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Question écrite n° 7-2264

de Fatima Ahallouch (PS) du 26 mars 2024

à la ministre du Climat, de l'Environnement, du Développement durable et du Green Deal

Technologies numériques - Impact sur l'environnement et le climat - Durabilité numérique - Sensibilisation - Mesures - Marchés publics - Incitants pour les entreprises

culture numérique
politique en matière de changement climatique
empreinte écologique
courrier électronique
sensibilisation du public
développement durable
centre serveur
économie d'énergie

Chronologie

26/3/2024Envoi question (Fin du délai de réponse: 25/4/2024)
24/4/2024Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-2262
Aussi posée à : question écrite 7-2263
Aussi posée à : question écrite 7-2265

Question n° 7-2264 du 26 mars 2024 : (Question posée en français)

Il est aujourd'hui indéniable que les progrès récents de la technologie offrent des opportunités révolutionnaires pour surveiller et protéger l'environnement. C'est ainsi qu'une utilisation intelligente de la technologie numérique peut contribuer à atteindre en partie les objectifs climatiques.

Alors que le monde continue de numériser et de réduire la fracture numérique, il y a une expansion massive de l'adoption des technologies numériques et des infrastructures associées.

De nombreux chercheurs tirent cependant aujourd'hui la sonnette d'alarme en faveur d'une meilleure utilisation du numérique notamment en renonçant aux activités numériques inutiles.

Si cet enjeu n'était pas un sujet de préoccupation il y a quelques années pour la plupart des utilisateurs informatiques, aujourd'hui, face à des raisons écologiques et climatiques et aussi à cause de l'augmentation des coûts énergétiques, l'intérêt pour l'informatique verte ne cesse de croître.

Cependant trop rares sont encore ceux qui savent que l'envoi, la réception et le stockage de messages numériques consomment de l'énergie. Cette consommation qui, vu la présence d'énergies fossiles dans l'offre énergétique, est également associée à une empreinte carbone et a dès lors un impact sur l'environnement et le climat.

Il va sans dire que l'exploitation d'ordinateurs, de moniteurs, de réseaux et de centres de données génère également des émissions de CO2.

À titre d'exemple, en ce qui concerne les courriels que nous envoyons tous les jours – que ce soit dans le cadre de notre travail ou de notre vie privée –, les experts estiment qu'à l'échelle mondiale, un courriel standard serait responsable de l'émission de 4 grammes de CO2 en moyenne. Concernant les très longs courriels et ceux qui comportent des pièces jointes volumineuses, ils pourraient avoir une empreinte carbone allant jusqu'à 50 grammes de CO2, ce qui dépasserait l'envoi d'une lettre classique qui, toujours selon ces experts, génère 20 à 25 grammes de CO2 en moyenne.

Ces chiffres ne tiennent pas compte du fait que les courriels non supprimés et archivés à long terme sur les serveurs de messagerie continuent à consommer une certaine quantité d'énergie en permanence, ce qui n'est pas négligeable.

Un autre exemple sont les applications numériques. Si elles font aujourd'hui intégralement partie de notre vie quotidienne, elles ont cependant aussi une empreinte carbone. Tout comme la diffusion en flux («streaming») d'une vidéo en ligne sur un téléphone: les scientifiques estiment qu'elle génère l'émission d'1 à 2 grammes de CO2 par minute. Toujours selon ces derniers, si l'on calcule l'empreinte carbone d'un téléphone intelligent («smartphone») sur toute sa durée de vie, on constate que, selon le modèle, elle peut atteindre 60 à 100 kg de CO2.

Bref, nombreux sont les experts scientifiques pour lesquels «la transition numérique sera écologique ou ne sera pas».

Une fois que l'on a pris conscience de l'importance de la durabilité numérique, de nouvelles questions se posent aussi bien aux entreprises qu'à chaque citoyen: cette requête est-elle importante pour moi au point de m'accommoder de la quantité de CO2 qu'elle génère? Pourquoi, si je ne veux entendre que le son d'une vidéo sur la plateforme «YouTube», ne pas simplement renoncer à la diffusion des images? Cela permet d'économiser plus d'un facteur dix. Et dois-je vraiment archiver ce courriel? Ne devrais-je pas me désabonner de cette lettre d'information que je ne lis jamais? Qui, dans les destinataires placés en copie, a vraiment besoin de ce courriel?

Cette question de l'informatique durable, dans la mesure où elle concerne tant la digitalisation de notre société que son impact sur l'environnement et le climat, concerne à la fois les compétences de l'autorité fédérale mais également celles des entités fédérées. Le dépôt de la question au Sénat est dès lors pleinement justifié.

1) Quels seraient, selon vous, les leviers d'action possibles pour sensibiliser les travailleurs et le reste de la population à cet impact du numérique sur l'environnement et le climat?

2) La sensibilisation des jeunes, en tant qu'acteurs du futur, est également importante. Des contacts avec vos homologues responsables de l'enseignement dans les trois Communautés sont-ils à l'ordre du jour dans ce domaine de la durabilité numérique?

3) Quelles sont les règles actuellement en vigueur au niveau belge qui peuvent déjà être mobilisées, et quelles sont les règles européennes qui doivent encore faire l'objet d'une transposition dans notre ordre juridique interne, afin de servir ces objectifs de soutien de la transition numérique vers le nouveau mode de développement qu'est le développement durable?

4) Au niveau de l'administration fédérale, des mesures sont-elles déjà prises, notamment en ce qui concerne la sensibilisation du personnel, le développement de logiciels intelligents, etc.?

5) En ce qui concerne les marchés publics relatifs à la fourniture de produits ou de services dans l'informatique, des clauses environnementales portant sur la durabilité numérique sont-elles prévues?

6) Si nos pays voisins, notamment l'Allemagne avec des sociétés comme «Green Coding Solutions», connaissent l'émergence d'entrepreneurs qui se sont donnés comme objectif de développer davantage l'informatique verte, qu'en est-il au niveau belge?

7) Au niveau des entreprises, quelles sont les mesures incitatives ou d'accompagnement de la part des autorités belges ou européennes en faveur du passage à une informatique verte impliquant l'utilisation des technologies existantes de manière plus efficace et plus intelligente?

8) Enfin, dans le cadre des précédents «World Summit Awards», le prix créé en 2003 dans le cadre du Sommet mondial des Nations unies sur la société de l'information et qui récompense des projets dans le domaine des technologies de l'information et de la communication qui contribuent à la réalisation des objectifs de développement durables, avez-vous connaissance de sociétés belges en lice dans la catégorie environnement et énergie verte?

Réponse reçue le 24 avril 2024 :

La «transition numérique» qui est en cours possède plusieurs liens étroits avec la transition climatique et, plus largement, la transition écologique, bien qu’elle leur soit extérieure. En effet, le numérique prend – et est probablement amené à prendre plus encore à l’avenir – une place considérable dans nos sociétés avec des implications fortes sur de nombreux domaines de l’action politique. Cette «méga-force» impacte nombre de nos modes d’organisation et questionne leurs évolutions futures, qu’il s’agisse d’emploi, de productivité, de lien social, de culture, etc.

Les liens sont bidirectionnels. D’une part, le numérique est amené à faciliter la décarbonation d’une série d’activités. On peut citer par exemple le rôle du numérique pour faciliter l’économie circulaire et l’économie de partage, comme la facilitation fournie par les plateformes en matière de mobilité, d’achats de seconde main, etc., ou encore pour optimiser une série d’usages énergétiques comme le «demand-side management» dans les bâtiments ou l’aide à la gestion de l’intermittence des sources d’énergie renouvelables. Nous pensons que ce lien, à savoir la contribution du numérique à la transition écologique, est relativement bien porté par les acteurs et a un bel avenir devant lui.

D’autre part, comme vous le soulignez avec justesse, le numérique est déjà, et risque d’être bien davantage encore à l’avenir si nous n’y remédions pas, une source très importante d’émissions de carbone et une cause de la raréfaction de nombreux métaux et terres rares. Car il ne faut pas oublier que, au-delà de l’électricité nécessaire au fonctionnement des appareils numériques, la fabrication de ces derniers requiert en effet de nombreux matériaux dont certains sont critiques au niveau de l’Union européenne. Ce second lien entre les deux transitions est par contre beaucoup moins pris en compte par les acteurs et décideurs.

Ceci signifie que nous devons à tout prix favoriser la sobriété numérique et s’assurer de la décarbonation de l’énergie utilisée. Pour se faire, plusieurs champs d’action doivent être investigués.

1) D’abord, comme vous le mentionnez, l’éducation et la sensibilisation constituent un levier important à actionner le plus rapidement possible. Les stratégies de digitalisation ne tiennent pas suffisamment compte de cet aspect. Or les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour fournir des outils aux organisations, qu’elles relèvent de l’éducation, d’associations ou du monde de l’entreprise. Je lance ici un message vers mes collègues en charge de la digitalisation et, au niveau des Communautés, en charge de l’enseignement, afin qu’ils élaborent ensemble des stratégies visant à développer et déployer sur les terrain de tels outils.

2) Ensuite, bien qu’elle soit très importante, la sensibilisation ne suffit pas. Les mesures réglementaires et incitatives relatives à l’économie circulaire doivent intégrer ces dimensions relatives à l’économie des ressources et à leur priorisation. En même temps, les modèles entrepreneuriaux («business models») autour du numérique doivent évoluer de manière à favoriser cette sobriété. Ici, l’Union européenne a un rôle important à jouer même si nous devons, via les instruments à notre disposition au niveau national ou intra-national (comme les marchés publics par exemple) orienter les choix dans ce sens. L’Institut fédéral pour le développement durable a aussi publié en 2024 un guide d’achat avec des critères de durabilité pour les PC, les ordinateurs portables, les smartphones et les tablettes (cf. https://www.gidsvoorduurzameaankopen.be/sites/default/files/content/download/files/2024_ict_fr.pdf).

3) Enfin, par rapport à la décarbonation du digital, nous devons avancer au plus vite sur la mise en place et sur le développement du cadre réglementaire et incitatif décidé au niveau européen, qu’il s’agisse de prix du carbone (EU ETS, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne – European Union Emissions Trading System), de fiscalité sur l’énergie, d’objectifs en termes de recours aux sources d’énergie renouvelable ou d’économies d’énergie. Quoi qu’il en soit, le secteur de la production d’électricité devra être et est en phase d’être le premier secteur à être décarboné. Une série d’acteurs majeurs sont déjà actifs dans ce sens et recourent largement à l’énergie renouvelable.

Au final, je suis nettement moins inquiète par ce dernier aspect – la décarbonation de l’électricité – car, à ce sujet, nous savons vers où nous voulons aller au sein de l’Union européenne et nous développons le cadre réglementaire pour se faire. Notre principale préoccupation doit être d’encadrer l’inflation du digital dans tous les domaines de la société afin de garantir la préservation et la bonne priorisation des ressources, y compris des ressources naturelles, via une modération dans les modes de production et de consommation, et afin que cette transition consolide, plutôt qu’elle n’entame, les relations sociales tant dans la sphère du travail que dans celle de la vie en collectivité.