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Question écrite n° 7-1640

de Steven Coenegrachts (Open Vld) du 23 mai 2022

au vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique

Travailleurs frontaliers - Travail frontalier - Travail sous forme hybride - Discrimination - Adaptation des conventions fiscales et conventions en matière de sécurité sociale - Règlement européen

travailleur frontalier
travail à distance
double imposition
harmonisation des sécurités sociales
libre circulation des travailleurs
mobilité de la main-d'oeuvre
convention fiscale

Chronologie

23/5/2022Envoi question (Fin du délai de réponse: 23/6/2022)
14/11/2022Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-1639

Question n° 7-1640 du 23 mai 2022 : (Question posée en néerlandais)

Depuis la crise du coronavirus, le travail sous forme hybride a le vent en poupe. Il s'agit en l'occurrence de combiner différentes formes de prestations indépendamment de la localisation et de l'horaire. Le travailleur dispose d'une certaine latitude pour choisir son lieu de travail en connaissance de cause: dans l'entreprise, à domicile ou ailleurs, comme dans un espace de travail partagé. Il perd moins de temps en trajets, les embouteillages diminuent et le système profite à la société, aux travailleurs et aux employeurs. Aux Pays-Bas, le bureau de consultance PricewaterhouseCoopers (PwC) a calculé que les travailleurs qui peuvent travailler à domicile économisent, globalement, plus de 1,1 milliard d'euros par an en frais de transport en travaillant à la maison un jour de plus qu'avant l'épidémie de coronavirus.

Le développement du travail sous forme hybride a toutefois des conséquences particulières sur les impôts et cotisations sociales des travailleurs frontaliers. Ceux-ci sont des personnes habitant en Belgique et travaillant dans un des pays voisins.

Les éléments à prendre en considération pour déterminer de quel cadre ces travailleurs relèvent sont les suivants:

– concernant la sécurité sociale : le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale part du principe que le travailleur frontalier est assuré à la sécurité sociale dans le pays où il effectue son travail. Lorsque le travailleur (à domicile) effectue au moins 25 % de son temps de travail dans son pays de résidence, il relève non plus de la sécurité sociale du pays où il travaille mais de celle du pays où il réside. C'est alors dans le pays de résidence du travailleur que l'employeur et le salarié doivent payer les cotisations de sécurité sociale;

– concernant le cadre fiscal : selon la convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition, le travailleur frontalier est imposable dans le pays où il travaille. Si, certains jours, il exerce son emploi dans son pays de résidence, il y sera imposable pour ces jours-là. Dans sa déclaration à l'impôt sur les revenus à l'étranger, il devra indiquer la rémunération liée aux heures de travail effectuées aux Pays-Bas, de même que dans sa déclaration belge relative à ses revenus d'origine étrangère.

Si le travail à domicile se développe chez les travailleurs frontaliers, il peut arriver que le droit d'imposition soit attribué à un autre État membre que celui où s'applique l'obligation d'assurance. Cette discordance entre l'imposition et les cotisations sociales peut tout aussi bien être favorable aux travailleurs frontaliers ou aux employeurs que défavorable en raison des différences de taux d'imposition et de cotisations sociales entre les pays.

Les conséquences possibles d'une modification du statut de sécurité sociale ou du statut fiscal du travailleur frontalier préoccupent les employeurs et les travailleurs.

On craint ainsi que le travail sous forme hybride soit refusé aux travailleurs frontaliers et que les employeurs recrutent moins de travailleurs frontaliers.

Notre pays a conclu avec les pays voisins des accords relatifs à l'application des conventions fiscales afin de faire en sorte que les mesures qui étaient en vigueur pendant la pandémie de coronavirus n'aient pas de conséquences imprévisibles pour les personnes qui habitent ou travaillent de part et d'autre de la frontière. Notre pays a par ailleurs convenu avec les autres pays européens que les mesures ne changeaient rien à l'endroit où un travailleur est assuré. Depuis le 31 mars 2022, les accords bilatéraux en matière de fiscalité ne sont plus applicables. Les accords conclus au sein de l'Union européenne (UE) en matière de sécurité sociale arrivent, eux, à échéance le 30 juin 2022.

Une fois les accords relatifs à la sécurité sociale arrivés à échéance, les règles d'attribution prévues dans le règlement multilatéral de l'UE sont de nouveau applicables, comme c'était le cas avant la pandémie de coronavirus.

Le développement du travail sous forme hybride pourrait alors aller de pair avec un transfert de l'assujettissement à la sécurité sociale du pays de résidence vers le pays du lieu de travail ou vers l'État membre où est établi l'employeur.

Justification du caractère transversal de la question écrite : les travailleurs frontaliers sont très importants pour l'économie régionale. Plutôt que de décourager le travail frontalier, il faut l'encourager.

Soucieux de l'intégration européenne comme du développement socioéconomique du travail frontalier et de la région, ainsi que de l'égalité entre un travailleur frontalier et ses collègues, je souhaiterais poser au ministre les questions suivantes.

1) Reconnaissez-vous l'importance de traiter de manière égale les travailleurs frontaliers et leurs collègues en ce qui concerne les possibilités de travailler sous forme hybride? Pouvez-vous indiquer si vous êtes disposé à conclure à court terme de nouveaux accords à ce sujet afin de rendre le travail sous forme hybride possible pour les travailleurs frontaliers sans que cela ne se répercute sur leur statut fiscal ni sur leur statut de sécurité sociale?

2) Quelles initiatives concrètes vous et vos collègues des pays voisins avez-vous déjà prises et prendrez-vous pour créer cette possibilité à court terme ? Pouvez-vous préciser en détail le calendrier et le contenu des mesures?

3) Le règlement (CE) n° 883/2004 contient des règles qui déterminent quelle législation de sécurité sociale est applicable à un travailleur. L'Institute for Transnational and Euregional cross border cooperation and Mobility (ITEM), institut de recherche attaché à l'université de Maastricht, a été l'un de ceux qui ont plaidé pour un élargissement du critère relatif à la partie substantielle de l'activité dans l'État de résidence, et ce, afin de prévenir toute discrimination et inégalité de droits du travailleur frontalier par rapport à ses collègues en ce qui concerne les possibilités de travailler sous forme hybride.

a) Que pensez-vous de cette initiative?

b) Êtes-vous prêt à prendre d'autres initiatives concrètes dans ce domaine? Pouvez-vous expliciter?

4) La Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS) de l'UE est composée d'un représentant du gouvernement de chaque État membre et d'un représentant de la Commission européenne. La CACSSS installe actuellement en son sein un groupe de travail qui se penchera sur la problématique du travail sous forme hybride (tant pour les travailleurs frontaliers que pour les travailleurs détachés ou mobiles) et elle prépare une révision du règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Êtes-vous informé de cette initiative et êtes-vous disposé à faire connaître votre position sur le travail hybride et les travailleurs frontaliers? Pouvez-vous préciser?

5) Quant aux conventions fiscales, elles pourraient être adaptées pour qu'un certain pourcentage de jours de travail sous forme hybride n'ait pas d'incidence sur la répartition du droit d'imposition. Il semblerait que les Pays-Bas et l'Allemagne se concertent actuellement sur la possibilité d'élaborer, sur le plan fiscal, un protocole de travail à domicile pour les travailleurs frontaliers.

a) Pouvez-vous indiquer si vous êtes en pourparlers avec les pays voisins au sujet de la révision des conventions fiscales en ce qui concerne la possibilité de travail sous forme hybride? Pouvez-vous exposer les pistes que vous privilégiez et indiquer quel pourrait être le calendrier? Des avancées ont-elles déjà été enregistrées?

b) Que pensez-vous de la proposition de protocole de travail à domicile pour les travailleurs frontaliers actuellement examinée par les Pays-Bas et l'Allemagne?

Réponse reçue le 14 novembre 2022 :

1) La question concernant la législation de sécurité sociale applicable est réglée par le titre 2 du règlement (CE) no 883/2004. La pandémie de la Covid-19 ayant été reconnue comme constituant un cas de force majeure conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSS) a adopté des lignes directrices prévoyant notamment que l’obligation de recourir intensément au télétravail en tant que mesure sanitaire visant à limiter la propagation du virus de la Covid-19 n’aurait aucun impact sur la détermination de la législation applicable. Ainsi, si un travailleur frontalier travaillant aux Pays-Bas et résidant en Belgique a été contraint de télétravailler dans le cadre des mesures Covid-19 dans son État de résidence (Belgique) et que ce télétravail atteint voire dépasse le seuil de 25 % de son temps de travail les lignes directrices adoptées par la CACSS ont eu pour effet de neutraliser totalement le télétravail et partant de maintenir l’affiliation du travail au régime de sécurité sociale néerlandais: bref, aucun changement au niveau de la législation applicable pour ces travailleurs et leurs employeurs. Ces lignes directrices sont d’application depuis le mois de février 2020 et – après plusieurs prolongations dépendant de l’évolution sanitaire – cesseront leurs effets au 1er juillet 2022. En effet, étant donné l’évolution de la situation sanitaire et le fait que toutes les mesures sanitaires ont été levées, la force majeure ne peut plus être invoquée comme base juridique aux lignes directrices précitées. Étant donné que plusieurs États membres au sein de la CACSS ont manifesté le souhait de mener une réflexion sur le télétravail en période post-Covid, la CACSS lors de sa réunion du 14 juin 2022 a approuvé l’instauration d’une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2022 pour la désignation de l’État membre compétent pour la sécurité sociale des télétravailleurs. Il s’agit de travailleurs qui télétravaillent dans leur État de résidence pour le compte de leur employeur établi dans un autre État membre. Cette période transitoire s’aligne sur la période «sans impact Covid-19» qui s’achève le 30 juin 2022, étant donné que la pandémie ne constitue plus une situation de force majeure qui suspend le fonctionnement des règles de désignation pour les modes de travail modifiés par la pandémie (comme l’augmentation du télétravail). La période transitoire a les mêmes effets que les mesures Covid-19, de sorte qu’il n’y a pas de changement de l’État membre compétent à partir de 25 % de télétravail dans l’État de résidence. Là encore, aucune formalité particulière n’est requise de la part de l’employeur ou du travailleur. La période supplémentaire de six mois permet aux administrations, aux employeurs et aux individus concernés de s’organiser de manière adéquate et donne à la Commission administrative la possibilité d’évaluer plus amplement la situation spécifique du télétravail et d’élaborer des mesures structurelles. La période transitoire s’applique aux activités de télétravail existantes et nouvelles. La Belgique appliquera cette période transitoire. Enfin, un groupe de travail doit être institué au sein de la CACSS afin de réfléchir en profondeur au télétravail dans l’ère post-Covid uniquement pour les aspects liés à la détermination de la législation applicable (titre 2 du règlement (CE) no 883/2004) : ce groupe de travail n’est pour l’heure pas encore institué. Une solution européenne doit, en effet, être privilégiée dans la mesure du possible afin de conserver l’interprétation et l’application uniformes du droit européen consacrant la coordination des systèmes de sécurité sociale sur le territoire de l’Union européenne.

Les aspects fiscaux de la question relèvent de la compétence de mon collègue, Vincent Van Peteghem, vice-premier ministre et ministre des Finances.

En ce qui concerne l’impact possible d’un retour à la normale sur le marché du travail, il a été souligné que certains employeurs peuvent ne pas permettre à leurs travailleurs frontaliers de prendre plus d’une journée de télétravail par semaine ou que d’autres peuvent être réticents à recruter des travailleurs de l’autre côté de la frontière. À cet égard, il convient de souligner que la différence de traitement liée au télétravail entre les travailleurs nationaux et transfrontaliers pourrait constituer une discrimination indirecte de la part des employeurs concernés. Le Parlement européen a alerté la Commission européenne sur ce point. Mais, cette question relève plus particulièrement de la compétence de mon collège, Pierre-Yves Dermagne, vice-premier ministre et ministre de l’Économie et du Travail.

2) Je renvoie à la réponse apportée sous la question 1). Pour ce qui concerne le télétravail en période post-Covid-19, mon administration attend l’instauration du groupe de travail au sein de la CACSS qui devra mener une réflexion en profondeur afin dégager des solutions solidement étayées sur le plan juridique afin de garantir la sécurité juridique tant pour les travailleurs mobiles que leurs employeurs. Nous espérons que ce groupe de travail pourra être mis en place pendant la période d’été afin de s’atteler rapidement à la tâche. Plusieurs experts de mon administration se sont déjà portés volontaires pour participer aux travaux de ce groupe de travail européen et sont occupés en ce moment à formuler des propositions de solution qui pourraient être d’emblée partager avec les membres de ce groupe de travail.

3) a) & b) Le seuil de 25 % pour déterminer si le travailleur pluriactif effectue une activité substantielle dans son État membre de résidence est défini par l’article 14, paragraphe 8 ; du règlement d’application (CE) no 987/2009 du règlement (CE) no 883/2004. Par conséquent, seul le législateur européen est habilité à relever le seuil précité de 25 %. Il ne faut pas perdre de vue non plus que ce seuil de 25 % est lié à l’hypothèse de pluriactivité qui constitue une exception à la règle de base de la lex loci laboris (application de la législation de l’État membre sur le territoire duquel est effectué le travail) et que la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que ces exceptions sont de stricte application. Par ailleurs, relever le seuil de 25 % précité uniquement pour le télétravail risque de créer une discrimination injustifiée avec d’autres catégories de travailleurs pluriactifs tels que par exemple les transporteurs routiers internationaux. Or ce dernier secteur est très perméable à la fraude et aux abus. Par conséquent, des travaux de réflexion et d’analyse doivent être menés en profondeur comme déjà mentionné au sein du groupe de travail à instituer au sein de la CACSS afin de pouvoir dégager des règles juridiques solides et apportant la sécurité juridique requise. Nous sommes pleinement impliqués dans de cette voie.

4) Comme précisé dans ma réponse à la question 3) c), nous sommes parfaitement au courant de cette initiative et plusieurs experts de mon administration se sont portés volontaires afin d’assister aux travaux menés au sein du groupe de travail à instituer au sein de la CACSS. S’agissant de la révision des règlements (CE) nos 883/2004 et 987/2009, celle-ci fait suite à une proposition législative de la Commission européenne du 13 décembre 2016 et seuls deux chapitres sont encore ouverts à négociations, à savoir d’une part le chapitre relatif à la détermination de législation applicable et d’autre part celui relatif à l’assurance chômage relevant de la compétence de mon collègue, le ministre Dermagne.

5) a) & b) Cette question relève de la compétence de mon collègue, Vincent Van Peteghem, vice-premier ministre et ministre des Finances.