SÉNAT DE BELGIQUE
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Session 2019-2020
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20 mai 2020
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SÉNAT Question écrite n° 7-564

de Carina Van Cauter (Open Vld)

au vice-premier ministre et ministre des Finances, chargé de la Lutte contre la fraude fiscale, et Ministre de la Coopération au développement
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Émirats arabes unis - Blanchiment - Financement du terrorisme - Lutte - Groupe d'action financière - Monitoring renforcé
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terrorisme
Émirats arabes unis
Ecofin
blanchiment d'argent
financement du terrorisme
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20/5/2020Envoi question
18/6/2020Réponse
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SÉNAT Question écrite n° 7-564 du 20 mai 2020 : (Question posée en néerlandais)

Je renvoie à ma question écrite précédente n° 7-274 et à votre réponse très détaillée.

Un rapport récent du Groupe d'action financière (GAFI) montre que les Émirats arabes unis (EAU) ne parviennent pas à endiguer le phénomène du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Ils font ainsi l'objet d'un monitoring spécial du GAFI. Celui-ci a été instauré à la suite d'une enquête qui a duré plus de quatorze mois (cf. http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/mer4/Mutual-Evaluation-Report-United-Arab-Emirates-2020.pdf).

Le secteur immobilier, notamment, ne ferait pas assez d'efforts pour lutter contre les flux de capitaux d'origine criminelle.

Quelques progrès ont certes été réalisés récemment mais ils sont largement insuffisants: «The United Arab Emirates (UAE) recently strengthened its legal framework to fight money laundering and terrorist financing but, as a major global financial centre and trading hub, it must take urgent action to effectively stop the criminal financial flows that it attracts.»

Dans le rapport, on peut lire aussi: «The UAE also faces a significant risk of exposure to proceeds of crimes conducted abroad, but authorities do not make sufficient use of formal international legal assistance processes to pursue money laundering or the financing of terrorism and proliferation, although they demonstrated better capacity in using informal processes.»

En ce qui concerne le caractère transversal de la présente question: les différents gouvernements et maillons de la chaîne de sécurité se sont accordés sur les phénomènes qui devront être traités en priorité au cours des quatre prochaines années. Ceux-ci sont définis dans la note-cadre de sécurité intégrale et dans le plan national de sécurité 2016-2019 et ont été discutés lors d'une conférence interministérielle à laquelle les acteurs de la police et de la justice ont également participé. Il s'agit donc d'une matière transversale qui relève également des Régions, le rôle de ces dernières se situant surtout dans le domaine de la prévention.

J'aimerais dès lors soumettre au ministre les questions suivantes:

1) Comment réagissez-vous au récent rapport du Groupe d'action financière sur les Émirats arabes unis et au constat selon lequel ils n'ont pas suffisamment prise sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme?

2) Cela a-t-il une incidence sur le processus décisionnel futur du Conseil européen ECOFIN? Dans la négative, pour quelles raisons? Dans l'affirmative, pouvez-vous apporter des précisions?

3) Avez-vous déjà reçu les résultats de la «peer review» sur les Émirats arabes unis concernant l'échange d'informations – dès lors que celui-ci serait l'un des éléments clés pour le Groupe d'action financière – et, en particulier, le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux? Pouvez-vous donner des précisions?

Réponse reçue le 18 juin 2020 :

1) Le rapport d’évaluation mutuelle des Émirats arabes unis (EAU) a été adopté par la plénière du Groupe d’action financière (GAFI) en février 2020. La publication de ce rapport est la première étape d’un processus qui pourrait conduire les EAU à être considérés comme un «pays tiers à haut risque» pour lequel des mesures de vigilance plus strictes devraient être imposées par les entités soumises à la loi du 18 septembre 2017 (loi LBC).

L’approche fondée sur les risques telle que prévue à l’article 7 de la loi LBC, implique entre autres que les entités assujetties adaptent leurs mesures de vigilance en fonction des risques identifiés en matière de blanchiment de capitaux (BC) et de financement du terrorisme (FT). Lorsque ces entités constatent un risque élevé de BC / FT, elles doivent renforcer leurs mesures de vigilance.

Les relations avec des personnes physiques ou entités juridiques qui sont établies dans un pays tiers à haut risque, sont automatiquement considérées comme étant à haut risque et doivent faire l’objet de mesures de vigilance renforcées de la part des entités assujetties (article 38 de la loi LBC).

Un pays tiers à haut risque est défini à l’article 4 de la loi LBC comme un pays présentant un risque géographique identifié comme élevé par:

–  le GAFI;

–  la Commission européenne;

–  le Conseil national de sécurité, le Comité ministériel de coordination de la lutte contre le blanchiment de capitaux d’origine illicite ou les entités assujetties elles-mêmes.

Le GAFI publie trois fois par an après chacune de ses sessions plénières deux listes de pays dont les dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC / FT) présentent des carences stratégiques: la soi-disant liste noire des «High-Risk Jurisdictions subject to a Call for Action» et la dénommée grise liste des «Jurisdictions under Increased Monitoring».

Cependant, le fait que le rapport d’évaluation mutuelle identifie les EAU comme ayant plusieurs lacunes en matière de LBC / FT ne signifie pas que les EAU seront automatiquement placés sur la liste grise ou noire du GAFI. Cela ne se produira que si les Émirats arabes unis ne corrigent pas bon nombre des faiblesses identifiées après une période d’observation d’un an.

Cependant, les institutions financières et non-financières soumises à la loi LBC peuvent, sur la base du rapport d’évaluation mutuelle, décider elles-mêmes de considérer les EAU comme un pays à haut risque et prendre les mesures de vigilance nécessaires.

2) L’article 9 de la directive 2015/849 habilite la Commission européenne à identifier les pays tiers présentant des lacunes stratégiques dans leurs réglementations nationales en matière de LBC / FT qui constituent une menace significative sur le système financier de l’Union («pays tiers à haut risque»). Des mesures de vigilance renforcées doivent être appliquées dans les relations avec les clients établis dans ces pays.

En vertu de ce pouvoir, la Commission européenne a pour la première fois établi une liste des pays tiers concernés, qui est annexée au règlement délégué (UE) 2016/1675 du 14 juillet 2016.

Cette liste de l’UE est une liste autonome établie selon sa propre méthodologie. Cette méthodologie prévoit que les pays tiers figurant sur l’une des listes du GAFI des pays présentant des carences stratégiques en matière de LBC / FT sont également automatiquement ajoutés à la liste de l’UE.

En outre, la Commission peut décider d’ajouter des pays à la liste de l’UE sur la base de sa propre évaluation. Dans cette propre évaluation, la Commission prend en compte, entre autres, les contributions d’Europol, du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et des États membres de l’UE, ainsi que d’autres sources d’informations telles que les rapports du GAFI.

Les modifications de la liste de l’Union sont adoptées par règlement délégué de la Commission. Le Conseil de l’UE peut s’opposer aux règlements délégués proposés par la Commission. Les propositions de règlement délégué visant à modifier la liste de l’UE des pays à haut risque de LBC / FT sont donc discutées au Conseil ECOFIN. Dans la plupart des cas, l’adoption du règlement délégué se fait par procédure écrite.

3) En ce qui concerne la coopération internationale, le rapport d’évaluation mutuelle des EAU indique que, si les EAU ont mis en place un cadre juridique et des procédures bien développés pour faciliter la coopération internationale, la coopération internationale n’est pas suffisamment efficace dans la pratique.

Pour cette raison, le rapport attribue aux EAU une bonne note («largement conforme» ou «conforme») pour la conformité technique aux recommandations 36 à 40 concernant la coopération internationale, mais la note la plus basse («faible») pour l’efficacité pour atteindre le résultat immédiat 2 relatif à la coopération internationale et à l’échange d’informations.

Le rapport fait également un certain nombre de recommandations aux EAU pour remédier aux lacunes identifiées dans le cadre de la coopération internationale. Si les EAU ne corrigent pas bon nombre de ces lacunes et d’autres au cours de la période d’observation d’un an, les EAU risquent d’être inclus dans l’une des listes du GAFI des pays présentant des carences stratégiques en matière de LBC / FT.

Plus précisément, ce processus ressemble à ceci:

Les pays qui ont identifié un grand nombre de lacunes en matière de LBC / FT sont référés au Groupe d’examen de la coopération internationale (ICRG) conformément aux procédures du GAFI. L’ICRG suit de près ces pays et les aide à remédier aux lacunes identifiées.

Cette saisine de l’ICRG intervient normalement lors de la session plénière du GAFI suivant l’adoption du rapport d’évaluation mutuelle. Pour les EAU, cette saisine était prévue pour la session plénière de juin 2020, mais en raison de Covid-19, elle a été provisoirement reportée à octobre 2020.

Après le renvoi à l’ICRG, une période d’observation d’un an s’ensuit. Pendant cette période, les EAU ont la possibilité de corriger les lacunes identifiées.

Si, après cette période d’observation, les EAU peuvent démontrer que bon nombre des lacunes ont été corrigées, les EAU seront retirés du processus de l’ICRG. Si, après cette période d’observation, les EAU continuent de présenter un grand nombre de déficiences en matière de LBC / FT, les EAU seront obligés de mettre en place des plans d’action avec des actions concrètes pour remédier aux déficiences. Dans ce cas, les EAU unis seront également inscrits sur la liste des «juridictions sous surveillance accrue» du GAFI. Les EAU resteront sur cette soi-disant «liste grise» jusqu’à ce que toutes les actions du plan d’action soient mises en œuvre.