5-2182/5

5-2182/5

Sénat de Belgique

SESSION DE 2013-2014

12 MARS 2014


Proposition de loi portant modification du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne les titres-repas et les écochèques


AVIS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DES INDÉPENDANTS ET DES PME Nº 718 DU 12 MARS 2014


AVIS

sur

la proposition de loi portant modification du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne les titres-repas et les eco-cheques (doc. senat, nº 5-2182/1 et nº 5-2182/2)

Le 21 février 2014, le Conseil supérieur des indépendants et des PME a reçu de Mme Sabine de Bethune, présidente du Sénat, une demande d'avis sur une proposition de loi portant modification du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne les titres-repas et les éco-chèques (doc. Sénat, nº 5-2182/1) et sur les amendements qui s'y rapportent (doc. Sénat, nº 5-2182/2). Cette demande d'avis est adressée en application de l'article 2 de l'arrêté royal du 12 octobre 2010 modifiant l'article 19bis de l'arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, qui prévoit de soumettre le système des titres-repas électroniques trois ans après son entrée en vigueur à l'évaluation du Conseil supérieur.

Après avoir consulté, le 5 mars 2014, la Commission « Politique générale PME » et les organisations professionnelles du secteur horeca, le bureau du conseil supérieur des Indépendants et des PME a émis en urgence le 11 mars 2014 l'avis suivant.

CONSULTATION TARDIVE

Le Conseil supérieur tient à faire remarquer qu'après avoir pris connaissance de cette demande d'avis urgente, qui lui a été adressée le 21 février dernier, il a dû organiser les consultations dans ses instances internes dans des délais particulièrement courts. Il regrette d'avoir été consulté tardivement sur ce sujet qui touche très directement un grand nombre de PME.

CONTEXTE GENERAL

La proposition de loi a pour objectif de remplacer le système de titres-repas actuel par un système plus simple en remplaçant le support matériel (titre ou carte) par une indemnité, tout en conservant l'idée de base et les conditions d'octroi. Partant du constat que le système actuel est onéreux et compliqué pour les employeurs et les commerçants, la proposition veut remplacer le titre-repas papier ou électronique par un avantage net versé directement sur le compte bancaire des bénéficiaires avec maintien des conditions d'application et sans intervention d'un tiers, à savoir l'émetteur des titres.

Cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre d'un système de titres-repas dual basé, d'une part, sur la délivrance de titres-repas papier et, d'autre part, sur la délivrance de titres-repas électroniques. Dans son évolution qui lui est propre, ce système dual a connu une dynamique particulière puisque, sur base du Plan fédéral d'actions de simplification administrative 2012-2015, adopté en 2012, l'emploi des titres-repas électroniques a été encouragé en vue de basculer complètement dans le système électronique tout en tenant compte des préoccupations des petites entreprises.

Les données reprises dans le cadre de l'étude de l'Agence pour la simplification administrative (1) (ASA) ont permis de dégager des tendances quant à la pénétration du système de titres-repas électroniques dans l'économie et d'en mesurer les avantages en termes d'allègement des coûts pour les entreprises et sur le plan de la simplification administrative. Ainsi, selon les chiffres de l'ASA, en juin 2013:

— plus de 1 650 000 employés reçoivent des titres-repas;

— un peu moins de la moitié des travailleurs les reçoivent sous forme électronique;

— 17,5 % des employeurs octroient des titres-repas électroniques à leurs travailleurs;

— la valeur maximale du titre-repas est de 7 euros par jour presté;

— la durée de validité des titres-repas est de douze mois (depuis le 11 août 2013);

— le cadre légal des titres-repas électroniques est le même que celui des titres-repas papier, sauf pour les aspects suivants:

• les titres sont chargés à distance mensuellement sur un compte virtuel qui est uniquement utilisé pour les titres-repas électroniques;

• ils sont utilisés en fonction de leur date de validité, en commençant par les plus anciens (first in, first out);

• le solde d'un chèque utilisé est repris sur le compte et sera alloué en priorité lors de la prochaine transaction;

• en cas de perte ou de vol de la carte, le système de card-stop peut être enclenché de telle sorte que la perte de la carte ne signifie pas la perte des titre-repas. En cas de perte ou de vol de la carte, le coût pour le travailleur pour obtenir une nouvelle carte ne peut pas dépasser la valeur nominale d'un titre-repas;

— tant pour les entreprises que pour les commerces, les éditeurs doivent veiller à ce que les coûts des titre-repas électroniques ne soient pas supérieurs à ceux de la version papier;

— les coûts d'utilisation des titres-repas sous forme électronique ne sont pas à charge de l'employé (article 2, 11ºde l'arrêté royal titres-repas électroniques);

— il y a actuellement quatre éditeurs de titres-repas électroniques: Edenred, Monizze, Sodexo et E-VE;

— 33 % des titres-repas sont édités sous forme électronique;

— on constate une tendance à la hausse depuis 2012:

a) fin 2012, sur l'ensemble des travailleurs qui recevaient des titres-repas, 23 % les recevaient sous forme électroniques; fin juin 2013, ils étaient 41,9 % à les recevoir;

b) fin 2012, sur l'ensemble des employeurs qui donnaient des titres-repas à leurs travailleurs, 10,9 % les donnaient sous forme électronique. Fin juin 2013, ils étaient 17,5 % à les octroyer.

Parmi les avantages retirés de la dématérialisation des titres-repas, la proposition de loi (doc. Sénat, nº 5-2182/1) énumère entre autres les aspects suivants:

— une baisse des frais administratifs résultant de la suppression d'un traitement complexe aux caisses (comptage et contrôle) et au niveau du back office des entreprises (recomptage, tri par émetteur);

— la suppression des commissions facturées aux commerçants;

— la suppression des frais de distribution des titres-repas sur support papier ou des cartes avec code secret pour les titres-repas électroniques;

— l'absence de risque de perte (ou d'erreur) lors de la distribution des titres-repas;

— la suppression des problèmes liés à la durée de validité limitée des titres-repas;

— l'absence de procédure complexe pour contrôler le paiement correct des titres-repas.

La proposition de loi envisage d'adapter l'article 38, § 1er, du Code des impôt sur les revenus pour que l'exonération existante des avantages découlant de l'intervention de l'employeur ou de l'entreprise dans les titres-repas ou les éco-chèques soit désormais applicable aux avantages correspondant payés sous forme d'indemnité.

En outre, les derniers amendements proposés à la proposition de loi (doc. Sénat, nº 5-2182/2) ont pour but de garantir la cohérence de la terminologie dans la législation sociale et le Code des impôts sur les revenus.

POINTS DE VUE

1. Maintien de l'avantage fiscal et social

Le Conseil supérieur estime d'abord que les exonérations existantes prévues sur le plan fiscal et social découlant de l'intervention de l'entreprise dans les titres-repas (éco-chèques) ou l'indemnité-repas doivent être maintenues, et ce quelle que soit la manière dont on organise cet avantage.

2. Sécurité juridique

Le Conseil supérieur estime que, quel que soit le système de titres-repas ou d'indemnité-repas, il faut assurer une sécurité juridique maximale à toutes les parties prenantes: employeurs, commerçants et travailleurs.

3. Réduction du coût salarial

Le Conseil supérieur souligne que la réduction du coût salarial est une priorité pour l'ensemble des PME et que les titres-repas ou l'indemnité-repas, en tant que facteur de modération de la charge salariale des entreprises, exercent un effet bénéfique sur la compétitivité des entreprises.

Selon l'étude du Professeur J. Konings (2) , les titres-repas sont intéressants pour les entreprises qui les distribuent à leur personnel dans la mesure où ils représentent en moyenne 2,7 % du coût salarial total. Dans les petites entreprises qui comptent moins de cinq travailleurs, ils sont encore plus intéressants comme élément modérateur puisqu'ils représentent près de 4 % du coût salarial.

4. Réduction maximale des coûts pour toutes les parties: employeurs, commerçants et travailleurs

Le Conseil supérieur estime que sur le plan de la technologie utilisée, les titres-repas électroniques représentent une avancée importante par rapport aux titres-repas papier.

Le Conseil supérieur constate que le passage à un système de titres-repas électroniques conduit entre autres à d'importantes simplifications administratives pour les employeurs, les commerçants et les travailleurs:

— une diminution des coûts pour les employeurs:

Il n'y a plus de livraison ni d'envoi de chèques. Les titres-repas électroniques ne doivent plus être distribués physiquement et/ou livrés physiquement.

— une diminution des coûts administratifs pour les commerçants:

Les commissions que les éditeurs perçoivent pour les titres-repas électroniques sont inférieures à ce qu'ils perçoivent pour les titres-repas papier. Avec les titres-repas électroniques il y a moins de formalités administratives à accomplir (vérification plus simple aux caisses, moins de coûts de fonctionnement liés aux opérations de triage et de comptage). En outre, le remboursement du commerçant est plus rapide (dans les quarante-huit heures) avec les titres-repas électroniques qu'avec les titres-repas papier;

— une simplification administrative pour les travailleurs/les consommateurs:

Les titres-repas électroniques sont automatiquement réutilisés en fonction de leur durée de validité, à commencer par les plus anciens (first in first out). Le solde de l'emploi partiel d'un titre-repas reste disponible sur le compte et est attribué en priorité lors de la prochaine transaction. Le travailleur reçoit un rappel dix jours avant l'échéance de ses titres-repas;

— davantage de sécurité:

Les paiements avec des titres-repas électroniques sont plus sûrs et aussi souvent plus rapides que les paiements avec des titres-repas papier. En cas de perte ou de vol de la carte, le système de card-stop fait en sorte que la perte de la carte ne signifie pas la perte des titres-repas. En outre, les titres-repas électroniques ne sont pas aisément falsifiables, ce qui diminue les risques de fraudes.

Le Conseil supérieur remarque que les aspects précités de simplification administrative, qui résultent de l'utilisation de la technologie des titres-repas électroniques, ont déjà été réalisés dans la pratique. Il souligne que jusqu'à présent cela a permis aux entreprises qui ont choisi d'en faire usage de réaliser des réductions de coûts substantielles par rapport au titres-repas papier.

Ces avancées au niveau de la réduction des coûts sont certes importantes mais insuffisantes. Selon le Conseil, il faut poursuivre les efforts pour réduire les coûts de façon à arriver à une baisse encore plus prononcée des coûts de fonctionnement pour toutes les parties prenantes au système des titres-repas électroniques en étant particulièrement attentif à la charge relativement plus élevée que représentent ces coûts pour les petites entreprises. Il tient à faire remarquer que les PME, en particulier les entreprises du commerce de détail, sont doublement concernées par ces coûts de fonctionnement puisque non seulement elles octroient des titres-repas à leurs travailleurs mais elles doivent aussi les accepter de leurs clients.

Par ailleurs, le Conseil supérieur rappelle que le fonctionnement des titres-repas électroniques est fort semblable à celui d'une carte de débit et qu'il n'y a donc aucune raison objective à ce que les frais d'acceptation des cartes électroniques de titres-repas par les commerçants ainsi que leurs coûts de fonctionnement soient supérieurs à ceux exigés lors de l'utilisation d'une carte de débit.

Le Conseil supérieur ajoute que les titres-repas devraient pouvoir être acceptés par tous les terminaux des commerçants, et ce quelle que soit la société émettrice de la carte titres-repas. La généralisation du système des titres-repas électroniques ne doit pas entraîner des surcoûts qui décourageraient les commerçants d'y participer.

5. Transparence maximale des coûts

Le Conseil supérieur est d'avis qu'il n'y a pas assez de transparence dans les coûts des éditeurs de titres-repas électroniques. En l'occurrence, la communication des frais d'installation et de raccordement n'est pas faite de façon claire et il n'est pas toujours possible d'obtenir en ligne des informations sur les coûts de transaction. Il estime que les éditeurs devraient mettre ces informations sur leur site web de façon à ce qu'elles soient facilement accessibles. Le Conseil supérieur considère également que le fonctionnement des titres-repas électroniques est semblable à celui d'une carte de débit et qu'à ce titre les frais d'acceptation des cartes électroniques par les commerçants devraient être du même ordre de grandeur que ceux exigés pour la carte de débit.

6. Extinction du système dual: des titres-repas papier ou électroniques

Le Conseil supérieur constate que les titres-repas papier et les titres-repas électroniques coexistent actuellement. Il estime qu'un tel système n'est pas tenable. Pour accepter les titres-repas papier, le commerçant doit effectuer d'autres investissements que pour accepter les titres-repas électroniques et il est, en outre, confronté à une double charge administrative. Cet aspect concernant le coût élevé à charge des commerçants qui résulte du fonctionnement d'un tel système dual a été mis constamment en évidence dans les avis (3) rendus par le Conseil supérieur sur cette problématique.

7. Fin de la réversibilité

Le Conseil supérieur se réfère au principe de réversibilité inscrit dans la législation sur les titres-repas. Ce principe veut que le choix de l'employeur et/ou travailleurs pour le remplacement des titres-repas papier par des titres-repas électroniques n'est pas définitif. Opérer une conversion vers les titres-repas papier reste toujours possible.

Étant donné qu'il est possible de revenir à la délivrance des titres-repas papier, cette réversibilité pose problème, et ce pour plusieurs raisons:

— elle est la cause des hésitations de certains commerçants et employeurs pour investir dans les titres-repas sous forme électronique;

— elle fait en sorte que les nouveaux éditeurs de titres-repas, qui offrent exclusivement des titres-repas électroniques, ont moins de chance de s'implanter sur le marché. Vu ce principe de réversibilité, les employeurs choisissent de préférence un éditeur qui offre aussi bien des titres-repas électroniques que des titres-repas papier. Cela conduit à la formation d'un duopole rendant le marché moins accessible à de nouveaux éditeurs qui souhaiteraient s'y implanter. Un système non dual basé uniquement sur la délivrance des titres-repas électroniques permettra de mieux faire jouer la concurrence entre les éditeurs présents sur le marché et de tendre ainsi vers une réduction des coûts d'utilisation à charge des employeurs et commerçants.

8. Dématérialisation

Selon le Conseil supérieur, la dématérialisation des titres-repas, c'est-à-dire le versement de l'avantage net sur le compte bancaire des travailleurs, ne pourrait être envisageable qu'à la condition expresse que leur immunisation tant fiscale que sociale soit maintenue et garantie, et qu'en plus les conditions de leur insaisissabilité soient préservées.

9. Mesures transitoires

En cas de dématérialisation des titres-repas ou en cas de généralisation des titres-repas sous forme électronique, le Conseil supérieur demande aux pouvoirs publics de prévoir les mesures transitoires nécessaires dans des délais suffisants pour permettre aux employeurs et aux commerçants de s'adapter à la nouvelle situation.

CONCLUSION

Compte tenu des améliorations et conditions qu'il détaille dans le présent avis, le Conseil supérieur des indépendants et des PME estime qu'il faut que l'objectif initial à la base de la création des titres-repas, à savoir leur usage pour l'achat d'aliments ou le paiement de repas, soit respecté et que leur utilisation soit réorientée prioritairement vers le commerce de proximité (en ce compris le commerce franchisé) et le secteur horeca.

Le Conseil supérieur rappelle que la dématérialisation des titres-repas, c'est-à-dire le versement de l'avantage net sur le compte bancaire des travailleurs, ne pourrait être envisageable qu'à la condition expresse que leur immunisation tant fiscale que sociale soit maintenue et garantie. Étant donné que, dans sa forme actuelle, la proposition de loi ne garantit pas ces conditions fiscales et sociales, le Conseil supérieur, en l'état, donne la préférence à la généralisation des titres-repas électroniques.

Il faut accorder la première priorité à une réduction maximale des coûts pour toutes les parties prenantes.


(1) ASA, Généralisation des titres-repas électroniques, 11 décembre 2013.

(2) Maaltijdcheques vervangen door Geld ? Een economische analyse, 18 décembre 2013.

(3) Avis du 1er mars 2007, du 16 décembre 2008 et du 22 octobre 2009.