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Question écrite n° 5-8483

de Richard Miller (MR) du 13 mars 2013

au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et des Affaires européennes

La levée des sanctions contre le Zimbabwe dans le cadre du Processus de Kimberley

Zimbabwe
pierre précieuse
trafic illicite

Chronologie

13/3/2013Envoi question
5/7/2013Réponse

Requalification de : demande d'explications 5-2473

Question n° 5-8483 du 13 mars 2013 : (Question posée en français)

Les diamants en provenance de la zone de Marange au Zimbabwe, décrite comme " la plus grande découverte de diamants alluviaux de l'histoire de l'humanité ", avaient été mis sous embargo en raison des infractions qui avaient été constatées, allant à l'encontre des règles standard minimales du Processus de Kimberley. Les rapports sur des faits de violences commis par le gouvernement zimbabwéen à l'encontre des chercheurs de diamants, ont poussé l'Union européenne à prendre des sanctions envers le Zimbabwe.

A présent, suite à la modernisation des mines du site de Marange, à l'accès au site à des contrôleurs indépendants et à l'établissement d'un processus permettant la traçabilité des diamants à l'état brut, ceux-ci peuvent être exportés et peuvent circuler dans le circuit officiel. Le Processus de Kimberley a donné son feu vert en novembre dernier, permettant ainsi quatre des cinq mines de Marange de commercialiser les diamants.

Le gouvernement zimbabwéen peut à présent compter sur l'exportation de ses diamants pour redresser la situation économique du pays. En effet, cette exportation pourrait remplir les caisses de l'Etat à hauteur de deux milliards de dollars chaque année. Il est vrai que le Zimbabwe, l'un des pays les plus pauvres au monde, doit pouvoir valoriser ses richesses naturelles et nationales. Mais il n'existe aucune garantie que la population zimbabwéenne bénéficie de cette rente. Il est même tout à fait probable que ce soit le parti de Robert Mugabe qui en soit le principal bénéficiaire.

L'ONG Global Witness, qui a œuvré pour la création du Processus de Kimberley, a quitté le PK à la suite de la décision prise en novembre dernier. Selon cette ONG, certaines entreprises ayant des parts non négligeables dans la commercialisation de ces diamants, dont Anjin Investments, un " joint-venture " (entreprise commune) sino-zimbabwéen, seraient peu transparentes et ne publieraient aucune donnée sur les transactions menées ou sur les fonds payés au gouvernement zimbabwéen. L'entourage de Robert Mugabe serait assez proche des entreprises en questions. Par ailleurs, ces entreprises engageraient du personnel militaire, dont les responsables seraient des officiers proches de Mugabe. Nick Donovan, membre de l'ONG susmentionnée, parle à présent de " diamants militarisés ".

Monsieur le Ministre,

Quelle est la position de notre gouvernement au sujet de l'exportation des diamants en provenance de Marange au Zimbabwe ? Quelle est la position de la Commission européenne, qui représente les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne au sein du Processus ? L'Union européenne va-t-elle poursuivre les sanctions à l'encontre des diamants en provenance de Marange ?

Comment s'assurer que la commercialisation des diamants en provenance de Marange soit faite de manière transparente et honnête ? De quelle manière s'assurer que les diamants du Zimbabwe servent à remplir les caisses de l'Etat et non les caisses du parti politique de Robert Mugabe, ou de l'armée/police, vu les implications du personnel militaire avec les entreprises susmentionnées ? Le processus de Kimberley a-t-il pris en considération ces éléments ?

De quelles informations disposez-vous sur Anjin Investments, une entreprise chinoise utilisant des méthodes obscures ? Quelle est la position du Processus de Kimberley concernant ce " joint-venture " et de son manque de transparence ? Quelles conséquences ces méthodes douteuses peuvent-elles avoir sur le commerce du diamant ?

Quelle est votre point de vue concernant l'ONG Global Witness, qui a quitté le Processus de Kimberley à la suite de la décision prise en novembre dernier ? Les critiques sont-elles fondées ? Si oui, le processus de Kimberley prend-il en compte ces critiques ?

Finalement, étant donné le caractère consensuel du Processus de Kimberley, et étant donné le nombre de gouvernements ne respectant pas l'éthique du PK mais en faisant tout de même partie, le Processus de Kimberley a-t-il toujours lieu d'être ?

A cet égard, en commission des finances du sénat, le 10 juillet dernier, les responsables des SPF Finances et Affaires étrangères ont mentionné la volonté de la Belgique de demander une levée au moins partielle de l'embargo. Qu'en est-il ?

Réponse reçue le 5 juillet 2013 :

1.En réponse à votre question, il convient de garder à l’esprit la distinction nette à faire entre le Processus de Kimberley et la procédure d’adoption de sanctions Union européenne (UE) à l’égard du Zimbabwe. Le premier est un accord technique consensuel (KPCS ou Kimberley Process certification scheme) entré en vigueur en 2003 et qui définit dans quelles conditions un État partie peut importer et exporter du diamant brut. Il rassemble actuellement 55 membres dont l’UE (qui représente les 27).  

L’adoption de sanctions est, quant à elle, une décision politique de l’UE prise à l’unanimité par le Conseil Affaires Étrangères, sur base de propositions discutées au sein du Groupe Afrique et le cas échéant du Comité Politique et de Sécurité.  

La Belgique s'est toujours montrée un partenaire loyal de l'UE. Elle a dès lors mis en oeuvre le gel des avoirs frappant certaines entités zimbabwéennes, en particulier le parastatal en charge des concessions minières ZMDC (Zimbabwe Mining Development Corporation).  

Cela dit et comme vous le soulignez justement le diamant constitue désormais un levier important pour redresser la situation économique du Zimbabwe. Selon certaines estimations difficiles à vérifier, le Zimbabwe recèlerait 25 % des réserves mondiales connues. Or, c’est le seul minerais zimbabwéen frappé par les sanctions de l’Union européenne. 

Le Conseil Affaires étrangères du 23 juillet 2012 a décidé de lever la suspension de la coopération au développement UE (art. 96 de l'Accord de Cotonou) de manière à permettre à l’Union européenne de négocier avec le Gouvernement zimbabwéen la reprise de l’aide au développement à partir de 2014 (11ème FED). Cependant, la Belgique estime que l’action de l’UE n’est pas cohérente si cette reprise de l’ aide reste combinée à un blocage par ailleurs du développement économique du Zimbabwe à travers des sanctions économiques contre un large pan du secteur diamantaire. 

En outre le processus de Kimberley (PK), ainsi que les représentants de la société civile locale, ont constaté en novembre 2011 que les violences qui avaient marqué la zone de Marange en 2008, et qui étaient à la base de l’ajout de l’entité ZMDC sur la liste des sanctions, étaient du passé et que l’exploitation du diamant dans cette zone se faisait conformément aux règles du PK (voir plus loin). Les chefs de mission de l’UE à Harare ont également visité Marange récemment et ont pu y faire le même constat. 

2. Au sein du processus de Kimberley, la Commission européenne définit sa position après concertation des Etats Membres de l’UE au sein d’un Comité ad hoc en amont des réunions plénières du PK.  

En ce qui concerne le dossier des diamants de Marange, l’objectif de l’UE a toujours été d’éviter le blocage voire l’implosion du PK en favorisant les compromis qu’implique la règle du consensus.  

3. La question des sanctions UE est d’un autre ordre. Elles relèvent de la politique étrangère commune de l’UE. Les sanctions sont définies dans une position commune qui doit être renouvelée chaque année depuis 2002 et la liste des personnes et entités visées fluctue en fonction de la situation politique du pays.  

Comme vous le savez, un gouvernement d’union nationale a été formé en 2009 et regroupe le ZANU-PF du Président Mugabe et le MDC de l’opposition. Ce progrès n’a cependant pas eu tous les effets escomptés en termes de rétablissement de l’État de droit et de la démocratie .Raison pour laquelle les sanctions ont été renouvelées en février 2013 par l’UE. Dernièrement cependant la tenue d’un référendum constitutionnel qui doit être suivi par des élections législatives est un développement très positif.  

L’UE a donc décidé de suspendre l’application de l’art 96 de l’Accord de Cotonou en vue de reprendre la coopération sous condition d’une évolution positive du processus politique. En février dernier, le Conseil de l’UE a décidé de lever les sanctions sur l’entité ZMDC (responsable de la production des diamants) après les élections pour autant que celles-ci se déroulent de façon pacifique, transparente et crédible. 

4. L’adoption de la décision du Processus de Kimberley sur les exportations de Marange vise à améliorer la transparence de la commercialisation des diamants de cette région. J’estime que la situation actuelle au sein de l’UE va en réalité à l’encontre des objectifs de transparence, puisqu’elle détourne les exportations vers des marchés qui adoptent des mesures de contrôle et de transparence moins élevés que ceux respectés par le centre d’Anvers. C’est également le plaidoyer maintes fois répété par l’actuel ministre des Finances du Zimbabwe, Tendai Biti, (du MDC-T – ancien parti d’opposition) qui demande la levée des sanctions afin de permettre un meilleur contrôle des exportations pour permettre notamment au Gouvernement d’Union nationale d’œuvrer en faveur de la reconstruction du pays. 

5. La Décision administrative prise à Kinshasa en novembre 2011 a autorisé la réintégration des diamants de Marange dans le système de certification sous certaines conditions. Un team de vérificateurs indépendants a notamment été chargé du contrôle et du suivi de la situation sur le terrain. Les quatre sociétés locales qui exploitent le diamant à Marange ont toutes été jugées “conformes” aux normes du KPCS par les vérificateurs, y compris la société Anjin .

D’après l’acte de constitution de la société Anjin, celle-ci est une joint venture entre la société zimbabwéenne Matt Bronze Enterprises (Private) Ltd et la société chinoise Anhui Foreign Economic Construction (Group) Co Ltd.  

L’Organisation non-gouvernementale (ONG) Global Witness a publié en juin 2012 un rapport qui émet des hypothèses sur base de rapports de presse non précisés et de libres déductions, quant à des liens entre Matt Bronze et des militaires et policiers zimbabwéens.  

6. La décision de Global Witness de se retirer de la coalition de la société civile partie prenante au PK avec statut d’observateur relève d’un jugement autonome de cette ONG. Je le regrette, d’autant plus que Global Witness fait partie des ONG qui ont été à la base de la création du PK. Cependant, il convient de souligner que d’autres ONG restent très actives au sein du PK. 

7. L’adoption du Système de Certification du Processus de Kimberley a permis d’instaurer un contrôle par les pairs, sur base consensuelle, du respect d’exigences de base dont l’objectif principal était de s’assurer que la vente de diamants bruts à travers le monde ne serve plus à financer des groupes armés et des guerres civiles meurtrières. C’est pourquoi, je pense qu’on peut dire aujourd’hui que le Processus de Kimberley a très largement rempli son objectif.  

Ce système de contrôle repose sur un échange de données statistiques sur le commerce international de diamant brut et sur des visites de revue dans les pays membres, qui permettent de formuler des recommandations en vue d’une meilleure mise en œuvre par le pays contrôlé, des exigences minimales du système de certification.  

Bien entendu il s’agit d’un système qui n’est pas parfait et c’est pour cela que chaque année, les pays membres se réunissent et proposent des décisions et des modifications des exigences. Je souligne également que le PK a entrepris un grand exercice de réflexion portant sur une réforme complète du système, tant dans ses définitions que dans son mode de fonctionnement. Je tiens cependant à rappeler que le Processus fonctionne (bien qu’imparfaitement) et qu’il faut se garder d’adopter encore des normes plus exigeantes sans veiller à une meilleure mise en œuvre des normes existantes. Pour Anvers, où le niveau de contrôle et de mise en œuvre des normes du PK est l’un des meilleurs au monde, il s’agit de chercher à ce que le PK permette d’atteindre le niveau le plus égal possible de mise en œuvre à travers les différents centres diamantaires, pour éviter la concurrence déloyale (c’est ce que l’on appelle le « level paying field »). 

8. Depuis la réintégration de la zone de Marange dans le KPCS, les diamants de ZMDC et de ses filiales sont vendus librement sur le marché international, sans que la place d’Anvers ainsi que d’autres acheteurs européens ne puissent y avoir accès en vertu des sanctions.  

Il en résulte que le diamant y est légalement vendu à des traders arabes et asiatiques à un prix inférieur à celui du marché, et sans que des acheteurs de bonne foi ne puissent vérifier les flux financiers qui en résultent. Cette situation est dénoncée même par l’opposition zimbabwéenne qui a rejoint le gouvernement de coalition dans le cadre de l’accord politique global et que les sanctions visent à protéger. Non seulement le Zimbabwe perd le bénéfice d’importantes ressources financières mais en outre les acteurs les mieux à même de garantir que les paiements se fassent de manière transparente sont absents, de sorte qu’il ne leur est pas possible de vérifier la destination de leurs paiements. 

Enfin, cette situation contribue à déforcer la place d’Anvers, et donc l’avenir de l’industrie et du commerce du diamant dans notre pays, au bénéfice de concurrents arabes et asiatiques.  

Pour toutes ces raisons, la Belgique n’a eu de cesse de plaider pour un de-listing, ou au moins une suspension du listing de ZMDC permettant de vérifier que l’argent versé aboutisse dans les caisses du Trésor zimbabwéen. Les partenaires européens, et en particulier le Royaume Uni, les Pays Bas et l’Allemagne, confrontés à une opinion publique peu nuancée raisonnant encore toujours en termes de « diamants du sang », sont par contre réticents. C’est pour répondre à leurs inquiétudes que le compromis de février dernier a été d’attendre la bonne tenue des élections avant de supprimer définitivement les sanctions qui frappent les diamants de Marange.