Vols de vélos - Vélos-appâts - Utilisation par la police - Procédé considéré comme une méthode particulière de recherche - Article 47sexies du Code d'instruction criminelle - Adaptation
vol
crime contre les biens
véhicule à deux roues
police
enquête judiciaire
31/3/2023 | Envoi question (Fin du délai de réponse: 8/5/2023) |
10/5/2023 | Réponse |
Malgré le nombre élevé de vols de bicyclettes, les services de police ne peuvent actuellement plus recourir à ce que l'on appelle des vélos-appâts.
Un vélo-appât est une bicyclette équipée d'un système de localisation et qui est garée à un endroit stratégique. Lorsqu'elle est volée, elle envoie un signal à la police qui peut alors prendre l'auteur en flagrant délit et l'arrêter. La police utilisait ce procédé par le passé dans la ville de Gand, où il a donné lieu à trois jugements.
En 2022, le procureur général a adopté une position qui empêche l'emploi du procédé tel qu'utilisé à Gand. Selon lui, cette méthode doit être considérée comme une "observation systématique" au sens de l'article 47sexies du Code d'instruction criminelle. Cela signifie que le vélo-appât ne peut plus être utilisé qu'à titre de méthode particulière de recherche (MPR) dans le cadre d'un dossier judiciaire et avec l'autorisation du magistrat MPR.
Une concertation à ce sujet a été organisée entre la police et le parquet dans le but d'élaborer un cadre juridique praticable, mais sans résultat positif jusqu'à présent.
Je souhaiterais obtenir une réponse aux questions suivantes.
1) Quelles similitudes ou différences voyez-vous entre l'utilisation d'un vélo-appât et les dispositions légales relatives à l'emploi d'appareils photographiques (ne permettant pas d'avoir une vue dans le domicile, ou dans une dépendance propre y enclose), adaptées par la loi du 27 décembre 2005 qui a inséré un quatrième alinéa dans l'article 47sexies, § 1er, du Code?
2) Que pensez-vous du procédé du vélo-appât, qui est de nature furtive et n'a qu'un faible effet intrusif sur la vie privée du citoyen, ce qui le rend difficilement conciliable avec le statut sui generis des méthodes particulières de recherche qui limite très fortement leur utilisation?
3) Êtes-vous disposé à autoriser l'utilisation de vélos-appâts équipés d'un appareil de localisation en dehors du dispositif légal de l'observation systématique, prévu à l'article 47sexies du Code d'instruction judiciaire, et donc en dehors de la procédure MPR?
a) Dans l'affirmative, à quelle(s) modification(s) législative(s) procéderez-vous? Quel est le calendrier prévu?
b) Dans la négative, pour quelle raison? Pouvez-vous développer votre réponse?
1) Conformément à l’article 47sexies, § 1er, du Code d’instruction criminelle, il est question d’observation systématique lorsqu’un des éléments suivants est présent:
– une durée de plus de cinq jours consécutifs ou de plus de cinq jours non consécutifs répartis sur une période d’un mois;
– des moyens techniques sont utilisés;
– une observation exécutée par les unités spécialisées de la police fédérale;
– un caractère international.
Conformément à l’article 47sexies, § 1er, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle, un moyen technique est une configuration de composants qui détecte des signaux, les transmet, active leur enregistrement et enregistre les signaux, à l’exception des moyens techniques utilisés en vue de l’exécution d’une mesure visée à l’article 90ter.
La qualité de moyen est donc déterminée par la loi; plus particulièrement, quatre critères décisifs doivent être remplis:
– détection de signaux;
– transmission;
– activation de l’enregistrement;
– enregistrement.
Le vélo appât a en principe un module GPS intégré dans le feu arrière, la selle ou le cadre, de sorte que le vélo peut être localisé à tout moment. Si le vélo est déplacé par un suspect, la police reçoit une alerte permettant de suivre le trajet du vélo volé et d’attraper le suspect.
Le module GPS intégré dans le vélo appât est donc une balise avec enregistrement qui peut suivre et effectivement enregistrer le vélo appât à distance, sans que la police l’observe elle-même. Un tel module GPS est considéré selon la jurisprudence et la doctrine constantes, conformément à l’article 47sexies, § 1er, du Code d’instruction criminelle, comme un moyen technique dès lors qu’il est une configuration de composants qui détecte des signaux, les transmet, active leur enregistrement et enregistre les signaux.
Il existe également des balises sans enregistrement («gonio»), qui ne sont pas un moyen technique au sens de l’article 47sexies, § 1er, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle. Une telle balise qui n’effectue pas d’enregistrement aide le verbalisant qui suit un objet visuel à retrouver cet objet (visuellement) après en avoir perdu temporairement le contact visuel, de sorte à pouvoir reprendre son observation.
La différence entre une balise sans enregistrement et une balise avec enregistrement telle que le module GPS intégré dans le vélo appât réside dans le fait que la balise avec enregistrement fournit une observation, en temps réel ou avec historique, plus ou moins précise de la localisation de l’objet, sans que le verbalisant observe lui-même l’objet.
Les mêmes quatre critères susmentionnés de l’article 47sexies, § 1er, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle s’appliquent d’ailleurs également à l’appareil photographique:
– le simple usage d’un appareil photographique ne répond pas aux quatre critères décisifs fixés par l’article 47sexies, § 1er, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle et ne constitue dès lors pas un moyen technique;
– si toutefois un appareil photographique numérique est utilisé pour filmer (même sans obtenir de vue dans un domicile ou dans une dépendance propre y enclose), il s’agit effectivement d’une méthode particulière de recherche, ce qui relève du champ d’application de la réglementation imposée par la loi MPR (méthodes particulières de recherche), étant donné que les quatre critères précités sont bien remplis.
Le procureur général de Gand a toujours estimé que l’usage habituel de vélos appâts était une méthode particulière de recherche et devait dès lors être autorisé par un magistrat MPR, conformément à l’article 47sexies, § 1er, du Code d’instruction criminelle, tel qu’introduit par la loi du 6 janvier 2003 (Moniteur belge du 12 mai 2003, ci-après loi MPR).
2) Le recours à une observation comme méthode particulière de recherche doit répondre légalement aux principes de légalité, de subsidiarité et de proportionnalité.
Pour les différentes méthodes particulières de recherche et autres méthodes d’enquête, le législateur a fixé un seuil plus élevé pour les infractions visées, selon que la méthode est plus intrusive ou non.
L’observation effectuée à l’aide de moyens techniques ne peut être autorisée que pour des infractions pouvant entraîner un emprisonnement correctionnel principal d’un an ou une peine plus lourde (article 47sexies, § 2, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle). Le vol (d’un vélo) est puni à l’article 463, alinéa 1er, du Code pénal d’un emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros, de sorte que l’utilisation de vélos appâts pour de tels faits est légalement possible. Ce seuil prévu est tout à fait proportionnel à la nature des faits et au niveau d’intrusion dans la vie privée du citoyen.
Parler de vélo appât ou de prévention est contradictoire étant donné qu’il n’a pas de finalité préventive ni administrative, mais une finalité judiciaire, à savoir attraper les auteurs de vols de vélos.
Comme indiqué plus haut, l’utilisation d’un vélo appât pourvu d’un dispositif de localisation représente une observation systématique, vu le recours à des moyens techniques (1) et la durée de plus de cinq jours consécutifs ou de plus de cinq jours non consécutifs répartis sur une période d’un mois (2).
3) L’utilisation de vélos appâts pourvus d’un dispositif de localisation ne reste possible que dans le cadre du régime légal de l’observation systématique prévu à l’article 47sexies du Code d’instruction criminelle. En guise de justification, je me réfère aux réponses aux deux premières questions.
Une action purement législative pour l’utilisation du vélo appât me paraît disproportionnée. J’estime par ailleurs qu’il est hors de proportion d’intervenir dans la législation relative aux MPR simplement pour la problématique du vélo appât. La jurisprudence de la Cour de cassation du 17 mars 2010 fournit toutefois suffisamment de lignes directrices et de possibilités à cet égard.
Un groupe de travail au sein du ministère public rédige actuellement une proposition de modification législative visant à exclure les véhicules appâts du champ d’application des MPR. Cette proposition sera ensuite soumise à l’approbation du Collège des procureurs généraux.