, l'économie et ce que l'on appelle « l'acquis communautaire ».

Le rapport régulier sur la Turquie traite, de façon plus détaillée que pour aucun autre pays candidat, des critères politiques de Copenhague. Y sont évoquées des questions telles que les libertés fondamentales — libertés d'expression, d'association, de culte —, les droits de l'homme, les minorités et les mauvais traitements. Le résultat des recherches dans ces domaines y est présenté de façon assez détaillée.

Comment a-t-on élaboré ce rapport ? Quelles sont les sources d'information ? Il y a eu un dialogue assez étroit avec les autorités turques, mais également avec d'autres organisations internationales, notamment le Conseil de l'Europe et les Nations unies. On a travaillé très étroitement avec les États membres de l'Union européenne et on a recouru à des sources non gouvernementales, telles qu'Amnesty International et des ONG en Turquie, mais on a également travaillé en étroite collaboration avec le Parlement européen qui suit avec grand intérêt la situation en Turquie.

Le deuxième document, qui concerne les questions soulevées par les perspectives de l'adhésion de la Turquie, constitue une première. En 1997, l'Agenda 2000 a été réalisé, reprenant diverses considérations relatives à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. Ici, l'étude envisage les aspects économiques et géopolitiques et les implications concernant les fonds structurels régionaux. Le document formule des considérations quant aux budgets et aux institutions européennes.

Le troisième document est celui qui a la plus grande portée politique. L'étude comportait quelque cinquante pages, le rapport régulier, 150 pages et le document politique, huit pages seulement de recommandations et de conclusions relatives aux autres documents. Ainsi, si certains actes législatifs restés en suspens entrent en vigueur, il est recommandé que la Turquie remplisse suffisamment les critères politiques de Copenhague pour que les négociations puissent s'ouvrir. La recommandation propose que les négociations avec la Turquie reposent sur trois piliers. Il faut d'abord suivre de près et soutenir les réformes politiques en Turquie. Bon nombre de réformes ont déjà été menées à bien. Le cadre législatif est plus ou moins en ordre. Des critiques continuent à être émises, surtout dans le rapport régulier. Des faiblesses subsistent, en tout cas au niveau de la mise en oeuvre. Les réformes politiques en Turquie seront suivies attentivement.

Des réunions avec les autorités turques sont organisées régulièrement. Des questionnaires détaillés y sont abordés. Des réunions ad hoc ont également été organisées sur des questions spécifiques telles que les droits culturels ou la liberté de culte.

Il existe un instrument particulier : le partenariat pour l'adhésion. Ce document, renouvelé tous les deux ans, fixe les priorités pour les pays candidats. Il sera renouvelé au début de l'année prochaine.

Le deuxième volet de la stratégie, traduit dans la recommandation, concerne la façon de mener les négociations d'adhésion. Certaines leçons ont été tirées du dernier élargissement et il est nécessaire de mettre davantage l'accent, dans les négociations mêmes, sur la mise en oeuvre et pas seulement sur les engagements pris par les pays candidats.

Il est en outre proposé que la vitesse du processus de réforme politique détermine aussi le rythme des négociations d'adhésion.

Il est également recommandé de suspendre les négociations si des problèmes graves sont constatés en ce qui concerne le respect des droits de l'homme et des critères politiques.

Enfin, le troisième pilier de notre stratégie est de faciliter et d'appuyer un dialogue sur les différents aspects de l'adhésion de la Turquie : les questions politiques, culturelles et éventuellement religieuses. Un grand débat est déjà en cours au sein de l'Union européenne et nous voulons justement le promouvoir.

1.2. Exposé de M. Elmar Brok

Le point de départ est clair. En 1999, le Conseil européen a conféré à la Turquie le statut de candidat à l'adhésion. Peu importe qu'il s'agisse d'une bonne chose ou non, c'était un fait. En conséquence, la Commission devait déposer un rapport — ce qui fut encore confirmé à Copenhague — déterminant le moment où les deux parties seraient prêtes à entamer des négociations. À cet égard, on fait souvent référence au candidat à l'adhésion, mais l'Union doit être prête elle aussi. C'est également un critère de Copenhague.

La Commission est allée un peu vite dans l'évaluation du respect des critères politiques, une condition pour le début des négociations. En 1997, lors du sommet de Luxembourg, il a été décidé de ne pas entamer de négociations avec la Slovaquie parce qu'elle n'avait pas respecté les principes de l'État de droit. On peut en déduire que les critères politiques doivent être assez bien respectés pour que les négociations puissent commencer.

Comme l'a déjà signalé l'orateur précédent, la Commission observe elle-même que la Turquie connaît encore un arriéré pour ce qui concerne les droits de l'homme et les droits religieux, dans le domaine de l'État de droit et pour les questions judiciaires et administratives. Autrement dit, elle doit encore faire des efforts pour devenir un État de droit et une démocratie.

En 2003, les organisations turques des droits de l'homme ont dénombré plus de 500 cas de torture confirmés par des documents. La torture n'est pas devenue plus tolérable parce qu'on peut la dire « non systématique ». En tant qu'ancien soixante-huitard, l'orateur attache peut-être un intérêt plus qu'ordinaire à l'État de droit et il pense en tout cas que pour celui qui est torturé, il importe peu de savoir si les tortures sont « systématiques ». En utilisant la notion de « non systématique » on risque de banaliser la question et c'est un problème en soi.

On invoque par ailleurs l'argument selon lequel, ces dernières années, la Turquie a mené un processus de réforme dynamique qui pourrait être renforcé par l'amorce de négociations. L'orateur dirait plutôt que nous vivons un processus de changement.

Le processus de réforme — comme l'a souligné la Commission elle-même — n'est pas encore entièrement mis en oeuvre. Ankara a fait un très bon travail législatif, mais dans la pratique du juge du canton d'Anatolie orientale, on n'en remarque pas grand-chose. Dans une large mesure, nous avons une obligation de monitoring pour la mise en oeuvre afin de garantir le respect des droits de l'homme et de l'État de droit.

La Commission donne au moins deux raisons de ne pas encore admettre la Turquie dans l'Union. Tout d'abord, elle indique qu'il faudra peut-être reporter continuellement la liberté de circulation en raison de l'inquiétude suscitée par les grands flux migratoires. Dans dix à vingt ans, la Turquie comptera cent millions d'habitants et l'Anatolie orientale ne se situe qu'à 9 % du PIB de l'Union européenne. Cette situation permet bien entendu d'exercer une pression sur les différents États membres.

La libre circulation constitue toutefois un des piliers de l'Union européenne. Avant l'extension à l'Est, la période de transition pour la libre circulation ne pouvait durer au maximum que 2+3+2, soit 7 ans. Il n'est pas possible que la libre circulation soit reportée en permanence. Le fait que la Commission parle d'un report permanent montre que cette question se pose pour la Turquie.

Ce doute se manifeste également sur un autre point. La Commission affirme que les négociations portant sur les chapitres à répercussions financières, tels que la politique agricole ou la politique structurelle, ne peuvent être entamées que si les anticipations financières pour la période s'étendant jusqu'à 2014 sont établies. C'est la seconde anticipation qui suit celle qui est en cours. Cela signifie concrètement que les négociations portant sur les chapitres précités ne pourront commencer que dans dix ans. Les 25 États membres — ou le nombre d'États qui seront effectivement membres de l'Union européenne — doivent d'abord être d'accord sur les perspectives financières avant de pouvoir négocier avec la Turquie sur ce chapitre. C'est bien entendu une question épineuse.

Dans le document initial de la Commission — l'orateur ignore pourquoi les chiffres en ont entre-temps disparu —, on pouvait lire que l'adhésion de la Turquie coûterait, après déduction de la contribution turque, entre 17 et 18 milliards d'euros net aux politiques structurelle et agricole. Cela signifie que dès 2014 la politique agricole appelle une révision drastique et des coupes claires dans la politique structurelle des États-membres actuels de l'Union. Étant donné notre procédure de décision qui permet à un ou à quelques États riches de bloquer l'affaire, la manière dont cela doit être fait n'est pas claire.

Si cela ne réussit pas, les conséquences financières pour des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et l'Allemagne seront considérables. Si la politique n'est pas revue, le surcoût pour l'Allemagne atteindra vite les six milliards d'euros net, soit le double de la contribution nette versée par l'Allemagne à l'Union.

Nous devrons faire des choix. Lors des négociations, des conditions claires devront être posées. On a parfois l'impression que la Commission se demande elle aussi, dans certains cas, si l'adhésion de la Turquie est faisable.

Le doute subsiste aussi dans une autre matière pour laquelle on peut parler d'un retournement de méthode. Il s'agit des chapitres relatifs au marché intérieur. Les traités associatifs et l'union douanière, soit les acquis communautaires, doivent être implémentés avant que ces chapitres ne soient soumis à la négociation. C'est l'inverse de ce qui se passe pour la partie relative aux droits de l'homme : dans ce cas, les négociations peuvent débuter alors qu'on travaille encore au respect des conditions.

Ce retournement de méthode est également un signe d'incertitude.

La Commission en arrive à la conclusion logique que les négociations peuvent prendre n'importe quelle tournure. Si celles-ci ou si la ratification échouent, on doit veiller, selon la Commission, à ce que la Turquie reste ancrée au sein de l'Union pour des raisons que nous connaissons tous et qui sont surtout liées à des intérêts stratégiques. Ceci montre que pour la Commission, plusieurs options sont possibles. Au cours des négociations il pourrait apparaître que faire de la Turquie un État-membre à part entière n'est pas la seule option. L'orateur trouverait très grave que nous négociions pendant douze ou quinze ans et que nous refusions finalement l'adhésion parce que les négociations n'ont débouché sur rien ou parce que l'acte d'adhésion n'est pas ratifié. Le président Chirac a déjà annoncé un référendum en France sur l'adhésion de la Turquie. L'orateur craint qu'un refus n'ait des conséquences désastreuses pour nos relations avec la Turquie. Pour des raisons stratégiques et autres, ce pays a une très grande importance pour l'Union européenne.

Se pose par conséquent la question de savoir si les négociations ne doivent pas être liées à l'introduction de stades transitoires. La Turquie pourrait ainsi être intégrée dans l'espace économique européen afin, par exemple, de participer au marché intérieur. Cela s'est fait jadis pour l'Autriche, la Finlande et la Suède. Cette situation est d'ailleurs toujours d'application pour la Norvège.

Avec un tel scénario, la Turquie s'acquittera après un certain temps de 50 à 60 % de l'acquis communautaire et au terme d'une dizaine d'années les deux parties pourront décider ensemble que la Turquie adhère pleinement à l'Union.

Les grands empires sont tombés en décadence au moment où ils étaient le plus étendus, parce que leurs institutions et leur pouvoir juridictionnel n'étaient pas suffisamment forts pour maintenir la cohésion de l'ensemble. M. Geremek va probablement demander — comme l'a d'ailleurs déjà fait le gouvernement polonais — s'il y a encore une bonne raison de refuser l'entrée de l'Ukraine comme État membre si nous autorisons l'adhésion de la Turquie. Il n'y a aucune raison valable d'opposer un refus à l'Ukraine car, du point de vue stratégique, ce pays est pour nous au moins aussi important que la Turquie. Suivront ensuite la Moldavie et une série de pays balkaniques. La Croatie deviendra probablement à court terme membre de l'Union. En voyant sur la carte combien l'Union devient vaste, l'orateur doute fort qu'il sera encore possible de gérer tout ce territoire depuis Bruxelles. L'Europe devient peut-être une grande zone de libre-échange. Comme l'ont déclaré le président Chirac et d'autres lors du sommet de Bruxelles, nous pourrons alors peut-être créer une union politique avec les pays qui ont appartenu dès le début à l'Union. La Tchéquie peut éventuellement aussi en faire partie mais pas la Pologne. Si l'Union européenne s'étend trop, l'Europe constitutionnelle ne pourra jamais devenir une réalité et il ne sera plus question d'une union politique. Une Union trop grande est une masse pataude sans possibilités d'action. Si nous voulons trouver une solution raisonnable, nous devons être bien conscients des conséquences et des options possibles. Nous devons nous garder des automatismes; des solutions intermédiaires doivent rester possibles.

1.3. Exposé de M. Bronislaw Geremek

L'orateur voudrait dire deux choses. Premièrement, on dit qu'il est vraiment difficile d'imaginer qu'un grand pays comme la Turquie, avec un potentiel démocratique aussi important, puisse entrer dans l'Union européenne. En effet, les Turcs représenteront quelque 18 % de la population totale de l'Union européenne. Les 25 % d'Allemands que compte l'Union européenne pouvaient aussi faire peur aux Polonais et aux autres. L'orateur ne pense pas que la prépondérance allemande ait bloqué le développement de l'intégration européenne, au contraire. Le poids démographique ne peut donc pas être considéré comme un facteur négatif.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'Ukraine, l'orateur rappelle un petit fait d'histoire. Au 11e siècle, Theophano, épouse de l'empereur allemand, était originaire de Byzance. Pour Theophano, il ne faisait pas de doute — cette tradition devrait subsister dans la culture allemande — que Kiev était une capitale chrétienne importante, une capitale européenne. Quand un roi français épousa une princesse de Russie, l'orateur pense qu'il était lui aussi persuadé qu'il s'agissait d'un pays européen.

L'Ukraine est un grand pays qui a longtemps été soumis aux tendances expansionnistes de la Russie et de la Pologne. C'est la Russie qui a obtenu la victoire mais c'est un pays à vocation européenne. Cela dit, l'orateur ne plaide pas pour l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne, aujourd'hui ou demain. Cependant, il considère que personne ne devrait dire au nom de l'Union européenne qu'il n'y a pas de place pour l'Ukraine dans cette union parce qu'une telle réponse négative tue les espérances. Il faut prendre cet aspect en considération lorsqu'on réfléchit à la finalité de l'Union européenne. Cela signifie que le moment de prendre la décision sera à déterminer mais qu'il ne faut pas dire non.

L'orateur en arrive à la question de l'adhésion de la Turquie. Le rapport de la Commission tel qu'il a été présenté précise que les conditions nécessaires pour commencer les négociation sont réunies. Dans le même temps, ce rapport mentionne qu'il existe encore des problèmes concernant l'application des principes de l'État de droit. Il s'agit du problème de certains cas de torture, de la question de la condition de la femme et de la question de l'application du droit.

On peut dire qu'au cours des deux dernières années, la Turquie est passée par une révolution silencieuse et cela, sous la pression de l'Union européenne, parce que la perspective d'entrer dans cette union a créé les conditions qui ont permis un changement énorme. Ce pays a maintenant des instruments juridiques démocratiques; par ailleurs, les choses ont changé dans certains problèmes clés, comme la condition des femmes, la situation dans l'appareil judiciaire et le contrôle de l'armée sur la politique.

On voit maintenant que l'arrivée de la Turquie sur la voie de la démocratie ne relève plus de la rhétorique politique, mais devient une réalité.

Ce pays attendait depuis longtemps une réponse de la part de l'Union européenne et il a peut-être le droit, surtout après les décisions de 1997, d'obtenir une réponse claire. La Commission soumet au Conseil européen la question de l'ouverture des négociations avec un avis favorable, et l'orateur pense qu'elle a raison.

L'orateur considère que le débat qui a lieu actuellement, surtout en France mais aussi en Allemagne, dans lequel on soulève des doutes et on pose des questions, est tout à fait justifié.

L'orateur évoque trois problèmes. D'abord, la question du coût de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne pour les pays qui contribuent au budget de cette dernière. C'est un problème important. En Pologne, c'est l'un des éléments de doute quant à l'acceptation de la proposition de la Commission européenne. Ainsi, on peut supposer que les intérêts de ce pays, qui vient d'entrer dans l'Union européenne et dont le PNB se situe à 42 % du PNB moyen de l'UE, seront menacés. De même, les fonds de solidarité pour les dix pays entrés dans l'UE le 1er mai risquent d'être plus limités.

Il faut aussi savoir que, comme il n'y a pas de déjeuner gratuit, il n'y a pas non plus de politique européenne défendant la paix et la stabilité qui serait gratuite. Il faut poser ces problèmes de coût et les envisager en termes raisonnables.

L'orateur estime que si l'on considère le processus de négociation à long terme — on parle de douze à quinze ans — il faut se rendre compte que tant la Turquie que l'Union européenne seront différentes dans quinze ans. La Turquie présente actuellement un taux de croissance qui est le double de celui des pays de l'Union européenne et elle dispose d'un potentiel économique important. Le coût est un problème qui se pose et qui doit être analysé en termes simples et pragmatiques.

En prenant la décision de commencer prochainement les négociations avec la Roumanie, la Commission a aussi pris cette question en considération. La Roumanie se trouve actuellement dans une situation économique tout à fait comparable à celle de la Turquie.

C'est avec le cas de la Turquie que la question de l'importance du coût est subitement apparue.

Deuxièmement, il y a le problème culturel. Dire que la Turquie est un pays européen à 7 % seulement ne relève pas de l'analyse politique. En effet, on peut dire de la même façon que ce pays a été lié à l'Europe et à une bonne partie de l'histoire chrétienne. L'orateur pense aussi que, géographiquement, les frontières de l'Europe ne sont pas toujours définies de façon précise. Elles sont plus précisément définies en termes d'axiologie, de valeurs, de liberté et de démocratie.

Mais il ne faut pas oublier que, dans cette Anatolie orientale citée par M. Elmar Brok, dans une région située dans la partie du pays assez arriérée, vivent quelque 17 millions de personnes, sur 71 millions de Turcs. C'est une région pauvre au paysage plus asiatique qu'européen. Elle n'est pas marginale mais, d'un point de vue démographique, elle ne représente pas la majorité de la Turquie.

Le problème culturel est d'ordre religieux. Dans une revue allemande de politique internationale que l'orateur lisait voici deux ans, ce problème était exposé de façon assez claire. On disait qu'il n'y avait pas de place pour la Turquie dans l'Union européenne parce que cette dernière est née de l'ensemble des pays catholiques et protestants et parce qu'elle a difficilement accepté la Grèce, un pays orthodoxe. Si un grand pays islamique se joignait à l'Union européenne, la chance de bâtir une véritable communauté serait minime.

Cet argument exposé clairement me semble de taille. Il ne faut pas le négliger. Si nous voulons construire l'Union européenne comme une communauté de peuples et de citoyens, nous devons poser ce problème de la référence aux valeurs et à la tradition communes.

On peut se poser la question de savoir si nous, Européens, serons capables de nous construire une sorte de citadelle contre un monde qui n'est pas chrétien. L'Union européenne compte déjà plusieurs millions de musulmans en son sein — d'après les estimations, le chiffre peut varier entre 10 et 18 millions. Dès lors, la force de l'Europe ne consiste-t-elle pas à accepter l'ouverture ?

L'orateur était de ceux qui pensaient que la chrétienté jouait un rôle primordial dans la formation de l'Europe. Il en est persuadé en tant qu'historien. La référence, c'est Voltaire, qui a dit : « L'Europe est chrétienne. »

En disant la vérité dans le préambule, ne risquet-on pas de créer un problème culturel et religieux ? L'Europe est fondée sur le respect de la vie humaine. La liberté, la démocratie et l'État de droit sont fondés sur cette notion judéo-chrétienne. En acceptant la notion culturelle, l'orateur croit que nous pensons en termes d'avenir.

L'orateur croit que les plus jeunes présents dans cette salle doivent avoir du mal à s'imaginer ce que sera le monde à l'avenir. Le rôle de l'élite intellectuelle et politique est de penser à long terme. En pensant en termes d'avenir sur le plan culturel, l'entrée de la Turquie donnerait la mesure de la force de l'Europe qui n'a pas peur. C'est un élément important.

Le troisième élément est l'élément politique et géopolitique. Dans l'histoire de l'Europe, il y a rarement eu des moments d'aussi grande incertitude. Où allons-nous ? Dans quel monde vivront nos enfants ?

L'Europe a la chance de devenir une des grandes puissances économiques globales de l'avenir, comme l'est probablement l'Amérique du Nord et comme le deviendra, sans aucun doute, l'Asie du sud-est.

Comment faire pour que l'Europe devienne une grande puissance économique ? Bien sûr, il faut que l'Europe retrouve l'esprit prométhéen qui était de mise à son origine pour que les meilleures innovations, les meilleures inventions soient créées en Europe. Il faut que la stratégie de Lisbonne donne une force de compétitivité à l'économie européenne. Il faut aussi que l'Europe pense en termes de grandes ressources naturelles et des rapports qu'elle aura avec ces grandes ressources naturelles. Si le pétrole joue encore le rôle qui est le sien aujourd'hui, comment l'Europe pourrait-elle devenir partenaire à part entière ? La Turquie apporte un système de contrôle très efficace sur les grands pays producteurs de pétrole de la Caspienne. En 1998, lorsqu'il présidait l'OSCE, l'orateur a eu l'occasion de se rendre dans tous les pays de l'Asie centrale. Il a pu constater l'énorme influence que la Turquie, pour des raisons historiques et politiques, exerce sur cette région.

Au point de vue géopolitique dans sa substance militaire, mais également au point de vue géopolitique de l'échiquier, l'intervenant croit que l'Europe obtiendrait des moyens d'action très importants.

L'orateur appartient à un peuple qui n'a pas participé à cette merveilleuse oeuvre d'intégration. Il constate que les membres de l'Union ont été étonnés de leur propre succès. Chaque élargissement antérieur a suscité de la crainte. Il ne pense pas seulement aux pays post-communistes, ces dix pays qui sont entrés le 1er mai, mais également à l'Espagne et au Portugal, au Royaume-Uni et à la Grèce. Chaque fois, l'Union européenne a été capable de faire face à ce défi. Il plaide pour que nous dépassions nos craintes et que nous pensions en termes d'espoir.

Par ailleurs, il lui paraît raisonnable que l'Union européenne applique les critères de Copenhague à l'égard de tous les pays qui voudraient faire partie de l'Union européenne. Ces critères concernent le début des négociations. S'ils sont remplis, c'est la concrétisation du principe « pacta sunt servanda ».

Cependant, une disposition capitale prévue dans le texte de Copenhague ne lui semble pas encore intégrée dans le débat public, à savoir : « La décision sur l'accession d'un pays à l'Union européenne sera prise par l'Union en fonction de sa capacité d'absorption de nouveaux pays ». Il pense que cette phrase pourrait être complétée comme suit : « et en fonction de la capacité d'adaptation du pays entrant ». La décision qui sera prise dans dix ou quinze ans devrait tenir compte de ces deux critères. D'une part, l'Union européenne peut-elle, sans danger pour tout ce qui a été fait jusqu'à présent, absorber un pays comme la Turquie ? D'autre part, dans quinze ans, la Turquie sera-t-elle encore décidée à s'adapter à l'Union européenne ?

Échange de vues

M. Marc Van Peel fait remarquer que M. Geremek, en disant dans son exposé passionné que le débat est justifié, veut sans doute dire qu'il y a autant d'arguments pour que contre. Il croit qu'il a raison. Toutefois, plus l'opinion publique prendra conscience de l'enjeu du débat, plus le sentiment prévaudra qu'il ne peut plus avoir lieu en raison de l'insidieux processus de décision en cours dans les institutions européennes depuis 1962, lequel a débouché sur les critères de Copenhague. L'opinion publique a le sentiment que les contre-arguments justifiés ne peuvent plus être utilisés dans le débat. D'ailleurs, certains membres de l'élite politique opposés à l'adhésion de la Turquie brandissent l'arme du référendum, sachant que l'opinion publique y est profondément opposée à l'heure actuelle.

M. Alain Destexhe fait observer que si l'Union européenne a pu se faire, c'est parce qu'elle a voulu affronter son passé : l'Allemagne, par exemple, a accepté d'affronter son passé nazi. Dans le cas de la Turquie, un régime précédent, qui n'a rien à voir avec le régime actuel, a commis le génocide des Arméniens et d'autres massacres. Pourquoi cette question n'a-t-elle jamais été évoquée dans les critères de Copenhague ? Personnellement, il croit qu'il y a eu un génocide arménien, mais le célèbre orientaliste Bernard Lewis niait le génocide et parlait, quant à lui, de « crimes contre l'humanité ».

Si l'on ne croit pas au génocide, pourquoi la Turquie n'accepte-t-elle pas d'ouvrir ses archives à une commission internationale d'historiens ?

L'orateur est plutôt favorable à l'adhésion de la Turquie mais, en tant que citoyen européen, il se demande jusqu'à quel point on va pouvoir construire cette Europe contre la volonté majoritaire de ses peuples. Le sujet n'a pas vraiment été abordé. Il est favorable à l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne, mais il faudrait que les peuples européens soient convaincus du bien-fondé de cette intégration. Or aujourd'hui, ils ne le sont pas. Pour certains peuples, voter contre la Constitution européenne sera peut-être le seul moyen d'exprimer un rejet de la Turquie, ce qui serait un pas en arrière.

Sa troisième question est plus large. Qu'est-ce que l'Europe ? S'agit-il uniquement d'un grand marché, d'un espace juridique et d'un club de démocraties ?

Si l'Europe n'est que cela, il n'y a aucune raison de refuser l'adhésion de la Turquie. Mais il faudra alors peut-être accepter d'autres pays encore, comme la Russie. En revanche, si l'Europe est une Europe politique, une Europe de la défense, une entité culturelle — même ci cela est plus contestable —, on peut alors se poser des questions.

L'orateur voudrait qu'on soit aussi attentif aux détails. Il est vrai que les progrès sont incontestables. Les critères de Copenhague sont plus ou moins bien respectés. Toutefois, quand on entre dans les détails, on remarque qu'il subsiste encore beaucoup de choses un peu gênantes. Ainsi, les articles 302 et 303 du nouveau Code pénal qui vient d'être adopté posent problème. L'article relatif à l'intégrité du pays est formulé de telle manière qu'il empêche toute revendication d'autonomie des régions kurdes. L'article 302 dispose que la diffamation en public de l'identité turque, de la république de Turquie, de la grande Assemblée nationale de Turquie sera punie d'une peine de prison allant de un à trois ans. On ne peut pas non plus se livrer à une diffamation en public du gouvernement, des organes judiciaires, de l'armée et de la police. Qu'est-ce que la diffamation en public ? Ces dispositions peuvent vraiment être interprétées comme des limitations à la liberté d'expression.

De même, si on peut admettre que les droits culturels des Kurdes sont incontestablement en progrès, il n'en demeure pas moins qu'aucune télévision kurde privée n'est encore autorisée à s'installer. La télévision nationale diffuse certes un programme d'une heure par semaine à l'intention des Kurdes mais ceux-ci ne le regardent pas car l'émission ne correspond pas à la demande populaire.

Il n'y a, en outre, aucun enseignement du kurde dans les écoles publiques situées dans le Kurdistan turc.

Quant à la représentation politique, il est impossible de faire émerger un membre d'un parti kurde au parlement. Ainsi dans la région de Diarbakir, les élections sont organisées au scrutin majoritaire uninominal à un tour. Le candidat obtenant le meilleur score dans la région est un candidat du parti kurde; il obtient 70 % des voix au premier tour. Il devrait donc normalement être élu. Cependant la loi électorale impose un seuil de 10 % à l'échelle du pays. Ce parti kurde n'obtient donc jamais d'élus.

Soyons donc attentifs aux détails. Reconnaissons que, s'il y a des progrès, beaucoup d'améliorations sont encore souhaitables.

L'Islam a sa place en Europe. C'est l'islamisme qui pose problème. Le paradoxe aujourd'hui en Turquie est que l'on assiste simultanément à des progrès de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme et à un renouveau de l'islamisme. C'est ainsi que l'on doit interpréter la tentative du premier ministre d'introduire l'adultère dans le Code pénal. C'est une façon pour lui de satisfaire son électorat islamiste. On observe aussi un regain du port du voile en Turquie, notamment dans les villes où ce phénomène n'existait pas auparavant. Certaines mosquées turques sont financées par des capitaux saoudiens. J'aimerais que vous nous donniez votre commentaire à ce sujet.

M. Pierre Chevalier constate que les trois orateurs éludent la question qui préoccupe l'opinion publique : la Turquie est-elle vraiment un pays européen ? On tourne autour du pot par l'approche formaliste selon laquelle il a été décidé de négocier avec la Turquie et d'accepter ce pays en tant que candidat à l'adhésion. Ce n'était pourtant pas aussi simple. Lorsqu'il avait la charge des Affaires européennes au gouvernement belge, on avait décidé à Helsinki de discuter avec la Turquie. À l'époque, il avait fallu envoyer MM. Solana et Verheugen à Ankara pour qu'ils demandent avec insistance au gouvernement turc d'accepter les conditions de l'Union européenne.

L'approche formaliste est dangereuse non seulement pour ce débat mais aussi pour celui sur l'extension de l'Union européenne. Il voit bien l'enthousiasme de M. Geremek mais les plus grands adversaires de l'intégration sont ceux qui sont trop enthousiastes à l'égard de l'Europe. Il est facile de mettre les choses sur papier. M. Brock se demandait à juste titre si tout cela serait intégré dans la législation. Il se souvient d'un collègue tchèque qui disait que la Tchéquie pouvait facilement intégrer la législation européenne sur les faillites dans sa législation, mais qu'il n'était pas certain que les juges issus de l'ère communiste seraient capables de saisir la notion de « faillite » et d'appliquer la législation. Il renvoie également à M. Védrine, ex-ministre des Affaires étrangères français, qui trouvait que la Roumanie et la Bulgarie devaient également être impliquées dans le big bang.

Il a siégé au nom du gouvernement belge à la Convention et participé aux négociations relatives à l'élaboration de la Constitution européenne. Au nom du gouvernement belge, il s'est opposé à la mention de Dieu dans le préambule. Trois jours avant le Sommet de juin, il était présent avec M. Verhofstadt lorsque le premier ministre polonais a insisté pour qu'il soit quand même fait référence à Dieu dans le préambule.

On peut donc adopter un point de vue formaliste et rédiger des textes. Il est convaincu que le parlement turc les acceptera tous et qu'il les reprendra dans sa législation, mais il trouve que le débat doit être mené le plus possible avec des arguments pratiques.

Sa question fondamentale est : en quoi la Turquie contribuera-t-elle à l'approfondissement de l'Union européenne ? C'est sur ce critère qu'il s'appuyera pour se prononcer. M. Geremek a très justement attiré l'attention sur un passage important des critères de Copenhague, à savoir que l'Union doit être capable d'accepter et d'absorber le nouveau candidat à l'adhésion. Cela ne dépend pas uniquement de la capacité de l'Union mais également de l'idée qu'on se fait de l'Union européenne. Il constate que plusieurs États membres ont des vues divergentes quant à la manière dont l'Union européenne doit évoluer. On ne parle plus d'approfondissement mais d'élargissement. Même si cela prend encore 15 ou 20 ans, il craint que l'arrivée de la Turquie ne contribue pas à l'idée qu'on se fait d'une Union politique durable avec ses valeurs et ses objectifs.

Mme Fatma Pehlivan relève que M. Harvey a laissé échapper à un moment donné que les conditions d'adhésion ne sont pas les mêmes pour la Turquie que pour les dix pays qui ont adhéré à l'Union européenne au printemps dernier. Peut-il préciser sa pensée ? Ses origines turques et ses convictions politiques socialistes font qu'elle est très favorable à l'adhésion de la Turquie. Selon elle, la structure politique de l'Europe est séparée de ses valeurs culturelles. L'Europe est composée de toutes sortes de cultures et la culture islamique y est déjà fortement représentée. Cela vaut non seulement pour la Belgique mais aussi pour la France et l'Allemagne où la discussion est beaucoup plus intense.

Elle s'interroge sur certains critères. Tous les pays, et donc la Turquie, doivent respecter les valeurs européennes telles que la liberté d'expression, la démocratie et la protection des minorités culturelles. Il ne peut y avoir deux poids et deux mesures. C'est pourtant ce que pense la Turquie. A-t-on eu la même discussion lors de l'adhésion des dix autres pays ? La Turquie qui a fait de si grands efforts a le sentiment d'être victime des problèmes qui ont surgi lors de l'adhésion des dix autres pays.

Les problèmes sont peut-être bien plus importants en Roumanie et en Bulgarie qu'en Turquie. Pourtant personne ne semble s'interroger sur une éventuelle adhésion de ces deux pays. Il lui paraît injuste d'avoir cette discussion quand il s'agit de la Turquie. Si un référendum devait être organisé, il devrait porter sur tous les pays qui ont récemment adhéré à l'Union.

La France et l'Allemagne sont actuellement les deux plus grands pays de l'Union. La discussion sur l'adhésion de la Turquie, quelle que soit la manière dont celle-ci se développera, est empreinte de politique partisane dans ces deux pays. Personne ne sait comment évoluera la Turquie dans les prochaines années, ni du point de vue économique et social, ni quant à ses valeurs. Des collègues de la commission des Affaires sociales qui se sont récemment rendus en Turquie ont été étonnés des changements intervenus dans ce pays en un temps relativement court.

M. Geremek a également évoqué la capacité d'absorption. Est-il également question d'une capacité d'adaptation ?

M. Jurgen Ceder déclare qu'on a parfois insinué que l'opposition de certains hommes et partis politiques à l'adhésion de la Turquie était dictée par une certaine méfiance, voire de l'hostilité, à l'égard de l'islam ou d'une culture non européenne. Dans certains cas, c'est peut-être vrai, mais il a parfois l'impression que les partisans de l'adhésion de la Turquie sont animés par le « politiquement correct » ou par une certaine idéologie multiculturelle. La question de l'adhésion de la Turquie est un test pour la largesse d'esprit des hommes politiques européens.

Il a le sentiment que la barre a été mise plus bas pour la Turquie que pour un autre pays véritablement européen. Que se passerait-il si la Roumanie par exemple présentait un rapport où il serait question de répression des minorités, de torture dans les prisons, d'occupation d'une partie de territoire d'un autre pays européen et d'un retard considérable au point de vue économique ? Peu de personnes verraient d'un bon oeil l'adhésion d'un tel pays.

Le rapport et les recommandations contiennent encore nombre d'imprécisions, notamment en ce qui concerne la charge des fonds structurels. Il ne trouve pratiquement rien non plus sur les conséquences géopolitiques de l'élargissement. Actuellement, la Turquie fonctionne comme un pays allié de l'Union européenne. Pour lui, cela ne doit pas changer. La Turquie sert de zone tampon entre l'Union européenne et le Moyen-Orient. Si la Turquie devenait membre à part entière de l'Union européenne, les frontières de cette dernière avec l'Iran, la Syrie et l'Irak rendraient l'avenir plus qu'incertain. L'Europe ne pourrait rester plus longtemps un spectateur au Moyen-Orient.

Chacun sait que la politique étrangère européenne est un échec et qu'elle manque de cohésion dès que surgit une crise internationale. Comment cette faible Europe pourrait-elle faire face à la problématique du Moyen-Orient ?

Il n'y a rien non plus dans le rapport sur les conséquences pour la politique de défense.

M. Martin Harvey commence par la question de savoir si la Turquie remplit les critères politiques ou non. On a parlé des droits culturels, de la torture et des mauvais traitements ainsi que d'autres problèmes qui sont exposés dans notre rapport. Il ne pense pas que ces difficultés soient sous-estimées. Il ne peut cependant être d'accord avec ceux qui considèrent que la commission est moins rigoureuse à l'égard de la Turquie. Il les invite à consulter aussi les rapports réguliers, les partenariats d'adhésion avec les autres pays candidats, y compris les dix nouveaux pays membres. En analysant ces rapports et les autres documents rédigés au cours des cinq dernières années, ils constateront qu'il existait également de nombreux problèmes, non seulement d'ordre technique mais aussi au niveau des critères politiques. C'est la raison pour laquelle on a opté pour l'expression « la Turquie remplit suffisamment les critères politiques », de manière à indiquer que tout n'est pas parfait et qu'il faut continuer à suivre et à appuyer le processus des réformes.

On lui a également demandé si l'on n'inventait pas de nouvelles conditions pour la Turquie. Il espère ne pas avoir donné cette impression. Les critères sont les mêmes, ce sont les critères politiques, économiques et d'acquis communautaires fixés à Copenhague. Il faut tenir compte du fait que la taille et le niveau de revenus de la Turquie nécessitent une préparation intense. M. Brok a dit que la population de la Turquie correspond environ à celle des dix nouveaux pays membres. L'effort de préparation pour la Turquie devra être similaire à celui que l'on a fait pour l'ensemble de ces dix pays, ce qui ne signifie pas que de nouvelles conditions soient imposées. Nous devons tirer les enseignements du dernier élargissement et veiller, dans les négociations, à mettre davantage l'accent sur la mise en oeuvre lors de la fermeture d'un chapitre. Les techniques de négociations sont en effet divisées par chapitres. Dans le passé, on a souvent clôturé de façon provisoire les chapitres quand les législations étaient en place. Nous avons constaté qu'il était parfois difficile de rouvrir les chapitres lorsqu'on observait des difficultés dans la pratique. Encore une fois, il ne s'agit pas de nouvelles conditions mais de techniques de négociation. Nous présentons exactement les mêmes propositions dans un autre document de stratégie relatif à la Croatie. Il précise aussi que la manière de négocier a été différente pour chacun des élargissements de l'Union européenne. Il a participé lui-même à l'élargissement à la Suède, l'Autriche, la Finlande et la Norvège, pour lequel les négociations ont été menées d'une manière différente, les critères de base étant toutefois les mêmes.

Il a aussi été beaucoup question de l'opinion publique et des capacités d'absorption. Les deux choses sont liées. La capacité d'absorption fait aussi partie de la négociation. On vérifie si le candidat est prêt mais il faut également que l'union elle-même soit prête. Un pays qui négocie peut demander des périodes transitoires pour l'adhésion mais l'Union européenne et ses États membres peuvent également demander de telles périodes vis-à-vis d'un nouveau pays membre. Pour ce qui concerne l'opinion publique, nous avons fait un effort en menant une étude préliminaire sur les questions soulevées par les perspectives d'adhésion. Ce document n'avait pas été demandé par le Conseil européen mais par certains parlementaires européens.

Nous avons accompli un effort en examinant les différentes questions qui seront soulevées dans la perspective de l'adhésion de la Turquie. Je ne pense pas qu'il s'agissait d'une nouvelle condition, mais cela donnait certaines indications sur les sujets importants qui devront être traités au cours des négociations. On a discuté des aspects géopolitiques, des questions de justice, d'affaires intérieures, de fonds structurels, etc.

Nous voulions veiller à l'intérêt public. Nos réflexions dans ce domaine étaient des considérations préliminaires. Il conviendrait d'approfondir les différentes questions qui seront soulevées au cours des négociations.

De nombreuses législations ont été adoptées par la Turquie ces deux dernières années, mais leur mise en oeuvre n'est pas toujours simple. Des progrès ont été accomplis en matière de droits culturels, mais tout n'est pas encore parfait. Ainsi, par exemple, les stations privées ne peuvent pas encore utiliser la langue kurde. Nous suivons de près la mise en oeuvre de ces législations. On utilise un système de monitoring qui est très pointu et qui sera encore renforcé.

M. Elmer Brok répond que nombre de remarques positives sur l'adhésion reviennent à dire qu'on espère que tout s'arrangera. En politique, c'est à son sens un critère trop hasardeux. Il ne s'agit pas d'une nouvelle construction. L'Union européenne est déjà une entité qui en est actuellement à élaborer une constitution. Cela veut dire qu'elle veut devenir une construction politique avec sa propre activité politique. Nous devons froidement analyser jusqu'où nous pouvons aller. Nous ne pouvons pas devenir une Union européenne inactive dont on peut devenir membre mais nous devons former une union qui joue un rôle actif dans la politique mondiale. Nous devons examiner jusqu'où l'Union peut s'étendre et quels critères elle doit respecter pour rendre cette extension possible. L'Union doit le faire froidement, à son propre compte.

Il a souvent l'impression que les discussions portent sur des détails et en regardant toujours vers le point de départ plutôt qu'avec une vue d'ensemble et en tenant compte de l'objectif. Cette seconde façon de procéder peut déboucher sur d'autres considérations et d'autres méthodes.

Il n'est pas de ceux qui veulent chasser la Turquie de l'Europe. Ce pays doit être ancré dans l'Europe. Il n'a jamais eu recours à un argument relatif à l'islam ou à la culture. Il regarde les possibilités et le potentiel de développement de la Turquie et la mesure dans laquelle l'Union européenne peut accueillir ce pays.

La question de la référence à Dieu dans la constitution n'est pas essentielle. En mai 2004, l'orateur, M. Wilfried Martens et le ministre turc des Affaires étrangères ont eu une discussion sur la formule polonaise visant à inscrire la référence à Dieu dans la constitution. Le ministre turc a répondu que cela ne posait aucun problème puisque nous sommes tous des enfants du Dieu d'Abraham.

L'orateur voudrait encore souligner une question importante. Au début de l'année, il se trouvait avec un groupe à Istanbul. À un moment donné, ils ont voulu remettre un cadeau financier au patriarche. On leur a dit de ne pas le faire parce qu'un interprète turc était présent. Ils devaient le remettre par le biais d'un prêtre catholique, car le patriarche aurait eu des problèmes en acceptant l'argent. Il est toujours choqué par le fait que le patriarche de Constantinople, que nous appelons le pape noir, ne peut toujours pas ouvrir un séminaire pour prêtres. Il s'agit ici de la reconnaissance de la liberté de culte pour les religions non islamiques en Turquie.

Ce n'est pas une question d'argent mais de volonté. Si dans un pays qui veut devenir membre de l'Union européenne il n'existe aucune liberté de culte pour des grandes communautés confessionnelles de sa religion, il a ses doutes. Ces problèmes ne doivent-ils pas être résolus préalablement ? On ne peut quand même pas négocier la liberté de culte : elle existe ou elle n'existe pas.

Il fait partie depuis longtemps du parlement européen. En 1994, il s'est battu pour la ratification de l'union douanière avec la Turquie. Le gouvernement turc a fait à l'époque les mêmes promesses qu'aujourd'hui. Après la ratification, il n'a rien fait pour les tenir. C'est en se basant sur cette expérience qu'il pense qu'il serait peut-être préférable de résoudre d'abord ce genre de question.

Aucune condition supplémentaire ne s'applique à la Turquie. Il ne suffit pas de faire des efforts. C'est comme dans un bulletin scolaire. La Turquie doit pouvoir présenter des résultats concrets. Elle doit respecter les mêmes critères que chacun des autres pays, ni plus ni moins.

L'Union européenne doit elle aussi bien se préparer. Nous nous trouvons dans une situation difficile parce que l'Union ne semble pas avoir été capable de faire ses devoirs avant l'adhésion des dix nouveaux membres.

La Constitution européenne aurait dû être ratifiée depuis longtemps. Deux ou trois autres pays adhéreront prochainement à l'UE. Que ferons-nous si l'un ou l'autre ne ratifie pas la constitution ? Si les structures décisionnelles ne fonctionnent pas correctement, l'Union deviendra ingérable. Nous laissons les choses suivre leur cours et à la longue plus rien ne fonctionnera. On ne peut pas dire que la Roumanie et la Bulgarie sont favorisées. Il n'est d'ailleurs pas certain que ces deux pays entreront dans l'UE en 2007 ou 2008.

La discussion qui a suivi la déclaration de Verheugen et Prodi au Parlement européen, le 6 octobre, a fortement irrité l'intervenant. On dit toujours que les réserves émises sur l'adhésion de la Turquie tiennent au fait qu'il s'agit d'un pays musulman. On construit un mur de correction politique mais ce n'est pas un argument valable. Nous devons vérifier sans préjugé comment on peut faire progresser l'UE. C'est important. Dans cette optique, il est fermement convaincu qu'au-delà de l'adhésion pure et simple nous devons également être attentifs aux autres possibilités. C'est pourquoi il ne soutient pas les propositions de la Commission et du Conseil au sujet de l'accord de voisinage et de son cadre bilatéral. Il nous faut à nouveau une option multilatérale telle que l'Espace économique européen plus. La bataille électorale en cours en Ukraine et le souhait de certains pays de se tourner à nouveau vers Moscou marquent l'échec de l'UE. Un drame se joue non loin de nous, au détriment des habitants de ces pays et de l'UE et de ses habitants. Nous nions cette situation en faisant comme si la Turquie était notre unique préoccupation.

Jusqu'à présent, tout pays européen qui satisfaisait aux conditions pouvait adhérer à l'UE. Chaque pays intéressé introduit une demande à cet effet. Actuellement l'UE doit également dire qu'elle n'accepte les pays que si elle y trouve un intérêt. L'intérêt est un principe honnête et pertinent en politique. C'est ainsi seulement qu'on pourra conclure un engagement durable. Telle est sans doute la réponse que nous devrons en toute honnêteté donner à la Turquie si jamais, à la suite d'un référendum négatif, on lui refuse l'entrée dans l'UE au terme de presque 15 ans de négociations.

M. Bronislaw Geremek estime qu'il convient de poser le problème des Arméniens, sinon l'adhésion de la Turquie ne pourra, à son avis, pas avoir lieu. En effet, l'Union européenne est fondée sur la réconciliation. La vérité sur ce crime est nécessaire, d'abord pour les Turcs eux-mêmes.

Il ne pense pas que l'on puisse voir dans le Mausolée d'Ataturk une présentation anti-européenne de l'Histoire. On y constate au contraire une volonté d'occidentalisation de la Turquie, qui est remarquable et qui demande un immense courage.

Ce qui peut, en revanche, inquiéter les Européens, c'est le rôle politique de l'armée qui est visible dans l'organisation de ce musée. L'armée est considérée non seulement comme un facteur du pouvoir, mais aussi comme une sorte de force idéologique du pays. Ces derniers temps, la Turquie change peu à peu et il est paradoxal de constater que c'est un gouvernement islamiste, voire islamiste modéré, qui agit dans ce sens. Il ne pense pas que l'on puisse considérer l'islamisme comme une maladie que nous ne connaissons pas. Dans la tradition chrétienne, il existe aussi un fondamentalisme, un intégrisme.

Il faut bien constater une sorte d'exploitation politique de la religion. Peut-on craindre que cela arrive en Turquie ? Je crois que ce gouvernement donne des preuves de sa bonne volonté et d'une vision de l'avenir qui est très européenne. Cela peut étonner, mais c'est un fait. C'est ce gouvernement qui a accompli le pas le plus important en la matière.

Sur le plan de l'intégrité du territoire, il faut dénoncer le problème kurde. On refuse aux Kurdes la possibilité d'avoir une existence autonome.

Il croit que c'est un problème auquel les Kurdes doivent répondre. La commission à laquelle il a participé a tenu à parler avec les Kurdes. L'opinion de ces derniers était claire : si la Turquie entre dans l'Union européenne, les changements qui s'opèrent actuellement seront renforcés. L'entrée de la Turquie va donc dans le sens de leurs intérêts. L'Europe de la défense est-elle possible avec les Turcs ? Elle l'est, surtout avec les Turcs.

Il en vient au deuxième problème, celui d'un éventuel statut spécial de la Turquie dans l'Union douanière. On dit maintenant que la Turquie obtiendra tout sauf l'accession normale. Or, en politique, il faut prendre en considération le sentiment de la dignité d'un peuple. Toutes les propositions politiques des adversaires, non pas de la Turquie, mais de l'accession de la Turquie à l'Union européenne, et les arguments disant que nous offrirons tout sauf l'entrée sont fondés sur le mépris de l'aspiration de ce peuple. Il faut se rendre compte que, de l'autre côté, la réaction sera le refus.

La Turquie est-elle un danger pour l'avenir de l'Union européenne si elle y entre ? L'élargissement bloque-t-il la proposition ? C'est une question à laquelle l'Union pourra répondre après l'expérience de l'entrée des dix pays. L'Union européenne, et la Commission européenne en particulier, a accompli un énorme acte de courage. Pour sa part, il pensait que l'Union européenne n'avait pas la capacité d'absorber dix pays à la fois. Comme d'autres, il pensait qu'il fallait d'abord faire entrer trois pays et voir ensuite comment les choses se passeraient. Dix pays sont entrés en une seule fois et cela ne se passe pas si mal, aussi bien sur le plan de l'intérêt de l'Union européenne que sur le plan des pays entrants.

Quant à savoir si l'Union européenne peut absorber la Turquie à l'heure actuelle, il a des doutes, comme il en avait concernant son propre pays voici quelques années.

La réalité a dépassé ses craintes. Pour cette raison, la capacité d'absorption de l'Union européenne et la préparation de la Turquie à son adaptation ne lui semblent pas encore suffisantes. Les négociations iront au-delà des trois ans.

Mais la question principale est la suivante : l'entrée de la Turquie sert-elle les intérêts de l'Union européenne. Il pense comme M. Elmar Brok que l'intérêt compte en politique. Si l'Union européenne s'élargit, ce n'est pas uniquement par générosité à l'égard des autres, c'est aussi par intérêt. Les objectifs de la création de l'Union européenne sont la paix et la stabilité. Les élargissements renforcent les chances de les atteindre. Mais ne réduisent-ils pas simultanément les capacités d'évolution communautaire ? C'est une question importante à laquelle il est difficile de répondre.

Michel Rocard a dit récemment que l'Union européenne était un merveilleux espace de paix et de droit commun — donc un marché — et qu'elle était une immense réussite. Cela veut dire justement que la communauté n'est pas possible.

Il craint que l'Europe se trouve à un tournant dramatique de son histoire. Il faut que l'on sache que les choses que les hommes font sont mortelles. L'Union européenne est aussi mortelle. Elle peut disparaître ou devenir une organisation sans importance.

Que faire pour que cela n'arrive pas ? Tout d'abord, il faut un débat avec nos citoyens. Dans la Convention, après la déclaration de Laeken, on a commencé à parler de l'avenir. Parfois, les hommes politiques, l'élite intellectuelle, n'ont pas confiance dans le débat public. Ils craignent que celui-ci ne débouche sur l'anarchie et que l'on ne puisse plus rien décider de raisonnable.

Si nous voulons que l'Union européenne ne disparaisse pas, il faut la réformer, la renforcer et avoir le courage d'accepter un défi comme l'entrée de la Turquie. L'Union européenne s'est renforcée chaque fois qu'elle a été capable de répondre à un défi. On peut dire que l'histoire de l'Union européenne est faite de crises, mais elle a très bien répondu à ces défis en se renforçant.

2. Exposé de Mme Jenny Vanderlinden, représentante d'Amnesty International.

Ces dernières années, la Turquie a mis en oeuvre des réformes considérables, en vue d'aligner ses lois sur les normes internationales et de répondre ainsi aux critères d'adhésion à l'Union européenne.

À ce jour, on peut estimer que près d'un tiers de la Constitution de 1982 a été amendé. La discrimination envers les femmes a été supprimée du nouveau Code pénal et la définition de la torture répond enfin aux standards internationaux. Les nouvelles procédures judiciaires devraient pouvoir assurer des procès tout à fait équitables. La suppression de la peine de mort, en toutes circonstances, l'abolition des cours de sûreté de l'État, les amendements à la loi sur les associations, le droit à l'éducation en langue maternelle, le droit de diffuser des émissions TV et radio en langue kurde sont autant de réformes positives dont nous pouvons nous réjouir. Un amendement doit également être souligné, à savoir le fait que les conventions internationales prévalent désormais sur les lois domestiques en Turquie.

Amnesty International ne se prononce absolument pas ni pour ni contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne; ce n'est absolument pas son rôle. Nous ne voulons ni promouvoir ni bloquer un pays, quel qu'il soit, à l'adhésion à l'Union européenne. Nous reconnaissons les réels progrès réalisés par la Turquie, tout en soulignant que les réformes doivent être mises en pratique. Elles doivent garantir à chaque citoyen la meilleure protection possible de leurs droits fondamentaux.

Il faut souligner que la Turquie n'est pas le seul pays où nous dénonçons des violations de droits humains. Dans le cadre de notre campagne contre la violence faite aux femmes, par exemple, toutes les sections d'Amnesty International, y compris les sections européennes, sont amenées à appeler leur gouvernement à promouvoir et à adopter des mesures de prévention.

L'oratrice a choisi les trois thèmes suivants parce qu'ils ont fait et font encore l'objet d'actions régulières d'Amnesty International.

Le premier concerne la torture et les mauvais traitements, y compris l'usage excessif de la force par la police lors des manifestations.

Le deuxième traite du harcèlement dont sont victimes les défenseurs des droits humains en Turquie.

Le troisième s'attache à la violence faite aux femmes au sein de leur famille et de leur communauté.

Pour ce qui est de la torture et des mauvais traitements, le gouvernement turc a opéré des réformes en matière de garde à vue, réformes qui mettent les détenus à l'abri de toute forme de torture et de mauvais traitements. L'une d'entre elles est le droit du détenu à avoir un accès immédiat à un avocat. Néanmoins, nous avons dû constater que ces mesures ne sont pas toujours respectées; nous recevons des rapports selon lesquels certains détenus ne se sont pas vu octroyer le droit de parler immédiatement à leur avocat ou tout simplement, ils ne connaissaient pas leurs droits.

D'après les rapports que nous recevons, les personnes accusées de crimes de droit commun sont plus souvent victimes de tortures et de mauvais traitements que les autres détenus. Ces personnes connaissent aussi nettement moins bien leurs droits en la matière. Amnesty International demande que des mesures additionnelles soient prises par le gouvernement. L'une d'entre elles serait, par exemple, d'enregistrer et de filmer l'interrogatoire des détenus.

Le gouvernement turc s'est fixé une tolérance zéro en matière de torture et en a fait un de ses objectifs majeurs. Nous avons constaté une nette amélioration.

Toutefois, si les conditions de détention se sont améliorées, la brutalité policière lors de manifestations reste un problème très important. À plusieurs reprises, la police a fait preuve d'un usage excessif de la force contre des manifestants, principalement des étudiants, des syndicalistes, des militants de gauche, des membres du parti kurde DEHAP. Les plaintes pour mauvais traitements aboutissent rarement à des poursuites judiciaires. De plus, nous constatons que les victimes qui portent plainte sont elles-mêmes souvent poursuivies pour « résistance par la violence aux forces de l'ordre ».

D'après le groupe de prévention contre la torture du barreau d'Izmir, de janvier à juin 2004, sur 333 allégations de torture reçues par des personnes suspectées de crimes ordinaires, 83 sont poursuivies pour avoir résisté par la violence aux forces de l'ordre. Toujours d'après le même groupe et pour la même période, sur 91 plaintes reçues pour torture et mauvais traitements par des personnes suspectées de crimes politiques, 71 sont accusées d'avoir participé à une manifestation illégale.

L'oratrice illustre cette situation en prenant un exemple récent, pour lequel son organisation a entrepris une action. En avril 2004, un groupe d'étudiants proteste à Ankara contre la venue de l'Otan. La manifestation n'est pas autorisée par la police mais elle se déroule de manière tout à fait pacifique. Pour disperser les manifestants, la police utilise une violence incroyable. Des étudiants sont arrêtés; certains n'avaient pas 18 ans. À Ankara, dans les bureaux de la police, ces étudiants sont battus, menacés, privés de nourriture, d'eau et d'accès aux toilettes. Lors de leur transfert devant le procureur, ils sont à nouveau maltraités et insultés devant de nombreux témoins et membres de leur famille. Des photographes réussissent à prendre des clichés de ces sévices. Les étudiants se plaignent auprès du procureur et du juge, qui ne les écoutent pas et ignorent totalement leurs plaintes. Cinquante et un étudiants sont relâchés mais poursuivis en raison de leur participation à une manifestation illégale. Quelques jours plus tard, 24 étudiants portent officiellement plainte pour torture et mauvais traitements. En mai 2004, nous avons appris que le procureur d'Ankara a décidé de ne pas poursuivre l'enquête relative aux allégations de torture et de mauvais traitements.

Le deuxième point concerne le harcèlement contre les défenseurs des droits humains. Les récentes réformes apportées aux lois d'association et de manifestation permettent désormais à une organisation de droits humains d'avoir une filiale dans des pays étrangers ou de pouvoir récolter des fonds, choses impossibles il y a quelques mois à peine. Toutefois, les défenseurs des droits humains sont toujours harcelés, intimidés, arrêtés et maltraités par les autorités, qui tentent ainsi de les réduire au silence. La police est présente à leurs réunions, à leurs conférences de presse, à leurs actions publiques et filme les participants, ce qui décourage bien sûr les gens à assister à ces réunions; ils sont intimidés.

Leurs bureaux sont perquisitionnés sous divers prétextes. Leurs dossiers et leur matériel sont confisqués. Toute manifestation organisée par leurs soins est aussitôt dispersée avec violence.

Dans les provinces kurdes du sud-est de la Turquie, la liberté d'expression est tellement restreinte que la défense des droits humains relève du défi.

Les autorités turques semblent toujours croire que la défense des droits humains en Turquie est une attaque contre l'État. Nous avons appris, en août 2004, que la secrétaire générale de l'Association des droits de l'homme à Ankara — l'une des plus connues en Turquie, dotée d'une réputation de sérieux incontestable et le président de l'Association des droits de l'homme à Bingöl, sont poursuivis par le procureur de Bingöl pour insultes aux agents de l'État dans l'exercice de leurs fonctions.

En cause, un discours tout à fait pacifique qu'ils avaient prononcé lors de l'assemblée générale de leur association, en octobre 2003. Ils ont été acquittés tous les deux mais nous déplorons que le gouvernement turc utilise n'importe quel prétexte pour entamer des poursuites judiciaires contre les défenseurs des droits humains. Même s'ils sont souvent acquittés ou que la peine consiste à payer une amende, ces tracasseries constituent une charge de travail supplémentaire pour les intéressés et découragent quiconque souhaiterait défendre les droits humains en Turquie.

Le 6 octobre 2004, à Strasbourg, en réponse aux questions des membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le Premier ministre turc, M. Erdogan, affirmait que les rapports qui dénoncent la torture en Turquie étaient l'oeuvre de personnes en relation avec les organisations terroristes.

Il est clair qu'associer les organisations de défense des droits humains au terrorisme ne peut qu'altérer l'image et la crédibilité de ces associations auprès du public. Nous voudrions que le gouvernement turc reconnaisse publiquement la légitimité du travail des défenseurs de ces droits et leur permette ainsi de promouvoir les droits humains en toute quiétude et en toute sécurité.

Le troisième thème est très important : il concerne la violence contre les femmes. Au début de cette année, Amnesty International lançait une campagne contre la violence faite aux femmes. Notre action contre la violence subie par les femmes en Turquie, ainsi que dans d'autres pays, y compris européens, est étroitement liée à nos préoccupations traditionnelles, à savoir le droit des prisonniers et des détenus.

En effet, en 2003, Amnesty lançait un rapport dénonçant les violences sexuelles exercées par la police et la gendarmerie sur les femmes turques en garde à vue. Les missions effectuées en Turquie, dans le cadre de ce rapport et les contacts que nous avons eus avec les associations féminines sur place nous ont permis de mesurer l'ampleur de la violence faite aux femmes au sein de leur famille et de leur communauté.

En 2001, selon une étude effectuée à Ankara par une association de femmes — Women's Solidarity Foundation —, 23 % des femmes interrogées affirmaient subir des violences de la part de leur conjoint.

Mais quand on définit auprès de ces femmes ce que l'on entend par violences — gifles, coups, insultes graves —, les statistiques montent à 71 %. Les femmes turques semblent considérer que si elles ne sont pas battues au point d'être hospitalisées, il n'y a pas eu violence.

Une deuxième étude, réalisée en 2003 par l'institut médico-légal d'Istanbul, montre que sur 40 femmes victimes de mort violente, 34 sont mortes à la maison, 20 se sont pendues ou ont été empoisonnées, 20 portaient des signes évidents de violences ayant entraîné la mort, et 10 avaient subi la violence familiale avant leur mort.

Une troisième étude, menée par les associations féminines Mor Cati (Fondation du Toit pourpre) et Purple Roof Foundation, nous apprend que, sur 1 250 femmes interrogées, 88,2 % vivent dans une environnement violent et que 68 % sont battues par leur mari.

Nous avons bien sûr d'autres statistiques. Nous estimons qu'un tiers — et peut-être la moitié des femmes turques — sont victimes de violences au sein de leur famille et de leur communauté. Elles sont battues, violées, dans certains cas tuées ou forcées de se suicider au nom de l'honneur familial. De très jeunes filles sont forcées au mariage. Dans le sud-est de la Turquie, par exemple, un homme qui avait commis un viol pouvait échapper à la prison ou bénéficier d'une réduction de peine s'il épousait sa victime. Dieu merci, le nouveau code pénal ne le permet plus.

Les autorités n'ont pas su répondre rapidement et efficacement aux plaintes des femmes violentées à tous les niveaux du système judiciaire. Rares sont les cas où des enquêtes sont menées.

À titre d'exemple, l'oratrice évoque le cas de Mme Güldünya Tören et de sa fille Umut (Espoir) née hors mariage. Güldünya Tören savait qu'elle ne vivrait pas longtemps. Elle était kurde, elle vivait dans le sud-est de la Turquie. Elle était enceinte. Un de ses frères lui a demandé de se pendre pour laver l'honneur familial. Güldünya s'est enfuie et a demandé en vain la protection de la police. En février 2004, un de ses frères l'abat dans la rue et la blesse grièvement. Elle est transportée à l'hôpital où elle implore la police de la protéger et de ne pas laisser entrer les membres de la famille. Elle est laissée seule avec eux et, dans la nuit, ses assassins lui tirent une balle dans la tête.

Ce cas n'est pas un cas unique. Il faut que le gouvernement turc s'investisse dans un programme de formation de la police et de tous les membres de l'ordre judiciaire afin qu'ils puissent assurer efficacement la protection des femmes pour qu'un drame comme celui de Güldünya Tören ne puisse plus se produire.

Une proposition de loi récente prévoit qu'un refuge pour femmes sera créé dans chaque municipalité de plus de 50 000 habitants. Il s'agit d'une très bonne nouvelle mais nous savons que les femmes turques et, surtout, les femmes kurdes, se méfient des refuges créés par l'état. Elles y sont accueillies de façon discriminatoire : pas de prostituées, pas de filles mères, etc.

Donc, elles n'ont pas confiance. Nous pensons que le gouvernement turc devrait créer ces refuges en collaboration avec les associations féminines sur place. Ces associations possèdent l'expérience et les femmes ont confiance en elles.

La Turquie a mis en oeuvre des réformes considérables pour assurer la protection des droits de ses citoyens.

Amnesty International reconnaît les progrès réalisés mais les lois seules ne sont pas suffisantes.

En matière de torture, le gouvernement s'est fixé comme objectif prioritaire un niveau de tolérance zéro. Grâce à cet engagement, la situation s'améliore.

Il faut que le gouvernement turc mette la priorité sur chacune des violations des droits humains dans le pays. Les lois doivent être mises en pratique et chaque dérive à ces lois doit faire l'objet d'enquêtes impartiales. Tout fonctionnaire de l'État qui enfreint ces lois doit être suspendu de ses fonctions et puni si sa culpabilité est démontrée.

Le gouvernement se doit de mettre en place des systèmes de surveillance pour avoir l'assurance que les nouvelles procédures judiciaires soient bien respectées. Il doit aussi reconnaître le travail des défenseurs des droits humains qui sont en somme leurs meilleurs alliés pour mettre toutes ces mesures en place et atteindre l'objectif fixé.

C'est à ce prix seulement que la Turquie pourra affirmer que tous les droits fondamentaux des individus vivant sur son sol seront respectés.

Échange de vues

M. Alain Destexhe demande à l'oratrice quelle est son appréciation sur les organisations de femmes autonomes, présentes dans le sud-est de la Turquie et qui tentent de faire ce travail de protection ?

Mme Jenny Vanderlinden répond que plusieurs associations existent. Elle connaît très bien les associations Ka-mer et Mor Cati qui sont très bien organisées. Elles connaissent la problématique, comptent bon nombre de bénévoles et bénéficient d'une grande expérience.

L'une d'entre elles, sans doute Mor Cati, a des contacts avec l'Union européenne pour mener des projets. Ce sont des gens très compétents en la matière. L'oratrice pense même que le gouvernement turc les reconnaît.

Récemment, elle a eu l'occasion d'assister à un symposium organisé par l'ambassade où la présidente de Ka-Mer était présente. Ces associations ont une certaine notoriété et sont dignes de confiance.

Mme Fatma Pehlivan constate qu'en Europe, les organisations de défense des droits de l'homme telles qu'Amnesty International connaissent depuis des années les problèmes sévissant en Turquie. Bien que l'actuel gouvernement ait clairement exprimé sa volonté d'y remédier, on se rend compte que des lois ne suffiront pas mais qu'elles devront être accompagnées d'un changement de mentalité. La population turque doit prendre ses responsabilités en la matière. Des militants des droits de l'homme peuvent dénoncer les problèmes mais pour les résoudre, le soutien de l'opinion publique est nécessaire.

En premier lieu, il faut légiférer. Ensuite, la prise de conscience atteindra lentement toutes les couches de la population. Par le passé, l'opinion publique approuvait la violence policière à l'encontre de militants politiques. La mentalité a évolué et la population commence à se démarquer de la violence.

La violence contre les femmes est toujours condamnable. Même en Belgique — pays évolué — certaines femmes sont encore maltraitées. Une campagne médiatique est actuellement menée en Turquie pour faire prendre conscience du problème à la population. Le journal turc « Hurryetim » a récemment publié un article à ce sujet. Dernièrement, à La Haye, un représentant d'Amnesty International a abordé ouvertement la question des crimes d'honneur et de la violence contre les femmes. Des femmes parlementaires, des représentants d'ONG et de l'actuelle majorité gouvernementale ont admis qu'il y avait des problèmes. Comment Amnesty International soutient-elle les campagnes contre la violence ?

Mme Jenny Vanderlinden partage entièrement le point de vue de la préopinante. Un changement de mentalité doit s'opérer en Turquie, mais il ne se fera pas du jour au lendemain.

La modification des lois et l'adoption d'un nouveau code pénal sont louables mais la mise en pratique prendra du temps.

Un effort important doit être fait au niveau de l'éducation de la police, que ce soit contre la torture et les mauvais traitements mais également pour la protection des femmes. Des formations ont été dispensées à la police turque, dans le cadre de l'Union européenne.

Amnesty International soutient les associations féminines qui organisent actuellement d'énormes campagnes d'information sur les violences faites aux femmes. Ces associations féminines ont également pratiqué et pratiquent un lobbying important auprès de leur gouvernement pour faire changer le code pénal, afin que les discriminations envers les femmes ne s'y trouvent plus et que des mesures de protection soient prises.

Amnesty International côtoie ces associations de défense des droits de la femme sur place. Nous essayons de leur apporter l'expérience acquise en Europe. Ensemble, en synergie, nous faisons du lobbying auprès du gouvernement turc. Une de nos revendications était — et est — la création de refuges pour femmes. Par ailleurs, le lobbying que nous pouvons aussi exercer dans les pays européens afin de dénoncer tous ces problèmes peut aider les associations locales.

Lors d'une mission parlementaire récente, M. Cornil a pu constater qu'au sein même de l'État turc, coexistent des mentalités ouvertes, principalement dans l'ouest de la Turquie, et des mentalités très traditionnelles, voire rétrogrades, dans le sud-est anatolien.

Quel est le point de vue d'Amnesty International quant à la corruption dans le pays ? J'ai lu des articles évoquant certaines pratiques particulièrement dommageables pour les droits des citoyens.

Il y a quelques années, Istanbul a été le théâtre de très larges mouvements, notamment de grèves de la faim, aux issues parfois fatales, pour protester contre la situation dans les prisons. Il y a certes eu une évolution importante. Nous ne sommes plus au temps de Midnight Express et des grands dortoirs. Les autorités ont mis les prisons de type F en place.

Quel jugement porte Amnesty International sur la politique pénitentiaire et sur la politique carcérale et quelle est son opinion sur l'évolution de la liberté religieuse, notamment en ce qui concerne les minorités juive et orthodoxe ? Certains interlocuteurs turcs ont attiré l'attention de l'intervenant sur le paradoxe entre, d'une part, le caractère indéniablement moderne de la Turquie depuis le début du vingtième siècle, sa volonté actuelle de modemiser le droit civil et le droit pénal et, d'autre part, une « islamisation » persistante au sein de la société.

Enfin, il revient sur le problème des crimes d'honneur, en particulier dans le sud-est. Le nouveau code pénal turc incrimine ce type de comportement mais, en pratique, la situation reste très préoccupante. Que suggère Amnesty International pour que les nouvelles dispositions légales soient appliquées ?

Mme Jenny Vanderlinden répond qu'Amnesty n'a entrepris aucune action dans le domaine de la corruption en Turquie.

Pour ce qui est des prisons de type F, la Turquie les a construites pour répondre notamment aux critères d'adhésion à l'Union européenne. Dans les prisons traditionnelles turques, la corruption est très importante; l'hygiène est insuffisante et il peut y avoir jusqu'à 60 prisonniers dans une même cellule.

Il faut savoir que dans les prisons traditionnelles, les Turcs ont reconstruit une société. Ils sont très nombreux dans une cellule mais une très grande solidarité s'est créée entre eux. Ainsi, certains prisonniers issus de familles moins riches recevaient des aliments par l'intermédiaire d'autres familles plus aisées.

Quand les prisonniers ont appris la construction de ces nouvelles prisons, à haute sécurité, avec de petites cellules, soit individuelles, soit de deux à trois personnes, ils se sont révoltés, principalement parce qu'en vertu de leur culture, être seul dans une prison est impensable. D'ailleurs, Amnesty International assimile l'isolement dans une cellule à de la torture. Pour les Turcs, leur culture et leur besoin de vivre en société, ce changement a été très mal perçu.

Certains partis politiques turcs de gauche ont entamé une grève de la faim qui a pris des proportions énormes. Dans toutes les prisons, une forte majorité de prisonniers a participé à cette grève de la faim à laquelle les autorités turques ont essayé de mettre fin en 2000, en saccageant les prisons existantes.

Nous avons eu connaissance de témoignages vraiment horribles. Les forces de l'ordre sont entrées de force dans les prisons, ont introduit des gaz dans les cellules et ont incendié ce qui pouvait l'être.

La plupart des prisonniers ont été transférés dans les prisons de type F qui n'étaient pas encore complètement construites. Ces personnes ont subi des brutalités policières inacceptables, sont arrivées dans des cellules sans chauffage et humides. La grève de la faim s'est évidemment poursuivie puisque ces personnes étaient encore plus révoltées.

Pour Amnesty International, l'isolement est assimilé à une forme de torture. Il faut que les prisonniers aient au moins six à huit heures d'activités communes.

Quand ces gens ont été transférés, ce n'était pas le cas. Il n'y avait rien de prêt dans ces nouvelles prisons pour assurer leur bien-être.

En 2000, quand les prisons ont été attaquées par les forces de l'ordre, des gens ont été battus et probablement torturés mais, à l'heure actuelle, aucun cas de torture en milieu carcéral n'a été porté à notre connaissance. Les témoignages que nous recevons indiquent que la torture s'exerce principalement au cours des périodes de garde à vue mais nous avons aussi reçu plusieurs témoignages de militants de gauche ou de militants kurdes qui auraient été arrêtés en rue et emmenés en camionnette par des gens en civil qui, dans ces véhicules, les auraient torturés pour obtenir certaines informations.

Les prisons de type F sont vraisemblablement opérationnelles : il y a du chauffage et davantage d'activités communes, de sorte que la situation est meilleure.

La position d'Amnesty International au sujet de la liberté religieuse, en Turquie comme dans n'importe quel autre pays du monde, est d'affirmer le droit de tout un chacun de manifester son appartenance. C'est un droit fondamental.

La Turquie est un pays à majorité musulmane. Le parti au pouvoir, l'AKP (Parti de la Justice et du Développement) est un parti très modéré.

Le port du voile suscite un grand débat. La manifestation de son appartenance religieuse est un droit mais il est vrai que cela peut être très gênant dans certaines circonstances. Les jeunes filles qui portent le voile ne participent pas à certaines activités et ce n'est pas très positif.

Les crimes d'honneur sont un réel problème, surtout en pays kurde, dans le sud-est de la Turquie. Dans cette partie du pays, il faudrait absolument changer tout le système éducatif. Dans les provinces kurdes, le droit à l'éducation est moindre. Les jeunes filles sont retirées très tôt de l'école. Elles ne connaissent pas leurs droits. En réalité, c'est toute la mentalité qu'il faudrait parvenir à changer par le biais de l'éducation.

Il faudrait que la Turquie puisse mettre en place des systèmes d'éducation des filles et des garçons à travers tout le pays, y compris dans les provinces kurdes où un effort est à faire. Seul un changement des mentalités permettra à la Turquie de se débarrasser de ces crimes d'honneur.

Mme Olga Zrihen demande à l'intervenante où est localisée son association en Turquie. Avez-vous des antennes dans le pays ? Menez-vous une campagne spécifique d'information sur vos droits, vos objectifs et le sens que revêt le combat pour les droits de l'homme ? Cette notion qui nous semble évidente suscite en Turquie tout un débat et même un apprentissage.

Sa deuxième question porte sur un groupe dont on parle rarement en ce qui concerne la Turquie, à savoir les alevis, une communauté tout à fait particulière qui a fait l'objet d'une discrimination extrêmement importante et qui commence seulement aujourd'hui à oser dire qu'elle existe. Elle est présente en Allemagne, en Belgique, en France et en Angleterre, mais elle a beaucoup de mal à affirmer son existence en Turquie.

Un citoyen turc résidant en Belgique et qui ne désire pas faire son service militaire doit payer une indemnité extrêmement importante pour être exempté de ce service, ce qui est un obstacle à la liberté et à la mobilité des citoyens en Europe. Même si, ayant été Turc, il devient Belge, il ne pourra en aucun cas rentrer dans le territoire turc, car en Belgique, nous leur conservons la nationalité d'origine. Ce n'est pas le cas pour l'Allemagne et j'y vois une discrimination assez grave en droit européen. Auriez-vous des informations à cet égard ?

Mme Jenny Vanderlinden répond qu'Amnesty International a une section en Turquie, au prix d'un certain acharnement. La particularité de cette section mais également de toutes nos sections, est de ne pas mener de campagne contre les violations des droits humains dans les pays. Pour des raisons d'objectivité et de sécurité — et dans un pays comme la Turquie, c'était nécessaire —, la section turque ne mène pas de campagne contre la torture, par exemple.

L'oratrice en vient à la manière pour Amnesty International d'être connue en Turquie et d'informer sur la situation des droits humains dans ce pays.

En tant que coordinatrice pour la Turquie en Belgique, elle a de nombreux contacts, à Londres, avec des chercheurs qui sont des experts en matière de violation des droits humains en Turquie. Ils se rendent très régulièrement sur place — trois ou quatre missions l'année dernière et déjà deux en 2004 — et travaillent avec les associations locales. Les chercheurs à Londres travaillent énormément avec l'Association des droits de l'homme évoquée tout à l'heure et avec la Fondation des droits de l'homme, une association composée de médecins qui, non seulement soignent les victimes de la torture, mais font aussi beaucoup de lobbying auprès de leur gouvernement.

En ce qui concerne le service militaire, les Turcs qui vivent en Belgique doivent payer une forte indemnité, qui varie en fonction de l'âge des intéressés. Pour les jeunes de 18-20 ans, elle est de l'ordre de 5 000 euros. Elle est encore plus élevée pour les gens de 35 ans. À ce propos, le gouvernement turc dit que jamais un jeune ne refuserait de payer cette somme parce qu'il s'agit d'une question d'honneur.

Mme Olga Zrihen répond qu'elle est au courant. À sa connaissance, en tout cas depuis qu'elle est coordinatrice « Turquie », Amnesty International n'a jamais rien entrepris à ce sujet. Elle rencontre des jeunes hommes turcs, surtout kurdes et arméniens, qui sont paniqués.

M. Paul Wille constate que dans son exposé, Mme Vanderlinden a cité des exemples, mais il s'intéresse en particulier à l'impact du changement de gouvernement en Turquie. Les problèmes ont-ils évolué plus rapidement dans le sens que nous souhaitons ou dans le sens contraire ?

Mme Jenny Vanderlinden répond qu'elle a cité quelques exemples, notamment le cas des étudiants d'Ankara, manifestement torturés et maltraités. Les enquêtes ont été arrêtées. Ces étudiants ont fait appel et ne comptent pas se laisser faire. Dans certains cas précis, le fait d'insister auprès des autorités turques, que ce soit par le biais de l'ambassade de Turquie ou dans les contacts avec leurs représentants, serait très efficace.

M. Paul Wille demande si, d'une manière générale, avec le gouvernement actuel, les choses évoluent dans le bon sens ou si c'est le contraire.

Mme Jenny Vanderlinden répond que l'évolution est positive. Le gouvernement AKP a décrété la « tolérance zéro » vis-à-vis de la torture.

En matière de respect des droits humains, il faut reconnaître que le gouvernement actuel est celui qui a accompli le meilleur travail.

Le président signale que Mme Vanderlinden a dit que les actions entreprises et les auditions organisées au Sénat contribuaient à mettre le gouvernement turc sous pression. L'Union européenne a également constaté dans son rapport que des pas ont été accomplis dans la bonne direction mais qu'il existe toujours une différence entre le pays légal et le pays réel. Cependant, le fait que l'ambassadeur turc en Belgique ait exprimé des objections quant à la participation de représentants kurdes à une conférence l'angoisse quelque peu. Certes, il a écrit par la suite une lettre amicale, mais nous devons néanmoins tenir compte de ce genre d'éléments quand nous parlons de l'avenir.

Les rapports émanant de l'Union européenne et les auditions organisées au Parlement européen avec des représentants d'organisations des droits de l'homme mentionnent des éléments similaires à ceux avancés aujourd'hui. Outre la préoccupation relative aux droits de l'homme, une préoccupation au sujet du droit des peuples a été évoquée. Mme Vanderlinden a attiré l'attention sur la langue kurde, qui est reconnue. Cependant, elle n'est enseignée que dans le privé, la réglementation empêche pratiquement l'organisation de classes, les cours doivent être dispensés le soir ou durant les vacances et le président d'un parti politique démocratique saluant l'assemblée parlementaire en kurde a été rappelé à l'ordre. Tout cela n'est guère rassurant pour l'avenir.

Enfin, il y a le programme du retour des 380 000 Kurdes chassés de leurs villages incendiés par l'armée. Il en a bien été question au Parlement européen mais nous n'en avons guère eu d'écho.

Mme Jenny Vanderlinden répond qu'elle sait que la situation des Kurdes déplacés en Turquie est vraiment dramatique. Ces gens n'ont plus rien, sont partis vers les grandes villes et certains d'entre eux ne parlent même pas le turc.

Amnesty International, dans le cadre de ses actions pour la Turquie, va entreprendre une action en faveur de ces personnes, en tout cas d'après ce que je sais par Londres. Il entre dans sa stratégie de dénoncer leur situation.

L'oratrice en vient à l'éducation en langue maternelle kurde. La liberté d'expression dans le sud-est de la Turquie est malheureusement très restreinte et ce, malgré les nouvelles lois. Elle a d'ailleurs reçu des témoignages en ce sens.

Certains nous disent que l'on peut ouvrir des écoles mais qu'ils n'en ont pas les moyens. D'autres racontent qu'une fois l'école créée, des tracasseries de tous ordres surviennent, par exemple la taille de la porte d'entrée, pour entraver la démarche.

Le gouvernement utilise n'importe quel prétexte pour ne pas donner l'autorisation d'ouvrir des écoles. Il faut surveiller cette question de près et exercer toute la pression possible sur le gouvernement turc, notamment en ce qui concerne le problème kurde qui est encore assez loin d'une solutionné.

L'Union européenne a un rôle majeur à jouer à cet égard. Grâce à cette pression, des gens comme Leila Zana, une activiste kurde, ont pu être libérés.

Amnesty International a tenté d'avoir des contacts avec l'ambassade de Turquie depuis au moins trois ou quatre ans. Nous avons seulement été reçus cette année.

L'ambassade a organisé récemment un symposium pour les droits des femmes. Lors de l'entrevue que nous avons eue avec la première conseillère, par exemple, nous avons posé la question de savoir pourquoi, parmi les participants à ce symposium, ne se trouvait aucune Kurde.

Selon l'intervenante, il est relativement grave de parler du droit des femmes en omettant de laisser les femmes kurdes s'exprimer. En fait, c'est sur l'insistance d'Amnesty International que l'ambassade de Turquie a invité une Kurde. La gentille lettre de l'ambassadeur ne l'étonne donc pas du tout. Il y a vraiment une réticence très nette : il faut donc insister. Il s'agit d'un travail de longue haleine.

Mme Olga Zrihen signale que Mme Vanderlinden n'a pas répondu à ses questions au sujet des alevis.

Mme Jenny Vanderlinden répond que les alevis sont une minorité. Tout comme les Kurdes, ils ont énormément souffert. Le plus souvent, les Turcs les mettent dans le même sac que les Kurdes. Ils les considèrent comme des montagnards, des sauvages, probablement parce qu'ils ont tendance à se replier sur leur communauté.

Il y a quelques années encore, ils étaient fortement réprimés. Actuellement, la répression vis-à-vis des alevis n'est plus perceptible, mais il est sans doute vrai qu'ils n'osent plus s'exprimer.

Mme Olga Zrihen répond que les alevis sont 3,5 millions en Turquie, sans compter les populations extrêmement importantes disséminées en Europe. Cette communauté se singularise par des pratiques beaucoup plus laïques que la majorité de la population turque.

Elle aimerait savoir si Amnesty International a fait un travail particulier sur cette communauté. Il serait intéressant de savoir comment leur liberté d'esprit et leur capacité d'exister en tant que citoyens en affirmant leurs convictions philosophiques sont acceptées.

Mme Jenny Vanderlinden répond qu'Amnesty International n'a entrepris aucune action relative aux alevis.

3. Exposé de M. Luc Delvaux, General Manager chez Fortis.

Il ne s'exprimera pas au nom de Fortis Banque mais bien en son nom personnel, en qualité de conseiller du commerce extérieur de Belgique.

Il scindera son exposé en deux parties. La première, consacrée aux aspects macro-économiques, lui permettra de faire part des résultats obtenus ces derniers temps par la Turquie, sans omettre ses faiblesses caractéristiques. Il indiquera en quoi ce pays lui paraît déjà pas mal intégré au sein de l'Union européenne en matière de commerce international. La deuxième lui donnera l'occasion d'aborder des questions micro-économiques, c'est-à-dire la Turquie considérée du point de vue de l'homme d'affaires.

En 2002, le PNB de la Turquie représentait plus de la moitié des PNB cumulés des dix pays qui viennent de rejoindre l'Union européenne. La Turquie est plus importante que le plus grand de ces dix pays, à savoir la Pologne. Les chiffres relatifs à la Turquie, tels que nous pouvons les appréhender dans les statistiques, sont probablement en dessous de la réalité. Une part non négligeable de l'économie turque n'est pas enregistrée, de sorte que le PNB est certainement supérieur à celui qui est mentionné dans les statistiques. En outre, la comptabilité nationale turque n'est pas tenue exactement de la même manière que dans le reste de l'Union européenne. Si les techniques standardisées étaient appliquées en Turquie, le PNB turc serait encore plus élevé. Tout cela corrobore l'importance de la Turquie sur le plan économique.

Ce pays est extrêmement peuplé puisqu'il compte 71 millions d'habitants. Par rapport aux nouveaux membres de l'Union européenne, c'est un « gros morceau ». La Turquie se distingue encore par la jeunesse de sa population. Les jeunes de moins de 15 ans y sont très nombreux. Selon toute vraisemblance, cette population devrait continuer à croître. D'ici 2025, elle devrait augmenter de 25 %. Pour la même période, la population belge ne devrait augmenter que de 2,5 %. En ce qui concerne l'ensemble des pays d'Europe centrale, la population devrait par contre diminuer. Ainsi, la population polonaise devrait décroître à concurrence de plus de 3 %. L'écart entre la Turquie et les autres pays devrait par conséquent devenir encore plus manifeste.

La loi économique montre que quand la population est jeune, la production induite à terme augmente. Le graphique que je vous soumets à présent donne une estimation de la population en âge de travailler à l'horizon 2050. À cette époque-là, c'est en Turquie que le potentiel humain au travail sera le plus élevé. Le taux, proche de 60 %, sera supérieur à ce qu'il sera en Chine.

En termes de structure de l'économie, il est possible d'opérer une comparaison relativement pertinente avec la situation de l'Espagne avant son adhésion à l'Union européenne : 60 % du produit national provient des services, entre un quart et un tiers, de l'industrie et le solde, de l'agriculture. La Turquie est un pays relativement plus agricole. Cet aspect des choses constitue une faiblesse dans d'autres domaines, mais la structure n'est pas fondamentalement différente de ce à quoi l'Union européenne a fait face dans le passé.

Une autre statistique intéressante à considérer est la croissance moyenne dans les deux ans qui précèdent l'adhésion à l'Union européenne. Les taux sont toujours boostés par l'adhésion à l'Union européenne. Depuis 1970, le taux moyen de croissance en Turquie est de 4 %, ce qui la place dans le haut de la fourchette. On estime que dans les dix ans qui viennent, ce taux devrait passer de 4 à 5 % grâce aux réformes institutionnelles entreprises en Turquie, grâce à l'acquis du passé et à un rapprochement plus approfondi avec l'Union européenne. Selon un rapport réalisé par ABN Amro à la demande du ministère hollandais des Affaires économiques, l'économie turque devrait tripler en taille dans les vingt ans à venir. La productivité amène à la croissance économique; c'est une loi économique qui a été maintes fois démontrée. Or, en Turquie, la productivité économique a fortement augmenté, en l'occurrence de 35 % entre 1997 et 2003, ce qui permet d'assurer les conditions autorisant une croissance soutenue à l'avenir.

En Turquie, la croissance moyenne est en effet de l'ordre de 4 à 4,5 %. Dans l'ensemble des pays de l'OCDE, la croissance moyenne est de 2,5 à 3 %, l'OCDE comprenant évidemment les États-Unis, qui ont une croissance généralement supérieure à la croissance européenne. La Turquie est donc très nettement un pays de croissance structurelle par rapport à l'Union européenne.

La demande domestique est le moteur principal de cette croissance. Elle représente 70 % de la croissance réalisée en 2003.

En Turquie, il faut parfois avoir le coeur bien accroché. Les taux de croissance sont parfois extrêmement élevés, mais il y a aussi des récessions relativement prononcées, de courte durée cependant. Cette évolution en dents de scie est autant due à des raisons internes, notamment l'hyperinflation, qu'à des chocs externes, comme la ou les guerres du Golfe, la crise russe de 1998, etc. Il faut souligner que la Turquie a pu afficher une croissance ininterrompue de son produit national aux cours des dix derniers trimestres.

L'équilibre du budget de l'État est un problème historiquement grave en Turquie, qui a provoqué l'endettement que nous connaissons, mais les récents programmes semblent porter leurs fruits, ce qui permet d'avoir une balance primaire largement positive, qui devrait le rester. Le Fonds monétaire vérifie d'ailleurs cet élément avec la plus grande attention. Les besoins de financement diminuent, même si l'endettement turc reste élevé. Entre janvier et octobre de cette année, la Turquie a remboursé 15 milliards de dollars de dettes et elle prévoit de rembourser 57 milliards dans les cinq ans à venir.

Le ratio entre la dette publique et le PNB a dès lors diminué. La Turquie espère ramener son endettement à 60 % de son PNB de façon à satisfaire au critère de Maastricht. En tout cas, le gouverneur de la banque centrale s'y est engagé et le mouvement est bien amorcé.

Il convient aussi de souligner que la dette domestique représente l'essentiel de la dette publique. Les Turcs détiennent 60 % de la dette publique de leur pays, en livres turques pour une bonne part. Les eurobonds ne représentent que 11 % de la dette. Le solde est aux mains des organismes internationaux : le Fonds monétaire, la Banque mondiale, etc.

La réduction substantielle des taux d'inflation et, dès lors, des taux d'intérêt, est une autre réalisation phénoménale. Historiquement, les taux d'inflation étaient extrêmement élevés, frôlant, voire dépassant les 100 %, les taux d'intérêt étant naturellement encore supérieurs. Ces dernières années, un programme drastique a été mis sur pied. Il a permis de ramener l'inflation à un chiffre simple, ce que la plupart des Turcs aujourd'hui en vie n'avaient jamais connu. Ce phénomène tout à fait nouveau suscite une adaptation des acteurs économiques et permet un approfondissement très sérieux des marchés financiers, ce qui est une condition indispensable pour assurer l'investissement à terme.

La livre turque n'est pas aussi légère que pourraient le croire les touristes qui se rendent régulièrement en Turquie. Le taux de change réel effectif s'est au contraire apprécié depuis 1995 même si, en valeur nominale, la livre turque ne vaut quasiment plus rien par rapport à ce qu'elle valait à l'époque. C'est la valeur effective qui est importante, bien entendu. L'appréciation du risque turc par le marché s'améliore considérablement.

La réforme du système bancaire est une autre réforme importante qui a contribué à cette heureuse évolution. La banque nationale est indépendante, tout comme dans les pays de l'Union européenne.

Dans la foulée, il a été décidé de ne plus faire crédit au secteur public, ce qui a permis de réorienter les crédits vers le secteur privé et de réduire l'inflation.

Une nouvelle loi relative au système bancaire a été adoptée. La classification des prêts a fait l'objet d'une nouvelle approche. Les mauvais crédits ont dû être amortis, ce qui a provoqué la disparition de quelques banques. Certaines ont été absorbées, d'autres ont fait faillite ou ont été mises sous tutelle par la banque nationale. Les banques d'État sont destinées, paraît-il, à être privatisées après restructuration, mais il s'agit d'un processus extrêmement long.

Le but de cette vaste opération est de permettre aux banques de jouer leur véritable rôle, qui consiste à collecter des dépôts et accorder des crédits au secteur économique. Auparavant, les banques turques collectaient des dépôts et prêtaient à l'État. Pour collecter des dépôts et prêter à l'État, les banques sont superflues; un système de caisse d'épargne nationale suffit. Pour développer l'investissement, il est impératif d'avoir des banques qui jouent leur rôle. Pour cela, il fallait remédier à la fâcheuse tendance des banques turques à dormir sur leurs lauriers en ne prêtant qu'à un seul débiteur. Les banques ont été obligées de développer des compétences en matière d'analyse de risques, d'appréciation et de prise de risques. Pour elles, c'est un tout nouveau monde.

La Turquie n'a pas que de beaux côtés ou de belles réalisations à son actif. En matière économique, des points faibles subsistent. Un de ces points faibles est la répartition de la richesse nationale.

En termes de pouvoir d'achat, la Turquie a encore du chemin à faire pour rattraper la moyenne communautaire ou la moyenne des autres pays qui viennent d'adhérer à l'Union européenne. Si l'on rectifie sur la base des chiffres les plus optimistes, on dépasse la moyenne des dix nouveaux États membres.

Le chômage demeure un problème. Une partie de l'explication réside, une fois encore, dans la jeunesse de la population. Les statistiques sont sujettes à caution, mais le chômage montre néanmoins un trend décroissant ininterrompu depuis le deuxième trimestre 2003.

Au deuxième trimestre 2004, nous sommes à 9,2 % au lieu de 10,4 % dans le graphique. Cette diminution est entièrement due à une croissance de l'emploi dans le secteur privé.

L'agriculture est une faiblesse reconnue de la Turquie. Il s'agit d'un secteur qui utilise encore beaucoup de main-d'oeuvre. Par rapport au reste de l'Union européenne, sa productivité est relativement faible. Selon les produits, les taux de productivité sont environ de 30 à 50 % inférieurs à ce qu'ils sont dans l'Union européenne. Cette situation offre un grand contraste avec l'industrie où les taux de productivité sont égaux, voire supérieurs, à ceux des pays de l'Union européenne.

L'importance de l'agriculture dans le produit national brut diminue de façon continue depuis 1998. Cette activité est extrêmement cyclique. La Turquie a réalisé un grand nombre de choses impressionnantes au cours des dernières années mais elle conserve toujours des faiblesses caractéristiques.

L'Union européenne est de très loin le premier partenaire de la Turquie : 53 % de ses exportations. Durant les neuf premiers mois de cette année, les exportations ont augmenté de 33 %. En ce qui concerne les importations turques, le scénario est le même. L'Union européenne est de très loin le premier partenaire de la Turquie avec près de 50 % des importations, soit un peu moins que les exportations, compte tenu de l'influence des produits énergétiques.

Les exportations des dix nouveaux membres de l'Union européenne vers la Turquie ont augmenté de manière spectaculaire cette année — de plus de 83 % — et représentent un dixième des exportations du reste de l'Union européenne.

Si l'on compare les exportations turques vers l'Union européenne aux exportations de certains pays entrés récemment dans l'Union européenne, on obtient une proportion de 50 %, ce qui traduit une relativement bonne intégration dans l'Union.

Le scénario est le même dans l'autre sens. La structure des exportations montre que nous n'avons pas affaire à une économie primitive. On ne parle pas de produits agricoles ou de produits primaires. De nombreux produits ont une valeur ajoutée. Dans l'Union européenne, on trouve des textiles, des produits d'investissement, des produits blancs tels que des télévisions, fabriqués en Turquie. Lorsque l'on achète un appareil électroménager, on ignore souvent que les éléments qui le composent ont été fabriqués en Turquie. On peut sans aucun problème changer la chaîne de production pour passer à une autre marque. Il s'agit donc d'une économie à valeur ajoutée.

Par ailleurs, en termes de produit national brut, le commerce avec l'Union européenne représente encore relativement peu de choses : la marge est importante. En Turquie, l'essentiel de la croissance provient de la demande intérieure.

Il s'agit d'une autre traduction des mêmes éléments, mais cela indique aussi tout le potentiel dont dispose l'Union européenne pour accroître ses relations commerciales avec la Turquie.

Dans le domaine des investissements, on constate que, sur l'ensemble des douze années couvertes par le tableau, l'Union européenne assume les deux tiers des investissements réalisés en Turquie. Les autres pays de l'OCDE en assument seulement 24 %. Cela montre bien l'intérêt manifesté à la Turquie par l'entité économique que constitue l'Union européenne. La tendance est d'ailleurs la même en ce qui concerne la Grèce.

Dans le cadre du volet micro-économique, l'orateur évoquera un certain nombre d'éléments peut-être plus significatifs pour l'homme d'affaires désireux de travailler en Turquie.

Il faut savoir, tout d'abord, que la logique juridique de la Turquie ne se trouve pas à des années lumière de la nôtre. En effet, le code civil et le code des obligations turcs sont basés sur le code civil suisse. Le code de procédure civile est basé sur celui de Neufchâtel. Le code administratif est essentiellement fondé sur le droit français. Le code de commerce tire l'essentiel de sa substance du code de commerce allemand et est saupoudré de morceaux choisis des droits britannique, japonais et brésilien. Dans l'ensemble, nous n'avons pas affaire à un ancien droit ottoman qui aurait péniblement évolué au fil du temps, mais à un droit dont les racines sont communes aux nôtres.

Le code de commerce comprend de nombreuses dispositions comparables aux nôtres; il s'agit notamment des droits des minorités ou encore de règles particulières plus contraignantes lorsqu'il s'agit de sociétés cotées en bourse. Si la base juridique est fort semblable à la nôtre, l'application des dispositions est parfois plus compliquée. La bureaucratie reste un obstacle majeur en Turquie. Il reste beaucoup de chemin à faire dans ce domaine.

Si l'on se place à un niveau moins objectif, on constate que l'ensemble des éléments intangibles sont assez favorables lorsqu'on travaille en Turquie. En effet, la mentalité y est profondément orientée vers l'Europe. Ce phénomène n'est pas récent; il remonte à la tradition ottomane. Il y a toujours eu une fascination pour l'Europe et une volonté de s'inspirer des meilleures décisions pour les appliquer en Turquie, où l'Europe jouit d'une certaine popularité. À en croire un article récent du Financial Times, entre deux tiers et trois quarts des Turcs seraient favorables à l'entrée dans l'Union européenne. La mentalité turque est profondément orientée vers l'Union européenne.

Autre élément intangible extrêmement important : le niveau d'éducation est excellent. De nombreuses universités sont très valables et le niveau de formation moyen est élevé. La distance par rapport à l'Europe n'est absolument pas un problème : la Turquie se trouve à trois heures d'avion de Bruxelles.

Autre constat très impressionnant : la flexibilité de l'économie et du pays en général, et la capacité de rebondir. Comme on a pu le constater lorsqu'on a évoqué l'évolution du produit national brut, la Turquie a la capacité, en cas de difficultés, de faire face et de retomber sur ses pattes, avec une rapidité que nous ne connaissons pas ou plus.

Selon l'institut national des statistiques turc, la Turquie est le troisième pays le moins cher de l'OCDE.

Enfin, et cela concerne davantage l'investisseur que le commerçant, la stabilité y est généralement reconnue comme satisfaisante et en progrès.

La mentalité n'est pas un problème pour les Européens qui travaillent avec la Turquie dans le domaine économique. Il y a cette tradition ottomane de curiosité et d'ouverture. La Turquie est un pays libre, avec une économie de marché ouverte et de larges flux de capitaux.

L'esprit d'entreprise caractérise le pays, comme nous avons déjà pu le constater en ce qui concerne la création de nouvelles entreprises. Les Turcs sont de grands travailleurs. Les relations sociales sont généralement constructives. La classe moyenne, aussi importante que dynamique, forme une ossature fondamentale pour garantir la croissance économique dans les années à venir. Un grand nombre de sociétés familiales, généralement autofinancées, soutiennent ce développement. Le marché s'attend à une progression significative des investissements dans le futur. Nous en sommes en effet à un taux record d'utilisation de l'outil de production. Le dernier taux dont l'orateur dispose date de septembre 2004 : 85 %. Cela signifie que l'on arrive progressivement à la limite d'utilisation des capacités. Il faut dès lors continuer à investir. La Banque centrale et la nouvelle législation qu'elle a imposée, notamment en matière de scission des groupes financiers des banques, jouent un rôle important dans cet accroissement de l'investissement. De plus en plus de capitaux étrangers s'orientent vers la Turquie, notamment dans les domaines financier et bancaire. La privatisation est un thème à la mode, qui bénéficie du soutien du Fonds monétaire. La visibilité de la Turquie en tant que terre d'investissement attrayante a beaucoup progressé ces dernières années. La CNUCED a émis un certain nombre de rapports indiquant clairement le renforcement de la confiance accordée, de ce point de vue, à la Turquie. Les discussions entre l'Union européenne et la Turquie sont assurément des éléments de nature à promouvoir l'investissement dans ce pays. Comme on a pu le constater concernant d'autres États, l'investissement n'apparaît pas après, mais bien avant l'adhésion. Les acteurs économiques agissent dès qu'ils estiment suffisant le nombre d'indices attestant d'un rapprochement entre le pays en question et l'Union européenne.

Quelle est la traduction dans la pratique de tous ces éléments ? Tout d'abord, il faut signaler l'importance que revêtent, en Turquie, les contacts personnels et les relations avec les partenaires, éventuellement par le biais d'un tiers en cas de nécessité, mais de préférence en direct. Une importance essentielle est dès lors accordée à la parole donnée. Il vaut mieux obtenir de façon certaine la parole de quelqu'un plutôt que sa signature. Dès lors, le juridisme qui sévit dans d'autres parties du monde n'a pas cours en Turquie. S'agissant d'un État du Moyen-Orient, la Turquie possède un certain nombre de caractéristiques méconnues en Europe occidentale. Citons, par exemple, le souci d'éviter que son partenaire ne perde la face ou encore la moindre importance accordée au temps, ce qui fait de la négociation un art. Celui qui ne veut pas ou ne sait pas négocier n'a pas intérêt à s'aventurer en Turquie : c'est la meilleure manière de ne pas être considéré comme un partenaire convenable.

La langue — difficile — est effectivement une barrière importante. Le pourcentage de la population turque qui maîtrise une ou plusieurs langue(s) étrangère(s) est encore assez faible, même si la situation progresse. Aujourd'hui, la langue étrangère la plus utilisée en Turquie n'est plus l'allemand, mais l'anglais.

La capacité à changer de stratégie, à s'adapter et à rebondir est un phénomène tout à fait vérifié sur le plan micro-économique, donc dans la vie des entreprises. Dès lors, les entrepreneurs turcs ont un sens remarquable de l'opportunité et de la flexibilité. Ils savent faire preuve d'esprit de décision. Les processus décisionnels sont généralement très courts et, assez souvent, peu formels. N'oublions pas que les entreprises turques sont souvent des entreprises familiales. On prend les décisions beaucoup plus rapidement en famille que lorsqu'il faut passer par un conseil d'administration strictement structuré en vertu de principes inhérents à la corporate governance.

Les hommes d'affaires turcs importants ne sont pas légion. Les grands hommes d'affaires ne sont pas nombreux. Ils se connaissent bien, s'observent et ont une certaine tendance à se copier, notamment sur le plan de la diversification industrielle. De ce fait, de nombreux groupes sont actifs dans beaucoup de secteurs identiques; c'est un héritage du passé. La transparence des comptes pose problème. L'économie n'est pas enregistrée de manière traditionnelle. Il en découle une certaine difficulté, sur le plan micro-économique, à analyser les comptes des entreprises. Les entrepreneurs turcs entretiennent souvent des relations très étroites avec les entités gouvernementales. Pour un étranger, il n'est pas toujours facile de comprendre les règles, car il faudrait, pour ce faire, s'immiscer dans les nombreux palabres qui ont lieu dans les couloirs ...

Le fossé générationnel est bien présent entre l'ancienne tradition des hommes d'affaires et les usages en cours dans la génération actuelle, laquelle est tout à fait formée aux méthodes occidentales, parle l'anglais et entretient des processus de décision quelque peu différents.

De même, la zone économiquement développée que constituent la région d'Istanbul, celle d'Izmir et la Thrace, est beaucoup plus avancée que l'Anatolie en général, ce qui pose un problème de cohésion nationale.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les prix ne sont pas nécessairement l'élément essentiel des transactions; c'est la relation qui prime. On peut parfois conclure des affaires à un prix plus élevé si la relation est bien gérée. Les Turcs ont tendance à apprécier ce qu'ils peuvent toucher, c'est-à-dire les marchandises, beaucoup plus que les services. Ils éprouvent certaines difficultés à payer pour des services. Lorsqu'ils sont fournisseurs, leur flexibilité est très grande, ce qui se traduit par une capacité à fournir la marchandise en peu de temps. Ils sont très rapides dans la capacité de mettre de nouveaux produits sur le marché. Le fait que toute l'économie ne soit pas enregistrée peut poser certains problèmes en matière commerciale. Les méthodes ou habitudes de paiement ne sont pas nécessairement optimales.

La conclusion de tous ces éléments est la suivante : il faut avoir une connaissance approfondie de son client, d'où, encore une fois, l'importance de la relation et de la confiance.

Le contrôle familial est important. Lorsque les entreprises sont cotées, même dans le cas des grands groupes, les titres effectivement cotés correspondent à un pourcentage faible du capital. Les joint ventures en association avec l'étranger sont fréquentes et souvent basées sur un rapport 50/50, ce qui constitue le niveau de gestion le plus délicat, impliquant, encore une fois, une relation de confiance extrêmement profonde, à défaut de quoi l'échec est garanti.

De nombreux groupes sont, pour des motifs historiques, trop diversifiés. Ils doivent dès lors se focaliser sur l'un ou l'autre domaine et se spécialiser. Cela peut bien entendu constituer une opportunité pour les investisseurs étrangers. Il faut bien connaître son partenaire et donc avoir de bons contacts personnels. Pour ce faire, il faut bien comprendre l'héritage culturel de la Turquie.

Dans le domaine culturel, la Turquie joue depuis très longtemps un rôle de pont entre l'Europe et le Moyen-Orient, entre l'Europe et l'Asie centrale, entre le monde chrétien et le monde musulman, entre les modèles économiques, entre les pouvoirs aussi, puisque la frontière entre la Turquie et l'Union soviétique a longtemps constitué une donnée importante. Cette tradition de pont est profondément ancrée dans la mentalité locale, laquelle n'est pas fermée, mais au contraire très ouverte sur le reste du monde.

La Turquie a toujours observé l'Europe. Aujourd'hui, elle est déjà fortement associée à l'Union européenne, dont elle constitue le premier partenaire en termes de commerce extérieur. Il en va de même sur le plan des investissements étrangers réalisés en Turquie. Le statut de pays candidat à l'adhésion a été reconnu à la Turquie, elle-même en union douanière avec l'Union européenne depuis un certain nombre d'années. La Turquie est un pays fier, notamment de son histoire et de sa culture. N'oublions pas qu'elle a été un empire pendant un demi-millénaire. Tous les empires sont faits pour durer mille ans. La Turquie y est parvenue à moitié; beaucoup d'autres ne sont pas allés aussi loin. Il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi la Turquie a tenu le coup aussi longtemps. Une des raisons fondamentales est sa capacité à absorber la culture des autres et à ne pas imposer un mode opérationnel unique. L'empire ottoman était fondamentalement décentralisé. La Turquie a dès lors aussi une tradition d'accueil de l'étranger. N'oublions pas que ce peuple originaire d'Asie centrale est nomade, caractéristique encore ancrée dans ses comportements.

La population turque est très majoritairement musulmane, mais en termes d'organisation et d'état d'esprit économique, il s'agit d'un pays séculier, et cela depuis 1923. Plusieurs générations ont donc déjà vécu conformément à ce modèle, qui continue à être défendu.

Les femmes turques jouent un rôle important, non seulement dans l'État, mais aussi dans l'économie. Leur rôle au sein des banques est loin d'être négligeable.

La liberté de presse est un fait : il suffit pour s'en rendre compte de lire les commentaires des journaux concernant les actions gouvernementales.

Autre élément très important : la Turquie n'est pas un pays arabe. L'homme d'affaires qui confondrait les Turcs et les Arabes commettrait une erreur fatale ! La Turquie et les pays arabes n'ont aucun héritage commun, si ce n'est que la Turquie a dominé la plupart des pays arabes pendant une partie importante de son histoire.

Enfin, la Turquie se caractérise par le sentiment éprouvé par quiconque est éduqué de devoir rendre à son pays ce qu'il a reçu grâce à cette éducation et donc de devoir contribuer d'une manière ou d'une autre au développement et à la croissance de son pays. C'est une caractéristique importante, dont nous devons tenir compte dans nos relations.

Échange de vues

M. Jean-Marie Dedecker constate que M. Delvaux a défendu la Turquie avec enthousiasme. Les chiffres positifs l'ont surpris.

La Turquie compte actuellement environ 70 millions d'habitants. Ce nombre atteindra peut-être les 100 millions en 2020. La croissance économique pourra-t-elle suivre cette explosion démographique ?

La corruption dans le marché intérieur et l'appareil d'État n'est-elle pas une entrave au commerce avec la Turquie ?

Mme Fatma Pehlivan constate que M. Delvaux a abordé la croissance de la population et l'économie de manière positive. En général l'Europe adopte une attitude négative; nombreux sont ceux qui craignent que l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ne donne lieu à une vague massive de migration. Des études confirment-elles ce risque ? Les chiffres et l'information fournis semblent dire le contraire et donnent même l'impression qu'il pourrait y avoir une migration dans l'autre sens.

Mme Olga Zrihen est très satisfaite d'avoir pu entendre un exposé aussi positif, sur le plan économique, concernant la Turquie. En effet, on a tendance, à l'échelon européen, à considérer l'adhésion de la Turquie comme une charge tellement importante par rapport à son produit intérieur brut qu'il serait difficile de l'intégrer en moins de dix ans. Cela n'exclut toutefois pas l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Ce marché ouvre des perspectives très riches sur le plan des échanges bilatéraux.

L'oratrice demande des informations plus précises concernant, tout d'abord, l'apport, en termes de flux monétaires, des travailleurs turcs vivant à l'étranger.

Sa deuxième question concerne l'économie parallèle. Comme on le sait, les statistiques ne reprennent pas l'intégralité des échanges commerciaux. Quelle est l'ampleur du phénomène ?

Enfin, les relations économiques entre la Turquie et le Moyen-Orient sont aussi très intenses. Quelle en est l'importance, par rapport aux relations avec l'Union européenne ?

M. Luc Delvaux fait remarquer que le gouvernement turc sait que la croissance économique s'accompagne d'une forte croissance de la population. La banque nationale et le gouvernement souhaitent dès lors établir un cadre économique qui convienne à la croissance et rende possible les investissement dans le futur. La banque nationale turque avait dès lors aussi un plan pour faire baisser les taux d'intérêt et pour diminuer fortement le niveau de l'inflation. Ces politiques avaient l'appui du FMI. Ces mesures rendent possible la croissance économique future.

Ce plan est un succès et se poursuit. Le FMI le suit de très près. Chaque trimestre, on constate un progrès. La demande interne représente 70 % de la croissance économique actuelle de la Turquie. Ce rythme peut être soutenu. Le problème de la croissance démographique n'est donc pas tel que tout doive venir de l'étranger.

Le commerce avec l'Union européenne est bien assez important pour absorber une demande plus grande venant de l'Union européenne et pour la faire encore croître. L'équilibre entre la demande interne et la demande externe est tel que cela ne pose aucun problème pour l'avenir.

M. Jean-Marie Dedecker estime que la Turquie a une structure agraire forte, surtout dans certaines régions. Cela coûtera cher à l'Union européenne.

M. Luc Delvaux répond que le poids relatif de l'agriculture baisse. De plus en plus de gens vont s'établir en ville. L'industrie et surtout le secteur des services se développent.

M. Jean-Marie Dedecker réplique qu'il y a donc une très grande croissance démographique urbaine.

M. Luc Delvaux répond qu'il faut la relativiser. Au fur et à mesure que la population se concentre dans les villes et que le niveau de vie augmente, le nombre d'enfants par famille diminue. Ce nombre est plus élevé à la campagne qu'en ville. Plus les gens sont cultivés et éduqués, moins ils ont d'enfants. Nous constatons ce phénomène en Turquie aussi, comme dans la plupart des pays. Il n'y a donc pas de problème. Les statistiques que nous connaissons et les projections montrent que le taux de croissance diminuera : la population totale continuera à croître mais moins rapidement. Il n'est donc pas question d'une explosion : la croissance démographique reste gérable. Si le cadre économique reste stable et permet les investissements nécessaires, nous pouvons être positifs et optimistes.

Il y avait une question sur la corruption. En tant que banquier privé et en tant qu'hommes d'affaires, l'orateur n'a jamais vu de corruption dans le secteur privé. Dans le secteur public, c'est un peu différent, essentiellement parce que les salaires y sont extrêmement bas. Ils ne sont pas liés à l'indice des prix, de sorte que le pouvoir d'achat des fonctionnaires a fortement baissé à certains moments. Certaines années, l'inflation avait atteint plus de 100 %, comme on l'a dit. On peut imaginer l'effet sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Après de difficiles négociations, ils ont obtenu une augmentation de salaire à la fin de l'année, mais en attendant ils n'avaient pas de pouvoir d'achat. C'est là que la corruption trouve sa source.

En Turquie tout ne fonctionne pas à merveille, mais les choses vont dans la bonne direction. Lorsque l'inflation baisse sérieusement et tombe en dessous de 10 %, il est possible que la corruption diminue aussi. Toutefois, sur ce point, le gouvernement a encore du travail à faire.

Les Turcs ne sont pas fondamentalement différents de nous. Si une personne trouve un emploi près de chez elle, elle n'a pas la volonté de quitter son pays. C'est quand la situation économique est mauvaise que l'on a intérêt à chercher ailleurs un meilleur statut.

Dans la mesure où la croissance économique est assurée en Turquie, où des investissements y sont réalisés et où la stabilité y est réelle, peu de Turcs sont désireux de s'expatrier. Selon un sondage effectué en Turquie, 2,7 millions d'habitants envisageraient une expatriation dans l'Union européenne en cas d'adhésion. Ce chiffre n'est pas très élevé; il correspond plus ou moins à la main-d'oeuvre turque actuellement présente en Allemagne. L'orateur a la conviction que dans des conditions économiques convenables, ce chiffre ne serait même pas atteint. La question du danger d'un flux de population d'un pays à l'autre ne se pose pas dans une Europe où le niveau de vie est suffisamment élevé. Les conditions sont les suivantes : une stabilité économique et monétaire qui ouvre la porte aux investissements et autorise un taux de croissance soutenu et réaliste.

M. Jean-Marie Dedecker estime que M. Delvaux est à l'évidence plus optimiste que l'Union européenne car un ministre lui a dit s'attendre à une migration de 2 à 7 pour cent. La question de la migration est en tout cas très importante. Pour l'homme de la rue et pour certains partis politiques qui jouent volontiers de ce thème, c'est probablement même le plus important de tous.

M. Luc Delvaux répond qu'à la question de savoir si la Turquie peut devenir membre de l'Union européenne dès aujourd'hui, la réponse est évidemment non. Mais là n'est pas la question. Nous devons nous demander comment la Turquie évoluera en attendant qu'elle puisse devenir membre de l'Union. À cet égard, la situation se modifiera profondément non seulement dans l'Union européenne mais aussi en Turquie. Le fossé entre les deux ne sera plus comparable avec celui qui existe actuellement. Si tout va bien au plan économique, nous pouvons envisager cette évolution avec optimisme.

Reste l'argument du vieillissement de la population, non seulement dans les pays de l'ancienne Union européenne mais aussi en Europe centrale. Ces pays aussi voient leur population baisser. Il faut donc des travailleurs et, sur ce plan, la Turquie peut représenter une valeur ajoutée.

M. Jean-Marie Dedecker ne partage pas l'avis de l'orateur. Nous avons pour l'instant encore toujours plus de 1,2 million d'allocataires sociaux. Il est donc pervers d'importer de la main-d'oeuvre. Nous devons surtout augmenter le taux d'activité.

M. Luc Delvaux répond qu'en ce qui concerne les flux monétaires générés par les travailleurs turcs vivant à l'étranger, il ne peut rien dire. Le phénomène est important; il fait l'objet d'une rubrique particulière dans la balance des paiements turque.

Pour ce qui est de l'économie parallèle, les chiffres diffèrent considérablement selon les sources. Si l'on en juge d'après un exposé présenté il y a quelques semaines par le gouverneur de la Banque centrale de Turquie, qui se référait lui-même à une étude de l'OCDE, une partie colossale — entre 16 et 50 % — de l'économie turque ne serait pas enregistrée. Cela pose immédiatement la question de l'injustice de l'impôt. La réforme fiscale constitue dès lors la toute première priorité du gouvernement pour l'année prochaine, l'objectif étant d'enregistrer autant que possible l'économie nationale et de taxer celle-ci à des taux réduits par rapport aux taux en vigueur à l'heure actuelle. Il vaut mieux taxer moins une assiette plus confortable que de taxer fortement une assiette très réduite.

Si l'on intègre cette donnée élastique — entre 16 et 50 % du produit national — dans l'ensemble des chiffres que je vous ai communiqués, cela peut aboutir à une vision assez différente de la situation. Si l'on tient compte de cet élément, de la population jeune, encore inactive, et des différences en matière de statistiques et de pouvoir d'achat, il en résulte un important phénomène de multiplication du niveau de vie turc, qui place celui-ci au même niveau, en tout cas, que celui de l'Europe centrale.

4.1. Exposé de M. Robert Anciaux, professeur émérite, ULB

La Turquie est acquise au multipartisme depuis 1946. Depuis cette date, elle a développé un système politique qui se rapproche de plus en plus du modèle occidental. Occidental, car non seulement il prend pour modèle l'Europe mais aussi les États-Unis qui exercent une influence de plus en grande sur les orientations de la politique économique turque. Ce système politique turc se caractérise par le suffrage universel direct pour désigner les représentants de la nation à la Grande assemblée nationale. Ce système politique est donc un système parlementaire représentatif où théoriquement le vote est exprimé librement par les électeurs. Cependant, une restriction importante est imposée aux choix politiques qui peuvent être exprimés. Ces choix ont été limités dans le cadre de la guerre froide. Les articles 141 et 142 du code pénal interdisaient en effet l'élection de candidats se réclamant du marxisme et même l'existence d'une formation marxiste, et ce au nom de la sécurité. Ces restrictions au libre choix de l'expression politique ont été amplement soutenues par l'Occident. Guerre froide obligeant, on n'a vu aucun inconvénient à ce que les opinions d'orientation marxiste soient interdites en Turquie.

À partir de 1991, les articles 141 et 142 sont tombés et ces restrictions ont disparu. Les Turcs ont alors disposé de moyens d'expression beaucoup plus larges. Ce système politique permet un large éventail d'opinions au niveau de la représentation parlementaire. Il peut être considéré comme une avancée mais d'autres éléments faisant obstacle au libre choix des électeurs sont apparus. Ils ont essentiellement trait à la notion que l'on a de l'État et à la notion officielle imposée à l'ensemble de la Turquie.

Ce qui fait actuellement obstacle au développement d'une véritable démocratie, c'est le problème posé par la non-reconnaissance de minorités ethniques, culturelles et linguistiques. Celle-ci vise tout particulièrement les Kurdes. Toutes les atteintes aux droits de l'homme sont essentiellement issues du problème posé par la non-reconnaissance d'une réalité ethnique kurde.

Nous savons que tout parti se réclamant d'une représentation d'une identité kurde est interdit par la loi. Les réformes initiées dans le cadre des exigences de Copenhague ont surtout porté sur la reconnaissance d'une identité kurde et sur la possibilité d'expression de cette identité par le biais d'une représentation parlementaire.

Il faut observer que dès l'instant où l'on abandonne la non-reconnaissance d'une réalité ethnique et culturelle kurde, il n'y a plus aucun obstacle à ce que la Turquie connaisse une représentation parlementaire parfaitement représentative de l'ensemble des choix des citoyens.

Dans l'ensemble, au moins sur le plan de la structure générale, la Turquie possède un système parlementaire dont le caractère représentatif est limité essentiellement par une vision nationaliste jacobine d'inspiration française de 1923. Cette vision empêche la libre expression d'une identité culturelle et ethnique qui sorte du cadre fixé par un kémalisme strict.

Ce qui renforce le caractère rigide de ce système et constitue un obstacle à l'élargissement et à la plasticité de ce système, c'est essentiellement la présence des militaires et les contrôles qu'ils exercent sur le pouvoir. En effet, les militaires entendent représenter une vision d'un kémalisme strict et littéral. Ce système de principes kémalistes est essentiellement fondé sur la vision d'une république une et indivisible, n'admettant aucune affirmation identitaire autre que celle d'une nation turque.

Ce qui a permis aux militaires de prendre l'importance qu'ils ont dans la vie politique, c'est essentiellement le rôle qui leur a été dévolu au sein de la nation turque; l'appui du monde occidental a également été important. Pendant la guerre froide, la Turquie est apparue comme le rempart nécessaire au développement d'une sécurité intérieure face aux mouvements révolutionnaires et au danger extérieur.

Un autre élément a contribué à renforcer l'emprise des militaires sur le système politique : la Turquie se trouve placée au centre d'un environnement politiquement volatil et, depuis la fin de la guerre froide, pouvant être considéré comme économiquement sinistré.

L'instabilité de cet environnement politique et économique a évidemment contribué à renforcer davantage le rôle des militaires comme garants de la sécurité générale de la Turquie.

Un dernier élément a permis à l'armée de consolider son emprise sur la vie politique : le déclenchement de l'insurrection armée du PKK, le parti des travailleurs kurdes, en 1984. Le fait que cette insurrection soit survenue dans la foulée du coup d'État militaire de 1980 a également encouragé la prétention des militaires à renforcer leur présence dans la vie politique kurde.

Les différents coups d'État qui se sont produits ont fortement influencé l'évolution de la vie publique turque.

En 1960 eut lieu un premier coup d'état, dirigé contre le deuxième gouvernement issu de l'ouverture de la Turquie au multipartisme. Ce coup d'État militaire visait à mettre fin aux dérives dont le pouvoir civil s'était rendu coupable; celui-ci avait notamment tenté de freiner toute avancée vers l'alternance politique. Ce parti — démocrate — s'était entre autres distingué par une série de démarches visant à limiter la capacité de l'électorat à empêcher la persistance du pouvoir en place.

Au terme de ce coup d'État de 1960, les militaires élaborent la constitution la plus libérale qu'ait jamais connue la Turquie depuis sa création.

Cette Constitution autorisait en effet le droit de grève, supprimé en 1925, ainsi que la liberté d'association, ce qui donna naissance aux premiers syndicats autres que les syndicats officiels. Elle favorise aussi le pluralisme politique. C'est à partir de ce coup d'État militaire et de la création de cette Constitution qu'est apparu sur la scène politique le parti des ouvriers de Turquie, dont les dirigeants étaient reconnus comme étant fondamentalement des marxistes. Il n'empêche que l'existence de ce parti a été tolérée.

Du fait de la libéralisation du système politique et de la capacité qu'ont eue les citoyens turcs de s'exprimer plus librement, à la fois oralement et par écrit, on a assisté à une diversification des opinions politiques. C'est le point de départ d'une évolution de la culture politique turque, dans la mesure où la capacité qu'avaient les Turcs à faire entendre leur choix par la voie électorale s'est donc considérablement accentuée.

En 1971, un deuxième coup d'État militaire aboutit à une restriction très nette des libertés publiques, lesquelles se réduiront encore davantage à partir du coup d'État de septembre 1980, dont découlera la promulgation d'une nouvelle Constitution nettement plus restrictive sur le plan des libertés publiques.

Ces coups d'État seront essentiellement dirigés contre la gauche. Celui de 1971 aboutira notamment au limogeage des éléments les plus progressistes de l'armée, ce qui donnera à l'establishment un profil très nettement conservateur, caractérisé par un kémalisme rigide et littéraliste. Les militaires vont essayer de contrôler le système politique en se donnant la possibilité de contrôler la reconnaissance des partis politiques.

Cette tentative des militaires de contrôler les partis sera contrecarrée essentiellement par la réaction de la société civile turque. Rappelons que 1960 fut le point de départ d'une évolution de la culture politique des Turcs.

Après le coup d'État de 1971, l'électorat va petit à petit mettre à mal tout l'effort de construction politique des militaires et notamment porter au pouvoir le premier parti islamiste. En fait, le Parti du salut national est le deuxième parti islamiste — le premier n'a eu qu'une existence très brève. Le Parti du salut national participera au premier gouvernement qui suivra le coup d'État militaire de 1971. C'est également la période où le vieux parti républicain fondé par Atatürk deviendra le Parti social démocrate.

Après 1980, l'électorat va de nouveau, petit à petit, défaire les restrictions que les militaires imposent à la vie politique. Il parviendra, en l'espace de sept à huit ans, à remettre en selle des partis qui avaient été supprimés par les militaires. Après onze à douze ans, tous les leaders politiques qui avaient été interdits d'activité politique ont repris leur place.

Il faut donc remarquer — et cela a été confirmé par des études que nous avons menées sur le terrain avec des universités turques — que la population turque a assimilé l'essentiel des paramètres qui conditionnent l'exercice de la démocratie.

Dans tous les types d'électorat que nous avons pu observer — que ce soit des cadres du parti islamique de l'époque ou des militants de base ou des cadres moyens —, il est apparu que l'exercice du pouvoir ne pouvait se concevoir sans un passage par les urnes. Principalement, le parti islamique considérait que la démocratie devait absolument être préservée et approfondie. En effet, chaque avancée démocratique lui a permis de faire élire plus de représentants à la grande assemblée nationale. Il a pu participer à des gouvernements et même exercer la présidence d'un gouvernement librement élu.

Il faut souligner que toutes les élections qui ont eu lieu depuis 1999 ont été jugées parfaitement régulières par les observateurs étrangers, ce qui donne évidemment une portée assez grande à l'importance de la société civile dans le choix politique. Nous constatons toutefois que la démocratie est actuellement freinée par les militaires, dans la mesure où ils contrôlent un élément essentiel qui conditionne aussi les choix et l'expression des choix du gouvernement, à savoir le Conseil de sécurité national.

Celui-ci a été créé au lendemain du coup d'État de 1960 et était considéré par les militaires de l'époque comme un moyen de contrôler le pouvoir civil et d'éviter les dérives qui s'étaient manifestées dans les années '50. À mesure que les militaires accentueront leur emprise sur la vie politique, le Conseil de sécurité national jouera le rôle d'un véritable cadre dans lequel se décident les options essentielles. À partir des années '90, il est apparu que les décisions du gouvernement étaient essentiellement conditionnées par les choix de ce Conseil national.

Il est donc normal que dès l'instant où la Turquie demande son adhésion à l'Europe et que celle-ci lui impose des conditions pour démocratiser le système, l'emprise exercée par ce Conseil de sécurité national soit de plus en plus remise en cause, et plus particulièrement le rôle prépondérant qu'y jouent les militaires.

Nous pouvons constater qu'en Turquie, la volonté d'adhérer à l'Europe a amené des gouvernements à accepter de plus en plus de conditions imposées pour se conformer aux critères de Copenhague. Le gouvernement Ecevit, qui était un gouvernement de coalition entre le parti social démocrate, le parti néofasciste du mouvement Milliyetçi Hareket Partisi qui était le Parti de l'action nationale et, enfin, le parti de la Mère patrie, qui représentait une aile libérale, avait déjà accepté de présenter une série de réformes pour se conformer aux critères de Copenhague. L'essentiel de ces réformes a été imposé par l'actuel gouvernement du parti de la Justice et du Développement qui apparaît comme un parti héritier des partis islamiques qui l'ont précédé. Il semblerait que la volonté d'une grande majorité de la population turque et du monde politique est de réussir son adhésion à l'Europe mais les opinions sont partagées quant à ce qu'il convient d'accepter des mesures imposées par l'Union européenne pour se conformer aux critères de Copenhague. Actuellement, tous les paquets de réformes qui ont été présentés par le gouvernement ont été acceptés au Sénat. C'est évidemment logique dans la mesure où le parti au pouvoir est partisan de l'adhésion et où il dispose pour la première fois d'une majorité absolue au parlement. Donc, sur le plan politique, ces réformes ont pu passer le cap des votes sans aucune difficulté, ce qui ne signifie pas que les problèmes ne vont pas surgir quand il faudra mettre ces réformes en application. Les résistances à ces réformes se manifestent principalement sur le plan de la reconnaissance des minorités. Elles s'expriment essentiellement dans l'establishment kémaliste et laïc ainsi que dans l'armée. Récemment encore, le président de la république qui est un kémaliste convaincu et qui, de surcroît, est un laïc nettement militant, a émis l'opinion selon laquelle la Turquie ne pouvait pas aller trop loin dans l'acceptation des critères de Copenhague imposés par l'Union européenne et qu'il n'était pas prêt, quant à lui, à reconnaître d'autres minorités que celles citées dans le Traité de Lausanne, c'est-à-dire les minorités chrétiennes et juives, principalement arméniennes et grecques orthodoxes et catholiques. Donc, pour le président de la république, oui à l'adhésion mais par à n'importe quel prix et pas au prix de renoncer à la vision souveraine que pourrait avoir la Turquie de la préservation de son unité. De la même manière, et tout aussi récemment, quasiment à l'occasion de la même manifestation publique, le chef d'état-major a également proclamé son opposition à toute acceptation des critères de Copenhague qui iraient dans la voie de la reconnaissance de minorités au-delà de ce que prescrivait le Traité de Lausanne de 1923. Nous constatons donc que les réticences à l'approfondissement de la démocratie et à l'acceptation de tous les critères sont aujourd'hui essentiellement le fait des milieux kémalistes et laïcs. Cela veut dire que de manière générale, l'armée qui détient encore une énorme capacité de pression sur la vie publique sera le principal obstacle à la mise en oeuvre des réformes votées par le parlement.

L'Europe devra également être très attentive au fait que l'on ne peut attendre de la Turquie qu'elle puisse mettre en oeuvre, avant un certain temps, l'ensemble des réformes adoptées par le parlement. Il faudra vaincre des résistances intérieures, procéder au remplacement de responsables locaux et nationaux et éventuellement mettre à la retraite certains hauts fonctionnaires opposés à ces réformes. Il est peu probable que la Turquie, par ses propres moyens actuels et les ressources humaines dont elle dispose, parvienne à mettre en oeuvre ces réformes rapidement si elle ne bénéficie pas d'un soutien constant de l'Union européenne qui devra, à tous les niveaux d'application de ces réformes, intervenir et soutenir les efforts des partisans d'un approfondissement de la démocratie.

En ce qui concerne ces réformes, quelques signaux négatifs ont été donnés par l'actuel gouvernement de l'AKP. L'orateur pense notamment au projet de loi que le gouvernement avait déposé en vue de pénaliser l'adultère. Il faut remarquer — et cela incite l'intervenant à un certain optimisme — que ce projet a été retiré assez rapidement. L'Europe a évidemment un peu rapidement déduit que sa seule pression avait réussi à amener le gouvernement à retirer ce projet. C'est oublier la levée massive de boucliers de la société civile turque, des organisations féministes et d'organisations non féministes qui ont soutenu leur opposition au projet de loi. Il est intéressant de noter que participaient même aux manifestations des femmes qui portaient le tcharchaf, le foulard islamique. Le projet de loi qui rappelle d'un peu trop près certaines dispositions de la Charia a été combattu non seulement par des associations féministes laïques mais aussi par un grand nombre de femmes qui n'appartenaient visiblement pas à ce courant d'opinion.

Il faut remarquer que, d'une manière générale, on a un peu perdu de vue le fait que les réformes imposées par les critères de Copenhague ne correspondaient pas seulement à la volonté du gouvernement d'obtenir l'adhésion mais que l'effet des réformes proposées allait également dans un sens souhaité de longue date par la société civile turque elle-même. En fait, ces réformes trouvent, au sein de cette dernière, des relais considérables qui empêcheraient fortement un gouvernement ultérieur de revenir à un système nettement plus restrictif.

Bref, on constate que la Turquie possède un système politique qui se trouve bloqué par la présence d'adversaires à toute avancée démocratique. Mais, par ailleurs, la société civile est extrêmement dynamique et se montre tout à fait disposée à se battre pour que ces réformes soient appliquées de manière effective et conditionnent les avancées démocratiques attendues depuis plusieurs dizaines d'années par la population turque dans son ensemble.

Échange de vues

M. Marc Van Peel constate que le professeur Anciaux a réfuté l'affirmation maintes fois entendue, selon laquelle l'armée turque est la garante du maintien de la démocratie. Il se demande s'il a bien compris que la société civile turque aspire à la démocratie et que les opposants à cette dernière se trouvent dans l'armée turque kémaliste.

M. Robert Anciaux confirme.

M. Lionel Vandenberghe se réfère à un rapport discuté à l'échelle de l'Union européenne, selon lequel 380 000 Kurdes ont été chassés de leurs villages. Que fera le gouvernement turc de ces gens ?

M. Robert Anciaux répond que, selon lui, le problème kurde ne sera réglé qu'au moment où on lui donnera une solution politique, c'est-à-dire la reconnaissance de la population kurde qui possède une langue, une culture et le droit de développer celle-ci dans le cadre de la République turque et d'une citoyenneté turque. Mais il faut que l'élément kurde soit reconnu comme une composante de cette citoyenneté. C'est la non-reconnaissance du fait kurde qui a conduit aux affrontements que l'on connaît et effectivement, comme l'a dit M. le vice-président, au fait que l'on a procédé à des déplacements de population. Ces déplacements ont soit été opérés de manière concertée, soit été la conséquence de la fuite de populations devant les combats qui opposaient l'armée turque et les combattants kurdes. Il faut dire aussi qu'une partie de ces populations kurdes qui ne partagent pas les options du PKK ont subi des dommages de la part des deux camps. Tant l'armée turque que les combattants du PKK ont contribué au dépeuplement de certaines régions.

Que va-t-il se passer lorsque la Turquie aura trouvé cette solution politique qu'elle doit obligatoirement dégager si elle veut satisfaire aux critères de Copenhague ? Ces populations devraient avoir la liberté de rejoindre leurs régions d'origine. Cela ne posera aucun problème. Ce qu'il faudra, c'est leur donner les moyens de se réinstaller. Ces moyens pourraient se trouver facilement dans la mesure où la fin de l'insurrection kurde permettrait de faire progresser le Projet de développement pour le Sud anatolien qui prévoit la construction de barrages, d'un système d'irrigation qui favoriserait le développement de l'agriculture et la mise en oeuvre d'un réseau de distribution d'énergie en vue du développement d'infrastructures industrielles. Tant que l'insurrection se poursuit, tant qu'il y a des affrontements entre l'armée et les Kurdes, il n'est pas possible de mettre ce plan en oeuvre. Ce projet était, dans l'esprit des gouvernants des années 1970, de faire face aux revendications identitaires kurdes en développant économiquement la région. En satisfaisant aux besoins économiques, on espérait ralentir les revendications identitaires, ce qui est illusoire. Une solution politique au problème kurde complétée par la mise en oeuvre d'un plan de développement pourrait contribuer à faire revenir dans la région des Kurdes qui se sont exilés et, en même temps, à désengorger les centres urbains où cette population kurde s'entasse et contribue à accentuer les problèmes urbains des grandes villes turques, surpeuplées et incapables de fournir du travail aux ruraux confinés dans les bidonvilles à leur périphérie.

M. Jean Cornil souhaite poser deux questions.

La première concerne la non-reconnaissance des minorités. La commission des Affaires sociales s'est rendue en Turquie voici quelques semaines pour faire un large tour d'horizon de la situation.

M. Anciaux n'a pas parlé du problème de la loi électorale, laquelle prive singulièrement les populations kurdes de représentation au parlement turc en raison du barrage des 10 %. Quel est le sentiment de monsieur Anciaux sur les avancées que l'on observe sur le plan culturel — et non politique —, même si elles sont peut-être insuffisantes. L'orateur pense à l'apprentissage de la langue, à la possibilité de regarder des émissions en kurde dans les médias, etc. Ces avancées pourront-elles être approfondies ou non ?

La deuxième question concerne le rôle du Conseil de sécurité national. Beaucoup de nos interlocuteurs, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, nous ont dit que le rôle de ce Conseil s'était considérablement réduit au fil du temps, que le rôle des militaires au sein de ce Conseil avait également diminué.

Cette question est très importante sur le plan de la démocratie. Quel rôle exact joue aujourd'hui ce Conseil de sécurité national, notamment dans la politique étrangère et la politique parfois jugée trop atlantiste menée par ce pays ?

M. Robert Anciaux répond qu'il est évident qu'à la suite des paquets de réformes adoptés pour satisfaire aux critères de Copenhague, le rôle des militaires a considérablement diminué et est moins déterminant au sein du Conseil de sécurité national.

Le problème, c'est que nous sommes ici au niveau de la superstructure. Cela ne réduit en rien le rôle réel que l'armée peut continuer à jouer à l'échelon national, même si elle n'est plus représentée au niveau de ce Conseil de sécurité. Il reviendra évidemment à l'Union européenne d'appuyer tous ceux qui veulent réduire ce rôle en soutenant la mise en oeuvre des réformes. En effet, si les militaires voient leur poids diminuer au sein du Conseil de sécurité national, ils sont encore très représentés au niveau des provinces et des régions qui ont été soumises à la loi martiale au terme de la lutte contre le PKK.

Il ne faut donc pas seulement s'attacher à avoir une présence diminuée sur le plan formel, le problème est de faire diminuer le poids global de l'armée dans la prise de décisions et dans l'application des lois. Ce problème dépasse de très loin la simple adoption de réglementations conformes aux critères de Copenhague.

Le seuil qu'il faut dépasser pour être représenté au parlement a été fixé à 10 %. Certains l'ont trouvé excessif et d'autres l'estiment assez sage. L'idée était d'éviter qu'une myriade de petits partis envahissent le parlement et rendent impossible toute prise de décisions. Le seuil de 10 % est peut-être exagéré, mais je ne voudrais surtout pas qu'on en arrive à la situation qui prévaut au parlement israélien où des partis sont représentés, même avec 2 %. Des décisions prises par le gouvernement ont été mises en échec par la myriade de petits partis représentés au niveau du parlement.

Si l'orateur est d'accord pour que le plus grand nombre de partis puissent être représentés, l'expérience qu'il a vécue, notamment en assistant à des réunions et à des débats au parlement israélien, le porte à croire qu'il faut éviter à tout prix la représentation des petites formations à tous les niveaux.

Cela peut paraître antidémocratique, mais si l'on favorise la représentation de toutes les composantes de l'opinion publique, une certaine approche pragmatique du fonctionnement de la démocratie lui fait craindre qu'au-dessus d'un certain seuil, la représentativité n'aboutisse à un véritable éclatement en ce qui concerne la prise de décision.

La loi électorale sera modifiée. Si cette loi et la série de réformes votées sont effectivement mises en oeuvre, si les minorités bénéficient d'une réelle liberté d'expression, il est possible que les partis représentatifs d'une identité kurde puissent être représentés au-delà des 10 %. Il ne faut pas oublier que c'est essentiellement la pression exercée sur toutes les formations se revendiquant d'une quelconque représentation kurde qui empêchaient ces partis de recueillir un nombre de voix plus significatif. D'une part, l'électeur, découragé, renonçait à voter en leur faveur. D'autre part, une série d'obstacles étaient dressés lors de la campagne électorale menée par ces partis.

On devrait donc, à l'occasion de la série de réformes décidées, assister à un accroissement de la représentation qui se revendiquerait d'une identité kurde.

De toute façon, le taux de 10 % semble beaucoup trop élevé.

Notons de manière générale que l'électorat turc est d'une volatilité extrême, que le vote est très peu idéologique et essentiellement utilitaire. Nous voyons ainsi, en 1994, un parti islamique devenir le premier parti — en nombre de voix engrangées — de Turquie, à tel point que ce parti est propulsé au gouvernement. Lors des élections de 1999, ce parti perd un nombre considérable de voix, au bénéfice d'un parti qui n'avait pas atteint le pourcentage de 10 % : le Mouvement national, parti d'extrême droite ultranationaliste. Aux élections suivantes, ce même parti se voit relégué sous la barre des 10 %, de même que le Parti social démocrate, qui l'avait pourtant emporté largement. Le Parti républicain du Peuple, lui aussi social démocrate, qui enregistrait moins de 10 % en 1999, effectue une remontée en 2002 et devient le seul parti représenté.

L'électorat turc a généralement tendance à sanctionner les partis et à exprimer un vote très peu idéologique. Un parti est capable de tenir ses promesses, il peut être réélu — tel fut le cas d'Ecevit en 1999 — mais il peut aussi être complètement désavoué aux élections suivantes.

En fonction de la règle des 10 %, seul le Parti républicain du Peuple a pu être représenté, avec l'AKP, les autres partis n'étant pas présents au parlement.

Étant donné cette volatilité, qui peut faire chuter rapidement un parti sous la barre des 10 %, il serait utile, démocratiquement parlant, de ramener à 5 % le pourcentage nécessaire pour être représenté, ce qui, d'une élection à l'autre, permettrait à un éventail d'opinions politiques suffisamment représentatives de l'ensemble de la population d'être présentes au parlement.

Mme Fatma Pehlivan se demande si l'on n'oublie pas de mentionner la minorité macédonienne, les Turcs albanais et la minorité de la Mer noire. Toutes ces minorités forment la nation turque, l'ensemble des citoyens turcs. En Europe, lorsqu'on parle de la Turquie, il est toujours question de la non-représentation de la minorité kurde. Cependant, si l'on s'intéresse à la représentation politique en Turquie, on s'aperçoit que le parlement compte des membres d'origine kurde et même un président d'origine kurde. N'y a-t-il pas de contradiction entre l'image que l'on nous donne de la Turquie et les faits ?

En Europe, il y a de plus en plus de minorités ethniques et religieuses. L'oratrice appartient à l'une d'entre elles, mais elle est citoyenne belge. La discussion sur la Turquie soulève des problèmes que même l'Europe n'a pas encore pu résoudre. Les Européens devraient donc donner l'exemple et reconnaître certains droits aux minorités. Si l'Europe ne le fait pas, elle s'exposera aux critiques des pays candidats à l'adhésion. Elle souhaite connaître l'avis du professeur à ce sujet.

M. Robert Anciaux répond qu'on a généralement tendance à considérer que le problème des minorités en Turquie concerne essentiellement la minorité kurde opprimée. En réalité, les Kurdes eux-mêmes ne forment pas une entité rangée derrière le PKK, lequel représente quand même une stricte minorité. De nombreux Kurdes sont, comme vous le soulignez, parfaitement intégrés dans la république turque et se revendiquent de cette citoyenneté kurde, sans arrière-pensée. Il y a des parlementaires et des hommes d'affaires kurdes en nombre. Il semble que l'on considère le problème par le biais du PKK qui est très bien relayé, surtout dans les milieux européens. Cela nous donne une mauvaise appréhension du problème kurde.

Cela dit, la Turquie est une nation pluriethnique et pluriculturelle. En bonne démocratie, ces deux aspects doivent être reconnus et l'identité doit être admise dans le cadre d'une citoyenneté globale turque. En quelque sorte, la démocratie commanderait aux Turcs de reconnaître l'existence de cette entité, dans la mesure où elle réclame sa reconnaissance, laquelle serait un facteur d'intégration beaucoup plus fort que la poursuite de la négation. Cela n'est plus inscrit dans l'évolution d'une démocratie moderne. Il faut absolument remettre en cause la vision jacobine, homogénéisante et centralisatrice qui a cours actuellement dans l'establishment militaire et politique dominant, surtout en milieu laïque.

Certes, des minorités posent problème, notamment dans les Balkans. Le problème est général; il trouve son origine dans le démembrement anarchique de l'empire ottoman. On a créé des empires-nations à coups de sabre dans les Balkans, en arrachant des lambeaux de territoire à l'empire ottoman et on a arrêté la formation nationale de ces entités dès l'instant où les intérêts des puissances européennes et de l'empire ottoman étaient remis en cause. On a séparé des ethnies par simple opportunité politique, pour servir les intérêts bien compris des dominants. L'instabilité des Balkans n'est pas génétique; elle est née de faits et de constructions politiques qui ont été opérés en dehors de toute consultation des populations.

Si la guerre froide a contribué à geler ces problèmes, dès l'instant où la main de fer des Soviétiques a cessé de réguler la vie politique de ces régions, toutes les anciennes revendications se sont exprimées, notamment lors du démembrement de la Yougoslavie dans lequel l'Union européenne porte tout de même une responsabilité évidente.

Le problème des minorités ne peut se régler — Chypre le démontre à l'évidence — que si l'on met en oeuvre des dispositions institutionnelles qui garantissent la minorité contre la « minorisation/politique et culturelle. Or, ce n'est le cas nulle part dans les Balkans.

Quant aux problèmes des minorités, l'Union européenne devrait prendre conscience du fait qu'elle possède les siens. Le problème de l'Irlande du Nord continue à empoisonner la vie politique de l'Angleterre. Faut-il rappeler le problème basque et le problème corse ? Et que dire des manifestions régionalistes occitanes et autres, et de la constitution d'une entité catalane particulièrement dynamique en Espagne ?

Tout cela, c'est aussi le problème de la formation de l'État-nation. L'État-nation s'est formé à partir d'un postulat de base qui veut que les frontières d'un État national doivent correspondre à la présence d'une entité culturelle, ce qui n'est pas le cas en Europe occidentale et encore moins dans des régions qui sont le produit de partages opérés sans aucune consultation des populations, comme dans les Balkans et comme dans le Moyen-Orient. En fait, l'État-nation est le véritable point de départ d'un problème de reconnaissance des minorités. L'État national, au nom d'une unité conçue sur la base de l'élément culturel dominant politiquement à une certaine époque, a imposé des structures qui ne correspondent absolument pas à la réalité culturelle et ethnique des populations rassemblées au sein d'un même État. C'est au moins une chose qu'avaient pu éviter l'empire ottoman et les empires musulmans, en intégrant les minorités et en leur donnant un statut juridique. Cela, l'État-nation ne l'a jamais fait. Quand le statut juridique a été voté, c'est tout simplement parce que les rapports de force ont changé et que la réalité démographique s'est imposée aux gouvernants. Si la Turquie en arrive à reconnaître la réalité de son pluriethnisme et de sa pluriculturalité, elle aura fait un pas et résolu un problème que bien des nations européennes n'ont pas encore résolu.

Mme Fatma Pehlivan souligne que nous sommes très exigeants avec la Turquie en lui imposant des conditions auxquelles l'Europe elle-même ne satisfait pas encore.

Le président répond qu'il ne souhaite pas qu'une polémique soit entamée.

Il souhaite savoir en quoi consiste la laïcité en Turquie. En comparant avec les schémas habituels, par exemple en France, qui impliquent une séparation totale entre l'Église et l'État mais en respectant les différentes croyances, on a l'impression, à entendre les uns et les autres, qu'en Turquie, on se trouve en présence d'une laïcité assez particulière qui s'exprime par le contrôle d'une religion et par la non-reconnaissance d'autres religions.

M. Anciaux répond que la laïcité telle qu'adoptée par la Turquie a essentiellement été inspirée par le modèle français.

C'est une vision de séparation radicale entre le religieux et le politique. Dans les nations européennes à majorité catholique, la séparation de la religion et de l'État s'est généralement opérée sur la base de la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir temporel. Or, en Islam, il n'y a pas de pouvoir religieux. Il n'y a même pas de caste religieuse. L'apparition d'un élément que l'on qualifie aujourd'hui de religieux résulte de l'implantation de la laïcité. C'est en quelque sorte l'implantation de la laïcité qui, dans les pays musulmans, a créé les « curés ». Ceux-ci forment le personnel religieux qui constitue le reliquat des anciens docteurs de la loi musulmans, lesquels avaient essentiellement un rôle de théologiens juristes et non de personnel religieux au sens strict du terme. Ainsi, lorsqu'un pays musulman comme la Turquie impose la laïcité et la séparation entre le religieux et le politique, il doit, en l'absence d'un clergé et d'une autorité religieuse, faire contrôler le temporel du culte et l'organisation de la religion dans l'État par un organisme d'État, ce qui est assez contradictoire avec la vision de la laïcité stricto sensu.

On a donc en quelque sorte créé, dans le prolongement de l'Empire ottoman, un ministère ou un secrétariat d'État aux affaires religieuses. Et c'est effectivement l'État laïque qui contrôle le fonctionnement du religieux. Il s'agit donc d'une laïcité qui a emprunté les termes de sa définition au modèle européen et, notamment, au modèle français.

Il faut distinguer deux phénomènes : d'une part, la laïcité d'État et, d'autre part, la sécularisation de la population qui constitue un problème d'évolution interne de la société turque. Or, si la laïcité à la française est de plus en plus remise en question en Turquie, notamment dans le prolongement d'une démocratisation de la vie politique, la sécularisation de la société constitue une réalité.

Lors d'une enquête que nous avons menée avec des universités turques, nous avons remarqué que 12 % des électeurs qui avaient voté pour le parti de la prospérité qui avait participé au pouvoir jusqu'en 1997, l'avaient fait en raison des orientations religieuses de ce parti. Et, parmi ces 12 %, on constatait encore des nuances quant à l'adhésion à ces valeurs religieuses. Les autres électeurs votaient pour ce parti en raison de son programme social et par réaction contre des partis traditionnels laïques, ceux-ci n'ayant pas satisfait les revendications de l'ensemble des électeurs. Il faut donc être très prudent lorsque l'on parle de montée de l'islam et du religieux. Ce n'est peut-être pas tout à fait faux mais il est largement exagéré de dire que les 34 % qu'a obtenus le parti de la justice et du développement sont dus à la résurgence du sentiment religieux. Actuellement, nous tentons de monter une enquête avec l'université de Galatassaray et l'université de Marmara. Il est probable que nous constaterons que le pourcentage de l'électorat votant pour des raisons religieuses est encore inférieur à ces 12 %.

4.2. Exposé de M. Erkan Gezer

La place géographique de la Turquie lui a attribué un rôle exceptionnel et géopolitiquement très important. Cette situation lui a permis et continue à lui permettre d'être le lieu où se réalisent les échanges et les contacts entre l'Asie et le Moyen-Orient avec l'Europe. Située au carrefour des deux continents, la Turquie occupe une position géographique singulière et joue un rôle de catalyseur vis-à-vis de l'Europe pour plusieurs régions de son entourage telles que les Balkans, la Méditerranée, la Mer noire, le Caucase, le Moyen-Orient et l'Asie centrale. En ce sens, la Turquie non seulement fait partie de l'Europe mais elle est la source de l'héritage culturel et historique de la civilisation européenne. Elle est le conservateur d'un riche patrimoine du fait de sa situation géographique. L'Anatolie a été le berceau de nombreuses civilisations et cultures au cours des millénaires. Ainsi l'Asie mineure est-elle un des noyaux les plus connus de la civilisation occidentale. Les civilisations grecque et romaine, considérées comme les piliers de la civilisation européenne, ont atteint leur apogée en Anatolie. La Turquie est dès lors la gardienne et l'héritière de toutes les civilisations qui ont vécu sur son territoire, des Hittites à Byzance. Le président M. Jacques Chirac a d'ailleurs souligné il y a quelques jours le fait que la Turquie avait sa place en Europe en disant : « Nous sommes tous les enfants de Byzance ». Cette réalité ne peut être discutée ni sur le plan historique ni sur celui de la civilisation.

Par ailleurs, les Turcs ont joué un rôle important dans l'histoire de la civilisation européenne et ont aussi pris une place dans la formation du concert européen sous l'empire ottoman.

Il faut aussi noter que les réformes des années 1839, 1856 et de 1909, qui ont été réalisées dans l'empire ottoman sur la base des idées libérales européennes, donnaient une grande marge de liberté et de démocratie à la vie quotidienne de la population.

Quant à la République de Turquie, elle s'est orientée, sous la présidence d'Atatürc, vers la modernité, vers l'Europe. L'objectif était de prendre place dans l'architecture européenne. Ainsi la Turquie est devenue membre de toutes les organisations européennes régionales ou internationales telles que l'OTAN, le Conseil de l'Europe, l'OSCE et OSCDE.

L'engagement historique du Général de Gaulle et du chancelier Adenauer en 1963 proposant un accord d'association qui soulignait la vocation européenne de la Turquie n'était pas le premier pas dans ce domaine. En effet, en 1959, le gouvernement turc avait déjà fait sa demande d'adhésion à la Communauté économique européenne.

Depuis la signature de l'accord d'Ankara en 1963 visant à l'adhésion définitive de la Turquie à l'Union européenne, notre pays progresse depuis plus de 40 ans vers un objectif de modernité. En 1987, à la suite de sa demande officielle faite dans le cadre de l'article 237 du Traité de Rome visant les pays européens désirant être membres de l'Union européenne, la Turquie a été acceptée comme futur adhérant. À la suite de l'union douanière conclue en 1996, la Turquie est aussi devenue le pays non membre le plus étroitement associé à l'Union européenne.

Les décisions du Conseil européen relatives à l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne, dont les plus importantes sont celles des sommets d'Helsinki et de Copenhague en décembre 1999 et en 2002, ont fourni une nouvelle perspective à l'évolution des relations entre la Turquie et l'Union européenne. Effectivement, le Conseil européen d'Helsinki a conféré à la Turquie le statut de candidat officiel à l'adhésion en soulignant que ce pays a comme vocation de rejoindre l'Union sur la base des critères appliqués aux autres pays candidats.

En outre, le Conseil européen de Copenhague a décidé que si, en décembre 2004, il juge, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrira sans délai des négociations d'adhésion avec ce pays. Depuis l'ouverture des perspectives d'adhésion de la Turquie en 1963, cet engagement de l'Europe n'a jamais été remis en question.

Enfin, dans son rapport du 6 octobre, la commission de l'Union européenne a recommandé de commencer les négociations d'adhésion avec la Turquie en précisant que celle-ci a déjà suffisamment répondu aux critères de Copenhague. Dans ce contexte, la décision du Conseil du 17 décembre prochain sera un choix stratégique qui permettra soit de poursuivre l'évolution naturelle dans la stabilité et la bonne voie de la relation stratégique et multidimensionnelle que l'on a su développer depuis 40 ans au prix d'efforts considérables, soit de prendre le risque de voir dérailler cette évolution sans que l'on puisse prévoir quels dommages seront causés aux parties.

L'une des principales valeurs du droit international et de l'Union européenne est sans doute le principe pacta sunt servanda. C'est pourquoi, le 17 décembre 2004, le peuple turc testera la sincérité et la crédibilité de l'Union européenne. Nous avons largement mérité l'adhésion. Dès lors, si la décision n'était pas prise après les négociations ou si des formules intermédiaires étaient présentées, cela provoquerait une grande déception dans l'ensemble de notre société et une cassure avec l'Union européenne qui risquerait d'être irréparable.

Cette décision n'intéresse pas seulement la Turquie et l'Union européenne, mais aussi l'opinion publique internationale, en raison de l'identité sociopolitique singulière et de la position géostratégique exceptionnelle de la Turquie. Par conséquent, la décision du Conseil européen d'ouvrir des négociations lors du premier semestre de l'année 2005 renforcera la confiance envers l'Union européenne. Cela donnera également un nouvel élan au gouvernement et à la population turcs pour poursuivre, avec l'Union européenne, leur objectif irréversible de consolider les réformes politiques, économiques et sociales.

L'ouverture des négociations ne signifie pas, en effet, que l'adhésion doit s'effectuer immédiatement. La durée des négociations dépendra naturellement du temps nécessaire à la Turquie pour s'aligner sur l'acquis communautaire et le standard de l'Union européenne dans tous les secteurs. Pour cette raison, il serait erroné de créer une atmosphère de confusion dans l'esprit des gens sur la date d'ouverture des négociations et d'adhésion de la Turquie, comme membre à part entière, à l'Union européenne.

Des réformes politiques de grande ampleur et de nature révolutionnaire ont été réalisées dans notre pays au cours de ces dernières années. Ces réformes se composent d'amendements constitutionnels et législatifs d'envergure qui renforcent et garantissent les droits et libertés individuels, la démocratie, la suprématie du droit et le respect des droits de l'homme.

Par ailleurs, dans ces domaines, diverses conventions internationales ont été ratifiées et signées.

Le parlement turc a voté le paquet d'amendements le plus important de son histoire, modifiant ainsi plus d'un tiers des 177 articles de sa Constitution. Un nouveau code civil est entré en vigueur. Le nouveau code pénal approuvé par le parlement entrera en vigueur le 1er avril 2005.

Entre février 2002 et mai 2004, huit paquets de réformes ont été approuvés par le parlement. De même, de nombreuses autres lois — décrets, règlements et circulaires — visant à mettre en oeuvre ces réformes ont été adoptées.

Les amendements constitutionnels, le nouveau code civil, le nouveau code pénal ainsi que les paquets de réformes ont modifié la législation existante pour renforcer la démocratie et les droits de l'homme, pour réformer le système pénitentiaire, pour abolir la peine capitale, pour garantir davantage le droit à la vie privée, l'inviolabilité du domicile, la liberté de communication, la liberté d'établissement et de circulation; pour accroître la sécurité de l'individu, la liberté d'opinion et d'expression, la liberté de la presse, la liberté d'association, de réunion et de manifestation; pour étendre la liberté de conviction, ce qui permettra notamment aux communautés religieuses non musulmanes d'acquérir, de vendre et de disposer de biens immobiliers, de construire et d'entretenir des lieux de culte; pour promouvoir les droits économiques et sociaux ainsi que les droits culturels en initiant l'enseignement de la diffusion audiovisuelle des langues et des dialectes autres que le turc, utilisés par les citoyens dans leur vie quotidienne; pour consolider l'égalité des sexes ainsi que la protection des enfants et des personnes vulnérables et renforcer la société civile; pour aligner les relations entre les pouvoirs civil et militaire concernant les pratiques européennes; pour améliorer le fonctionnement de la justice; pour lutter contre la corruption.

En outre, une tolérance zéro a été instituée en ce qui concerne la torture et l'impunité de cet acte. À cet égard, la législation et les mesures administratives relatives à la prévention de la torture et des mauvais traitements ainsi que la poursuite des agents publics soupçonnés de ces faits et les peines encourues ont été renforcées.

La majorité du peuple turc soutient l'adhésion à l'Union européenne. Cela met également à jour son désir de transformation, dans le cadre d'une démocratie contemporaine laïque, avec toutes ses institutions et ses règles basées sur l'économie de marché, les droits de l'homme et l'État de droit.

L'orateur présente les avantages et les apports de la Turquie à l'Union européenne en cinq grands chapitres.

Premier chapitre : l'adhésion de la Turquie aidera l'Union européenne à devenir un acteur global. Les avantages de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne sont intimement liés à la vision future de l'Union européenne. La Turquie contribuera non seulement au maintien de la paix et à la sécurité en Europe, mais aussi à la diffusion des valeurs européennes dans notre région et au-delà. L'adhésion de la Turquie ne servira pas seulement à propager les valeurs européennes dans la région. Elle oeuvrera également comme catalyseur pour l'Europe, afin d'établir des relations renforcées avec les pays de la région. La Turquie contribuera de manière importante à la transformation de l'Union européenne, d'une organisation régionale à l'influence globale limitée, en un acteur global capable de résoudre les problèmes mondiaux, en se servant de ses moyens économiques, diplomatiques et militaires.

Sa localisation au centre de l'Eurasie fait de la Turquie un pays clé, ayant des liens étroits avec la Méditerranée orientale, les Balkans, le Caucase, l'Asie centrale, le Moyen-Orient.

La Turquie possède le savoir historique et culturel, une position stratégique et une influence qui peut contribuer positivement à l'élaboration des politiques de l'Union européenne pour ces régions.

La découverte d'une des plus importantes réserves de pétrole et de gaz naturel du monde dans la région caspienne a encore augmenté l'importance stratégique de la Turquie. Quand la construction de l'oléoduc Bakou-Ceyhan sera achevée, la Turquie aura une place centrale sur la route d'acheminement de ses ressources sur les marchés occidentaux.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, la Turquie entretient des relations étroites et spéciales avec Israël, depuis sa fondation. Par ailleurs, les relations de la Turquie avec les pays arabes dont elle partage la religion et une histoire de plus de 500 ans se sont développées davantage après la guerre froide. La Turquie est le seul pays auquel les Israéliens et les Palestiniens accordent une confiance égale dans le contexte du conflit du Moyen-Orient. La récente guerre en Irak et l'attitude de la Turquie face au développement a, une fois de plus, prouvé l'importance stratégique de la Turquie.

Deuxième chapitre : l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne contribuera à la paix et à la stabilité des régions voisines de l'Union européenne. Selon les données de l'Otan, treize ans de conflits ou de conflits potentiels se trouvent à la périphérie de la Turquie.

La Turquie a toujours été considérée comme un élément de stabilité dans cette région grâce à son régime laïque démocratique, sa structure stable et sa puissance militaire. La Turquie possède une grande expérience tant en matière de reconstruction des régions en crise que dans la prévention des conflits régionaux. Les forces turques ont participé à toutes les opérations internationales de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Albanie, au Moyen-Orient et en Géorgie. La Turquie a pris le commandement de la FIAS, la Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan de la Grande-Bretagne et remplit avec succès cette tâche difficile.

Troisième chapitre : l'Occident et le monde islamique se réuniront avec l'adhésion de la Turquie. L'adhésion à l'Union européenne de la Turquie, qui a une population à grande majorité musulmane, contribuera largement à établir un pont entre l'Occident et l'islam. L'entrée de la Turquie comme membre à part entière prouvera que les différences culturelles peuvent coexister et que l'islam et la modernité peuvent être compatibles et engendrer une réponse efficace de l'Occident au conflit chrétien-musulman. Un tel développement démontrera que les chrétiens et les musulmans peuvent vivre ensemble, dans une même union économique et politique. L'adhésion de la Turquie mettra fin aux critiques selon lesquelles l'Union européenne est un club chrétien et aux accusations d'assimilation, aidant ainsi l'union à aboutir à des valeurs universelles. De plus, l'adhésion de la Turquie aura un impact favorable sur l'opinion du monde islamique concernant l'Europe en général et l'Occident en particulier.

Quatrième chapitre : l'adhésion de la Turquie renforcera la volonté de notre pays d'orienter la communauté musulmane vivant en Europe à trouver une interprétation moderne de l'islam. L'islam est devenu une réalité de l'Europe, où résident désormais plus de dix millions de musulmans. Garder cette population loin des tendances radicales du fondamentalisme islamique n'est réalisable que si on lui offre un modèle dans lequel l'islam et la modernité peuvent coexister.

Cinquième chapitre : l'adhésion de la Turquie apportera une contribution économique importante à l'Europe. En se fondant sur des données récentes, on estime que dans 20 à 25 ans, la population turque se stabilisera aux alentours de 80 à 85 millions et que le revenu national per capita dépassera 10 000 dollars US. En d'autres termes, la Turquie prendra sa place dans l'Europe comme un grand marché potentiel exceptionnel, jeune et dynamique. Ce grand marché, qui deviendra plus prospère et adaptera son infrastructure à celle de l'Union européenne avec l'augmentation des flux d'investissements étrangers une fois son adhésion conclue, contribuera davantage au pouvoir économique de l'Union européenne. En ce qui concerne le commerce, qui est à la base de l'économie européenne, l'adhésion de la Turquie ajoutera une population de 70 millions qui a une grande tendance à consommer. L'intégration complète de la Turquie à l'Union européenne constituera un avantage important pour l'Europe dans l'environnement compétitif mondial et lui donnera un atout parmi d'autres acteurs économiques du monde.

La contribution économique de la Turquie à l'Union européenne ne se limitera pas à son propre potentiel économique mais s'étendra à la géographie stratégique de sa région. La Turquie se trouve au carrefour de parcours importants d'énergie, de transports et de communications qui ne cessent d'augmenter, attachant l'Orient à l'Europe.

S'engageant à jouer un rôle prépondérant en matière de commerce extérieur dans son espace géographique, la Turquie contribuera ainsi à l'ouverture de l'Union européenne à ce marché ainsi qu'à l'apport de matières premières et de produits semi-finis qui sont d'une importance vitale pour l'économie européenne. Avec plus de 80 000 maisons de commerce en leur possession, les entrepreneurs turcs résidant dans l'Union européenne se sont affirmés sur plusieurs marchés. À l'avenir, ils acquerront une plus large capacité de création d'emplois et de production avec l'aide et les moyens qu'apportera l'adhésion. Contrairement aux pays de l'Union européenne qui sont confrontés au vieillissement de leur population, la Turquie possède une population dynamique et jeune. De ce point de vue aussi, l'adhésion de notre pays changera positivement la structure démographique de l'Union européenne.

La Turquie soutient la construction d'une Europe forte pouvant être à la hauteur de tous les enjeux du monde et apte à relever des défis de tous ordres. Elle est prête à apporter une contribution singulière dans ce contexte car elle en a la capacité. Nous soutenons l'organisation, dans les pays de l'Union européenne, de débats sur l'adhésion de la Turquie en évitant que ce thème soit utilisé sous le prétexte de la politique intérieure. La Turquie et les avantages qu'elle peut apporter à l'Union européenne souffrent d'un déficit d'image auprès de l'opinion publique européenne. Bien que la décision, au stade de l'ouverture des négociations, n'appartienne qu'aux gouvernements, nous sommes conscients qu'il serait également important de combler cette lacune avec la collaboration des parlements nationaux et de la population des pays membres de l'Union européenne.

Pour conclure, l'oratrice répète qu'on attend du Conseil européen qu'il ouvre les négociations d'adhésion après avoir fixé une date nette et précise au cours du premier semestre de 2005.

Échange de vues

M. Lionel Vandenberghe relève qu'au cours des auditions, le décalage qui existe en Turquie entre les prescriptions légales et les faits a été évoqué à plusieurs reprises. Les lois et les réformes ont été votées mais elles doivent encore être mises en oeuvre dans tout le pays. Il reste du pain sur la planche.

L'ambassadeur a souligné que le problème des minorités en Turquie doit être abordé de manière rationnelle et non émotionnelle. C'est ce qu'a fait le professeur Anciaux dans son exposé sur la question.

Les récentes réformes ont accordé des droits limités à la communauté kurde en Turquie. Je citerai une offre limitée de programmes de radio et de télévision en langue kurde ainsi que la possibilité d'organiser un enseignement privé en kurde, un problème que les Flamands connaissent par expérience. Nous savons ainsi que l'émancipation culturelle suppose bien davantage. Aussi, il souhaite savoir si la Turquie est prête à insérer dans la constitution la reconnaissance de la langue et de la culture de sa population kurde et à veiller à ce que la langue kurde ait sa place dans l'enseignement officiel. En Flandre, ce n'est qu'à partir de 1930 que le néerlandais a commencé à être utilisé dans l'enseignement universitaire de l'État. Par ailleurs, comment l'ambassadeur envisage-t-il le retour des 380 000 Kurdes qui ont quitté leur village volontairement ou sous la contrainte ?

L'ambassadeur a évoqué la réforme de la loi pénale votée par le parlement turc le 26 septembre 2004. L'article 305 de cette loi dispose que les activités contraires aux intérêts nationaux fondamentaux sont punissables. Une peine d'emprisonnement de trois à six ans est même prévue. L'exposé des motifs précise que le fait d'émettre des critiques concernant la présence militaire turque à Chypre ou le génocide du peuple arménien constitue un motif d'aggravation de la peine.

L'application de cet article paraît aller à l'encontre des conventions internationales et européennes relatives aux droits de l'homme. L'ambassadeur peut-il préciser l'objectif de l'article 305 ? Quelles garanties a-t-on qu'il ne sera pas utilisé pour museler des dissidents ?

Une autre question concerne l'Arménie. Les relations entre la Turquie et l'Arménie sont loin d'être excellentes. La frontière entre les deux pays est fermée depuis 1993 à la suite du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au sujet du Nagorno-Karabakh. La situation est à nouveau stable dans la région, mais il semble que la Turquie garde la frontière fermée comme mesure de répression à la suite des tentatives arméniennes d'amener la communauté internationale à discuter de la question du génocide turc contre le peuple arménien. L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ferait de cette frontière une frontière européenne. Sa question est donc pertinente. De plus, il existe des relations économiques importantes entre l'Europe et l'Arménie. L'ambassadeur peut-il expliquer pourquoi la frontière avec l'Arménie est toujours fermée et pour quelle raison la Turquie n'a pas donné suite à la demande de l'Union européenne d'ouvrir cette frontière ?

M. Marc Van Peel estime qu'il y va, dans ce débat, de la crédibilité des institutions européennes. C'est toutefois à un autre type de crédibilité des institutions européennes que nous devons veiller en tant que Parlement national, au même titre que le Parlement européen. Si une date est rapidement fixée pour le lancement des négociations, une différence risque d'apparaître entre le pays légal et le pays réel, situation que M. Vandenberghe a évoquée en parlant de la Turquie. L'orateur fait référence à la situation de la Belgique et de l'Europe.

Le rapprochement avec la Turquie et les pourparlers sur l'adhésion sont à l'ordre du jour de l'Europe et des institutions depuis plusieurs années et commencent à être envisagés par l'opinion publique, avec toutes les questions qui s'ensuivent. L'ambassadeur a parlé d'un processus éducatif dans l'opinion publique, ce qui amène l'orateur à se demander si l'on peut se permettre d'annoncer dès à présent à l'opinion publique une date pour le début des négociations d'adhésion. Cette annonce serait en effet inévitablement perçue comme une décision d'adhésion, seule la date restant à déterminer. Pour l'ambassadeur, il est évident, tant sur le plan géographique que culturel et historique, que la Turquie fait partie de l'Europe, mais la majeure partie de notre opinion publique ne pense pas comme lui. Le vocabulaire que nous employons est significatif. Nous parlons de l'Asie mineure. Ce que nous avons appris à l'école sur les frontières de l'Europe fait partie de notre conscience collective. Nos liens amicaux avec la Turquie font que les meilleures relations possibles dans tous les domaines ne nous ont jamais posé de problème, mais l'adhésion à l'Union européenne pose un problème de perception. Est-il si judicieux de fixer rapidement une date pour le début des négociations. Ne devons-nous pas d'abord laisser agir le processus éducatif dans l'opinion publique ?

Le membre redoute en outre que la discussion sur la Constitution européenne n'interfère de manière irrationnelle avec ce débat. La France a beaucoup de mal à séparer les deux. On est en droit de se demander s'il ne vaudrait pas mieux que la Constitution européenne soit d'abord ratifiée partout. Même si les deux questions n'ont rien à voir l'une avec l'autre, les adversaires de l'adhésion de la Turquie feront du référendum sur la Constitution européenne un référendum sur l'adhésion de ce pays. Il doute donc des résultats d'un référendum sur la Constitution. Il craint même que beaucoup disent « non ». Qu'en pense l'ambassadeur ?

M. Erkan Gezer répond qu'il n'existe pas de minorité kurde en Turquie. Telle est la position officielle, mais même les Kurdes de notre pays n'acceptent pas d'être considérés comme une minorité. Ils possèdent les mêmes droits que les Turcs. Un tiers des membres de notre parlement sont d'origine kurde. Des ministres sont kurdes, comme l'étaient un ministre des Affaires étrangères et un président du parlement. Il n'existe donc aucune différence entre les Kurdes et les Turcs. Nous avons les mêmes droits et les mêmes responsabilités.

En ce qui concerne la langue, M. Vandenberghe a donné l'exemple de la partie flamande de son pays et souligné que sa création a pris du temps. Nous avons commencé les réformes voici deux ans. L'important n'est donc pas de prendre les décisions mais de les appliquer. Dans un pays comme la Belgique, cette question a pris beaucoup de temps. Ce sera également le cas en Turquie.

En ce qui concerne le retour de nos concitoyens dans les villages désertés, nous travaillons avec les organisations internationales, comme l'ONU, pour préparer ce retour en construisant les immeubles nécessaires dans les villages détruits. Un tiers de la population dont vous avez essayé de donner le nombre est déjà retourné dans son village. Ces villages ont été visités par le commissaire Verheugen avant la rédaction de son rapport. L'orateur ne dit pas que cette question importante est complètement réglée mais elle est en voie de résolution : on rendra à ces personnes leurs maisons et leurs villages.

Il faut bien lire l'article 305 du code pénal. M. Vandenberghe a souligné certaines définitions mais elles ne sont pas dans l'article 305. Cet article est d'ailleurs la copie d'un article identique du code pénal français. On peut facilement le constater en lisant attentivement cette disposition.

Il convient aussi d'aborder la question de l'Arménie, de la fermeture des frontières, et du soi-disant génocide. L'orateur souligne que la Turquie a été l'un des premiers pays à reconnaître l'Arménie. Nous étions prêts à tout régler. Nous avons beaucoup de relations avec les autorités arméniennes mais aussi avec la population arménienne. Il y a au moins chaque semaine une dizaine de charters qui atterrissent à Istanbul, avec des Arméniens qui viennent y faire du commerce. C'est une affaire qui continue. Ce n'est pas nous qui avons refusé d'ouvrir les frontières. Ce sont les Arméniens qui n'acceptent pas les frontières actuelles. L'orateur possède à ce sujet deux documents essentiels. Le premier est la Déclaration de l'indépendance. Il la lit :

« The Republic of Armenia stands in support of the task of achieving international recognition of the 1915 genocide in Ottoman Turkey and western Armenia », notre territoire. Si l'Arménie demande des territoires turcs, la frontière sera fermée. Il n'y a pas d'alternative.

Le deuxième document est la constitution arménienne. L'article 13 est libellé comme suit : « The coat of arms of the Republic of Armenia depicts in the centre, on a shield, Mount Ararat. » Le mont Ararat est situé en Turquie. Si les Arméniens revendiquent un territoire, la frontière sera fermée.

En ce qui concerne le génocide, nous proposons la création d'une commission.

Nous avons proposé la création d'une commission d'historiens. Cette proposition a été rejetée. Nous avons, ensuite, suggéré la création d'une commission totalement neutre, tout en précisant que la Turquie en accepterait les conclusions. Cette proposition a également été rejetée.

Au sujet de la date, comme l'orateur l'a indiqué dans son exposé, il est erroné de considérer que le début des négociations signifie une adhésion immédiate de la Turquie à l'Union européenne. Le processus durera au moins dix ans. Nous verrons quelle sera l'évolution de la Turquie, mais si, à la fin de cette période, celle-ci réunit les conditions nécessaires à son adhésion, personne ne pourra s'y opposer, qu'un référendum soit ou non organisé. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne. D'ailleurs, un référendum n'a pas de valeur sur le plan politique. L'essentiel — les gouvernements doivent prendre la décision pour le 17 décembre — est de permettre aux négociations de commencer.

M. Marc Van Peel répond qu'il voudrait simplement signaler à l'ambassadeur que l'Union européenne peut aussi être confrontée à un déficit démocratique. Étant donné tout ce qui a déjà été accompli pour aller vers l'adhésion, il comprend que l'opinion publique turque s'attende à ce qu'une nouvelle étape soit franchie, mais l'opinion européenne a une autre perception des choses. Elle considère les étapes franchies en vue d'une adhésion éventuelle comme une décision prise à son insu et se demande où situer les frontières extérieures de l'Union. L'ambassadeur déclare que tous les pays méditerranéens qui répondent à l'acquis communautaire et aux critères de Copenhague peuvent logiquement adhérer à l'Union européenne. Il comprend ce raisonnement, mais c'est aller beaucoup trop loin dans le cadre de la relation entre l'Union européenne et ses citoyens.

M. Erkan Gezer répond que les frontières de l'Europe sont déjà bien délimitées, si l'on en croit le rapport de la Commission en ce qui concerne The neighbourhood policy, selon lequel les pays qui se trouvent au sein des frontières de l'Union européenne auront avec elle une relation particulière. Apparemment, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, les pays de l'ouest balkanique, ainsi que la Croatie, n'en font pas partie. C'est une décision du Conseil et des chefs d'État et de gouvernement. Il leur appartient de juger s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise position. La décision n'est pas neuve et cette question n'est pas de sa compétence.

M. Lionel Vandenberghe répond qu'il comprend que ses questions apparaissent très sensibles à l'ambassadeur, mais il lui paraît essentiel de mener un dialogue ouvert à ce sujet. M. Van Peel a déjà souligné à quel point l'adhésion de la Turquie constituait un thème sensible pour notre opinion publique.

L'expérience que nous avons vécue avec le néerlandais nous apprend que des progrès ne peuvent être réalisés que si la langue est officiellement reconnue dans la Constitution.

III. RECOMMANDATIONS

1. Considérant la demande d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne déposée le 12 avril 1987 conformément à l'article 49 du Traité sur l'Union européenne;

2. rappelant les critères d'adhésion, dits « critères de Copenhague », qui s'adressent à tous les États qui désirent adhérer à l'Union européenne, adoptés le 22 juin 1993 :

« L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection, l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. L'adhésion présuppose la capacité du pays candidat à en assumer les obligations et notamment à souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire.

La capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration constitue également un élément important répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats. »;

3. rappelant la décision du 13 décembre 1999 du Conseil européen de Helsinki (point 12 des conclusions du Conseil) d'accorder à la Turquie le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne et de mettre en place un partenariat d'adhésion ainsi qu'un cadre financier unique pour aider la candidature de la Turquie à progresser en conformité avec les critères d'adhésion de Copenhague analogues à ceux qui ont été réclamés aux autres pays demandeurs lors de l'élargissement de l'Union du 1er mai 2004;

4. rappelant les conclusions du Conseil de Copenhague du 13 décembre 2002 (point 19) : « L'Union encourage la Turquie à poursuivre énergiquement son processus de réforme. Si, en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrira sans délai des négociations d'adhésion avec ce pays. »;

5. considérant le rapport régulier 2004, sous réserve de la mise en vigueur par la Turquie de la législation en suspens, de la commission européenne sur les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion, publié le 6 octobre 2004; rapport dans lequel la commission considère que la Turquie satisfait suffisamment aux critères de Copenhague et dans lequel elle recommande par conséquent au Conseil européen l'ouverture des négociations d'adhésion;

6. considérant la communication de la Commission au Conseil du 26 mars 2003 relative au renforcement de la stratégie de préadhésion pour la Turquie (COM(2003) 144); rappelant que la Commission présentera au Conseil européen une révision du partenariat d'adhésion et une stratégie de préadhésion améliorée au printemps 2005;

7. considérant la résolution du Parlement européen du 21 octobre 2004 sur le rapport régulier 2004 et la recommandation de la Commission européenne concernant les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion (2004/2182);

A. les réformes politiques :

8. constatant les nombreuses réformes adoptées souverainement par la Turquie soulignant la motivation et la volonté politique du gouvernement et de la majorité parlementaire turque d'appliquer des réformes afin de satisfaire aux critères politiques et économiques de Copenhague;

9. insistant pour que l'ensemble de ces réformes soient transposées effectivement dans la réalité politique, sociale et économique de la Turquie, à tous les niveaux de pouvoir et sur l'ensemble du territoire, avec une attention particulière et accrue pour le système judiciaire et policier, et pour la protection des minorités;

10. estimant par conséquent qu'il importe de renforcer toutes les mesures à caractère politique et culturel qui sont de nature à mieux familiariser les citoyens turcs aux valeurs et aux objectifs de l'Union européenne;

11. rappelant que la Turquie bénéficie, pour élaborer et mettre en oeuvre toutes ces réformes, de l'appui politique, de l'aide technique et financière des institutions européennes et des États membres;

12. estimant que les changements constitutionnels repris dans sept paquets d'harmonisation apportent des modifications si fondamentales qu'elles exigent l'élaboration d'une nouvelle constitution explicitement fondée sur les valeurs démocratiques, les principes de l'État de droit et de la bonne gouvernance, sur un équilibre entre les droits individuels, les droits des minorités et les droits collectifs conformément aux normes en vigueur dans l'Union européenne et sur le respect du droit international;

B. les réformes économiques et sociales :

13. considérant que la Turquie a un taux de revenu par habitant relativement bas, une économie dont la structure et la compétitivité n'atteignent pas encore le niveau des États membres de l'Union européenne;

14. considérant la place de la Turquie dans l'économie européenne : 53 % des exportations de la Turquie s'effectuent vers l'Union européenne; la Turquie se trouve au sixième rang des pays importateurs de produits européens; l'Union européenne est le premier investisseur en Turquie;

15. rappelant que la Turquie est le seul pays, avec Andorre, à avoir conclu un accord d'union douanière avec l'Union européenne;

16. considérant que pour optimiser l'impact de l'union douanière, il est nécessaire que la Turquie poursuive, d'une part, des efforts législatifs additionnels dans le domaine de la concurrence, des douanes et de monopoles d'État, dans l'organisation des structures administratives de gestion et, d'autre part, le démantèlement des derniers obstacles aux échanges;

17. encourageant le gouvernement turc à poursuivre des réformes structurelles afin de démanteler progressivement les subventions d'État, de mettre en oeuvre une politique de modernisation industrielle et de promotion des PME, d'accélérer les privatisations, d'assurer la performance et la santé financière des services publics accessibles à tous, de renforcer les règles d'un marché libre et accessible à tous en portant une attention particulière aux mécanismes d'évaluation de la conformité et de la surveillance du marché ainsi que des institutions chargées d'assurer la sécurité et la spécification de l'ensemble des produits manufacturés;

18. rappelant au gouvernement turc la nécessité de combler rapidement les lacunes législatives dans les domaines du droit du travail, de l'égalité de traitement hommes/femmes (comme le requièrent les articles 11 et 12 de la directive sur l'égalité entre les races (1) et les articles 13 et 14 de la directive sur l'égalité de traitement en matière d'emploi (2)), de la lutte contre les discriminations, de la protection de la sécurité et de la santé au travail, de l'insertion et de la sécurité sociales, du droit de grève et des négociations collectives, des droits des syndicats définis par l'OIT, de l'information et de la consultation des travailleurs;

19. rappelant l'importance déterminante, pour assurer le succès des réformes socio-économiques, d'un dialogue dense et constructif entre les partenaires sociaux, dont les droits respectifs doivent être reconnus et confortés;

20. insistant fermement pour que la Turquie intensifie la lutte contre le travail des enfants;

21. invitant la Turquie à accélérer les efforts qu'elle entreprend pour développer une politique nationale de l'emploi conforme à la stratégie européenne pour l'emploi;

22. estimant que le secteur agricole turc doit encore connaître, indépendamment de la question de l'élargissement, de vastes réformes;

C. les réformes judiciaires, les services de police et le système carcéral :

23. considérant toute la nécessité de poursuivre les efforts afin de bâtir un pouvoir judiciaire compétent, indépendant, impartial et accessible à tous;

24. considérant que les progrès effectués jusqu'à maintenant ne doivent pas occulter les améliorations significatives encore nécessaires pour garantir l'équité de la procédure judiciaire, changer les mentalités et le comportement au sein de la magistrature; rappelant l'importance d'assurer une formation en droit communautaire pour l'ensemble du personnel judiciaire;

25. encourageant le gouvernement et la Grande Assemblée turque à adopter et à mettre en vigueur rapidement la loi sur les associations et les fondations, le nouveau code pénal, la loi sur les cours d'appel intermédiaires, le code de procédure pénale, la législation créant la police judiciaire, la loi sur l'exécution des peines et des mesures;

26. jugeant de façon positive l'abolition des cours de sécurité de l'État; attendant avec intérêt les propositions de remplacement élaborées par le gouvernement turc;

27. constatant que la torture et les mauvais traitements ont toujours cours et que les tortionnaires jouissent souvent de l'impunité et rappelant l'engagement pris par le gouvernement turc d'éradiquer définitivement la torture à tous les niveaux et sous toutes ses formes (tolérance zéro);

28. insistant sur la nécessité de renforcer les contrôles indépendants dans les commissariats et les prisons, de consentir des efforts en matière de formation pour faire évoluer les mentalités des agents et des forces de l'ordre afin d'assurer le strict respect du droit;

29. encourageant à faire évoluer l'administration pénitentiaire afin d'améliorer les conditions de vie dans les prisons, qui restent souvent très peu satisfaisantes, et à ne pas pratiquer l'isolement pour les prisonniers;

30. dénonçant les fréquentes violences sexuelles et les viols perpétrés par des agents de sécurité de l'État sur des femmes détenues; les femmes d'origine kurde et les femmes dont les convictions politiques sont jugées inacceptables par les autorités ou les militaires sont particulièrement exposées à ces violences;

31. soulignant la nécessité de fournir une assistance technique et financière à la Turquie afin qu'elle puisse exercer un contrôle rigoureux de ses frontières extérieures dans l'optique de la lutte contre l'immigration illégale et le trafic d'êtres humains;

32. encourageant vivement la Turquie, les États membres et les organes judiciaires et policiers compétents de l'Union à collaborer afin de lutter contre le trafic de drogues; saluant l'adhésion de la Turquie à la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime;

33. invitant la Turquie à s'engager sans délai dans un processus d'adhésion aux statuts de la Cour pénale internationale; rappelant que la Turquie est le seul pays membre du Conseil de l'Europe à ne pas encore avoir signé ce traité;

34. encourageant le gouvernement turc à lutter contre la corruption qui met en danger le bon fonctionnement de l'État de droit;

D. les réformes de l'administration :

35. considérant que le gouvernement doit utiliser les différents moyens à sa disposition pour améliorer l'administration nationale;

36. encourageant la formation des fonctionnaires en matière de droit européen et de sa mise en oeuvre;

37. proposant l'instauration d'une unité antifraude coopérant avec les services correspondants de l'Union européenne; accueillant favorablement l'arrivée de la Turquie au sein du GRECO (groupe d'États contre la corruption du Conseil de l'Europe);

E. le rôle de l'armée :

38. insistant auprès du gouvernement turc et du Parlement afin qu'ils assurent un contrôle civil sur toutes les activités des forces de sécurité (police et armée), et que celles-ci répondent de leurs actes en toutes circonstances; jugeant nécessaire de réaffirmer la primauté du ministre de la défense sur le chef d'état-major et la hiérarchie militaire turque;

39. se félicitant des décisions du gouvernement turc de placer l'intégralité du budget militaire sous un strict contrôle parlementaire;

40. estimant que le gouvernement turc doit circonscrire les pouvoirs politiques, économiques et sociaux de l'armée;

41. dans cet esprit, insistant auprès du gouvernement turc pour que les conseils actuels de l'enseignement supérieur (YÖK) et de l'audiovisuel (RTÜK) deviennent des organes totalement civils ne faisant l'objet d'aucun contrôle de la part de l'armée, sur le modèle et conformément aux normes de ceux des pays de l'UE;

F. la question des droits l'homme, la place de la femme dans la société turque, le respect des minorités, des libertés culturelles et des libertés religieuses

42. constatant les réformes législatives et leur mise en vigueur concrète qui restent encore à accomplir dans le domaine du respect des droits de l'homme pour éliminer définitivement les pratiques et les structures qui compromettent l'image de la Turquie au sein de la communauté internationale; saluant la création d'une commission de suivi des droits de l'homme rattachée au premier ministre;

43. encourageant les autorités turques à consolider dans la Constitution turque le principe de primauté du droit international et de la primauté du droit communautaire sur la loi nationale; considérant que cette mesure est nécessaire pour permettre de rapprocher la Turquie des standards prévalant dans les États membres de l'Union européenne;

44. invitant une nouvelle fois la Turquie à mettre en oeuvre sans délai les décisions pendantes de la Cour européenne des droits de l'homme;

45. condamnant l'intimidation et le harcèlement des militants des droits de l'homme et des organisations de défense des droits de l'homme par certaines autorités;

46. déplorant que les ministères publics continuent de se référer à des dispositions du code pénal ainsi qu'à des dispositions de la loi antiterroriste dans le but de limiter la liberté d'expression;

47. rappelant les articles 2 et 3, paragraphe 2, du TUE, la jurisprudence de la Cour européenne de justice et l'acquis communautaire selon lesquels l'égalité entre hommes et femmes constitue un principe essentiel et un droit fondamental au sein de l'Union européenne;

48. se félicitant des progrès constatés par la Turquie dans le domaine de la défense et de la promotion des droits de la femme et de l'égalité des chances au sein de la société turque;

49. déplorant les situations suivantes :

— la violence domestique à l'égard des femmes, qui demeure largement répandue,

— l'absence de toute assistance juridique et psychologique aux victimes,

— le délit de viol commis dans le cadre du mariage, qui n'est pas passible de sanctions pénales,

— les dispositions pénales qui concernent les crimes commis sous l'effet d'une provocation extrême et s'appliquent aux actes considérés comme étant dirigés contre la vertu, les mesures prévoyant des peines réduites pour les « crimes d'honneur » commis pour des raisons liées à une coutume ou une tradition, et la présence du terme « virginité » dans les dispositions du code pénal applicables en cas de viol,

— la faiblesse de la représentation féminine au sein des organes élus et du gouvernement,

— les graves discriminations juridiques dont les femmes sont victimes en vertu du Code civil turc,

— le chômage, qui touche bien plus les femmes que les hommes, un faible pourcentage seulement des travailleuses bénéficiant d'une protection sociale, et le fait que les femmes perçoivent des rémunérations inférieures à travail égal,

— le faible taux de participation des femmes dans les secteurs de l'éducation et de la formation professionnelle, ainsi que les niveaux élevés d'analphabétisme et d'interruption des études,

— la vulnérabilité des femmes à la faiblesse des dépenses publiques de santé, illustrée par un taux élevé de décès lors de l'accouchement;

50. demandant au gouvernement turc de garantir constitutionnellement le principe de l'égalité entre les sexes, de réformer en profondeur toutes les dispositions législatives et réglementaires qui sont contraires au principe de l'égalité entre les sexes, en veillant par ailleurs à prévoir les mécanismes et ressources nécessaires à leur mise en oeuvre efficace;

51. demandant aux autorités turques de fournir une protection juridique complète ainsi qu'une assistance judiciaire et économique aux victimes de maltraitances, et d'ouvrir des foyers pour femmes;

52. encourageant la Turquie à mettre en oeuvre l'article 8 de la charte sociale européenne sur le droit des travailleuses à la protection de la grossesse et de la maternité, qu'elle a ratifiée;

53. estimant que le libre accès des femmes à l'enseignement est une condition essentielle et préalable à une plus large participation de celles-ci aux décisions politiques et économiques; demandant à la Turquie de renforcer les mesures pertinentes afin d'encourager de façon ciblée la présence des femmes dans tous les secteurs de l'enseignement, s'agissant en particulier de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle;

54. rappelant que le traité de Lausanne de 1923 sur la position des minorités ne doit pas recevoir une interprétation minimaliste, une telle interprétation n'étant pas compatible avec les droits fondamentaux en vigueur dans l'UE;

55. invitant la Turquie à respecter et à mettre en valeur le patrimoine culturel arménien et syriaque, composantes de l'identité nationale turque;

56. constatant que la Turquie a toujours une interprétation de l'État séculier qui n'est pas celle de l'Union européenne et que la situation actuelle est un contrôle de l'État sur la confession principale et une discrimination des autres confessions;

57. appelant les autorités turques à mettre fin immédiatement à toutes les discriminations et difficultés faites aux minorités religieuses, notamment sur le plan du droit de la propriété, des donations, de l'immobilier et de l'entretien des édifices religieux et du champ de compétence des directions d'écoles, du statut juridique, de la gestion interne, et de la formation de religieux; rappelant à la Turquie qu'elle doit se conformer à la définition de « liberté religieuse » retenue par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et le Conseil de l'Europe; encourageant les autorités turques à aligner les lois en la matière sur celles consacrées par les Traités internationaux;

G. la question kurde :

58. demandant qu'une solution spécifique soit négociée pour mettre fin au conflit kurde, qui comprenne les volets politique, notamment la représentation parlementaire, économique et social;

59. condamnant la rupture du cessez-le-feu par les forces de défense populaires kurdes, un mouvement de résistance kurde soutenu par le Kongra-Gel (successeur du PKK);

60. encourageant les autorités turques à fournir les moyens nécessaires pour stimuler le développement socio-économique des régions kurdes de manière à créer un environnement devant permettre à la population kurde de construire un avenir pacifique et prospère;

61. demandant à la Turquie de veiller à garantir les droits culturels de la population kurde, dont l'éducation officielle en langue kurde, de veiller à leur assurer un véritable accès à la radiodiffusion et à la télédiffusion, y compris aux médias privés;

62. se félicitant du dialogue entre la Turquie et l'ONU sur le retour des réfugiés kurdes dans leurs villages; constatant que le problème du retour des personnes déplacées à l'intérieur du pays et des réfugiés qui résident en Europe vers leur terre natale reste d'actualité; préconisant la fourniture par les autorités turques des ressources appropriées, la revitalisation des hameaux et la reconstruction des villages afin de permettre aux habitants d'y revenir;

63. déplorant le déroulement de la nouvelle procédure engagée contre Mme Leyla Zana, lauréate du prix Sacharov, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, ex-députés du Parti de la démocratie (DEP, supprimé en 1994);

H. les relations avec l'Arménie et la reconnaissance du génocide arménien :

64. demandant aux autorités turques de favoriser un processus de réconciliation et l'instauration de relations de bon voisinage avec l'Arménie;

65. rappelant la résolution du sénat belge (1-736/1) du 8 octobre 1997 qui « invite le gouvernement turc à reconnaître la réalité du génocide perpétré en 1915 par le dernier gouvernement de l'empire Ottoman »; considérant qu'une démocratie ne peut se constituer sur les mythes du passé et qu'une réconciliation de la société turque avec elle-même passe par cette reconnaissance historique;

66. souhaitant l'établissement d'un dialogue entre universitaires, organismes sociaux et ONG turcs et arméniens afin de surmonter les tragiques expériences du passé;

I. la préparation de l'Union européenne à la possible adhésion de la Turquie :

67. considérant que l'Union européenne doit se préparer à une adhésion de la Turquie en prévoyant des mesures propres à assurer le fonctionnement harmonieux de l'Union;

68. regrettant que la Commission n'ait pas effectué avant le Conseil européen de décembre une vaste étude sur les conséquences pour l'Union européenne de la possible adhésion de la Turquie; demandant avec insistance cette étude avant le début officiel des négociations et qu'elle traite des conséquences sur les politiques communes européennes comme l'agriculture et les Fonds structurels, les matières financière et institutionnelle, le contrôle des frontières externes de l'Union européenne et les responsabilités géopolitiques de l'Union européenne dans l'ensemble de son environnement; demandant la transmission de cette étude et de ses actualisations successives aux Parlements des États membres;

69. rappelant que la Turquie bénéficie de la stratégie de préadhésion avec un accroissement de l'assistance financière (1 050 millions d'euros inscrits pour la période 2004-2006); estimant que la décision du Conseil européen du mois de décembre aura des conséquences sur les perspectives financières 2007-2013 de l'Union européenne;

J. la politique étrangère et la PESD

70. déplorant l'échec du referendum d'avril 2004 qui aurait permis d'atteindre une solution juste et viable au problème chypriote, sur la base des propositions du Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, permettant d'aboutir à la fin de la partition de l'île;

71. invitant les autorités turques à maintenir leur attitude constructive pour parvenir à une solution juste, viable et fonctionnelle du problème chypriote, qui soit compatible avec les résolutions pertinentes de l'ONU et une formulation améliorée du plan Annan;

72. considérant que ce point est d'une importance capitale pour les relations entre l'Union européenne et la Turquie; rappelant que la Turquie devra satisfaire aux « principes Balladur » applicables à tous les pays candidats actuels et futurs : pas de problèmes frontaliers, bonnes relations avec les pays voisins et garantie des droits des minorités;

73. exhortant la Turquie à reconnaître la République de Chypre, pays membre de l'Union européenne depuis le 1er mai 2004, et à retirer ses troupes d'occupation du nord de Chypre conformément aux résolutions des Nations Unies;

74. se félicitant de l'évolution favorable des relations entre la Grèce et la Turquie tant au plan politique qu'au plan économique; encourageant les deux parties à poursuivre ce rapprochement en réglant toutes les questions frontalières encore en suspens et en signant des accords bilatéraux destinés à renforcer la coopération entre les deux pays;

75. se félicitant du dialogue entamé entre les autorités turques et grecques pour créer un climat de confiance en matière de sécurité et développer des actions de coopération concrètes; espérant que ce dialogue mènera à la solution des contentieux bilatéraux subsistants;

76. reconnaissant la grande importance géostratégique de la Turquie au sein de l'Alliance atlantique; appréciant la contribution apportée par la Turquie aux efforts de paix de l'Union européenne dans les Balkans; encourageant vivement les autorités turques à apporter une contribution positive à la mise en oeuvre de l'accord entre l'Union européenne et l'OTAN conclu en janvier 2003;

77. se félicitant de la contribution de la Turquie à l'objectif des capacités d'Helsinki et au nouvel objectif 2010 défini par les ministres de la Défense de l'Union européenne;

78. estimant que la Turquie, en tant qu'État membre de l'OTAN se trouvant au carrefour de l'Europe, de la Méditerranée, du Moyen-Orient, du Caucase et de l'Asie centrale, peut contribuer positivement à la sécurité européenne et conférer plus d'autorité et d'efficacité à la politique de l'Union européenne dans l'ensemble de ces régions;

79. demandant à la Turquie, en coordination avec l'action du Représentant spécial de l'Union européenne pour la région du Caucase, de prendre toutes mesures nécessaires pour instaurer un climat de stabilité dans l'ensemble de la région du Caucase;

80. considérant que l'Union européenne doit approfondir avec la Turquie sa politique de lutte contre le terrorisme;

81. invitant le gouvernement turc à continuer de s'abstenir de toute violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté politique de l'Irak;

82. demandant à la Turquie de coopérer avec ses voisins, l'Iran, la Syrie et l'Irak, afin de garantir la sécurité des frontières communes, tout en permettant aux citoyens d'origine kurde de ces quatre pays de développer leurs relations humaines, culturelles et économiques;

soutient la position du gouvernement qui s'est prononcé en faveur de l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne avec la Turquie et recommande au gouvernement de plaider au sein des organes compétents de l'Union européenne, en particulier le Conseil européen et la Commission européenne, pour qu'un certain nombre d'exigences soient prises en compte dans la préparation du mandat de négociation et au cours des négociations d'adhésion et en particulier :

A. de veiller à ce que la Turquie puisse garantir la durabilité et l'irréversibilité du processus de réformes sur une longue période,

B. de rappeler à la Turquie que la Commission peut, après consultation du Parlement européen, recommander au Conseil européen décidant à la majorité qualifiée, de suspendre les négociations en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales et de l'État de droit,

C. de doter l'Union européenne des instruments nécessaires pour contrôler de façon pertinente la mise en oeuvre effective des mesures prises par le gouvernement turc afin de respecter les critères de Copenhague et l'adoption de l'acquis communautaire,

D. de veiller sur le long terme à ce que le gouvernement turc obtienne une évolution des pratiques au sein des instances judiciaires et policières turques,

E. de renforcer le contrôle civil sur les forces armées,

F. de demander qu'il soit mis fin immédiatement à la discrimination des minorités religieuses et de rappeler que la Turquie doit satisfaire aux principes de la « liberté de religion » conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe,

G. de participer à l'émancipation de la femme dans la société turque et au respect du principe de laïcité,

H. de collaborer à la mise en oeuvre d'une solution pacifique et durable à la question kurde,

I. de veiller à la reconnaissance du génocide arménien perpétré par le dernier gouvernement ottoman,

J. de continuer à intégrer la politique étrangère de la Turquie dans la PESC,

K. de veiller à la résolution de la question chypriote, sur la base du plan Annan et des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ce qui implique la reconnaissance de la république de Chypre;

L. de développer les efforts d'information vers la société civile turque sur l'Union européenne, ses idéaux, ses valeurs et les obligations qui découlent de l'adhésion;

Charge le gouvernement de transmettre la présente résolution aux institutions de l'Union européenne, au Conseil de l'Europe, ainsi qu'au gouvernement et au Parlement de la Turquie.

IV. VOTES

Les recommandations ont été adoptées par 5 voix contre 1 et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 11 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Lionel VANDENBERGHE. François ROELANTS du VIVIER.

(1) Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique; JO L 180 du 19.07.2000, p. 22.

(2) Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail; JO L 303 du 02.12.2000, p. 16.