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Question écrite n° 5-2323

de Martine Taelman (Open Vld) du 12 mai 2011

au ministre de la Justice

Avis de recherche (de personnes suspectées de délits graves et de détenus évadés) - Publication

affichage
détenu
liberté de la presse
droits de la défense
enquête judiciaire
instruction judiciaire
protection de la vie privée
lutte contre le crime

Chronologie

12/5/2011Envoi question
9/6/2011Réponse

Question n° 5-2323 du 12 mai 2011 : (Question posée en néerlandais)

Répondant à ma question écrite n° 4-5587 du 7 décembre 2009 relative à la publication d'avis de recherche, le ministre avait déclaré que cette question serait soumise au réseau d’expertise procédure pénale le 23 avril 2010 et qu'il me tiendrait aux courant des développements ultérieurs. À ce jour, je n'ai cependant reçu aucune nouvelle à ce sujet.

D'où ma question :

Le ministre voit-il un inconvénient à la publication d'une telle liste ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi pas ?

Réponse reçue le 9 juin 2011 :

En réponse à cette question parlementaire, je vous communique en annexe la note examinée et approuvée pendant la réunion du 23 avril 2010 du réseau d’expertise procédure pénale.

Parquet près la cour d'appel d'Anvers.

Publication d’une « most wanted-list en Belgique »: police, presse et citoyens deviendront-ils des alliés? Un exercice d'équilibre entre la lutte contre la criminalité et le droit au respect de la vie privée.

Introduction.

Les Pays-Bas souhaitent impliquer le public dans la recherche de détenus évadés ou de fugitifs en utilisant une most wanted-list, par analogie avec la liste placée par le FBI sur son site web. Cette liste comprend la photo et le signalement des auteurs ou personnes suspectées de délits graves. Par conséquent, une question a surgi au sein du Parlement belge visant à savoir si la publication de pareille liste poserait problème en Belgique.

La présence de la presse dans le cadre d'opérations policières a toujours été un sujet délicat. La police et le parquet estimaient que pareille présence avait un caractère plutôt perturbant et nuisait au déroulement de leur enquête. Car en Belgique, le secret de l'enquête et la présomption d'innocence sont d'application. La presse, en revanche, invoque sa mission d'informer la population de ce qui se passe dans la société.

A la suite de ces difficultés, un enchevêtrement de législation, de règles et de prescriptions concernant les média et le journalisme a vu le jour.

Que faire dès lors que la justice et les média se rapprochent et que l'on fait intervenir les médias dans la lutte contre la criminalité? La mission de la presse peut-elle être élargie afin de passer de celle de chien de garde à celle d'auxiliaire de la justice?

Au sein de notre société, la recherche d'auteurs de délits ne revêt pas un caractère absolu, mais il faut notamment tenir compte du droit au respect de la vie privée, du secret de l'instruction et de la présomption d'innocence. Par conséquent, il est souhaitable d'examiner ces principes de plus près afin de vérifier si la publication d'une most wanted-list est tolérable en Belgique. Avant de procéder à cet examen, nous jetons un coup d'oeil sur la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme en la matière. Il convient d'éviter à tout prix une condamnation par la Cour européenne.

1. The right to be let alone.

La Cour européenne des Droits de l’Homme veille au respect de l'article 8 de la CEDH qui garantit à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi que de sa correspondance. L'objectif de la présente note consiste à analyser si la création d'une most wanted-list est conforme aux exigences de la Cour européenne et en particulier à sa juridiction relative à l'article 8 de la CEDH.

L’article 8 de la CEDH dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de cedroit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.. »

L'article 8 de la CEDH autorise donc des exceptions: la violation du respect de la vie privée doit être prévue par loi (contrôle de la légalité), nécessaire dans une société démocratique (contrôle de la nécessité) et viser une objectif légitime (contrôle de la légitimité). L'idée règne selon laquelle quasi aucun droit fondamental ne bénéficie d'une protection absolue, mais est limité par les libertés des autres ou l'intérêt général.

Quoique la Cour ne se soit encore jamais prononcée sur une most wanted-list en tant que telle, la Cour s'est déjà prononcée dans l'arrêt du 11 janvier 2005 Sciacca versus Italie sur la diffusion légitime ou non de photos de suspects et sur la conformité de cette diffusion avec l'article 8 de la CEDH. Dans le cadre de cette affaire, une enseignante italienne fut arrêtée à la suite de son éventuelle implication dans une affaire de fraude fiscale. Le parquet avait pris des photos et des empreintes digitales et avait ensuite convoqué une conférence de presse pour informer la presse sur l'affaire. Les jours suivants, deux journaux avaient publié des photos de suspects dont celle de l'enseignante italienne. Trois ans plus tard, cette dernière fut condamnée à vingt mois d'emprisonnement et une amende. Elle s'est plainte devant la Cour d'une violation de sont droit au respect de la vie privée par les autorités italiennes, parce que ces dernières avaient transmis ces photos de son arrestation à des journalistes.

L'arrêt précité de la Cour européenne interprète le droit à la vie privée au sens large et dispose que la notion de vie privée comprend des éléments liés au droit à l'image et que la publication d'une photo fait partie de la vie privée. Pour cette raison, la diffusion par le parquet de photos du suspect est considérée comme une ingérences des autorités dans la vie privée. L'Italie a été condamnée parce que la communication de photos du dossier pénal par le parquet aux média en Italie n'était pas réglementée par loi. La Cour est parvenue à la conclusion que l'absence d'un fondement légal fait automatiquement de l'ingérence des autorités une infraction à l'article 8 de la CEDH. La Cour ne s'est cependant pas prononcée sur la question de savoir si la diffusion de photos par le parquet, en dehors du contrôle de légalité, constituait ou non une violation de l'article 8 de la CEDH. Quoi qu'il en soit, l'arrêt Sciacca indique clairement qu'un cadre légal doit fixer les modalités et les conditions de la communication et la diffusion de données du dossier pénal.

Néanmoins, nous ne pouvons perdre de vue que la Cour européenne protège de manière très poussée le droit au respect de la vie privée, principalement de personnes privées.

Par ailleurs, le secret de l'instruction constitue également un élément important dans le cadre de la présente analyse. Les autorités et en particulier les collaborateurs de la justice et de la police sont liés par le devoir de garder secret le contenu du dossier pénal, sous réserve de l'intérêt public ou social qui peut justifier la communication de certaines informations à la presse.

Néanmoins, l'article 10 de la CEDH peut être opposé à l'article 8 de la CEDH et au secret de l'instruction. L'article 10 de la CEDH garantit le droit à la liberté d'expression. Sur la base de l'article 10 de la CEDH la presse dispose bel et bien du droit de publier des photos d'un suspect pour autant que le procès rapporté est d'un intérêt social pertinent ou que le suspect soit un personnage public.

Dans l'arrêt News Verlags GmbH & CoKG contre Autriche du 11 janvier 2000 la liberté d'expression l'a emporté sur le droit au respect de la vie privée d'une personne suspectée de l'envoi de lettres piégées à plusieurs politiciens. Le magazine « News » a publié un article sur des sympathies d'extrême-droite et a accompagné cet article d'une photo du suspect. La cour supérieure de justice d'Autriche a interdit la publication de la photo du suspect après avoir évalué le droit au respect de la vie privée par rapport au droit à l'information. Le magazine « News » a estimé que cette interdiction constituait une violation de la liberté de la presse. La Cour européenne a estimé que la violation était bel et bien prévue par loi et qu'elle poursuivait également un objectif légitime. L'objectif était de protéger le suspect contre des insultes et la violation de la présomption d’innocence. Néanmoins, la Cour a estimé que l'interdiction absolue de publier la photo du suspect allait trop loin parce que l'interdiction de publier la photo n'était pas nécessaire dans une société démocratique. Cet arrêt indique clairement que la Cour européenne ne considère pas automatiquement la publication d'une photo d'un suspect comme une violation de l'article 8 de la CEDH . Une évaluation des intérêts tenant compte de tous les éléments pertinents s'impose pour chaque cas.

Compte tenu de la jurisprudence européenne précitée, il ne faut pas croire trop rapidement que la Cour européenne ne considérerait pas la publication d'une most wanted-list comme un problème. Les affaires Sciacca contre Italie et News Verlags GmbH & CoKG contre Autriche sont néanmoins d'un autre ordre. Il s'agit de cas individuels qui s'inscrivent dans le cadre du rapportage journalistique. Dans les affaires précitées, la publication de photos n'avait rien à voir avec l'aspect recherche.

Contrairement à l'Italie dans l'affaire Sciacca, la Belgique peut s'appuyer sur quelques dispositions légales, en particulier les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 du Code d'instruction criminelle et l'article 35 de la loi sur la fonction de police. Les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 disposent sous quelles conditions strictes le parquet peut communiquer des données à la presse. L'article 35 de la loi sur la fonction de police est une disposition similaire qui est cependant uniquement d'application aux fonctionnaires de police. Les articles précités seront examinés de manière détaillée dans la présente note. Il sera vérifié si ces articles constituent une base légale suffisante pour la création d'une most wanted-list et si les exceptions autorisées en vertu des articles précités répondent aux conditions de nécessité et de légitimité au sens de l'article 8 de la CEDH.

Le but serait de publier la liste sur le site officiel de la police et de la rendre ainsi accessible au public. C'est cette spécificité de la most wanted-list qui constitue un élément d'évaluation important pour vérifier si les droits au respect de la vie privée des intéressés peuvent être conciliés avec la nécessité de mener à bien une information ou une instruction. En outre, contrairement à un avis de recherche ou une publication dans la presse,la most wanted-list n'est pas utilisée comme un instrument unique, mais présente un caractère général et est accessible 24h/24. Ce caractère permanent génère un impact plus important tant sur la vie privée de l'intéressé que sur les résultats de l'enquête.

2. Les articles 28quinquies, § 3, et 57, § 3, du Code d'Instruction criminelle.

Les articles 28quinquies, § 3, et 57, § 3, du Code d'Instruction criminelle concernent le secret de l'instruction. Le point de départ de ces articles est d'éviter que le nom du citoyen, qui ne sera peut-être pas du tout renvoyé ou condamné ultérieurement, soit jeté sur la place publique, que des informations parviennent à des coupables - encore inconnus - ou que des éléments de preuve essentiels se perdent. Ce secret de l'instruction doit toutefois être concilié avec la liberté de la presse et le droit à l'information du public. En effet, il est important que dans des affaires qui touchent l'opinion publique, le public soit tenu au courant de l'état d'avancement d'une enquête afin d'éviter qu'il ne se pose des questions.

Une tentative a été entreprise au paragraphe trois des articles précités. Le procureur du Roi peut, de l'accord du juge d'instruction si cela concerne une enquête judiciaire et lorsque l'intérêt public l'exige, communiquer des informations à la presse. Il veille au respect de la présomption d'innocence, des droits de la défense des personnes soupçonnées, des victimes et des tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Dans la mesure du possible, l'identité des personnes citées dans le dossier n'est pas communiquée.

Lors de la rédaction de ces dispositions, des questions ont surgi par rapport à ce qu'on devait précisément entendre par 'intérêt public'. Il a ainsi été proposé dans un amendement de communiquer des données à la presse uniquement lorsque le maintien de l'ordre public le requérait, ce qui n'a cependant pas été estimé acceptable par le ministre de l'époque. Il a par ailleurs été objecté que dans de très nombreux cas, le public a droit à l'information, sans qu'il ne soit nécessaire de démontrer que l'intérêt public le requiert. Cet amendement fut cependant également rejeté. La condition d'intérêt public laisse en tous les cas une grande liberté de gestion aux autorités judiciaires. Ainsi, la nature de l'affaire et les personnes impliquées dans l'affaire constitueront un facteur important dans le processus de décision concernant le fait que l'intérêt public requiert ou non la communication d'informations.

En outre, le ministère public devra également tenir compte des autres conditions restrictives prévues dans les dispositions légales: la présomption d'innocence, les droits de la défense de la personne inculpée, la victime et les tiers, la vie privée, la dignité des personnes et le principe selon lequel l'identité des personnes citées dans le dossier n'est pas communiquée.

La présomption d'innocence, garantie à l'article 6 de la CEDH, requiert selon la Cour européenne que la communication d'informations soit assortie de toutes la discrétion requise par le respect de la présomption d'innocence. Il convient donc, d'une part, d'examiner si par une communication déterminée le public est amené à croire en la culpabilité d'une personne ou si une communication déterminée pourrait faire naître une pression sur le juge pour faire déclarer le prévenu coupable. Lorsque seuls sont communiqués des faits susceptibles d'aucune contestation, ces informations résisteront au contrôle de la présomption d'innocence. Il en ira cependant tout autrement lorsque les autorités communiqueront également une évaluation des faits.

Il convient également de veiller aux droits de la défense du suspect, de la victime et des tiers. Il est admis que le procureur ne peut mettre les parties dans une position moins favorable par la communication de renseignements. Ce sera le cas lorsque les renseignements fournis par les parties sont contestées dès lors que les informations émanant d'un procureur ont une autorité plus importante que celles émanant des parties.

Par ailleurs, il convient également de respecter la vie privée et la dignité des personnes. Un procureur peut uniquement divulguer les informations nécessaires pour atteindre l'objectif qu'il vise par la communication d'informations. Il doit par conséquent respecter le principe de la proportionnalité.

Enfin, l'identité des personnes citées dans le dossier n'est, dans la mesure du possible, pas communiquée. En effet, dans de nombreux cas la presse dispose d'informations qui doivent simplement être confirmées ou niées par le procureur. Par conséquent, il convient de déduire de cette dernière garantie qu'en principe l'identité ne sera pas divulguée, mais qu'il sera bien répondu aux questions de la presse concernant l'implication d'une personne concrète dans u!n délit déterminé.

Cette réglementation légale répond non seulement à l'intérêt de la diffusion d'information mais également au souhait que l'information publiée soit complète: mieux vaut une forme réglementée de diffusion d'informations de qualité que des communications officieuses par différents canaux.

Nous ne pouvons d'ailleurs pas perdre de vue que ces informations peuvent également servir les intérêts judiciaires. En effet, l'information du public peut permettre de créer un climat de confiance entre la presse et l'appareil judiciaire. La question qui se pose à présent est de savoir si l'on peut s'appuyer sur pareil lien de confiance pour faire appel au public dans le cadre de la collecte d'informations concernant certaines personnes en fuite ou encore à rechercher. Il nous semble difficile de justifier une most wanted-list par les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 du Code d'Instruction criminelle parce que pareille liste ne s'inscrit pas dans le cadre du droit à l'information. En effet, la most wanted-list est un instrument de recherche. En outre, il n'est pas vrai que la publication de l'identité et la publication de l'image du suspect serviraient dans tous les cas l'intérêt public et justifieraient ainsi la communication des données. Les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 du Code d'Instruction criminelle visent une évaluation des intérêts pour chaque cas individuel. La most wanted-list ne revête pas de caractère individuel, mais est général, collectif et permanent. Une most wanted-list reflète également l'identité du suspect, ce qui ne cadre pas dans les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 du Code d'Instruction criminelle. En d'autres termes, une most wanted-list présente un danger pour la présomption d'innocence protégée par les articles précités.

3. Article 35 de la loi sur la fonction de police

La réglementation précitée concernant la communication d'informations à la presse par les autorités judiciaire figure notamment de manière plus concrète à l'article 35 de la loi sur la fonction de police. tandis que l'article 28quinquies, § 3 reconnaît le secret de l'instruction comme principe général, l'article 35 de la loi sur la fonction de police concrétise ledit article: il règle spécifiquement la relation avec les média. Par ailleurs, l'article 35 de la loi sur la fonction de police n'est toutefois pas si large en ce qui concerne son champ d'application. En effet, le devoir général de secret s'applique à toute personne collaborant à titre professionnel à l'enquête préliminaire, tant les magistrats, les greffiers et les agents de police que les personnes chargées de tâches matérielles ou administratives, tandis que les dispositions de la loi sur la fonction de police sont uniquement d'application aux fonctionnaires de police administrative ou judiciaire, tels qu'énumérés par ladite loi.

L’article 35 de la loi sur la fonction de police se construit autour de deux droits et libertés qui sont opposés, mais qui, au sens de l'article 35, conservent leur droit d'existence sans entrer en conflit l'un avec l'autre. D'un côté, l'article 35 protège le droit au respect de la vie privée de certaines personnes. De l'autre se situe le droit à la liberté d’expression et le droit à l'information, des libertés chères aux média. Outre l'objectif de protection du droit au respect de la vie privée, l'article 35 de la loi sur la fonction de police avait également un objectif de convivialité par rapport aux médias. En d'autres termes, l'objectif sous-jacent de l'article 35 de la loi sur la fonction de police se situait au niveau de la recherche d'un compromis entre les droits au respect de la vie privée des personnes confrontées à la police et la liberté d'expression et d'information.

La disposition de l'article 35 vise la sécurisation de la vie privée des personnes concernées, mais impose simultanément les modalités selon lesquelles certaines données peuvent néanmoins être rendues publiques. Pareille construction adhère aux conditions du deuxième alinéa de l'article 8 de la CEDH . Car le deuxième alinéa de l'article 8 requiert une base légale pour toute ingérence dans la vie privée. Par ailleurs, la circulaire du 10 octobre 1995 concernant la relation entre les services de police et la presse soulignait que l'article 35 de la loi sur la fonction de police constitue non seulement une garantie au sens de l'article 8 de la CEDH, mais également une concrétisation du secret professionnel et du secret de l'instruction préparatoire

Dans trois paragraphes distincts, l'article 35 de la loi sur la fonction de police interdit certains actes de fonctionnaires de la police à l'égard de quelques formes d'attention des médias visant des personnes en leur pouvoir, des exceptions étant prévues pour chaque cas. Le premier alinéa de l'article 35 de la loi sur la fonction de police interdit aux fonctionnaires de police d'exposer, sans nécessité, à la curiosité publique les personnes en leur pouvoir.

L'alinéa deux interdit aux fonctionnaires de police soumettre ces personnes, sans leur accord, aux questions de journalistes ou de tiers, et à des prises de vue autres que celles destinées a leur identification ou à d'autres fins décidées par l'autorité judiciaire compétente. La prise de photos est donc bien autorisée moyennant le consentement de la personne concernée. En ce sens, le deuxième alinéa de l'article 35 peut être lié au droit à l'image auquel chacun a droit. Le principe de base est qu'il ne peut être procédé à la publication d'une photo d'une personne sans le consentement explicite de cette dernière. Cette règle fait cependant l'objet de quelques exceptions, notamment à l'égard de "personnes publiques" dans le cadre de reportages sur l'actualité ou dans le but d'informer le public. Les personnes privées devront également supporter dans certains cas strictes d'être reconnaissables lors de la publication d'une photo, lorsque cette publication concerne un intérêt public grave . L'alinéa 2 de l'article 35 de la loi sur la fonction de police dispose que la prise de photos est autorisée sans le consentement de la personne concernée en fonction de l'identification par l'autorité judiciaire ou à d'autres fins décidées par l'autorité judiciaire compétente.

L'alinéa 3 interdit à des fonctionnaires de police de révéler l'identité de personnes arrêtées, emprisonnées ou retenues. Cette interdiction ne s'applique pas lorsqu'il s'agit d'avertir les proches des personnes concernées. Par ailleurs, il peut être dérogé à l'interdiction de non communication de l'identité de la personne concernée avec l'accord de l'autorité judiciaire compétente. L'alinéa 3 précité a été élaboré dans trois circulaires ministérielles du Ministre de la Justice sur des principes et prescriptions en matière de communications à la presse émanant de la magistrature, du parquet et de la police. Si un intérêt social ou public suffisant est en jeu, les dispositions des circulaires et les prescriptions internes en matière de relation entre la presse et la justice prévoient la possibilité de communiquer des informations par les responsables de la police et du parquet

L'article 35 de la loi sur la fonction de police oriente donc clairement les fonctionnaires de police lorsqu'ils sont confrontés à des demandes d'informations de la presse ou du public ou lorsqu'ils souhaitent eux-mêmes s'adresser au public ou à la presse. Dans certains cas, ils peuvent eux-mêmes donner des informations dont ils disposent, dans d'autres cas, ils doivent permettre ou autoriser des contacts entre la presse et la personne concernée.

Tout comme les articles 28quinquies, § 3 et 57, § 3 du Code d'Instruction criminelle, l'article 35 de la loi sur la fonction de police, et en particulier ses alinéas 2 et 3, qui permettent notamment les prises de vue destinées à l'identification ou lorsqu'un intérêt social important est en jeu sur la base duquel une identité peut éventuellement être révélée, s'applique à des cas individuels. Une most-wanted liste ne s'inscrit pas dans ce contexte et hypothèque sérieusement la présomption d'innocence. Il peut également être renvoyé aux mêmes motifs sous le point 1, dernier alinéa.

4. Loi relative à la protection de la vie privée.

La loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel protège le citoyen contre l'abus de ses données personnelles. Ainsi, l’article 2 de la loi précitée précise que lors du traitement de données à caractère personnel la concernant, toute personne physique a droit à la protection de ses libertés et droits fondamentaux, et plus particulièrement à la protection de sa vie privée.

A plusieurs reprises, la commission pour la protection de la vie privée a estimé que les images visuelles constituent des données au sens de la loi précitée et que lorsqu'elles concernent une ou plusieurs personnes physiques identifiées ou qui peuvent l'être, ces données constituent en outre des données à caractère personnel au sens de la loi précitée.

Par conséquent, il convient de tenir compte de cette disposition légale lors de la publication d'une most wanted-list.

L'article 4 de la loi précitée dispose que les données à caractère personnel doivent être (i) traitées loyalement et licitement, (ii) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et (iii) ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités, compte tenu de tous les facteurs pertinents, notamment des prévisions raisonnables de l'intéressé et des dispositions légales et réglementaires applicables, (iv) adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont obtenues et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement, (v) exactes et, si nécessaire, mises à jour et enfin (vi) conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont obtenues ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement.

Le traitement de ces données à caractère personnel est également soumis à un cadre légal. En effet, l'article 5 dispose que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que (i) lorsque la personne concernée a indubitablement donné son consentement, (ii) lorsqu'il est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci, (iii) lorsqu'il est nécessaire au respect d'une obligation à laquelle le responsable du traitement est soumis par ou en vertu d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance, (iv) lorsqu'il est nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt vital de la personne concernée, (v) lorsqu'il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées, (vi) lorsqu'il est nécessaire à la réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le tiers auquel les données sont communiquées. Les données à caractère personnel peuvent donc être traitées dans les limites des conditions précitées pour autant que l'intérêt des droits et libertés fondamentaux de l'intéressé invoquant la protection du chef de cette loi ne soient pas plus importants.

Il est en outre explicitement prévu que le traitement de données à caractère personnel relatives à des litiges soumis aux cours et tribunaux ainsi qu'aux juridictions administratives, à des suspicions, des poursuites ou des condamnations ayant trait à des infractions, ou à des sanctions administratives ou des mesures de sûreté est interdit. Néanmoins, cette interdiction ne s'applique pas aux traitements effectués sous le contrôle d'une autorité publique ou d'un officier ministériel au sens du Code judiciaire, lorsque le traitement est nécessaire à l'exercice de leurs tâches; par d'autres personnes lorsque le traitement est nécessaire à la réalisation de finalités fixées par ou en vertu d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance; par des personnes physiques ou par des personnes morales de droit public ou de droit privé pour autant que la gestion de leurs propres contentieux l'exige; par des avocats ou d'autres conseils juridiques, pour autant que la défense de leurs clients l'exige ou encore pour les nécessités de la recherche scientifique, dans le respect des conditions fixées par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avis de la Commission de la protection de la vie privée.

Le traitement de données dans le cadre d'une most wanted-list peut-elle être autorisée conformément à la loi relative à la protection de la vie privée? Quoique l'article 5 de la loi précitée dispose que le traitement des données à caractère personnel peut s'effectuer lorsqu'il lorsqu'il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique, on ne peut se départir de l'impression que si cette disposition servait de fondement àla most wanted-list, il s'agirait d'une construction juridique particulièrement artificielle. Une most wanted-list est-elle überhaupt nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique? La police et la justice ne disposent-elles pas déjà d'instruments adéquats qui compromettent moins le droit à la protection de la vie privée et à la présomption d'innocence? Un bref regard au Code d’Instruction criminelle devrait permettre d'apporter une réponse positive à cette dernière question.

5. Solution alternative ?

L'analyse de tous les fondements légaux possibles conduit à une réponse univoque: ils ne sont pas suffisants pour porter légalement un instrument de recherche avancé tel qu'une most wanted-list. Sur ce point, il y a donc déjà un conflit avec l'article 8 de la CEDH. Même si on développait une base légale, il resterait encore deux barrières à franchir pour trouver une conformité avec l'article 8 de la CEDH: la nécessité au sein d'une société démocratique et la poursuite d'un objectif légitime. Il nous semble hautement improbable qu'une most wanted-list soit nécessaire dans une société démocratique comme la nôtre où la justice dispose de méthodes de recherche adéquates telles que l'observation, le contrôle visuel discret, les écoutes, la perquisition, l'analyse ADN, etc. Les méthodes de recherche précitées ont pour caractéristique commune qu'elles n'engagent pas la lutte avec l'article 8 de la CEDH. Et où se cache l'objectif légitime? La recherche de suspects dont la culpabilité n'a pas encore été établie? Quelle est la légitimité de cet objectif lorsque l'on introduit le citoyen ordinaire dans le monde des recherches sans y avoir été habilité de quelque manière que ce soit par la loi? Il n'y a que pour les détenus condamnés en fuite que la présomption d'innocence n'est plus d'application et qu'une sorte de most wanted-list pourrait être envisagée.

Il est trop souvent renvoyé à nos voisins du nord et même au modèle des États-Unis et de son Federal Bureau of Investigation (FBI). On semble souvent oublier que le système judiciaire des Etats-Unis est un système de droit anglo-saxon qui approche la charge de la preuve sous un angle fort différent. Notre système continental ne se prête pas à des constructions juridiques similaires.

Dès lors que la most wanted-list sur le site officiel de la police ne fait pas partie des possibilités, pareille liste est néanmoins possible comme instrument de recherche interne à utiliser uniquement par des personnes qui y sont habilitées par la loi. De cette manière, la présomption d'innocence, le secret de l'instruction et le droit à la protection de la vie privée de l'intéressé sont garantis. La liste atteint néanmoins un public moins large. Pourtant, ce dernier aspect ne fait pas de la most wanted-list interne un instrument de recherche moins efficace.

Lorsque les services de police ont alors néanmoins l'impression d'êtres bloqués, ils peuvent encore toujours recourir au système existant d'avis de recherche judiciaires et de cette manière tout de même encore associer le public à ses recherches.

CONCLUSION

A la question de savoir si il y a d'autres obstacles à la publication d'une most wanted-list en Belgique, la réponse est négative. Une most wanted-list publique a de lourdes conséquences pour les droits à la protection de la vie privée de l'intéressé, la présomption d'innocence et le secret de l'instruction. Outre la personne concernée dont la photo figure sur la most wanted-list, la société, les médias, le citoyen et la victime exigent également chacun leur place dans le système pénal. Donner à chacun de ces acteurs une voix dans la poursuite sociale de la justice est un art en soi. Une most wanted-list peut s'avérer utile au niveau des résultats de l'enquête. Néanmoins, un scénario extrême dans lequel le citoyen se fait justice lui-même et le sentiment d'insécurité est omniprésent doit être en tous temps être évité. La most wanted-list publique n'a aucun fondement légal dans notre système juridique en raison de son caractère général et permanent qui rend impossible une évaluation individuelle de chaque cas. En outre, l'introduction d'une most wanted-list publique ne résisterait pas au contrôle de la nécessité et de la légitimité de l'article 8 de la CEDH. Une most wanted-list interne qui est à la disposition de tous les services de police constitue une solution alternative envisageable et acceptable et en cas d'extrême urgence, il peut toujours être fait appel au système existant des avis de recherche judiciaires.