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Question écrite n° 5-7753

de Yoeri Vastersavendts (Open Vld) du 16 janvier 2013

à la ministre de la Justice

Bitcoins (BTC) - Non-traçabilité du mode de paiement - Devise électronique - Commerce illégal en ligne - Trafic de drogue - Trafic d'armes - Crime

devise
traçabilité
trafic de stupéfiants
commerce des armes
bancatique
commerce électronique
monnaie électronique
criminalité organisée
trafic illicite
Cellule de traitement des informations financières
monnaie virtuelle

Chronologie

16/1/2013Envoi question
22/5/2013Rappel
18/12/2013Rappel
28/1/2014Réponse

Aussi posée à : question écrite 5-7752

Question n° 5-7753 du 16 janvier 2013 : (Question posée en néerlandais)

Les « bitcoins » (BTC en abrégé) sont une monnaie d'une espèce nouvelle. Ils sont entrés en usage en 2009. Contrairement à la plupart des autres monnaies, aucune banque centrale ne garantit la validité des bitcoins. Ils sont basés sur un système gigantesque décentralisé de type pair à pair (P2P) où les transactions sont « sécurisées » par un procédé crytographique extrêmement puissant. La faible quantité de bitcoins est une des raisons de l'engouement de ses utilisateurs : le taux de change ne peut être abaissé comme c'est le cas pour une monnaie centralisée où l'on peut faire jouer la planche à billets. On échange quotidiennement l'équivalent de quelque 30.000 dollars pour effectuer toutes sortes d'achats en ligne. Les bitcoins peuvent être utilisés sur l'internet sans passer par un compte en banque, de sorte qu'il est impossible d'assurer la traçabilité des comptes. C'est pour cette raison que les bitcoins sont utilisés pour effectuer des transactions illégales, comme par exemple l'achat en ligne de drogue (exemple : Silk Road ). Les bitcoins constituent donc une monnaie anarchiste utilisée pour des transactions anonymes. Leur traçabilité est tout à fait impossible. Ils relèvent du concept de crypto-monnaie.

Mes questions sont les suivantes.

1) La ministre connaît-elle ce phénomène de crypto-monnaie et plus particulièrement la popularité des bitcoins comme moyen de paiement sur internet ?

2) Comment évalue-t-elle l'incidence de ce mode paiement et les possibilités que la crypto-monnaie offre aux marchés illégaux en ligne ? Ce phénomène est-il déjà suivi et dans l'affirmative, par quels services ?

3) A-t-elle connaissance de la non-traçabilité et du caractère anarchiste du système décentralisé de type pair à pair et envisage-t-elle une enquête plus approfondie en matière de lutte contre ce mode de paiement anonyme ? Peut-elle nous l'expliquer de manière détaillée ?

4) La Cellule de traitement des informations financières s'occupe-t-elle déjà de dossiers ? Dans l'affirmative, lesquels et sur quels montants portent-ils ? Dans la négative, pourquoi ?

5) Des monnaies virtuelles telles que les bitcoins ont-elles déjà été découvertes dans le cadre d'enquêtes portant sur le trafic de drogue, le trafic d'armes ou un autre type de crime organisé ? La ministre peut-elle fournir des données chiffrées ?

Réponse reçue le 28 janvier 2014 :

1) Bitcoin est un protocole peer-to-peer basé sur Internet* qui permet à tout un chacun d'envoyer de l'argent numérique (sous la forme de bitcoins). Il permet d'effectuer directement et sans intermédiaire une transaction d'une personne A vers une personne B. Il s'agit d'un système monétaire électronique décentralisé. Le protocole Bitcoin permet de payer au moyen de bitcoins. Les bitcoins peuvent être considérés comme des paquets de données auxquels une certaine valeur est attachée.

Les bitcoins sont créés via un processus appelé mining en anglais. Le mining (ou minage) consiste à générer des bitcoins par la résolution d'un calcul compliqué. Une récompense de 50 bitcoins est offerte si un ordinateur résout le calcul. Tout le monde peut s'adonner au minage en utilisant un logiciel de minage spécial et, le cas échéant, une installation de minage étendue (matériel). Une très grande puissance de calcul est toutefois nécessaire pour résoudre de tels calculs.

* (Un réseau peer-to-peer est généralement un réseau informatique dans lequel les ordinateurs connectés sont équivalents. Le terme vient de l'anglais peer qui signifie 'pair'. Un tel réseau ne possède pas de postes de travail et de serveurs fixes comme dans le modèle client-serveur, mais bien un certain nombre de connexions équivalentes qui fonctionnent comme serveur et comme poste de travail pour les autres connexions dans le réseau.)

2) Le nombre de services internet qui font circuler leur propre argent virtuel est en augmentation. Au départ, l'argent virtuel n'était utilisé que dans les mondes virtuels fermés tels que Second Life et RuneScape. Le système convertit une monnaie réelle en monnaie virtuelle. De la sorte, les entreprises impliquées amassent des sommes considérables sans devoir préalablement délivrer un service à cet effet.

Il n'existe actuellement aucune autorité bancaire ou publique pour contrôler la production ou l'utilisation de cet argent virtuel. De ce fait, on ne dispose pas non plus d’un aperçu du volume d’argent virtuel créé et il n’y a pas de certitude quant au fait qu’il existe une couverture effective pour chaque pièce de monnaie virtuelle en circulation.

Il convient de retenir qu'une adresse IP, qu'une adresse e-mail ou qu'un nom n'est jamais lié à une adresse Bitcoin. En d’autres termes, aucune identification n'est possible.

Il est évident que ce système facilite le blanchiment et les transferts illégaux.

3) Nous n'avons actuellement pas connaissance de plaintes ou de dossiers. Une analyse de ce phénomène sera réalisée afin de connaître et de pouvoir détecter les caractéristiques et les abus éventuels.

4 et 5) Ces dernières années, la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) a suivi de très près l'évolution dans les nouveaux systèmes de paiement de manière générale et plus spécifiquement le système Bitcoin. En tant qu'organe de coordination national pour la lutte contre le blanchiment, la CTIF a examiné les risques de blanchiment d'argent via Bitcoin.

Sur le plan international, elle a collaboré à cette fin avec les ‘Financial Intelligence Units’ (FIU) étrangères, le pendant de la CTIF, ce tant de manière bilatérale que dans le cadre du Groupe d'action financière (GAFI), un groupe intergouvernemental indépendant créé pour protéger le système financier contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Le GAFI a publié en 2006 déjà un premier rapport intitulé 'Report on New Payment Methods' qui faisait une estimation du risque de blanchiment pour les différents nouveaux systèmes de paiement. En 2008, la CTIF a dirigé un groupe de travail du GAFI qui s'est spécifiquement intéressé aux systèmes de paiement par Internet. A ce moment, le monde virtuel 'Second Life' était très populaire et le groupe de travail a analysé la vulnérabilité des sites web de jeu ou d'autres sites web commerciaux face au blanchiment ou au financement du terrorisme (‘Money Laundering & Terrorist Financing Vulnerabilities of Commercial Websites and Internet Payment Systems’). Enfin, en 2010, le GAFI a actualisé la première étude de 2006 dans le rapport ‘Money Laundering using New Payment Methods’ qui s’est intéressé aux cartes de débit prépayées, aux paiements par gsm et aux systèmes de paiement par Internet. A la suite de cette dernière étude, la CTIF a analysé la situation en Belgique à la fin 2011 au niveau des nouveaux systèmes de paiement. Pour cette analyse, elle a collaboré avec un certain nombre d'autres services belges concernés par cette matière : la DJF Ecofin (FCCU et OCDEFO), la DJP Terrorisme et Sectes de la Police judiciaire fédérale et la BNB.

Sur la base de sa propre expérience et de l'échange d’informations avec les services partenaires nationaux et internationaux, la CTIF est arrivée à la conclusion que les nouveaux systèmes de paiement possèdent un certain nombre de caractéristiques qui peuvent effectivement attirer les blanchisseurs et qui limitent les possibilités d'enquête des services de police et de la justice : le degré élevé d'anonymat des utilisateurs, la rapidité et le caractère international des transactions, la fragmentation chez les fournisseurs des systèmes (tant les joueurs du secteur financier que du secteur des télécommunications) et le manque de précision sur le cadre juridique applicable en sont les principales.

Ces facteurs sont certainement applicables au système Bitcoin vu que le degré d'anonymat lors des transactions peut être total et que les possibilités de régulation ou de contrôle font défaut. Bitcoin présente par conséquent un risque réel d'abus en termes de blanchiment d'argent. Ce risque porte surtout sur la circulation des fonds, que l'on appelle le deuxième stade du blanchiment.

Bitcoin permet en effet de transférer de l'argent anonymement entre différents utilisateurs du système et empêche de suivre la trace de l'argent.

Par ailleurs, les risques de blanchiment d'argent du système Bitcoin ne doivent pas non plus être surestimés. Les bitcoins peuvent bel et bien être utilisés pour faire circuler librement des fonds, mais pour la première phase (l'apport) et la troisième phase du processus de blanchiment (l'investissement), les canaux financiers 'traditionnels' doivent encore être utilisés. L’argent doit effectivement être converti de monnaie réelle en monnaie virtuelle et inversement. Le système préventif anti-blanchiment, qui est basé sur des déclarations d'opérations suspectes par des institutions financières et par un certain nombre de professionnels du secteur non financier, peut donc également être mis en place contre les opérations de blanchiment via le système Bitcoin. En raison de la réputation douteuse du système de paiement en ligne, la transformation de grands montants en bitcoins et leur apport dans l'économie légale devraient donner lieu à une prudence et une détection accrues. Les systèmes de paiement en ligne représentent en outre une forme de concurrence pour les systèmes de paiement classiques des institutions financières, de sorte que celles-ci n'hésiteront certainement pas à dénoncer un abus éventuel de leurs comptes dans ce cadre.

Cependant, la CTIF n'a encore reçu aucune dénonciation concernant les bitcoins. Cela ne semble pas être dû à un manque de connaissance ou de prudence chez les dénonciateurs, mais plutôt au fait que Bitcoin, malgré toute la publicité qui a été faite du système dans les médias, ne représente dans la pratique qu'une part marginale des paiements en Belgique. En outre, la chute récente de la valeur des bitcoins démontre la vulnérabilité du système, qui vaut évidemment aussi pour les blanchisseurs.

La CTIF ne dispose pas pour l'instant d'indications selon lesquelles le système des bitcoins est utilisé à grande échelle pour blanchir de l'argent. En raison de certains risques inhérents au système, le service continuera toutefois à l'avenir de suivre de près l'évolution de Bitcoin et des autres 'nouveaux' systèmes de paiement en collaboration avec des partenaires nationaux et internationaux.