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Question écrite n° 7-1649

de Els Ampe (Open Vld) du 2 juin 2022

à la ministre de l'Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique

Clearview - Reconnaissance faciale - Vie privée - Police - Chiffres et tendances

intelligence artificielle
police
protection de la vie privée
Centre pour enfants disparus
logiciel
droit à l'image

Chronologie

2/6/2022Envoi question (Fin du délai de réponse: 7/7/2022)
7/7/2022Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-1648
Aussi posée à : question écrite 7-1650

Question n° 7-1649 du 2 juin 2022 : (Question posée en néerlandais)

En février 2020, il a été révélé, à la suite d'un piratage, que le logiciel de Clearview avait été utilisé en Belgique. Plusieurs pays ont été mentionnés par BuzzFeed. On apprenait aussi que la Belgique aurait obtenu un compte d'essai, sans qu'aucun service ni organisation ne soit précisé (cf. https://datanews.knack.be/ict/nieuws/audit streng voor politie die illegaal clearview ai gezichtsherkenning gebruikte/article news 1844585.html).

Plus d'un an plus tard, en août 2021, BuzzFeed a de nouveau évoqué le sujet, en précisant cette fois qu'il s'agissait de la police fédérale, qui a utilisé le logiciel «entre 101 et 500 fois». Le site a également souligné que cela avait eu lieu dans le cadre de la réunion d'Europol. Data News a alors pris contact avec la police fédérale, pour se voir répondre que personne n'avait connaissance de cette utilisation et qu'on n'envisageait pas de recourir à Clearview AI.

On sait entre-temps que ce n'était pas vrai. En réponse à plusieurs questions parlementaires posées entre autres par des membres de Vooruit, du CD&V, du PTB/PVDA, d'Ecolo/Groen, du Vlaams Belang et du PS, la ministre de l'Intérieur, Annelies Verlinden, a confirmé que la reconnaissance faciale – au demeurant illégale – avait bien été utilisée. Selon le journal Le Soir, il ne s'agirait que de tests (cf. https://datanews.knack.be/ict/nieuws/minister verlinden cd v federale politie gebruikte toch clearview ai software voor gezichtsherkenning/article news 1787557.html?cookie_check=1651050759).

Début septembre, soit une semaine après le démenti opposé à Data News, l'organe de contrôle de la police a mené une enquête interne sur la question et a constaté que le logiciel avait effectivement été utilisé pour un nombre restreint de consultations. Selon Le Soir, une enquête plus approfondie a démontré que des missions de recherche avaient également été effectuées, entre autres d'après des renseignements de Child Focus et dans le cadre de dossiers de l'étranger.

Clearview AI fournit un logiciel de reconnaissance faciale très pointu. L'entreprise revendique la détention d'une base de données contenant plus de trois milliards d'images avec lesquelles les services d'ordre peuvent découvrir l'identité de quelqu'un en quelques secondes (cf. https://datanews.knack.be/ict/nieuws/federale politie gebruikte gezichtsherkenningssoftware clearview honderd tot vijfhonderd keer update/article news 1771493.html).

Mais la technologie est aussi très controversée dans la mesure où Clearview tire ces images d'internet sans demander l'autorisation des personnes ou services concernés. C'est ainsi qu'elle indexe les photos de Facebook, Instagram, Linkedin et Twitter, une pratique qualifiée d'illégale par plusieurs autorités en matière de respect de la vie privée.

En février 2020, Buzzfeed avait déjà signalé que l'entreprise fournissait aussi des services à la police ou à des institutions belges. Le site se base pour cela sur une liste de login dévoilée. Clearview même avait à l'époque indiqué que sa base de données de clients avait été piratée.

Justification du caractère transversal de la question écrite : les différents gouvernements et maillons dans la chaîne de sécurité s'accordent sur les phénomènes à traiter en priorité au cours des quatre prochaines années. Ils sont définis dans la Note-cadre de Sécurité intégrale et dans le Plan national de sécurité pour la période 2022-2025, et ont été examinés lors d'une Conférence interministérielle à laquelle les acteurs de la police et de la justice ont également participé. Il s'agit dès lors d'une matière transversale partagée avec les Régions, dont le rôle principal se situe dans le volet préventif.

Je souhaite dès lors vous poser les questions suivantes :

1) Dans quel contexte la police fédérale a-t-elle eu recours à Clearview AI ? Des paiements ont-ils été effectués à l'entreprise Clearview AI ? Si oui, pour quels services et pour quels montants ?

2) Des appariements réalisés à l'aide de Clearview AI ont-ils été utilisés dans des dossiers pénaux ou des dossiers d'information judiciaire ? Si oui, quelle répercussion cela a-t-il sur la régularité de ces dossiers ?

3) Pouvez-vous confirmer que les images de Belges utilisées par Clearview ont été effacées ? Si la confirmation ne peut en être apportée, dispose-t-on d'indications selon lesquelles les images utilisées sont toujours dans leur système ? Les personnes concernées savent-elles que leur image a été utilisée sans autorisation ? Que comptez-vous entreprendre pour mettre un terme à la collecte illicite de données biométriques ?

4) Selon le journal Le Soir, une enquête a révélé que des missions de recherche avaient été effectuées entre autres d'après des renseignements de Child Focus et dans le cadre de dossiers de l'étranger. Selon vous, que sait Child Focus de l'utilisation de Clearview ? Des accords ont-ils été conclus ?

5) Pouvez-vous préciser quelles autres organisations publiques ont également eu recours au logiciel de reconnaissance faciale controversé ? Quels accords financiers ont été conclus avec Clearview AI ?

6) Quelles mesures comptez-vous prendre pour veiller à ce qu'à l'avenir, il ne soit pas possible de recourir ainsi aux services de Clearview AI et d'autres entreprises similaires ? Quels sont vos projets à cet égard et quelles sont les mesures déjà mises en œuvre ?

7) Selon vous, quels sont les risques et les avantages de l'utilisation d'un logiciel de reconnaissance faciale ? Estimez-vous que les avantages l'emportent sur les inconvénients ou inversement ? Selon vous, quelles sont les raisons qui ont poussé la police fédérale à recourir au logiciel ?

8) Les comptes des personnes qui ont utilisé le logiciel pour effectuer des recherches sont-ils toujours actifs ? Pourriez-vous indiquer le nombre de comptes créés auprès de Clearview AI par des institutions publiques belges ? Combien d'entre eux sont encore actifs actuellement ?

Réponse reçue le 7 juillet 2022 :

1) Deux membres du service «Child Abuse» de la direction centrale DJSOC se sont vus mettre à disposition des licences d’essai gratuites dans le cadre de la «Victim Identification Taskforce» d’Europol. Le logiciel Clearview a été testé et utilisé pour la première fois pendant la taskforce d’Europol qui a eu lieu du 14 au 25 octobre 2016 à La Haye. Au cours de cette taskforce, une démonstration des possibilités de Clearview a été faite pour les services de police participants de vingt-quatre pays et elles ont été appliquées aux données du NCMEC (National Center for Missing and Exploited Children) américain. Après la clôture de la taskforce, un membre de DJSOC/Child Abuse a toutefois réalisé diverses recherches sur des photos et images dans le cadre d’enquêtes en matière de potentiel abus sexuel de mineurs. Au total, septante-huit consultations ont été effectuées avec le 10 février 2020 comme dernière date d’utilisation.

Les licences d’essai étaient valables pour une période déterminée et se sont clôturées automatiquement. La police fédérale n’a acheté aucune licence de Clearview.

2) L’utilisation de l’application Clearview par la police judiciaire fédérale n’a pas donné de résultat positif dans les enquêtes belges, que ce soit pendant la «Taskforce d’identification des victimes» d’Europol ou après sa clôture.

3) Le commissaire général a demandé à l’entreprise de prendre les mesures nécessaires pour effacer les images. La société a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de le faire actuellement, étant donné les enquêtes en cours contre la société Clearview AI.

4) Aucune information disponible. Veuillez contacter Child Focus.

5) Seules les utilisations décrites au point 1) me sont connues.

6) Les directives claires sur le traitement des données personnelles s’appliquent à l’utilisation éventuelle de nouveaux logiciels. Un rappel a été diffusé sur la plateforme de connaissances et d’informations de la police intégrée afin de rappeler ces obligations légales obligatoires à tous les membres de la police et que toute nouvelle utilisation des données à caractère personnel n’est pas permise sans passer par les étapes nécessaires. Au sein de la police fédérale, une directive interne a également été publié à destination de toutes les unités et commentée aux dirigeants et aux délégués à la protection des données (DPO) dans les forums adéquats. En outre, toutes les entités de la police judiciaire fédérale ont été officiellement invitées par le directeur général de la police judiciaire, lors de la réunion de direction du 29 octobre 2021, à faire preuve de la plus grande prudence en ce qui concerne (l’évaluation de) l’utilisation des applications d’intelligence artificielle. Bien entendu, le respect des obligations légales reste également d’actualité.

7) La reconnaissance faciale peut certainement être une piste intéressante à exploiter à terme pour soutenir le fonctionnement de la police dans l’exercice des missions de police administrative et judiciaire. Bien entendu, cela n’est possible qu’avec une base légale correcte, afin que les informations récoltées puissent être utilisées de manière juridiquement valable. Je rappelle que la loi sur la fonction de police exige que la police veille toujours à ce que les actions de la police soient efficaces, proportionnées et non excessives par nature. Cela s’applique certainement au traitement des données personnelles au moyen de l’intelligence artificielle. Les obligations de la loi sur la protection de la vie privée et de l’organe de contrôle (COC) encadrent une éventuelle utilisation future.

La police améliore son expertise technique afin de mieux appréhender le fonctionnement de l’intelligence artificielle, de mieux en évaluer l’impact et de mettre en place des garanties pour éviter les préjugés, de sorte qu’une utilisation future ne soit possible que si l’objectif est clair et respecte les droits et libertés des personnes, en veillant tout particulièrement à éviter un impact négatif sur les personnes du fait de stéréotypes ou de stigmatisation par la nature ou le caractère auto-apprenant des algorithmes. Ces préparatifs ont lieu dans les limites du cadre juridique actuel. Ils n’impliquent en aucun cas une application ou une utilisation opérationnelle des données biométriques.

8) Les licences d’essai étaient valables pour une période déterminée et se sont clôturées automatiquement. La police belge n’a acheté aucune licence de Clearview.