5-2170/4

5-2170/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2013-2014

4 DÉCEMBRE 2013


Proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs


RAPPORT

FAIT AU NOM DES COMMISSIONS RÉUNIES DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES SOCIALES PAR

MMES KHATTABI ET VAN HOOF


I. INTRODUCTION

Depuis le début de cette législature, plusieurs propositions de loi ont été déposées en vue de modifier la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.

Lors de la réunion du 23 janvier 2013, les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont entamé leurs travaux en examinant les propositions de loi relatives à l'euthanasie en général.

Certaines propositions ont été examinées pour la première fois le 6 février 2013 au sein des commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales. Il s'agit en l'occurrence des propositions de loi suivantes:

— proposition de loi modifiant, en ce qui concerne les mineurs, l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de MM. Alexander De Croo et Bart Tommelein, et de Mmes Nele Lijnen et Martine Taelman) — doc. Sénat, nº 5-21/1;

— proposition de loi modifiant les articles 3 et 14 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en ce qui concerne l'obligation du médecin traitant opposé à l'euthanasie de renvoyer le patient à un confrère (de MM. Alexander De Croo et Bart Tommelein, et de Mmes Nele Lijnen et Martine Taelman) — doc. Sénat, nº 5-22/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en ce qui concerne l'auto-euthanasie assistée (de MM. Bart Tommelein et Alexander De Croo, et de Mmes Nele Lijnen et Martine Taelman) — doc. Sénat, nº 5-23/1;

— proposition de loi modifiant l'article 4 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, concernant la déclaration anticipée (de MM. Bart Tommelein et Alexander De Croo, et de Mmes Nele Lijnen et Martine Taelman) — doc. Sénat, nº 5-24/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et l'arrêté royal du 2 avril 2003 fixant les modalités suivant lesquelles la déclaration anticipée relative à l'euthanasie est rédigée, confirmée, révisée ou retirée (de Mme Christine Defraigne) — doc. Sénat, nº 5-154/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, en ce qui concerne les mineurs ágés de quinze ans et plus (de Mme Christine Defraigne) — doc. Sénat, nº 5-179/1;

— proposition de loi introduisant un filtre palliatif obligatoire dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de M. Yves Buysse et consorts) — doc. Sénat, nº 5-1432/1;

— proposition de loi complétant, en ce qui concerne les mineurs, la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de Mme Marleen Temmerman, M. Bert Anciaux, Mmes Dalila Douifi et Fatma Pehlivan, et M. Guy Swennen) — doc. Sénat, nº 5-1610/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de Mme Marleen Temmerman, M. Bert Anciaux, Mmes Dalila Douifi et Fatma Pehlivan, et M. Guy Swennen) — doc. Sénat, nº 5-1611/1;

— Proposition de loi portant modification de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue d'instaurer l'obligation pour le médecin qui refuse de pratiquer une euthanasie d'adresser le patient à un confrère (de Mme Marleen Temmerman et M. Guy Swennen et consorts) — doc. Sénat, nº 5-1798/1;

— proposition de loi portant modification de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, en ce qui concerne la durée de validité de la déclaration anticipée (de Mme Marleen Temmerman et M. Guy Swennen et consorts) — doc. Sénat, nº 5-1799/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux) — doc. Sénat, nº 5-1919/1;

— proposition de résolution concernant l'application de la loi du 28 mai 2002 relative a l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux) — doc. Sénat, nº 5-1920/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue d'imposer une amende administrative au médecin qui ne respecte pas l'obligation de déclaration (de Mme Elke Sleurs et consorts) — doc. Sénat, nº 5-1935/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en ce qui concerne la procédure d'enregistrement de la déclaration anticipée (de Mme Elke Sleurs et consorts) — doc. Sénat, nº 5-1942/1;

— proposition de loi concernant l'extension aux mineurs de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, l'assistance médicale au patient qui met lui-même fin à sa vie ainsi que la création et la pénalisation des infractions d'incitation et d'assistance au suicide (de Mme Elke Sleurs) — doc. Sénat, nº 5-1947/1.

Lors de cette réunion du 6 février 2013, les commissions réunies ont décidé d'organiser des auditions sur l'adaptation de la législation relative à l'euthanasie et de les grouper autour des quatre thèmes suivants:

— l'euthanasie chez les patients mineurs;

— l'euthanasie chez les patients qui souffrent d'une affection neurodégénérative;

— les problèmes juridiques;

— une approche générale de la problématique de l'euthanasie.

Deux auditions ont été organisées sur l'euthanasie des mineurs, en l'occurrence le 20 février et le 6 mars 2013. Les orateurs suivants ont été invités:

— M. Bernard De Vos, délégué général aux Droits de l'enfant;

— M. Bruno Vanobbergen, commissaire flamand aux Droits de l'enfant;

— Mme Dominique Biarent, chef de service Soins intensifs et urgences à l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola;

— Pr. Chris Van Geet, Biologie moléculaire et vasculaire, KULeuven;

— Dr. Joris Verlooy, Hématologie-oncologie et transplantation de cellules souches, UZ Gent;

— Mme Catherine Stryckmans, présidente de la commission éthique de l'ACN;

— Pr. Herman Nys, chef de service de l'Interfacultair Centrum voor biomedische ethiek en recht, KULeuven;

— Pr. Dr. émérite Peter Deconinck, président du Reflectiegroep Biomedische Ethiek;

— Pr. Masendu Kalenga, chef de service, service de néonatologie du CHR de la Citadelle à Liège.

Deux auditions sur l'euthanasie chez les patients souffrant d'une affection neurodégénérative ont eu lieu les 20 mars et 17 avril 2013 avec les experts suivants:

— Dr. Marc Cosyns, médecin généraliste, Vakgroep huisartsgeneeskunde en eerstelijnsgezondheidszorg UGent;

— Pr. Dr. Peter De Deyn, neurologue, Universiteit Antwerpen;

— Mme Sabine Henry, présidente de la Ligue Alzheimer ASBL;

— Pr. Dr. Patrick Cras, département Neurologie, UZ Antwerpen;

— Pr. Philippe Peigneux, PhD, Centre de recherches cognition et neurosciences and UNI — ULB;

— Dr. Manfredi Ventura, neurologue, Grand Hôpital de Charleroi;

— Pr. Dr. De Lepeleire MD, PhD, médecin généraliste, Department of Public Health and Primary Care, KULeuven;

— Dr. Rik Vandenberghe, MD, PhD, chef adjoint de la clinique de Neurologie, UZ Leuven, professeur de médecine à la faculté de médecine, KULeuven.

Une audition sur les problèmes juridiques liés à l'application de la législation relative à l'euthanasie a été organisée le 23 avril 2013. Les experts suivants ont pris la parole:

— M. Gilles Genicot, faculté de Droit et Science politique, Université de Liège;

— Mme Evelien Delbeke, docteur en droit, Universiteit Antwerpen;

— M. Christophe Lemmens, faculté de Droit, Universiteit Antwerpen;

— Mme Sylvie Tack, collaboratrice post-doctorant, Universiteit Gent;

— M. Janos Frühling, professeur émérite à l'Université libre de Bruxelles;

— M. Marc Van Overstraeten, professeur à l'Université catholique de Louvain;

— M. Etienne De Groot, juge à la Cour constitutionnelle.

Enfin, deux auditions concernant une approche plus générale de la problématique de l'euthanasie ont eu lieu les 7 et 15 mai 2013, au cours desquelles les orateurs suivants ont été entendus:

— Dr. Marc Desmet, Palliatief Support Team, Jessa Ziekenhuis;

— M. Paul Vanden Berghe, directeur Federale Palliatieve Zorg Vlaanderen;

— Mme Heidi Vanheusden, collaboratrice de la direction de la Nationaal Verbond Vlaams Verpleegkundigen en Vroedvrouwen (NVKVV);

— Pr. Walter Michielsen, vice-président de la section néerlandophone du Conseil national de l'Ordre des médecins;

— Pr. Jean-Jacques Rombouts, vice-président de la section francophone du Conseil national de l'Ordre des médecins;

— MM. Vincent Baro et Luc Sauveur, représentants de la Fédération wallonne des soins palliatifs;

— Pr. Dr. Herman Nys, professeur ordinaire, KULeuven;

— Dr. Lieve Thienpont, psychiatre, Uitklaring Levenseindevragenteam;

— Pr. Dr. Wim Distelmans, professeur de médecine palliative à la VUB;

— Me Jacqueline Herremans, présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

Les comptes rendus de ces auditions peuvent être consultés sur le site Internet du Sénat (www.senate.be).

Ensuite, un échange de vues général a eu lieu le 12 juin 2013 sur la problématique de l'extension de la législation relative à l'euthanasie (chapitre II du présent rapport).

Après ces auditions et cet échange de vues, plusieurs autres propositions de loi concernant l'euthanasie ont encore été déposées:

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (de M. Philippe Mahoux et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2170/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie visant à supprimer la validité limitée à cinq ans de la déclaration anticipée et laissant le patient la déterminer lui-même (de Mme Christine Defraigne et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2171/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, en vue de fixer un délai à respecter par le médecin, d'une part, pour répondre à la demande d'euthanasie du patient et, d'autre part, pour transmettre le dossier médical du patient à une commission au cas où il refuserait d'accéder à la demande de celui-ci (de M. Jean-Jacques De Gucht et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2172/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et la loi coordonnée du 10 juillet 2008 relative aux hôpitaux et à d'autres établissements de soins, en vue de garantir le respect de la clause de conscience (de M. Guy Swennen et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2173/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux personnes atteintes d'une affection cérébrale incurable à un stade avancé et irréversible et qui ont exprimé leurs volontés dans une déclaration anticipée d'euthanasie (de M. Jacques Brotchi et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2184/1.

Plusieurs de ces propositions de loi ont été présentées lors des réunions des commissions réunies des 26 juin, 17 juillet et 9 octobre 2013. Ces commentaires font l'objet du chapitre III du présent rapport.

Ensuite, les commissions réunies ont décidé, lors de leur réunion du 9 octobre 2013, de poursuivre en premier lieu l'examen de la problématique de l'euthanasie chez les patients mineurs, et ce sur la base de la proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (doc. Sénat, nº 5-2170/1).

La discussion générale de cette proposition de loi a eu lieu les 9 et 16 octobre 2013 (chapitre IV). Le 16 octobre 2013, les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont décidé par 20 voix contre 6 et 2 abstentions de ne pas organiser d'auditions supplémentaires sur l'extension aux mineurs de la législation relative à l'euthanasie. Toutefois, les membres des commissions réunies se sont vu offrir la possibilité de recueillir des avis par écrit. Le 8 novembre 2013, il a été demandé aux experts suivants de donner leur avis sur la proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (doc. Sénat, nº 5-2170/1):

— M. Etienne Montero, doyen de la faculté de Droit, Université de Namur (voir chapitre X, annexes);

— M. Luc Roegiers, pédopsychiatre, professeur d'Éthique clinique, Cliniques UCL-Saint Luc (voir chapitre X, annexes);

— M. Jean-Louis Renchon, professeur à l'UCL et à l'Université Saint-Louis (voir chapitre X, annexes).

La discussion des articles de cette proposition de loi a eu lieu lors des réunions des 6, 19 et 27 novembre 2013 (chapitre V). Les avis recueillis ont également été examinés lors de ces réunions, de même que le texte prospectif « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid » du groupe de travail Metaforum de la KULeuven (cf. http://www.kuleuven.be/metaforum/). Le 27 novembre 2013, les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont décidé, par 26 voix contre 6, de ne pas organiser d'audition supplémentaire sur ce texte prospectif.

Enfin, les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont procédé, lors de cette dernière réunion, au vote sur la proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (doc. Sénat, nº 5-2170/1) — (chapitre VI du présent rapport).

II. AUDITIONS

Pour le compte-rendu des auditions, il est renvoyé au site Internet du Sénat (www.senate.be).

III. DISCUSSION GÉNÉRALE APRES LES AUDITIONS

M. Mahoux constate que les commissions réunies sont face à de nombreux textes qui appréhendent des questions diverses se rattachant à l'euthanasie. Les auditions ont été très enrichissantes, tant par la qualité des orateurs que par l'émotion qui a entouré un grand nombre d'interventions. Ces auditions ont mis en lumière de manière très concrète les situations auxquelles les propositions de loi tentent d'apporter des solutions. Des situations souvent dramatiques, présentées par les personnes qui y étaient le plus directement confrontées au quotidien ou dans leur pratique.

Des auditions, il ressort qu'il convient de dissocier nettement la problématique de l'euthanasie sur les mineurs de la question de l'euthanasie sur les personnes atteintes d'une pathologie cérébrale.

L'orateur est convaincu qu'il faut poursuivre les réflexions sur les maladies cérébrales. Il place beaucoup d'espoir dans le développement des neurosciences afin d'arriver à objectiver l'état cérébral des personnes à qui il serait possible d'appliquer la déclaration anticipée.

La loi du 28 mai 2002 définit la situation dans laquelle vivent les personnes qui peuvent demander l'euthanasie. Il s'agit de tenter d'apporter une solution pour des personnes se trouvant en situation de maladie incurable et qui présentent « une souffrances physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée ». Voir des mineurs, parfois des enfants, dans une telle situation est évidemment intolérable. L'intervenant a pu constater que de nombreux collègues semblent considérer qu'on peut apporter une solution à la situation des mineurs, alors qu'au contraire il convient de continuer à explorer la problématique des patients atteints de pathologies cérébrales.

Certaines propositions de loi abordant la problématique des mineurs fixent des critères d'áge et relèvent qu'il est curieux d'avoir retenu, dans la loi de 2002, le critère de l'émancipation. Les auditions ont cependant montré qu'il était arbitraire de fixer une limite d'áge dans la loi. Il semble préférable de recourir à la notion capacité de discernement et de faire évaluer si le patient mineur dispose du discernement nécessaire. Les auditions ont conforté cette approche.

Il est important que ce soit un tiers qui procède à l'évaluation de l'état de discernement. Cette personne ne peut être liée directement à la situation et doit disposer d'une expertise reconnue. On pense à des psychologues, psychiatres et neuropsychiatres. L'intervenant est d'avis que l'état de discernement est le critère à retenir.

La loi du 28 mai 2002 est axée sur le dialogue entre le patient et le médecin. La décision lie le patient et le médecin. Il est évident que cela vaut aussi pour le patient mineur. La demande d'euthanasie doit être formulée et répétée par ce mineur qui a la capacité de discernement. Cependant, sur le plan juridique, le mineur n'a pas la qualité requise pour conclure l'engagement. Le consentement de son représentant légal est nécessaire.

M. Mahoux évoque ensuite la question de la déclaration anticipée et de sa validité. L'ensemble des interlocuteurs ont montré que la limitation de la durée de validité à cinq ans constituait une contrainte importante. Le législateur a voulu fixer des balises mais il est apparu que cette limitation pouvait entraîner des problèmes une fois le délai de cinq ans expiré, ou dans le fait d'imposer une obligation de renouvellement. On pourrait envisager de supprimer la limite de validité dans la loi, tout en laissant au patient la possibilité d'en fixer une dans la déclaration qu'il signe. Quant au patient qui signe une déclaration anticipée sans limite de durée, il pourrait à tout moment revenir sur sa déclaration. C'est un droit fondamental.

M. Mahoux pense que les commissions devraient également réfléchir à l'opportunité d'inscrire, dans la loi, le délai dans lequel le médecin doit donner suite à une demande d'euthanasie. La loi du 28 mai 2002 impose au médecin de répondre en temps utile à une demande d'euthanasie. Toutefois, la notion du temps est toute relative. Le temps du malade n'est pas le temps du médecin. Si le médecin refuse en faisant valoir la clause de conscience, il doit répondre au patient dans un délai qui devrait être déterminé. On pourrait envisager cette réponse dans un délai d'une semaine.

Se pose alors le problème de la transmission du dossier. Cette question abordée dans de nombreuses propositions de loi à l'examen. Il est évident qu'en cas de refus de pratiquer l'euthanasie, le médecin doit transmettre le dossier dans un délai qui ne devrait pas dépasser une semaine.

Enfin a été abordé le problème de la nature de la clause de conscience. La loi de 2002 énonce clairement que personne ne peut être contraint de pratiquer une euthanasie. La personne qui répond à une demande d'euthanasie étant le médecin, il est clair que la clause de conscience s'applique à celui-ci, à l'exclusion de tout organisme, toute institution, tout établissement qui considérerait qu'un patient se trouvant dans ses lieux ne pourrait pas y recevoir une réponse positive à sa demande d'euthanasie. L'institution ne peut s'approprier la clause de conscience. Il convient d'apporter cette précision dans le texte de la loi afin de lever toute ambiguïté.

Les soins de santé dans notre pays relèvent de pouvoirs organisateurs différents, selon qu'il s'agit des hôpitaux, de maisons de repos et soins, des soins à domicile, etc. Il serait cependant anormal que toutes ces structures financées par des fonds publics puissent empêcher quelqu'un d'obtenir l'euthanasie.

Mme Defraigne se félicite de l'apport qu'ont fourni les auditions: sur un sujet aussi sensible et douloureux, elles ont contribué à nourrir la réflexion des commissions réunies dans le calme et la sérénité.

Si l'on veut faire la synthèse des travaux et dégager des lignes de force, il faudra procéder par étapes sur les différentes thématiques.

L'intervenante a déposé, il y a trois ans, une proposition de loi sur l'euthanasie des mineurs car elle pensait que le débat était mûr dans la société. Il fallait répondre à une réalité sociale, médicale, et le législateur devait prendre ses responsabilités. Mme Defraigne admet que le nombre de cas d'euthanasies de mineurs est probablement très réduit. Cependant, même si cela ne visait qu'un seul un cas par an, il faut y apporter une solution en áme et conscience. Le législateur a la responsabilité d'avancer sur ce point.

En ce qui concerne la déclaration anticipée, l'intervenante estime que le débat est également mûr. Des propositions sont sur la table depuis plusieurs années. Avec l'expérience, on se rend compte qu'il faut apporter des aménagements à la loi de 2002.

Pour les patients atteints de maladies cérébrales, M. Brotchi a déposé une proposition de loi que Mme Defraigne a cosignée. Cependant, il semble ressortir, tant des auditions que des opinions d'autres sénateurs, que la question doit encore faire l'objet de discussions.

La question de l'euthanasie en néonatalogie appelle un débat spécifique, distinct de celui portant sur l'euthanasie des mineurs. Il est préférable de ne pas aborder cette question pour le moment. Le groupe de travail bioéthique s'était penché à l'époque sur le sujet et des auditions avaient mis en lumière la difficulté à appréhender la question par voie législative alors que le travail des médecins dans ce domaine devait bénéficier d'une grande liberté.

Dans sa proposition sur l'euthanasie des mineurs, Mme Defraigne avait fixé la limite d'áge à quinze ans pour se calquer sur la notion de mineur émancipé qui figure déjà dans la loi de 2002. Les auditions ont fait évoluer sa conviction sur ce point. L'intervenante est désormais d'avis qu'il faut étendre le champ d'application de la loi aux mineurs dotés de la capacité de discernement. Celle-ci doit être évaluée par un spécialiste ou une équipe pluridisciplinaire, de manière très fine et précise, et être bien étayée. Cette évaluation se fera au cas par cas car une maladie n'est pas l'autre et un enfant n'est pas l'autre. Il est impossible de dégager une norme universelle et la notion d'áge charnière n'est pas appropriée en l'espèce.

L'intervenante estime par ailleurs qu'il convient de conserver, pour les mineurs, les critères retenus dans la loi du 28 mai 2002. À l'instar de ce qui est prévu pour les adultes, l'enfant devrait être confronté à des souffrances physiques ou psychiques insupportables et inapaisables.

Mme Defraigne se demande ensuite quelles balises spécifiques devraient être prévues pour les demandes d'euthanasie faites par des mineurs. Faut-il prévoir la consultation de deux spécialistes au lieu d'un ? L'intervenante préfère s'en tenir aux critères de la loi de 2002. Par contre, pour les mineurs, il y aura, en amont, une consultation médicale pluridisciplinaire visant à déterminer la capacité de discernement.

La place des parents est une autre question centrale et délicate dans le processus qui peut aboutir à pratiquer une euthanasie sur un mineur. Les parents doivent-ils être informés ? Consultés ? Ou doivent-ils donner leur accord ? Il est clair qu'ils doivent être associés à la démarche et que leur accord doit être obtenu dans la mesure du possible. Le débat est délicat car l'enfant est au centre des préoccupations mais, comme tels, les parents sont les représentants légaux. Ils détiennent l'autorité parentale et ont l'administration légale de la personne et des biens de l'enfant. Ce sont des concepts fondamentaux de notre droit. Peut-on déroger aux fondements du Code civil en assignant aux parents un rôle différent de celui des règles sur la minorité alors qu'on est en présence d'un acte particulièrement douloureux ? Quoi qu'il en soit, il faudra prévoir un accompagnement psychologique des parents, y compris a posteriori. Il faut éviter une culpabilisation des parents. À la différence de l'euthanasie des majeurs, plusieurs personnes sont ici impliquées dans le processus et sont amenées à partager la décision pour autrui.

Mme Defraigne aborde ensuite la question de la clause de conscience. Celle-ci doit être individuelle et non collective ou institutionnelle. Il faut veiller à la transmission du dossier lorsque le médecin invoque la clause de conscience.

En ce qui concerne les conditions de la déclaration anticipée pour les majeurs, celles-ci doivent être assouplies. Avec le recul, le délai de cinq ans fixé par la loi s'avère inadéquat. Il faut soit allonger le délai, soit ne pas fixer de limite dans le temps ou laisser au patient le droit de fixer lui-même la durée de validité de sa déclaration.

M. Swennen salue le sérieux avec lequel les commissions réunies ont mené le débat jusqu'à présent. Celui-ci se déroule dans un climat serein et l'intervenant dit espérer qu'il pourra s'achever de la même manière.

Les auditions consacrées à la législation relative à l'euthanasie et à son élargissement éventuel ont été particulièrement riches en enseignements. Le débat qui a lieu à présent montre que, dix ans après l'adoption de la loi historique du 28 mai 2002, les esprits sont mûrs pour procéder à quelques adaptations et ajustements. Dans différents groupes politiques, les points de vue ont évolué. Plusieurs experts ont été entendus. Ainsi, de jeunes scientifiques ont formulé des propositions très approfondies en vue d'intégrer la loi existante dans un ensemble plus vaste qui regrouperait les droits du patient, les soins palliatifs et les décisions de fin de vie, et même l'assistance au suicide. D'autres experts, actifs sur le terrain, se sont montrés plus pragmatiques et ont plaidé pour que l'on procède étape par étape de manière à parvenir à des résultats concrets.

Au cours de son audition, la professeur Thienpont a livré un témoignage à propos de l'euthanasie chez les patients qui éprouvent une souffrance psychique. Pour ces patients, l'existence de cette législation est déjà à elle seule une motivation suffisante pour malgré tout aller de l'avant et faire quelque chose de leur vie. En ce sens, on peut dire que la législation relative à l'euthanasie a un effet préventif en termes de suicide. Un autre témoignage majeur fut celui du professeur Distelmans qui a plaidé pour que l'on enregistre aussi les cas de sédation palliative.

M. Swennen conclut dès lors que le moment est propice pour procéder à une révision de la législation relative à l'euthanasie. Il a le sentiment qu'un consensus se dessine en ce qui concerne l'euthanasie chez les mineurs et la problématique de la déclaration anticipée. Le groupe sp.a a déposé plusieurs propositions qui impliquaient un certain nombre de choix clairs et au fil des auditions, des points de vue nouveaux ont émergé. L'intervenant demande dès lors que l'on poursuive le débat avec la même sérénité. Si le Parlement veut être crédible, alors il doit aboutir à des conclusions, en faisant fi de tous les tabous. Et il ne doit pas traîner, car le calendrier parlementaire est serré et le Sénat qui a souvent été, par tradition, à l'origine de nombreuses avancées sur les questions éthiques, sera bientôt réformé. Il faut donc clôturer les travaux parlementaires au plus vite et dans les meilleures conditions.

Mme Detiège souligne qu'en ce qui concerne l'euthanasie des mineurs, il est préférable de ne pas aborder ici la problématique des nouveau-nés. La discussion d'une résolution inspirée du protocole de Groningen pourra avoir lieu ultérieurement. Selon l'intervenante, il est inutile d'instaurer une nouvelle limite d'áge pour l'euthanasie chez les mineurs: la maturité tant physique qu'intellectuelle est un facteur infiniment plus important que l'áge. Un pédopsychiatre ou un pédopsychologue pourrait éventuellement jouer un rôle en l'espèce. Il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle des parents; il est indispensable qu'ils donnent leur avis, mais c'est au mineur qu'il revient de prendre la décision ultime. L'intervenante a l'impression qu'au sein des commissions réunies, une majorité de membres est favorable à une réglementation de l'euthanasie chez les mineurs ayant la capacité de discernement.

En ce qui concerne les personnes démentes et les patients atteints d'une affection cérébrale, les choses semblent plus délicates. Mais cela ne signifie pas que le groupe sp.a ne soutiendrait plus ses propositions de loi initiales.

Mme Detiège poursuit en disant qu'elle est favorable à une déclaration anticipée qui resterait valable aussi longtemps qu'elle n'a pas été révoquée. S'agissant de l'obligation d'adresser le patient à un confrère, l'intervenante propose d'obliger le médecin à communiquer, dans un délai déterminé, son refus d'être associé à la pratique d'une euthanasie en raison du problème de conscience que cela lui poserait, et à transmettre le dossier concerné à un confrère. D'autres questions pratiques de ce genre pourraient être précisées ultérieurement.

Mme Piryns se rallie aux intervenants précédents qui demandent de poursuivre le débat sereinement, dans le prolongement des auditions qui ont eu lieu. Cela fait des années que la question de l'application de la loi du 28 mai 2002 et de son extension fait débat dans notre société. Les auditions ont montré que notre pays dispose d'une bonne législation en la matière, même si celle-ci est loin d'être parfaite. Un autre élément qui est apparu lors des auditions est le fait que ni les responsables politiques, ni les médecins ne sont en droit d'émettre un jugement moral sur la manière dont une personne doit mourir et que c'est à elle seule qu'il revient d'en décider. Il ne faut donc pas opposer les soins palliatifs à l'euthanasie; il faut au contraire considérer ces deux options sur un pied d'égalité.

L'intervenante renvoie à sa proposition de loi qui règle l'ensemble des questions relatives à la fin de vie, à savoir les droits du patient, les soins palliatifs, l'assistance au suicide, l'euthanasie, etc. Elle reste persuadée, alors que les auditions sont terminées, que tel est le but à atteindre à long terme, mais elle admet que cela ne sera pas réalisable sous la présente législature. Il faut donc dès maintenant prendre des mesures concrètes dans ce sens et Groen y prendra part dans un esprit constructif.

En ce qui concerne l'euthanasie chez les mineurs, Mme Piryns ne plaide nullement pour la fixation d'une limite d'áge car ce genre de critère est toujours arbitraire. La question qu'il faut se poser est plutôt celle de savoir comment on peut déterminer qu'un mineur est capable et en droit de demander une euthanasie, et qui peut la pratiquer. Quel est le rôle du médecin ? Quel est celui des parents ? Les commissions réunies devraient apporter une réponse à toutes ces questions.

Par ailleurs, il faut aussi prendre des mesures en ce qui concerne l'obligation d'adresser le patient à un confrère, et il en va de même pour la durée de validité de la déclaration anticipée.

La question la plus délicate dans ce débat est celle de l'euthanasie chez les personnes incapables. Cela ne veut pas dire qu'il serait impossible de trouver une solution appropriée en l'espèce. Elle renvoie à cet égard à l'exemple de l'écrivain Hugo Claus qui, contrairement à ce que beaucoup prétendent, n'a absolument pas choisi l'euthanasie pour « poser un geste fort », mais dont la mort librement choisie montre qu'il y a quand même un problème. En effet, la législation n'autorise pas les personnes atteintes de démence à demander une euthanasie; il en résulte que certaines d'entre elles sont « contraintes » de mourir trop tôt, avant de se trouver dans un état de démence total.

Enfin, Mme Piryns lance un appel afin que chacun apporte sa pierre en vue de faire évoluer la législation sur l'euthanasie, par-delà les clivages politiques, comme cela a toujours été le cas pour les questions éthiques. Les auditions ne sauraient avoir été organisées en vain. L'intervenante espère dès lors que les commissions réunies pourront élaborer une proposition conjointe.

Mme Thibaut souligne la qualité des auditions qui ont eu lieu. Dix ans après l'adoption de la loi sur l'euthanasie, la membre se réjouit de l'opportunité qu'a le Sénat de mener cette évaluation.

Le groupe Ecolo a cosigné deux propositions de loi. L'une prévoit l'obligation de transmettre le dossier à un confrère. Cette position a été appuyée lors des auditions. L'autre proposition est relative à la déclaration anticipée. Cette question doit encore faire l'objet de débats. Il faudra en tout cas mettre des balises. La possibilité de faire une déclaration à durée indéterminée a été évoquée par plusieurs orateurs. Il faudrait dans ce cas mettre en place une procédure pour « rappeler » sur une base régulière la déclaration à son auteur. Cela permettrait à l'auteur de la déclaration de la faire évoluer au cours du temps.

Les auditions ont également montré que la déclaration anticipée pouvait conduire à des impasses en raison de la manière dont elle était libellée. Il faudrait mener une réflexion sur la manière de rédiger une déclaration anticipée. Le rôle des témoins est également un élément à prendre en considération. L'information des témoins est en effet souvent insuffisante. Il faudrait réfléchir à la manière dont elle peut être améliorée.

Avant d'aborder quant au fond la question de l'euthanasie des mineurs, Mme Thibaut souhaite évoquer le contexte économique général dans lequel se trouve notre pays et qui n'est pas sans incidence sur le débat. La crise économique profonde que nous traversons entraîne des coupes budgétaires dans de nombreux secteurs. Jusqu'à ce jour, les soins de santé ont été relativement épargnés. Il ne faudrait cependant pas qu'à terme, des demandes d'euthanasie soient formulées pour des raisons d'ordre financier.

Mme Thibaut pense que l'urgence à légiférer en matière d'euthanasie des mineurs est toute relative. Aux Pays-Bas, où la loi permet cette euthanasie, les demandes sont quasi inexistantes. Les commissions doivent avancer mais elles peuvent se donner le temps de la réflexion.

L'euthanasie des mineurs doit être subordonnée à la capacité de discernement, appréciée par une équipe multidisciplinaire. Le rôle des parents reste à définir. Aucune des propositions de loi actuelles n'est satisfaisante sur ce point et de nouvelles auditions devraient être organisées sur cette question.

En 2002, deux chemins législatifs ont été suivis de façon complètement distincte: l'un relatif à l'euthanasie et l'autre aux soins palliatifs. Aujourd'hui, les auditions ont montré qu'il existe des ponts entre les acteurs de l'euthanasie d'une part et les acteurs des soins palliatifs d'autre part. La société a évolué et il ne faut pas opposer les deux approches.

Des représentants du monde médical ont évoqué la nécessité d'évoluer vers le suicide assisté. Celui-ci n'est pas possible actuellement en Belgique. L'intervenante est d'avis qu'il faut être à l'écoute de cette revendication.

Mme Thibaut déclare que le groupe Ecolo-Groen prépare une proposition de loi qui appréhende tous les aspects de fin de vie de manière globale: soins palliatifs, euthanasie, droits du patient par rapport à l'acharnement thérapeutique, ... Elle pense que seule une approche plus globale permettra d'aboutir à un corpus législatif cohérent sur la problématique de la fin de vie.

M. du Bus de Warnaffe souligne l'importance des débats dans la mesure où ils participent à une appropriation par la société des questions liées à la mort et la fin de vie. C'est une évolution importante.

Cela étant, les réponses aux questions posées dans le cadre des auditions s'inscrivent-elles uniquement dans le cadre d'une loi ?

Le groupe cdH n'était pas partisan d'une extension de la législation dépénalisant l'euthanasie, tant en ce qui concerne les mineurs que les personnes atteintes de maladies dégénératives. Toutefois, il a abordé les débats dans un esprit d'ouverture. Le centre d'études Cepess a examiné différentes formules possibles pour un cadre juridique permettant de prendre en considération des demandes qui s'avéreraient légitimes, tout en évitant des dérives. Cette démarche n'a cependant pas abouti.

Parallèlement aux auditions, le cdH a rencontré des gens de terrain, dans des institutions hospitalières dotées de structures de soins palliatifs.

Plusieurs éléments ressortent de ces rencontres ainsi que des auditions qui se sont tenues au Sénat.

Premièrement, il n'y a pas de consensus pour affirmer l'existence d'une forte demande d'euthanasie de la part de mineurs. Aux Pays-Bas, où il existe un registre recensant les demandes, les chiffres ne sont guère significatifs. Certains orateurs ont fait état de demandes rarissimes, voire exceptionnelles. C'est aussi ce qui est apparu lors de visites de services d'oncologie. Un médecin qui avait trente années d'expérience a reconnu avoir été confronté une fois à une demande réelle de la part d'un mineur, demande à laquelle il n'a pas pu répondre. Par ailleurs, les réponses aujourd'hui offertes à travers les soins palliatifs, à travers la formation des équipes soignantes, permettent de prendre en considération ces demandes. Tout l'enjeu tient à la façon dont on peut interpréter une demande d'euthanasie émanant d'un mineur.

Un deuxième élément est celui de la capacité de discernement. Si cette capacité doit être évaluée par un tiers, cela signifie que l'on reporte la décision sur une tierce personne. On pourrait par contre opter pour la fixation d'un áge à partir duquel on considère que le jeune est capable de prendre sa décision seul.

M. du Bus de Warnaffe souligne que les auditions n'ont pas permis d'identifier une solution acceptable qui permette de prendre en considération la complexité de la demande des enfants qui sont en souffrance. Une série d'experts ont déclaré que les enfants en souffrance développaient souvent une réelle maturité. D'autres orateurs ont cependant mis en garde contre le fait que les enfants en souffrance réagissaient comme de véritables « éponges » par rapport aux souffrances de leurs proches, répercutant des demandes tacites de leurs proches pour qui il est difficile d'envisager la fin de vie d'un enfant. L'enjeu consiste donc à déceler les demandes qui sont le fait des parents.

Ceci nous renvoie à la question de l'accompagnement des parents et, plus largement, des proches. Il existe aujourd'hui des maisons de répit qui assurent une prise en charge des jeunes et laissent aux parents la possibilité de reprendre leur souffle pour faire face à des situations toujours très difficiles. Des responsables de maisons de répit ont expliqué à quel point l'accompagnement des familles était un travail fondamental qu'il fallait développer, approfondir mais qui, une fois de plus, ne trouve pas de réponse spécifique à travers un cadre légal. D'autres intervenants ont fait part de la nécessité de développer le projet thérapeutique qui doit intégrer la notion de fin de vie.

Au terme de l'ensemble de ces rencontres et auditions, le groupe cdH, considérant qu'une législation doit servir l'intérêt général, estime que le caractère général de la demande n'a pas été établi en tant que tel. Il paraît donc difficile de soutenir une législation qui répondrait au caractère exceptionnel et rarissime de certaines demandes.

Le cdH constate que la législation n'est pas à même de répondre à d'autres demandes liées à la communication entre les jeunes, les parents, le médecin, les services médicaux et para-médicaux. Cette question de la communication constitue un enjeu central mais qui ne peut être pris en considération par la loi.

Le cdH estime en outre que le mineur reste une personne vulnérable, potentiellement soumise à certaines pressions. Une société se mesure aux valeurs qu'elle entend promouvoir. Or, la protection des personnes fragilisées constitue, aux yeux du cdH, une valeur fondamentale qui doit motiver le travail du législateur.

Le mineur est un être de relations. Toute sa dignité s'inscrit dans l'échange, la relation, le regard que portent sur lui les équipes médicales, les soignants, les accompagnants, la famille. Cette relation ne peut souffrir un message qui tendrait à faire passer l'idée que l'euthanasie des mineurs serait une solution leur permettant d'enlever un poids difficile à porter par les proches.

À ce stade, les propositions de loi à l'examen ne sont pas de nature à rencontrer le projet de société que soutient l'intervenant, à savoir apporter des réponses aux demandes des parties, principalement dans le registre de la communication et de la formation.

Pour les personnes atteintes de maladies dégénératives telles que la démence, les auditions ont montré que des épisodes de conscience plus forte succèdent aux épisodes de conscience mise entre parenthèses. Cette situation de conscience altérée justifie une protection totale de la personne.

Plusieurs experts ont évoqué le changement d'avis. Eu égard à ce droit au changement d'avis et au droit à la protection pour la personne dont la conscience est altérée, le cdH estime que les informations communiquées ne permettent pas de progresser dans une législation permettant l'euthanasie dans ce type de situations.

Enfin, concernant la déclaration anticipée, le groupe de l'intervenant n'a pas encore arrêté sa position.

M. Laeremans se réjouit de la bonne organisation et de la sérénité qui ont caractérisé le déroulement des auditions. C'est pour lui un gros problème de laisser des patients déments entrer en ligne de compte pour l'euthanasie. Certains présentent cela comme une évidence, mais ce n'est nullement le cas. L'intervenant connaît plusieurs cas de personnes démentes qui connaissent un certain bien-être malgré leurs problèmes mentaux et qui, souvent, sont encore en bonne forme physique. Il serait inconcevable d'en finir avec ces personnes sur la base d'une déclaration anticipée qu'elles ont formulée bien des années auparavant.

L'intervenant renvoie à l'article d'opinion intitulé « Als je niet meer weet dat je wilde sterven » (Si vous avez oublié que vous vouliez mourir), de Bert Keizer, publié dans De Standaard du 30 mai 2012, où l'auteur affirme entre autres:

« En tant que médecin, j'ai déjà été confronté plus d'une fois à une euthanasie et j'estime personnellement qu'une déclaration anticipée écrite ne remplacera jamais le patient qui se trouve en face de moi. » [traduction]

M. Laeremans partage ce point de vue. Les risques sont particulièrement élevés et l'on risque de s'aventurer sur un terrain glissant.

Les auditions ont en revanche révélé que les soins palliatifs sont loin d'être suffisamment développés partout, et qu'on ne reconnaît pas assez cette lacune. Ce constat, plus de dix ans après l'élaboration de la loi du 28 mai 2002, est plus important qu'un débat symbolique sur les mineurs. Le nombre de demandes d'euthanasie formulées par des mineurs est en effet extrêmement limité, comme le montrent notamment des chiffres recensés aux Pays-Bas. Par contre, les soins palliatifs concernent de très nombreux patients et, dans le cadre du présent débat, il ne faut pas les opposer véritablement à la réalité de l'euthanasie. En effet, des personnes qui optent pour l'euthanasie se trouvent aussi très souvent dans un service de soins palliatifs, et elles souhaitent bénéficier de ces soins le plus longtemps possible.

Il est donc bien plus nécessaire de prévoir les moyens indispensables pour ces soins palliatifs que de mener une discussion symbolique sur les mineurs. L'intervenant renvoie à cet égard à sa proposition de loi introduisant un filtre palliatif obligatoire dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (doc. Sénat, nº 5-1432/1) et espère que ce droit fondamental puisse être garanti aux personnes en fin de vie, afin que les demandes d'euthanasie puissent diminuer, voire cesser complètement. Un « filtre palliatif », permettant de recueillir, à la demande du patient, l'avis d'une équipe palliative en plus de celui des médecins concernés, semble dès lors une nécessité absolue aux yeux de M. Laeremans, et ce, non pas dans un but dilatoire, mais pour permettre la formulation d'un avis judicieux sur la demande d'euthanasie. L'intervenant espère dès lors que le débat en la matière pourra se dérouler en toute sérénité, même si les soins palliatifs impliquent des dépenses supplémentaires. Même en temps de crise, cette question est cruciale d'un point de vue humain.

Mme Van Hoof souligne elle aussi la sérénité des auditions et des débats. Le groupe CD&V n'a pas déposé de propositions de loi mais a d'emblée adopté une attitude constructive et sans a priori à l'égard des experts. Les auditions l'ont convaincue qu'il n'est pas nécessaire de modifier fondamentalement la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.

L'intervenante souhaite tout de même poursuivre le débat et opérer en tout cas quelques adaptations aux niveaux procédural et technique. C'est notamment le cas en ce qui concerne la déclaration anticipée, dont le délai peut être prolongé, même si ce n'est pas de façon illimitée. Il y a en effet une grande différence entre une déclaration anticipée qui remonte à quarante ans et une telle déclaration qui a été faite un mois à peine auparavant. C'est aussi la raison pour laquelle l'intervenante n'est pas favorable à un enregistrement formel. Elle estime par contre que le débat sur la prolongation du délai de la déclaration anticipée peut être mené, par exemple pour porter ce délai à dix ans. De nombreuses propositions en matière d'euthanasie ont déjà été déposées, et certaines sont manifestement encore en passe de l'être; le groupe CD&V du Sénat ne déposera quant à lui aucune proposition de loi.

Concernant l'euthanasie des mineurs, les auditions montrent qu'il s'agit d'une situation très exceptionnelle. Les chiffres en provenance des Pays-Bas le révèlent également: aucune demande d'euthanasie n'a été formulée par des personnes de moins de trente ans et aucune euthanasie n'a été réalisée pour cette catégorie. ll n'y a en fait eu qu'un cas depuis 2010. Chez nous, les chiffres indiquent aussi qu'aucune demande d'euthanasie n'a été émise dans le groupe d'áge des jeunes adultes — les dix-huit/dix-neuf ans — bien que ce soit déjà possible légalement. On peut donc parler d'un dossier symbolique, comme le montrent également les interventions des experts médicaux durant les auditions. Ces derniers ont souligné que, bien souvent, les enfants ne comprennent pas le caractère définitif de la mort et vivent au jour le jour. Les oncologues indiquent que lorsque des enfants souffrant d'une forme de cancer disent qu'ils en ont assez, ils ne demandent pas réellement une euthanasie mais insistent plutôt sur la qualité de leur fin de vie; ils demandent par exemple à pouvoir retourner une fois à l'école, participer à une fête ou profiter de la vie d'une autre manière.

Les médecins peuvent maîtriser une telle douleur et offrir aux enfants et aux mineurs cette qualité de vie. Il est déjà possible, aujourd'hui, de suspendre ou de ne pas entamer certains traitements médicaux, de contrôler intensivement la douleur et de proposer des soins suffisamment confortables pour garantir ainsi une fin de vie digne et de qualité.

Toutefois, on constate, dans la pratique, que les parents s'en tiennent plutôt à une forme d'acharnement thérapeutique ou veulent transférer leur enfant dans un autre hôpital afin qu'il y reçoive un nouveau traitement. Il arrive aussi que les deux parents soient en désaccord. Une loi ne saurait toutefois résoudre de tels problèmes, qui surviennent souvent en soins palliatifs. L'introduction, dans la législation, de la capacité de manifester sa volonté comme critère pour demander soi-même ou non l'euthanasie semble donc plutôt difficile. Les enfants remarqueront en effet la dépression ou la tristesse de leurs parents et voudront souvent rester loyaux envers eux en affichant un comportement « socialement correct ».

Mme Van Hoof appelle donc à protéger l'enfant concerné dans de telles circonstances. Il serait inadmissible que certaines lois prévoient comme critère la capacité de l'enfant à exprimer sa volonté et que d'autres mettent l'accent sur l'áge de l'intéressé. L'intervenante souhaiterait discuter des possibilités envisageables. Certaines dispositions législatives parlent du mineur émancipé, qui peut prendre des décisions en toute autonomie. Certaines propositions de loi pourraient encore suggérer un autre angle d'approche. La question mérite qu'on lui accorde l'attention nécessaire.

Mme Sleurs se réjouit également de la sérénité dans laquelle les auditions et la discussion se déroulent jusqu'à présent et espère qu'il en ira de même à l'avenir. Le groupe N-VA est en tout cas prêt à poursuivre le débat de cette manière, au-delà des clivages partisans. Les propositions de loi que l'intervenante a déposées sont on ne peut plus claires.

En ce qui concerne l'euthanasie des mineurs, l'intervenante estime que l'introduction d'une limite d'áge ne résout pas grand-chose. Il s'agit en effet d'une donnée juridique, et non médicale. Il est important que les parents de l'intéressé parviennent à un consensus dans cette matière, fût-ce en laissant le dernier mot à l'enfant.

S'agissant de la déclaration anticipée du patient, Mme Sleurs est favorable à une simplification administrative. Il convient de faire la clarté et c'est pourquoi elle est partisane d'un enregistrement centralisé des déclarations anticipées, non pas tant à des fins de contrôle, mais bien parce que les médecins et les aides-soignants doivent savoir clairement ce que veulent les patients, de manière à pouvoir entendre leur souhait et le réaliser. Pour des raisons de simplification administrative, Mme Sleurs est aussi favorable à une prolongation de la durée de validité de la déclaration anticipée du patient, avec un éventuel rappel.

De l'avis de l'intervenante, le renvoi vers un autre médecin n'est pas réellement une obligation. Elle craint l'annulation d'une éventuelle législation en la matière par la Cour constitutionnelle, ce qui compromettrait la législation. Il est important d'apporter, lors du débat, des éclaircissements sur la contradiction entre les avis juridiques en la matière. Elle évoque également la législation relative aux droits du patient, qui énonce expressément que le médecin doit accompagner le patient en fin de vie. On pourrait peut-être y trouver une piste de solution.

Le suicide assisté est un autre élément. Mme Sleurs constate que la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie accepte à l'heure actuelle de considérer le suicide assisté comme une euthanasie.

L'intervenante émet des réserves quant à l'utilité d'un enregistrement des cas de sédation palliative. Cet enregistrement ne contribue pas forcément à l'amélioration du traitement du patient.

Enfin, Mme Sleurs répète que, dans cette matière, il faut pouvoir dépasser les clivages partisans. Elle plaide pour que les commissions réunies élaborent une proposition bénéficiant de l'assise la plus large possible.

M. De Gucht aussi se réjouit de la sérénité qui a régné durant les auditions. Ces dernières ont d'ailleurs clairement apporté une plus-value et influencé les propositions à l'examen. Il est nécessaire d'affiner la loi existante du 28 mai 2002, compte tenu des manquements qui ont été mis en exergue. L'intervenant n'est pas partisan de la proposition consistant à regrouper dans une loi globale tous les éléments qui ont trait à la fin de vie — euthanasie, soins palliatifs, suicide assisté, droits du patient, ... — mais il préconise d'apporter des modifications à la loi existante de 2002. Cette considération est motivée notamment par le délai imparti aux commissions réunies.

Les auditions ont clairement montré la nécessité de créer un cadre pour l'euthanasie des mineurs. Cela fait déjà des années que le groupe OpenVld a déposé une proposition de loi à ce sujet, qui nécessite il est vrai des adaptations. L'important, c'est que les commissions réunies accomplissent rapidement les démarches nécessaires. À cet égard, il s'avère que la discussion sur l'áge minimum n'est pas la bonne: l'élément essentiel est le critère de la faculté de discernement, pas l'áge. Cet élément doit trouver à s'exprimer dans la réglementation qui sera finalement votée. Une autre question à laquelle il faut répondre est celle du rôle des parents: ont-ils seulement le rôle de conseiller ou ont-ils une sorte de droit de véto ? Il importe de souligner que c'est le patient qui doit rester au centre des préoccupations et que si son entourage joue certes un rôle important, ce n'est pas à ce dernier qu'il appartient de prendre la décision finale.

M. De Gucht estime par ailleurs que les règles relatives à la déclaration de volonté doivent également être adaptées. Le délai existant de cinq ans est trop court et doit pouvoir être prorogé. Quant à savoir si cela doit se faire par le biais d'une prolongation de celui-ci ou par une déclaration de volonté à durée indéterminée, c'est une question à laquelle le débat devra répondre.

S'agissant de l'obligation d'enregistrement, le sénateur pense qu'il faut voir au-delà de l'euthanasie proprement dite. Cela ressort non seulement des auditions, mais aussi de la discussion que les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont consacrée le 11 décembre 2012 au cinquième rapport aux Chambres législatives (2010-2011) de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie (doc. Sénat, nº 5-1718/1). Il est en effet apparu qu'il y a une nette différence entre les trois régions en ce qui concerne l'enregistrement de l'euthanasie et que cette différence est liée moins aux patients qu'au rôle des médecins concernés. D'où la proposition d'enregistrer toutes les formes d'actes ayant pour effet de mettre fin à la vie, comme notamment la sédation palliative. La pratique actuelle permet en effet des abus qu'il y a lieu d'éviter. Cela permettra aussi de mettre un terme à l'acharnement thérapeutique.

La discussion sur l'euthanasie pour les personnes atteintes de démence ou d'une affection neurodégénérative a été particulièrement difficile mais aussi très riche en enseignements. Il est en effet difficile d'en obtenir une image objective. Le sénateur Brotchi a eu le mérite de formuler une proposition à ce sujet et M. De Gucht souhaite soutenir cette proposition.

La réalité d'aujourd'hui est que des situations problématiques se présentent dans plusieurs hôpitaux et maisons de repos et de soins où l'euthanasie n'est pas autorisée. Le monde politique doit y donner une réponse adéquate. Les droits de chaque patient doivent être respectés. Il est inadmissible que certains patients soient laissés sur le carreau.

M. De Gucht reconnaît la nécessité d'investir davantage dans les soins palliatifs. L'euthanasie et les soins palliatifs ne peuvent pas être opposés dans le débat car ils vont en réalité de pair. La meilleure preuve est donnée par le centre palliatif créé par le professeur Distelmans.

Enfin, l'intervenant espère que le débat pourra se poursuivre en toute sérénité, sans petits jeux politiciens. Il s'agit en effet ici de patients qui se trouvent dans la phase la plus difficile de leur vie et qui souffrent d'une maladie incurable. Le débat ne peut pas se laisser enfermer dans le schéma classique majorité parlementaire contre opposition, mais doit transcender les frontières des partis afin que l'on puisse arriver à une solution aussi humaine que possible. Espérons que le débat pourra porter le plus vite possible sur des propositions concrètes, compte tenu du calendrier parlementaire.

IV. EXPOSÉS INTRODUCTIFS

— Proposition de loi modifiant, en ce qui concerne les mineurs, l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (de MM. Alexander De Croo et Bart Tommelein et Mmes Nele Lijnen et Martine Taelman) — doc. Sénat, nº 5-21/1.-

M. De Gucht indique que la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie autorise l'euthanasie sur des patients conscients, atteints d'une affection incurable, qui éprouvent une souffrance insupportable.

La loi offre au patient une protection et lui garantit une mort douce et humaine. Elle procure également la sécurité juridique au médecin qui pratique l'euthanasie.

Parallèlement à la loi relative à l'euthanasie pour les personnes majeures, la loi prévoyant des soins palliatifs de qualité est entrée en vigueur. Euthanasie et soins palliatifs constituent en effet deux aspects de la fin de vie à considérer ensemble et non à l'exclusion l'un de l'autre.

Aujourd'hui, la pratique nous oblige toutefois à conclure que la législation actuelle présente des imperfections qui appellent des précisions et des adaptations spécifiques.

La législation actuelle s'adresse aux individus capables d'exprimer leur volonté. Ceci implique que la demande d'euthanasie ne peut être formulée que par des personnes majeures, en ce compris les mineurs émancipés qui sont capables d'exprimer leur volonté ou qui ont rédigé une déclaration anticipée.

Étant donné que les maladies incurables et leur cortège de douleurs peuvent survenir à tous les áges, il semble indiqué d'adapter la loi actuelle, notamment sur ce plan. En effet, la limite d'áge prévue dans la loi actuelle a un caractère totalement arbitraire et il faut assouplir le système pour permettre à des patients mineurs de demander et d'obtenir une euthanasie.

D'aucuns estiment que l'euthanasie des mineurs ne concernerait qu'un très petit nombre de cas. M. De Gucht pense que toute personne se trouvant dans les conditions de souffrance décrites par la loi et qui a la capacité de discernement doit se voir offrir la possibilité d'opérer un choix en la matière.

On ne peut comparer la maturité d'un enfant de quatorze ans, souffrant depuis des années d'une maladie incurable, qui a peut-être vu mourir des compagnons du même mal, avec la maturité d'un autre qui vit une jeunesse insouciante. On préférerait évidemment que personne, ni enfant, ni adulte, ne souffre au point de réclamer l'euthanasie. La réalité est malheureusement différente. La question est de savoir comment la société doit réagir à ce type de situations. M. De Gucht est convaincu qu'il est du devoir de la société d'offrir aux gens qui se trouvent dans une telle situation, qui souffrent, qui sont atteints d'une maladie incurable, la liberté de décider eux-mêmes. Il est singulier de vouloir imposer sa propre volonté à d'autres. Ne pas donner cette liberté à des mineurs qui, s'ils étaient majeurs, entreraient en considération pour faire le choix de l'euthanasie, constitue une manière très dure de les traiter.

L'intervenant propose par conséquent d'adapter la loi du 28 mai 2002 de manière à donner à des mineurs la possibilité de faire le choix de l'euthanasie. Il croit en l'individu et en sa capacité de décider lui-même de son sort.

Il renvoie pour le reste au contenu des articles et à leurs commentaires.

— Proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (de M. Mahoux et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2170/1.-

M. Mahoux rappelle qu'il a déposé le 10 janvier 2013 une proposition de loi visant à la fois à étendre le champ d'application de la loi sur l'euthanasie et à en modifier le contenu (proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, doc. Sénat, nº 5-1919/1), notamment au sujet de la durée de validité de la déclaration anticipée d'euthanasie et au sujet de la clause de conscience. Il est également l'auteur d'une proposition de résolution invitant à poursuivre le travail de réflexion sur le problème des personnes atteintes de pathologies cérébrales (proposition de résolution concernant l'application de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, doc. Sénat, nº 5-1920/1).

Au cours des discussions, il est apparu souhaitable de scinder les différentes problématiques abordées.

La nouvelle proposition de loi nº 5-2170 s'en tient à la problématique des mineurs. Cette question a déjà été abordée il y a dix ans et n'a pas été réglée. À l'époque, on a pris la décision de viser les personnes majeures et les personnes mineures émancipées. Depuis lors, la discussion s'est enrichie avec l'expérience des pédiatres depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'euthanasie. Ceux-ci ont été confrontés aux mêmes difficultés que celles qui se posaient aux médecins avant l'adoption de la loi de 2002 sur l'euthanasie. Il est apparu nécessaire de mieux cerner le problème et d'y apporter une solution à travers un texte législatif.

— Première constatation qui s'est dégagée des auditions: une solution législative s'impose.

L'entrée en vigueur de la loi sur l'euthanasie a rendu aux patients le droit à la parole et le droit à l'écoute. L'expression par les patients de leur souffrance, la possibilité de formuler ses demandes de manière explicite dans le cadre de la loi, parce que la loi autorise désormais une réponse positive, ont amené des solutions qui correspondaient à la volonté des patients. Pour les mineurs aussi, même si la même solution ne pouvait être apportée, la loi a apporté le droit à la parole. Cette parole a pu être entendue et relayée dans le champ public. C'est là l'évolution fondamentale par rapport au contexte de 2002. Nous sommes aujourd'hui au courant des situations que vivent les jeunes patients et les pédiatres qui doivent y répondre.

En 2002 déjà, les adversaires de l'euthanasie invoquaient la possibilité de faire valoir l'état de nécessité devant un tribunal. Le législateur a considéré que ce n'était pas la manière correcte d'aborder le problème.

Certes, le nombre de mineurs concernés n'est pas très important. Fort heureusement d'ailleurs. Ce faible nombre ne peut être un argument pour s'opposer à ce qu'on légifère.

— Deuxième observation: la base reste la loi de 2002 sur l'euthanasie, avec ses critères et ses définitions.

La demande doit évidemment émaner de quelqu'un qui sait ce qu'il demande. Le rôle du médecin est de s'assurer que la demande soit réelle, réitérée et sans contrainte; d'évaluer la situation que vit le patient, avec l'aide à la décision d'un confrère. Comment déterminer la manière dont un mineur peut remplir ce type de conditions ?

Les auditions ont montré que l'áge ne constituait pas un élément déterminant pour remplir les conditions. La maladie fait largement évoluer la conscience qu'un mineur peut avoir de son propre état. La maturité du patient mineur est influencée par la situation qu'il vit, et par voie de conséquence aussi sa manière d'appréhender la mort et la signification de la demande qu'il formule.

Notons que la loi sur les droits du patient reconnaît des droits au mineur dans le secteur de la santé et il faut en tenir compte.

À la suite des auditions, il semble que le critère de l'áge ne soit pas le plus pertinent. Il faut plutôt se baser sur l'« état de discernement » du patient mineur. Cet état de discernement doit être évalué par un tiers « spécialiste ». Il doit être soit neuropsychiatre soit spécialiste de ce type de situation. Cependant, il ne s'agit pas de rendre une deuxième ou troisième personne responsable de la décision relative à l'euthanasie. La loi de 2002 sur l'euthanasie ne change pas sur ce point. La troisième personne est consultée uniquement pour déterminer si le mineur dispose de la capacité de discernement. La décision relative à l'euthanasie reste celle d'un médecin à l'instar de ce qui était déjà prévu dans la loi pour les personnes majeures.

Sur le plan juridique, même si le mineur est un être humain à part entière, il n'a pas la pleine capacité juridique. Il est représenté par ses parents ou, à défaut, par les personnes majeures qui sont responsables de lui. Sur le plan humain aussi, il semble difficilement concevable d'accéder à la demande d'euthanasie d'un mineur, alors même que ses parents ou l'un d'eux seraient en désaccord total. C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi ont prévu que la demande d'euthanasie formulée par le patient mineur devait être confirmée par ses représentants légaux.

Pour le reste, les principes de la loi de 2002 relative à l'euthanasie demeurent d'application. Sa mise en œuvre a montré que le texte était équilibré, sous-tendu par une valeur humaniste.

L'intervenant s'indigne d'ailleurs de la désinformation qui circule dans d'autres pays au sujet de la manière dont la loi belge est appliquée. En 2002, le législateur a tenté d'entourer la loi du plus grand nombre de précautions à travers la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation qui a été installée, les déclarations qui doivent lui être communiquées, la manière dont elle les examine, les rapports réguliers de cette commission. On a toutes les bonnes raisons d'être convaincu que cette loi a posé les balises nécessaires et qu'elle fonctionne bien.

M. Mahoux fait le parallèle entre le débat sur l'euthanasie des mineurs et le débat qui a précédé l'adoption de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.

La méthode utilisée à l'époque visait à prendre en compte les problèmes de fin de vie qui étaient posés dans la société, non seulement par les familles qui avaient vécu des moments douloureux mais également de façon plus idéologique. La volonté qui a présidé à la loi de 2002 était de rendre à tout un chacun la liberté fondamentale de maîtriser sa propre vie, en ce compris sa propre manière de mourir.

L'adoption de la loi de 2002 a été précédée d'un long cheminement. On a tenu compte du débat dans la société. Des discussions formelles et informelles ont été menées au Sénat. De très nombreux amendements ont été déposés avant d'aboutir au texte que l'on connaît.

Le contexte dans lequel se déroule le débat sur l'euthanasie des mineurs est très comparable. La question de l'euthanasie des mineurs est non seulement un problème de société mais aussi un problème individuel. Le débat a été suscité par ceux qui sont confrontés à la problématique de mineurs en fin de vie qui présentent des souffrances physiques ou psychiques que l'on ne peut soulager. Ceux qui sont confrontés à ce type de situation demandent qu'une solution soit trouvée à ce problème.

Les familles demandent également une solution. L'áge n'est pas un critère déterminant par rapport à la lucidité que peuvent avoir les enfants dans une situation de fin de vie. Ce sont certes des mineurs sur le plan juridique mais leur maturité par rapport à ce que peut être la mort n'est pas différente de celle d'un adulte.

M. Mahoux rappelle que le législateur ne s'occupe pas de problèmes métaphysiques. Il s'occupe du seul fait de mourir. Pouvoir donner à tout un chacun le choix de la manière dont il meurt n'implique aucunement que le législateur s'octroierait une compétence sur la signification de la mort. Il ne peut y avoir de confusion. Le législateur n'a pas la volonté de modifier la liberté de conscience que chacun peut avoir en raison de conceptions de nature philosophique ou religieuse.

D'aucuns ont estimé qu'il n'était pas nécessaire de légiférer pour rendre l'euthanasie des mineurs possible car le nombre de cas était très limité. M. Mahoux estime que le problème quantitatif ne doit pas déterminer l'opportunité d'ouvrir dans certaines conditions l'euthanasie aux mineurs. C'est l'intensité du problème auquel des familles sont confrontées qui doit dicter la démarche.

M. Mahoux pense que les auditions ont montré que la problématique de l'euthanasie des mineurs est réelle. La loi de 2002 n'y apporte pas de solution car elle s'applique aux personnes majeures ou aux mineurs émancipés. La loi de 2002 ne permet pas de poser un geste ultime d'humanité par rapport à des enfants ou adolescents dans une situation médicale sans issue et victimes d'une souffrance physique ou psychique insupportable.

Les auditions ont par ailleurs montré que l'áge n'était pas un élément déterminant pour savoir si les personnes confrontées à ce type de situation avaient le discernement. M. Mahoux rappelle que l'euthanasie ne peut s'envisager qu'à la demande du patient. La question du discernement du patient ne se posera que si une demande d'euthanasie est formulée. La proposition de loi prévoit que lorsque la demande émane d'un mineur, le médecin consulte un pédopsychiatre ou un psychologue qui sera chargé de contrôler la capacité de discernement du patient.

Les auteurs de la proposition de loi n'ont jamais imaginé qu'une euthanasie puisse être pratiquée sans une demande du patient concerné. Ce principe fondamental figure déjà dans la loi du 28 mai 2002. Or, l'objet de la proposition de loi à l'examen est d'étendre la loi relative à l'euthanasie aux mineurs.

M. Mahoux aborde ensuite la question de l'accord des parents ou des représentants légaux du mineur. L'intervenant admet que c'est une question difficile. La loi de 2002 s'applique aux personnes majeures et aux mineurs émancipés. Qu'en est-il d'une demande d'euthanasie émanant d'un mineur qui n'a pas la pleine capacité juridique ? La proposition prévoit l'accord des représentants légaux.

Que se passera-t-il si les parents ne sont pas d'accord pour que l'on pose un geste d'allègement de la souffrance de leur enfant ? Dans une telle situation, le médecin ne pratiquera pas l'euthanasie. M. Mahoux est convaincu que ces cas sont extrêmement rares car les témoignages des personnes confrontées à ce type de situation montrent que les parents posent le plus souvent un geste d'amour en acceptant la demande de leur enfant. Quoi qu'il en soit, s'il n'y a pas d'accord des parents, on se trouve dans une situation conflictuelle et il est impossible, dans un texte légal, de passer outre.

M. Mahoux conclut que pour les mineurs qui ont un état de discernement évalué par une tierce personne compétente, l'euthanasie sera possible et ne constituera pas une infraction. Pour le reste, le cadre général de la loi de 2002 s'applique: information du patient, consultation d'un second médecin sur le caractère incurable de la maladie, obligation de déclaration, etc.

M. Mahoux rappelle enfin que la loi de 2002 n'oblige personne à pratiquer une euthanasie. La clause de conscience individuelle est prévue.

M. Mahoux conclut en précisant que la proposition de loi à l'examen tente de répondre de manière humaine et humaniste à un problème sociétal et en prévoyant les garanties juridiques nécessaires.

V. DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Khattabi dresse un parallèle, toutes proportions gardées, avec le débat qui a eu lieu en France sur le mariage pour tous. Il s'agit d'ouvrir un droit, ou en tout cas d'encadrer une pratique qui existe déjà, et en aucun cas d'inciter ceux qui sont opposés à la pratique de l'euthanasie, de manière générale ou en particulier à l'égard des mineurs, à y faire appel. La pratique montre l'existence de demandes, même si elles sont peu nombreuses. Certains praticiens y ont procédé sans bénéficier d'aucune protection et sans que la pratique soit organisée par une loi. L'intervenante est donc d'avis qu'il faut ouvrir cette possibilité. Et ce, d'autant plus que la loi actuelle prévoit une exception pour les mineurs émancipés. On peut difficilement comprendre qu'on reconnaisse à certains mineurs, du fait de leur émancipation, la capacité de demander l'euthanasie.

Par contre, la reconnaissance du droit à l'euthanasie pour les mineurs doit être balisée et, sur ce point, l'intervenante estime que la proposition de loi nº 5-21/1 n'offre pas les garanties suffisantes.

Le groupe Ecolo est favorable à l'utilisation du critère de la capacité de discernement plutôt qu'à l'inscription d'une limite d'áge dans la loi. Il soutient l'idée selon laquelle la décision finale ne doit pas incomber aux parents. Il faut élaborer une procédure permettant que la décision finale soit prise dans le consensus.

M. Delpérée s'étonne d'entendre l'intervenante précédente évoquer la reconnaissance d'un « droit à l'euthanasie » et l'élargissement de ce droit à de nouveaux bénéficiaires. La loi de 2002 n'a jamais consacré un droit, elle organise seulement la dépénalisation d'un comportement.

M. De Gucht souscrit à la remarque de Mme Khattabi selon laquelle il est important de réfléchir à l'organisation pratique du processus. L'idée qui sous-tend la proposition de loi est de donner aux mineurs eux-mêmes la possibilité de décider comment ils souhaitent aborder l'euthanasie, mais la manière dont tout le processus doit se dérouler concrètement — notamment en ce qui concerne la capacité d'exprimer sa volonté — doit être clairement définie. Il faut prévoir un bon accompagnement psychologique non seulement pour le patient mineur concerné, mais aussi pour les parents. L'intervenant espère qu'on puisse aussi accorder les violons sur cette question.

Mme Piryns précise que, même si on ne peut parler de « droit à l'euthanasie », il est du devoir du législateur de veiller à élaborer un cadre juridique au sein duquel les gens, à la fin de leur vie, auront le droit d'opérer eux-mêmes des choix. En tant que responsables politiques, nous ne pouvons formuler aucun jugement moral sur cette question. Même si les situations dans lesquelles un mineur serait amené à demander l'euthanasie sont très rares, même si cela ne concernait qu'une seule personne, le législateur a le devoir d'agir.

Comme Mme Khattabi l'a mentionné, il est important de ne pas fixer de limite d'áge dans la loi car c'est tout à fait arbitraire. Les Pays-Bas ont fixé un seuil à douze ans. Mais que faire si un enfant de onze ans et onze mois se trouve dans une telle situation ?

Il convient de se focaliser sur la manière la plus adéquate de définir le critère de la capacité de discernement, puis sur la manière de l'évaluer en pratique.

Une autre question très difficile concerne le rôle des parents. Il n'est pas question de leur octroyer une sorte de droit de veto. Toutefois, il faut quand même envisager la situation où les parents ne sont pas d'accord avec la décision de l'enfant. S'ils n'ont pas le droit de décider, il faut quand même les impliquer et la manière de le faire doit encore faire l'objet de réflexions.

En résumé, les groupes Groen et Ecolo sont en faveur de l'extension de l'euthanasie aux mineurs mais plusieurs points ponctuels doivent encore être discutés.

M. Mahoux estime qu'il faut déterminer avant tout quelles catégories de mineurs peuvent entrer en ligne de compte pour une euthanasie et pour quels mineurs les médecins concernés peuvent poser le geste ultime d'humanité, évidemment dans le respect des conditions prescrites par la loi. En deuxième lieu, il faut clarifier les aspects juridiques de l'euthanasie chez les mineurs et supprimer l'insécurité juridique qui règne en la matière. Il faut notamment résoudre la question de l'absence de personnalité juridique du mineur. Il s'agit pourtant bien d'un être humain.

À cet égard, il faut de toute façon tenir compte du point de départ général de la loi du 28 mai 2002, à savoir que le patient concerné doit formuler lui-même une demande d'euthanasie et que le médecin doit répondre à cette demande, dans le respect des conditions légales. L'intervenant rappelle que, lors de l'élaboration de la loi de 2002, les auteurs ont voulu éviter à tout prix une relation triangulaire dans le cadre de laquelle le patient devrait formuler la demande par l'intermédiaire d'un tiers. Un mineur est généralement représenté par ses parents ou par d'autres personnes dotées de la capacité juridique et responsables du mineur. Il serait inconcevable qu'une demande d'euthanasie formulée par un mineur soit traitée par le médecin d'une manière contraire à l'avis d'un des deux parents ou des personnes qui se substituent aux parents. Pareilles situations risquent effectivement de se produire et elles entraîneraient des décisions injustifiables. C'est pourquoi M. Mahoux estime que l'accord des parents ou des personnes responsables du mineur concerné est indispensable.

Il va de soi que, pour le reste, la demande d'euthanasie doit satisfaire aux conditions définies dans la loi du 28 mai 2002, lesquelles restent intégralement applicables. La pratique nous montre en effet qu'il s'agit d'une législation équilibrée, dont l'objectif est avant tout humaniste. L'intervenant regrette dès lors que cette loi soit souvent présentée de manière inexacte à l'étranger. Il serait même question, selon lui, de désinformation, surtout lorsqu'on affirme — sans argumentation, de surcroît — que notre pays prend l'euthanasie à la légère. L'intervenant souligne que lors de l'élaboration de la loi, toutes les précautions ont au contraire été prises pour lutter contre d'éventuelles aberrations; il pense par exemple à la création d'une Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, qui contrôle les déclarations requises et publie tous les deux ans un rapport sur l'application de la loi. M. Mahoux est dès lors convaincu que la loi a prévu tous les équilibres nécessaires et que tout le monde en reconnaît les qualités.

M. Delpérée rectifie l'un des propos de l'orateur précédent: le mineur a bien la personnalité juridique.

Mme Defraigne confirme que le mineur a la personnalité juridique mais il n'a pas la capacité juridique. Un mineur ne peut agir que par le truchement de ses représentants légaux. Toutefois, avec l'évolution des législations, le mineur a de plus en plus un statut hybride. À titre d'exemple, il peut, à partir d'un certain áge, être entendu dans toutes les affaires qui le concernent. En matière de droits des patients, le mineur a la capacité requise pour donner son opinion sur les traitements qui le concernent.

M. Laeremans renvoie à la législation néerlandaise qui autorise depuis longtemps déjà l'euthanasie chez les mineurs. Les études consacrées à l'application de cette législation montrent que, parmi les personnes de dix-huit à vingt ans, aucun cas d'euthanasie n'a été enregistré et que chez les mineurs, la pratique de l'euthanasie est extrêmement rare. La question est de savoir s'il faut adapter une législation alors que cette adaptation ne concernerait que quelques cas exceptionnels, voire un seul.

La formulation de la loi actuelle est en effet très large et son application l'est tout autant. Et il en serait de même si elle était étendue aux mineurs. On pourrait envisager de voter un élargissement de la loi pour un cas isolé, mais il serait tout aussi important, à l'inverse, de prévenir un cas d'abus isolé. On peut donc se demander si un élargissement de la loi ne risque pas de créer davantage de problèmes que d'en résoudre. L'intervenant craint que les mineurs ne soient soumis à une pression plus forte. Plusieurs médecins ont déjà lancé une mise en garde à cet égard, d'autant que nous vivons à une époque où tout va de plus en plus vite et où les gens sont soumis à des impératifs de temps toujours plus contraignants. Aujourd'hui, on manque de temps pour s'occuper d'un malade et l'on a tendance à se tourner vers la médecine en espérant qu'elle pourra tout résoudre. Mais ce n'est évidemment pas le cas, et cela ne le sera pas davantage chez les enfants. Au cours des auditions, on a déjà souligné le fait que la demande d'extension de la législation relative à l'euthanasie émane surtout des parents — qui n'ont pas toujours la possibilité d'être présents à l'hôpital des semaines durant — et que les mineurs ne sont pas demandeurs.

La législation actuelle relative à l'euthanasie peut s'appliquer aussi bien en cas de souffrance physique qu'en cas de souffrance psychique. Son extension aux mineurs aurait donc pour conséquence que l'euthanasie serait autorisée pour ces deux formes de souffrance. Or, la souffrance psychique est un concept très extensible. Un mineur de quatorze ou quinze ans est-il à même d'analyser quelle sera l'issue de sa souffrance ou quelle perspective lui est offerte à terme ? Est-il capable de décider de l'opportunité de poursuivre ou non un traitement ? Dispose-t-on à quatorze ans d'une capacité de discernement suffisante ?

Ces questions sont d'autant plus pertinentes que la législation actuelle est interprétée de manière très large. M. Laeremans évoque le cas récent d'une personne qui éprouvait une souffrance psychique après une opération ratée de changement de sexe, qui a demandé une euthanasie et l'a obtenue, au motif que sa souffrance était considérée comme insupportable. Or, la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie dispose que le médecin doit s'assurer notamment que « le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Dans le cas évoqué ci-dessus, la question est de savoir si cette condition était remplie, pour autant que les faits amplement rapportés par les médias soient exacts. Le fait que notre législation autorise l'euthanasie en pareils cas suscite en tout cas nombre d'interrogations à l'étranger.

L'intervenant pense qu'il serait préférable de durcir la législation en vigueur, déjà à l'origine de nombreux abus, en y insérant par exemple le filtre obligatoire des soins palliatifs, plutôt que d'étendre celle-ci aux mineurs. Vu les risques d'abus, cet élargissement n'est pas du tout souhaitable à l'heure actuelle. Le remède pourrait être pire que le mal lui-même.

M. De Gucht pense qu'il faut éviter de tirer prétexte d'un cas précis, qui nous a été rapporté par les médias sans que nous ayons connaissance de l'intégralité du dossier médical, pour prendre l'une ou l'autre décision. Une telle attitude ne fait que créer la confusion et entretenir les inexactitudes.

Il indique aussi que l'apparente contradiction entre les soins pallitiafs et l'euthanasie, à laquelle l'intervenant précédent a fait allusion, n'existe pas dans les faits. Les soins palliatifs et l'euthanasie vont en effet de pair et ils ne s'excluent pas véritablement. En fait, ils sont indissociablement liés.

L'intervenant précédent a affirmé par ailleurs que la demande d'euthanasie chez les mineurs émanerait généralement des parents. C'est une affirmation pour le moins perturbante et que l'on ne peut nullement déduire des auditions qui ont été organisées. Au cours de celles-ci, des médecins ont affirmé au contraire que l'euthanasie est déjà pratiquée aujourd'hui chez des mineurs alors que la loi actuelle l'interdit. Il apparaît dans la pratique que ce sont bel et bien les patients mineurs qui formulent la demande d'euthanasie. Quant à savoir si ce type de demande est fréquente ou non, telle n'est pas la question en l'espèce: il s'agit ici, selon M. De Gucht, de déterminer si les mineurs peuvent ou non avoir la possibilité de poser un choix déterminé quant à leur fin de vie.

La question est de savoir si un mineur qui remplit les conditions légales mais qui n'a pas encore atteint l'áge de dix-huit ans peut demander une euthanasie, au même titre qu'un jeune de 18 ans qui satisfait aux conditions. Donne-t-on aux mineurs qui souffrent et qui sont capables de prendre des décisions avec discernement la possibilité de choisir eux-mêmes la manière dont ils envisagent leur fin de vie ? La question centrale est là, et le nombre de patients concernés n'est pas important. Une société qui défend les valeurs soutenues par la collectivité doit offrir cette liberté de choix.

Mme Thibaut déclare que son groupe a la volonté d'avancer sur la question de l'euthanasie des mineurs. Il faut, pour ce faire, mener un débat serein, dans le respect des positions de chacun et surtout des victimes.

La question du nombre de cas d'euthanasie de mineurs n'est pas déterminante pour décider s'il est opportun d'élargir la loi de 2002 aux mineurs. La mise en place d'un cadre légal va peut-être avoir pour effet que des mineurs décideront, de manière éclairée, de ne pas recourir à l'euthanasie.

Même si elle soutient l'objectif de la proposition de loi nº 5-2170/1, Mme Thibaut estime que la procédure proposée présente deux limites.

La proposition de loi prévoit la consultation d'un pédopsychiatre ou d'un psychologue. Il ressort des auditions que le mineur qui se trouve dans une situation médicale sans issue et dans un état de souffrance insupportable devrait pouvoir rencontrer une équipe pluridisciplinaire. La procédure de consultation prévue dans la proposition de loi est trop réduite.

Par ailleurs, les auteurs de la proposition de loi restent dans le cadre de la loi du 28 mai 2002. Cette loi place le patient au cœur de la décision. Il est le seul acteur de la décision d'euthanasie. Or, la proposition de loi donne un rôle trop important aux parents. Pour le groupe de l'intervenante, on ne peut pas toucher au principe de la loi de 2002. Les auteurs de la proposition de loi partent du principe que le mineur non émancipé n'ayant pas la capacité juridique, ce sont ses représentants légaux qui doivent agir par représentation. Mme Thibaut n'est pas favorable à une telle solution. Elle plaide pour un chemin de décision: les parents doivent être associés à la décision mais ce n'est pas eux qui décident. L'intervenante note que M. Mahoux a évoqué des situations de distorsion entre le patient et ses représentants légaux. D'autres distorsions de nature socio-économique sont également possibles et il est essentiel que le patient reste au cœur de la décision. L'oratrice annonce le dépôt d'amendements sur ce point.

M. Mahoux demande à l'oratrice précédente d'expliciter les situations socio-économiques qui pourraient intervenir dans le processus décisionnel et auxquelles elles font allusion.

Mme Thibaut répond que le patient doit toujours rester au cœur de la décision. Le système de soins de santé belge est, à l'heure actuelle, de grande qualité. Les restrictions budgétaires sont cependant d'une telle ampleur que l'on ne peut pas prédire l'état de nos soins de santé dans cinq ou dix ans. Le contexte socio-économique fait que de plus en plus de familles sont en grandes difficultés. Il ne faudrait pas arriver à une situation où un enfant demanderait une euthanasie par une pression économique de ses parents. Il est important que la loi contienne des balises pour protéger les plus fragiles contre d'éventuelles dérives.

Mme Defraigne précise que la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, malgré la grande qualité du texte, ne permet pas de prendre en compte certaines réalités et souffrances présentes sur le terrain. La maladie, les accidents et la souffrance inapaisable ne s'arrêtent pas à la frontière de la majorité.

L'article 2 de la loi de 2002 définit l'euthanasie comme un acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Le médecin qui pratique une euthanasie ne commet pas d'infraction s'il respecte les conditions prévues par la loi. Personne n'est obligé de demander une euthanasie et aucun médecin ni personnel soignant n'est tenu de concourir à l'accomplissement d'une euthanasie. La liberté du patient et du corps médical est totale.

Mme Defraigne pense que la loi de 2002 a rendu au malade en fin de vie la capacité d'avoir sa propre approche de ce qu'il est comme être humain et de sa fin de vie. La loi protège également le patient des abus. La loi organise un échange entre le patient et le médecin, sans dissimulation. Le malade sait que sa demande d'euthanasie peut être rencontrée et peut, en même temps, recourir à une prise en charge palliative. Le patient est de la sorte délivré de la peur de souffrir et de la peur de perdre toute dignité. La loi de 2002 a permis de donner une sécurité juridique au médecin qui accomplit un acte d'humanité en délivrant un patient en fin de vie d'une souffrance insupportable.

À l'heure actuelle, l'article 3 de la loi de 2002 permet de pratiquer une euthanasie sur une personne majeure ou sur une personne mineure émancipée. Le mineur émancipé est un mineur ágé de quinze ans minimum à qui on a donné la pleine capacité juridique à l'issue d'une procédure d'émancipation.

Toute la procédure d'euthanasie repose sur une demande émanant d'une personne capable et consciente. La demande doit être formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée et ne peut résulter d'une pression extérieure. Il faut enfin que le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et qu'il fasse état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée. L'affection doit enfin être incurable.

Mme Defraigne rappelle que la loi de 2002 est une loi de procédure. Le médecin a l'obligation:

— d'informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables ainsi que les possibilités qu'offrent les soins palliatifs et leurs conséquences;

— de s'assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée;

— de consulter un autre médecin pour vérifier la gravité de l'affection et de la souffrance;

— de s'entretenir de la demande du patient avec l'équipe ou des membres de l'équipe soignante;

— de s'entretenir avec les proches du patient si celui-ci le souhaite;

Mme Defraigne pense que la réalité a rapidement rattrapé le législateur après l'adoption de la loi de 2002. S'il y a des lacunes, il est du devoir du législateur de les combler.

Un certain nombre de parlementaires, essentiellement au nord du pays, ont déposé des textes pour que la réalité de l'euthanasie des mineurs puisse être appréhendée. L'évolution a été plus lente dans le sud du pays.

Mme Defraigne précise que dans la proposition de loi nº 5-179/1 qu'elle a déposée en 2010, elle avait opté pour un áge charnière de quinze ans pour ouvrir l'euthanasie aux mineurs. Cette limite d'áge était calquée sur l'áge à partir duquel un mineur peut être émancipé.

Au cours des auditions, de nombreux experts ont estimé qu'il n'était pas approprié de fixer un áge charnière pour déterminer si un mineur pouvait valablement demander une euthanasie. Il semble préférable de recourir à la notion de capacité de discernement. Cette notion vise la capacité pour un mineur d'appréhender sa propre situation. Un mineur qui se trouve dans une situation médicale incurable dispose d'une maturité qui lui permet d'appréhender cette situation.

Mme Defraigne pense qu'il ne faut pas modifier les conditions de fond de la loi de 2002. La proposition de loi nº 5-2170/1 s'inscrit dans la philosophie de cette loi: une demande d'euthanasie volontaire et réfléchie qui émane d'un patient incurable. Cependant, comme on est en présence d'un patient mineur, les auteurs proposent des précautions supplémentaires pour s'assurer que le mineur dispose de la capacité de discernement qui lui permet d'appréhender la situation dans toute sa généralité.

Mme Defraigne précise qu'elle ne peut imaginer qu'un médecin puisse pratiquer un acte ultime d'humanité sur un mineur sans que ses représentants légaux n'aient donné leur consentement. Il faut que les parents se soient exprimés formellement. C'est un geste d'amour que des parents posent pour éviter que leur enfant ne souffre encore plus atrocement, sachant que tout espoir de guérison est perdu. L'intervenante pense qu'il faut permettre d'octroyer ce geste ultime pour rencontrer la souffrance infinie d'un enfant qui n'a plus d'espoir.

M. Delpérée pense qu'il serait utile d'obtenir des précisions sur des notions qui ont été abondamment utilisées au cours de la discussion: la personnalité juridique, la capacité juridique, la capacité de discernement, la représentation juridique, etc. Ces notions, qui sont essentiellement utilisées en droit patrimonial, sont-elles transposables en matière d'euthanasie des mineurs ?

Par ailleurs, il serait souhaitable que les notions d'enfant, de mineur, d'adolescent, de mineur émancipé, etc., soient également précisées.

Enfin, l'intervenant se demande à qui, in fine, incombe la décision. Toute une série de personnes gravitent dans l'orbite du processus décisionnel. Est-ce le patient mineur qui décide ? Le médecin ? Les parents ? La décision est-elle partagée ?

M. Swennen se réjouit qu'on ait enfin entamé le débat sur un thème concret. Il fait référence à l'initiative qu'il a prise, avec quelques autres membres de la commission, pour tenter de synthétiser les sensibilités et points de vue exprimés lors des auditions. En ont découlé les quatre propositions de loi suivantes:

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (de M. Philippe Mahoux et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2170/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie visant à supprimer la validité limitée à cinq ans de la déclaration anticipée et laissant le patient la déterminer lui-même (de Mme Christine Defraigne et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2171/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, en vue de fixer un délai à respecter par le médecin, d'une part, pour répondre à la demande d'euthanasie du patient et, d'autre part, pour transmettre le dossier médical du patient à une commission au cas où il refuserait d'accéder à la demande de celui-ci (de M. Jean-Jacques De Gucht et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2172/1;

— proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et la loi coordonnée du 10 juillet 2008 relative aux hôpitaux et à d'autres établissements de soins, en vue de garantir le respect de la clause de conscience (de M. Guy Swennen et consorts) — doc. Sénat, nº 5-2173/1.

D'aucuns ont parlé d'applications abusives de la législation relative à l'euthanasie. La pratique apprend toutefois que la loi du 28 mai 2002 n'a donné lieu qu'à très peu de plaintes. En outre, la proposition de loi nº 5-2170/1, qui concerne l'euthanasie pour les mineurs, introduit encore d'autres mesures de sécurité, en supplément des mesures déjà existantes. Il s'agit en effet d'une décision particulièrement délicate et difficile, que le mineur ne peut prendre qu'en concertation étroite et en parfait accord avec les parents et l'équipe médicale. Outre les deux médecins qui doivent déjà intervenir actuellement dans la procédure pouvant mener à l'euthanasie, deux médecins supplémentaires seront prévus pour les mineurs, à savoir un pédopsychiatre et/ou un psychologue. Ces derniers apprécient ensemble la capacité de discernement du mineur.

Par ailleurs, la demande d'euthanasie du mineur doit être formulée sur papier et nécessite l'accord des parents. La proposition nº 5-2170/1 prévoit également qu'après acceptation de la demande du patient par le médecin, toutes les personnes concernées puissent bénéficier d'une aide psychologique. Cette mesure ne vaut donc pas uniquement pour le mineur. On ne saurait dès lors affirmer que les propositions ne prévoient pas suffisamment de mesures de sécurité visant à prévenir les abus.

M. Swennen souligne que l'Ordre des médecins réclame déjà depuis longtemps la suppression du critère de l'áge du mineur concerné au bénéfice du critère de la capacité de discernement réelle du patient. La législation relative aux droits du patient, elle aussi, accorde déjà aux mineurs le droit de refuser certaines médications, même lorsque ces dernières peuvent lui sauver la vie. Ici aussi, c'est le médecin traitant qui doit apprécier la capacité de discernement du mineur. La proposition de loi nº 5-2170/1 applique cette logique de la législation relative aux droits du patient à la législation sur l'euthanasie. La proposition de loi à l'examen n'est donc pas à ce point révolutionnaire.

Mme Van Hoof rappelle que des aspects médicaux, juridiques et éthiques ont été abordés durant les auditions. Il y a autant d'opinions que d'intervenants, et l'opinion publique aussi est multiple. Il est bon que la législation existante soit évaluée.

La même situation se présente d'ailleurs également aux Pays-Bas où il est apparu que l'application de la législation relative à l'euthanasie aux personnes démentes suscite des problèmes spécifiques. Pour ce qui est des mineurs, aucun cas d'euthanasie n'y est connu. La problématique qui se pose aux Pays-Bas est que la législation a donné lieu à certaines attentes: la loi autorise certains actes mais la pratique s'avère toute autre au moment où ils doivent être réellement posés.

L'exemple néerlandais nous enseigne qu'il faut être vigilant lorsque l'on adapte la législation: il faut en effet pouvoir satisfaire à certaines des attentes qui sont suscitées. Si le législateur ne parvient pas à répondre aux attentes sur le terrain, il ne fait pas bien son travail. Il n'est pas non plus exact que tout ce qui pouvait être dit lors des auditions a effectivement été abordé. La recherche scientifique continue d'avancer. L'intervenante renvoie notamment aux contributions qui ont récemment été publiées par le Metaforum de la KULeuven, telles que, entre autres, « Nieuwe wetsvoorstellen dreigen van euthanasie een afdwingbaar recht te maken » de Chris Gastmans, « Op het einde blijft roep om spiritualiteit vaak onbeantwoord » de Mieke Vermandere, Bert Aertgeerts, Jan De Lepeleire et Joannes Menten et « Er zijn ook goede redenen om de euthanasiewet niet te verruimen » de Filip Buekens. La recherche sur la capacité de discernement des mineurs, entre autres, mais pas seulement de ces derniers n'est pas encore terminée. Il n'est pas honteux de ne pas encore tout savoir. Si tout était connu, d'autres pays se seraient déjà dotés d'une législation sur l'euthanasie depuis longtemps.

Le point fondamental du débat actuel est la protection des mineurs face au droit ultime de disposer de soi. Qu'est-ce qui est prépondérant en la matière ? Le droit à disposer de soi est-il illimité ? Nombre d'éléments font douter l'intervenante de la capacité de discernement des mineurs. Par exemple, il n'y a guère d'étude approfondie aujourd'hui sur l'impact que peut avoir la période intense de maladie grave et de soins médicaux dans des circonstances exceptionnelles sur la personnalité ultérieure du mineur, dans le cadre du développement de son identité. Il convient d'agir avec énormément de circonspection à l'égard de la demande d'euthanasie d'un mineur durant cette phase de maladie grave. On pense trop souvent que le patient mineur a une grande maturité durant une telle période. C'est probablement le cas en ce qui concerne le fait de supporter la maladie, mais ce n'est pas nécessairement vrai au niveau de la prise de décision. Les interrogations sont nombreuses à cet égard d'un point de vue scientifique.

Un autre élément concernant la capacité de discernement du mineur est que ce dernier prend des décisions de manière plus impulsive qu'un adulte et qu'il tient moins compte des conséquences à court et moyen termes. Ses décisions se caractérisent aussi par une prise de risques plus importante. Tout cela est un motif d'inquiétude, surtout lorsqu'il s'agit de décisions majeures telles que l'euthanasie. Les mineurs ne peuvent pas toujours comprendre rationnellement et émotionnellement ce qui est en jeu.

Mme Van Hoof indique en outre que les processus cérébraux chez un mineur ne sont pas toujours complètement développés, si bien que l'intéressé décide d'une autre manière qu'un adulte.

On peut également se demander quelle est l'influence des parents, dont l'autorité à l'égard de l'enfant est forte et évidente. Un mineur est-il bien apte à décider en connaissance de cause ? Est-il suffisamment informé pour prendre la bonne décision à un moment donné, indépendamment de l'opinion des parents ? Les discussions scientifiques sont nombreuses à cet égard. Une équipe pluridisciplinaire peut-elle constater que la décision du mineur n'a pas été prise de manière trop impulsive et qu'un nombre suffisant de processus cérébraux sont intervenus avant que le mineur ne soit arrivé à la bonne décision ? Tout cela n'est certainement pas clair et l'intervenante estime qu'il n'est pas du tout évident de faire prévaloir le droit ultime de disposer de soi sur la protection de la personne mineure.

Mme Van Hoof a également des questions à poser sur la mise en œuvre de la législation actuelle. Lors des auditions, il est apparu que l'euthanasie est d'ores et déjà pratiquée sur des mineurs. Il est donc particulièrement singulier de devoir constater que jusqu'à présent, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation Euthanasie, qui est chargée de contrôler l'application de la loi du 28 mai 2002 et qui a déjà examiné plus de quinze mille dossiers, n'a encore déposé aucune plainte auprès du parquet. La pratique montre pourtant qu'un nombre relativement important de réclamations émanent de l'entourage des patients concernés. Selon l'intervenante, il est absolument impossible pour les commissions réunies Justice et Affaires sociales de se faire une idée précise de la diligence avec laquelle la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation Euthanasie analyse les dossiers. Il s'avère qu'elle examine environ deux cents  dossiers en trois heures. D'ailleurs, certaines personnes sont juges et parties dans le cadre de ce contrôle et de cette évaluation. Aux Pays-Bas, par exemple, les commissions de contrôle sont non seulement nationales, mais aussi régionales, et leur analyse des dossiers les amène parfois à déposer plainte en justice.

Ces éléments pris en compte, on peut quand même se demander si les mineurs seront suffisamment protégés en cas d'élargissement du champ d'application de la loi à leur égard. L'intervenante émet en outre de sérieuses réserves, pas seulement d'ordre moral ou éthique, mais aussi d'ordre scientifique, qui de plus s'inspirent entre autres de l'expérience accumulée dans le cadre de la mise en œuvre de la législation actuelle.

Mme Sleurs se réjouit que le débat se focalise sur la problématique de l'euthanasie chez les mineurs. Les modalités d'un éventuel élargissement du champ d'application de la législation relative à l'euthanasie sont bien entendu capitales. Un élément-clé de la discussion globale est la capacité de discernement du mineur concerné. Certes, l'intervenante est favorable à la suppression de la condition d'áge, mais il conviendra d'éclaircir ce débat. Ceci vaut également pour d'autres modalités, comme le caractère terminal ou non de l'affection, et la souffrance physique ou psychique du patient mineur, qui peuvent soulever pas mal d'interrogations. Mme Sleurs rappelle les nombreuses initiatives prises en vue de barrer la route au suicide; l'option de pratiquer l'euthanasie sur des mineurs en cas de souffrance purement psychique semble aller dans le sens contraire.

L'intervenante rappelle par ailleurs qu'en dehors de la proposition de loi nº 5-2170/1, plusieurs autres propositions relatives à l'euthanasie chez les mineurs ont été déposées, parmi lesquelles la proposition de loi qu'elle a elle-même déposée, concernant l'extension aux mineurs de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, l'assistance médicale au patient qui met lui-même fin à sa vie ainsi que la création et la pénalisation des infractions d'incitation et d'assistance au suicide (doc. Sénat, nº 5-1947/1).

Mme Piryns partage la préoccupation exprimée notamment par Mme Sleurs, les développements énonçant quelques éléments qui lui posent problème. C'est notamment le cas de l'intervention des représentants légaux du patient mineur. L'intervenante est formellement opposée au principe défendu dans les développements de la proposition de loi en vertu duquel le mineur doit demander l'autorisation de ses parents. C'est notamment ce passage qui empêche les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales de pouvoir aboutir à une proposition de consensus dans la mesure où il n'est pas possible d'apporter des modifications aux développements par le biais d'amendements.

M. Delpérée souscrit à cette intervention. Lorsqu'un texte de loi est adopté, son interprétation se fait pour partie sur la base des développements. Or, dans les développements, les auteurs font état d'un droit à l'euthanasie. L'intervenant pense qu'une telle affirmation est contraire à la loi de 2002. Cette loi a simplement dépénalisé l'acte d'euthanasie lorsqu'il est accompli dans les conditions prescrites par la loi. Considérer que ce serait un droit dépasse l'entendement juridique et politique de l'intervenant.

M. Swennen rappelle que la volonté du législateur transparaîtra dans la discussion générale, la discussion des articles et la justification des amendements adoptés, bien plus que ce n'est le cas dans les développements.

Mme Van Hoof estime que les questions juridiques soulevées par M. Delpérée sont correctes et exigent une réponse. Elle rappelle que la proposition de loi comporte, tant dans ses développements que dans son dispositif, plusieurs éléments qui ne sont pas corrects du point de vue juridique. Ainsi, la loi du 28 mai 2002 n'a nullement instauré un droit à l'euthanasie dans le chef du patient; elle dispose simplement que le médecin qui pratique une euthanasie ne commet aucune infraction si certaines conditions sont remplies. L'intervenante présume qu'en renvoyant au droit à l'euthanasie dans les développements, les auteurs de la proposition de loi entendent précisément instaurer ce droit et faire de l'euthanasie un acte médical normal. Cela est très lourd de conséquences car ce faisant, on accorde un droit à l'euthanasie aux mineurs présentant des tendances suicidaires. Mme Van Hoof ne peut imaginer qu'il puisse se trouver une majorité pour voter cela.

Mme Van Hoof a également des questions à poser à propos de l'application de la législation actuelle. Il est très curieux de devoir constater que jusqu'à présent, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation, qui est chargée de contrôler l'application de la loi du 28 mai 2002 et qui a déjà examiné plus de quinze mille dossiers, n'a encore déposé aucune plainte auprès du parquet. Si l'on décide d'instaurer un droit à l'euthanasie pour les patients mineurs, ceux-ci pourront demander une euthanasie en toute légalité et le médecin considérera qu'il s'agit d'un acte médical normal. Voilà l'objectif fondamental des auteurs, comme le montrent d'ailleurs aussi les développements.

M. Courtois rappelle que les développements ne peuvent pas être modifiés, mais que chaque commissaire a la possibilité d'exprimer son point de vue lors de la discussion générale et que cela sera consigné dans le rapport des travaux de la commission.

Mme Khattabi s'interroge quant à la logique de la procédure proposée avant qu'une euthanasie soit pratiquée sur un mineur. Le texte prévoit qu'une demande d'euthanasie d'un mineur n'est prise en compte que si l'intéressé a la capacité de discernement. Un pédopsychiatre est consulté et doit attester que le mineur dispose de la capacité de discernement. Pourquoi faut-il encore prévoir l'accord des représentants légaux puisque le mineur dispose du discernement nécessaire ? Est-il logique que la décision ne reste pas totalement entre les mains du mineur qui a le discernement ? L'oratrice renvoie à l'article 12, § 2, de la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient qui prévoit que le mineur apte à apprécier raisonnablement ses intérêts peut exercer ses droits de manière autonome. Pourquoi faut-il déroger à ce principe en matière d'euthanasie ? Quel est l'intérêt de reconnaître la capacité de discernement du patient mineur si l'on n'en tire pas toutes les conséquences logiques ? L'accord des parents devrait être limité aux hypothèses dans lesquelles le mineur n'a pas la capacité de discernement.

En réaction à l'intervention de Mme Van Hoof, M. Mahoux précise que le sérieux du travail de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie ne peut être mis en cause.

En ce qui concerne le « droit à l'euthanasie », M. Mahoux pense que toute personne a le droit de demander une euthanasie. L'autre droit, c'est celui du médecin, qui peut refuser de pratiquer une euthanasie. Cela découle de sa clause de conscience individuelle. Le médecin a également une obligation générale de prendre son patient en charge et d'assurer la continuité de cette prise en charge s'il refuse l'euthanasie.

M. Mahoux constate enfin que les opposants à la dépénalisation de l'euthanasie en 2002 soutenaient que les conditions qui étaient prévues empêchaient toute une série de personnes d'avoir recours à l'euthanasie. M. Mahoux estime que les balises légales à l'euthanasie n'excluent personne. Pour ceux qui ne répondent pas aux conditions légales, c'est l'état de nécessite qui joue. Le même type d'argument est utilisé aujourd'hui par rapport à l'extension de l'euthanasie aux mineurs. Certains critiquent en effet le fait que les mineurs non dotés de la capacité de discernement soient exclus de la possibilité d'obtenir une euthanasie. M. Mahoux trouve que l'argument est curieux dans la bouche des opposants à l'élargissement de la loi.

Mme Sleurs estime que, s'il est vrai que les développements d'une proposition de loi doivent traduire l'esprit de la loi, ils doivent en même temps être neutres. Dans le cas qui nous intéresse, les développements laissent apparaître que la loi du 28 mai 2002 aurait ouvert un droit à l'euthanasie, ce qui ne correspond pas à la réalité. Les critiques formulées par certains membres des commissions réunies sont donc pertinentes.

VI. DISCUSSION DES ARTICLES

A. Discussion des amendements nos 1 à 4 et 6

Article 1er

Amendement nº 6

M. Laeremans dépose l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 5-2170/2), qui vise à remplacer l'ensemble de la proposition de loi par un texte précisant que le droit aux soins palliatifs dans le cadre de l'accompagnement de la fin de vie est un droit fondamental de tout être humain.

Selon M. Laeremans, l'importance des soins palliatifs est clairement apparue au cours des auditions, mais aussi lors de l'élaboration de la loi du 28 mai 2002, et singulièrement lorsqu'on a constaté une insuffisance criante de soins palliatifs et d'encadrement palliatif dans l'ensemble du pays. La situation s'est aujourd'hui améliorée, mais l'offre de soins palliatifs est encore insuffisante. C'est pourquoi l'intervenant propose non seulement de parler des soins palliatifs, comme le prévoit la loi du 28 mai 2002, mais aussi d'obliger les pouvoirs publics à garantir une offre suffisante de soins palliatifs. Ce « filtre palliatif » fait aujourd'hui totalement défaut, raison pour laquelle certaines personnes se voient forcées de demander l'euthanasie.

M. Laeremans suggère dès lors que l'on prévoie, à l'article 3 de la loi du 28 mai 2002, que l'euthanasie ne serait possible qu'après concertation avec l'équipe de soutien palliatif de l'institution ou de la plate-forme locale de soins palliatifs. Cette obligation permettra de garantir une offre de soins palliatifs pour le patient, et ce non seulement pour les mineurs, mais pour toutes les personnes concernées. Alors que la loi subordonne actuellement les soins palliatifs à l'euthanasie, ce filtre devrait permettre d'en faire un scénario à part entière et, partant, de faire diminuer considérablement le nombre de demandes d'euthanasie.

L'intervenant souligne que son amendement ne vise nullement à encourager l'acharnement thérapeutique, bien au contraire. Les soins palliatifs doivent être suggérés comme une option envisageable, qui ne sera pas acceptée dans tous les cas mais qui pourra au moins être proposée dans tous les cas. Il est important que ce droit aux soins palliatifs soit mentionné dans la loi relative à l'euthanasie, et pas dans une législation distincte. C'est d'autant plus fondamental que la loi est à présent étendue aux patients mineurs.

Cet article n'appelle aucun commentaire.

Article 2

M. Mahoux précise que l'article vise à modifier l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie afin d'étendre en faveur des mineurs, dans certaines conditions, la possibilité de bénéficier d'une euthanasie. Il faut que le mineur dispose de la capacité de discernement.

M. Laeremans estime que la proposition de loi à l'examen va extrêmement loin, surtout lorsqu'on sait de quelle manière la législation existante sur l'euthanasie est déjà appliquée aujourd'hui. Celle-ci est en effet interprétée de manière très large. L'euthanasie est même pratiquée dans des cas où elle n'est, à strictement parler, pas applicable. L'intervenant rappelle que l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 prévoit que le patient concerné doit se trouver dans une situation médicale sans issue et subir une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Le cas récent d'un patient qui a demandé et obtenu l'euthanasie après l'échec d'un changement de sexe montre que les termes utilisés, qui auraient dû mettre en place une limitation, ne constituent plus une condition. Dans ce cas-ci, en effet, il n'était nullement question d'une affection accidentelle ou pathologique.

En cas d'extension de la loi aux mineurs, cette restriction ne vaudrait plus pour eux non plus. L'euthanasie deviendrait donc également possible pour les mineurs en dépression, par exemple, cet état pouvant être interprété comme une souffrance psychique insupportable. Ceci va à l'encontre des développements, dans lesquels on peut lire, in fine, que:

« Tous les spécialistes pédiatriques entendus ont insisté sur l'extraordinaire maturité que des enfants peuvent acquérir quand ils font face à une maladie létale. »

Le dispositif de la proposition de loi va toutefois beaucoup plus loin et traite également des situations dans lesquelles il n'est absolument pas question d'une maladie mortelle et où on peut se demander s'il est justifié d'administrer tout simplement une injection mortelle à un mineur. En effet, un patient mineur est moins à même d'évaluer l'impact des effets d'une affection psychique. M. Laeremans estime que les mineurs doivent, au contraire, bénéficier d'une protection maximale. Cette mission découle des conventions internationales.

La proposition de loi à l'examen fait précisément l'inverse, d'autant qu'on peut lire, dans les développements, que la loi du 28 mai 2002 a instauré le droit à l'euthanasie. Or, il n'en est rien ! Cette loi vise uniquement à protéger le médecin qui, dans certaines circonstances, ne fait pas l'objet de poursuites parce qu'il n'a pas commis de délit. Cela n'a absolument rien à voir avec un droit à l'euthanasie. L'intervenant estime que tout ceci démontre la nécessité d'une clarification par les auteurs de la proposition de loi à l'examen. Quelle est leur véritable motivation ? Ont-ils l'intention d'élargir la portée de la législation existante ? Existe-t-il quelque chose comme un droit à l'euthanasie ?

En ce qui concerne la pratique de l'euthanasie sur des mineurs, M. Laeremans souligne que ceux-ci sont moins à même d'évaluer la gravité d'une affection psychique.

M. du Bus de Warnaffe relève que le 1º de l'article utilise différentes notions juridiques telles que « majeur », « mineur émancipé capable » ou « mineur doté de la capacité de discernement ». Les mots « capable » et « capacité » sont utilisés dans deux sens différents. L'intervenant insiste pour que les commissions réunies demandent un avis écrit précisant la notion de « capacité » de façon à utiliser les mots les plus appropriés pour garantir les droits des individus. Il faut en effet garantir la sécurité juridique.

Par ailleurs, le texte prévoit que le médecin consulte un psychologue ou du pédopsychiatre pour déterminer la capacité de discernement. Cet élément a été peu évoqué lors des auditions. Quelle place faut-il réserver à ce tiers dans la façon dont circule la parole au sein de la famille mais aussi entre la famille et le corps médical ? La façon dont la parole circule peut être source de mauvaise compréhension, de malentendus, de regrets, d'interprétations divergentes des intentions réelles, etc. Des médecins qui pratiquent l'euthanasie et les soins palliatifs précisent que dans 90 % des cas, des patients qui demandent l'euthanasie, optent pour les soins palliatifs après qu'on les ait écoutés et que l'on ait pris leur situation en considération. La façon dont un souhait d'euthanasie est exprimé et compris a une influence forte sur la volonté du patient. Les auteurs de la proposition de loi prévoient l'intervention d'un pédopsychiatre ou d'un psychologue. Mais ce tiers ne fait pas partie de l'équipe qui a entouré la famille. Il n'a pas participé à l'évolution de la pathologie du patient. M. du Bus de Warnaffe insiste que les commissions recueillent l'avis d'un expert en systémique familiale dans le cadre de la fin de vie. Cet expert pourrait éclairer les commissaires sur la portée de l'intervention du tiers dans une décision aussi lourde de conséquences.

L'intervenant se demande en outre pourquoi les auteurs de la proposition de loi se limitent à prévoir l'intervention d'un psychologue ou d'un pédopsychiatre. Pourquoi ne pas consulter un assistant social ? Ne faudrait-il pas une palette plus large de possibilités de choix ?

Mme Van Hoof s'étonne que les auteurs ne proposent pas de modifier l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 dans le sens d'une interdiction formelle de l'euthanasie en cas de souffrance psychique insupportable chez les mineurs. Il ressort en effet de la mise en œuvre concrète de la loi actuelle que contrairement à la volonté du législateur de 2002, l'on a créé une catégorie distincte de « patients confrontés à une souffrance psychique insupportable ». Ces notions peuvent être interprétées de façon totalement subjective. La condition qui stipule qu'une telle souffrance psychique doit être la conséquence d'une maladie ou d'un accident n'est plus prise en compte par certains médecins pratiquant l'euthanasie.

Si la loi est étendue aux patients mineurs, un jeune qui a des difficultés à surmonter une rupture ou qui traverse une crise identitaire aurait le droit d'introduire une demande d'euthanasie. Cela va beaucoup trop loin et est en contradiction avec la vocation des pouvoirs publics et du législateur de protéger les mineurs.

Mme Van Hoof réitère les doutes fondamentaux qu'elle a déjà exprimés à propos de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation chargée de contrôler l'application de la loi du 28 mai 2002. Celle-ci a parfois 200 dossiers à examiner en quelques heures. Compte tenu de la composition de cette commission, qui tient fortement compte des différentes tendances idéologiques, l'on n'est encore jamais parvenu à trouver en son sein une majorité des deux tiers pour transmettre certains dossiers au parquet. L'on ne peut donc pas parler d'un contrôle rigoureux.

L'intervenante remarque également que la législation actuelle prévoit la consultation d'un second médecin. Cependant, la loi du 28 mai 2002 n'exige pas que ce second médecin partage l'avis du médecin qui procède à l'euthanasie. Si le second médecin émet un avis négatif, mais que le premier médecin estime que la demande du patient de se faire euthanasier satisfait à toutes les conditions légales, il est donc parfaitement possible que l'euthanasie soit quand même réalisée. Il en ira donc de même pour les patients mineurs si le champ d'application de la loi est élargi à leur égard. Les choses se passent-elles de la même façon avec le pédopsychiatre ou le psychologue à consulter conformément à l'article 2 de la proposition de loi ? Qu'adviendra-t-il si ce dernier ne suit pas l'avis du médecin procédant à l'euthanasie ? Cette consultation n'est-elle prescrite que pour la forme sachant que la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation chargée de contrôler l'application de la loi du 28 mai 2002 ne transmettra de toute façon jamais le dossier au parquet ? Comment garantir l'indépendance du pédopsychiatre ?

Mme Van Hoof se réfère également à ses précédentes interventions à propos du manque d'études scientifiques sur la capacité de discernement des mineurs. Chez le mineur, les processus décisionnels ne sont pas les mêmes que chez l'adulte et sont souvent de nature plus impulsive. Il convient donc d'user de la plus grande prudence lors de l'évaluation de la capacité de discernement du patient mineur.

L'intervenante déduit de tout cela qu'il est aujourd'hui impossible d'élargir simplement aux mineurs le champ d'application de la législation relative à l'euthanasie, puisque l'on donnerait à tout mineur ne se sentant pas bien dans sa peau le droit de formuler une demande d'euthanasie quand bon lui semble, sachant que le médecin qui évaluerait cette demande à la légère ne sera de toute façon jamais poursuivi ni sanctionné.

Mme Piryns répète que le groupe Ecolo/Groen est favorable à l'élargissement aux mineurs de la législation relative à l'euthanasie. Elle ne comprend cependant pas pourquoi les auteurs veulent contrôler la capacité de discernement du patient mineur, tout en stipulant que l'autorisation des parents est requise pour pouvoir procéder à l'euthanasie. Si l'on estime que la capacité de discernement de l'intéressé est acquise, il lui paraît logique de supprimer l'autorisation des parents.

L'intervenante annonce le dépôt d'un amendement portant sur le rôle du médecin traitant.

Mme Sleurs partage le constat de la non-adéquation de la proposition de loi en cours d'examen avec les auditions en ce qui concerne l'autorisation des parents. Elle constate que cette proposition étend aux mineurs le champ d'application de la législation relative à l'euthanasie, mais estime que la disposition qui concerne les mineurs émancipés doit être supprimée. De plus, la problématique de la souffrance purement psychique mérite une discussion plus approfondie étant donné que la pratique montre que les problèmes concernent surtout les situations de souffrance physique des mineurs, en l'occurrence en cas d'affections oncologiques ou d'autres affections neurodégénératives. L'intervenante souligne que les auteurs de la proposition de loi ne modifient pas l'article 3, § 3, de la loi du 28 mai 2002 en ce qui concerne le patient en phase non terminale. Elle annonce le dépôt d'un amendement précisant jusqu'où on peut aller sur le plan de l'euthanasie chez les patients mineurs.

Mme Khattabi pense qu'il faut être cohérent dans les choix que l'on fait. Soit on demande la preuve de la capacité de discernement du patient mineur et, dans ce cas, le consentement des parents n'est plus nécessaire. Soit on fait reposer la décision sur les parents et, dans ce cas, il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve de la capacité de discernement. Quelle est la logique suivie par les auteurs du texte par rapport à la procédure qu'ils proposent ?

Amendement nº 1

Mme Thibaut et consorts déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) visant à supprimer, dans le 7°, dans l'alinéa 3 proposé, le mot « traitant ». Le texte proposé prévoit que le médecin traitant informe le patient et ses responsables légaux du résultat de sa consultation. Mme Thibaut constate que dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie il n'est nulle part question du « médecin traitant ». Qui est visé ? Mme Thibaut pense que le médecin traitant n'a pas de rôle à jouer dans la procédure. Elle propose dès lors de supprimer le mot « traitant ».

Amendement nº 2

Mme Thibaut relève que le texte prévoit que le mineur doit être doté de la capacité de discernement. Quelle est la portée de cette exigence s'il est en outre nécessaire que les représentants légaux marquent leur accord sur la demande d'euthanasie ? Il y a une contradiction entre ces deux conditions.

L'intervenante relève en outre que la capacité de discernement doit être évaluée par une seule personne, à savoir un pédopsychiatre ou un psychologue. Mme Thibaut pense que cette mission devrait être confiée à une équipe pluridisciplinaire à laquelle le personnel soignant est associé.

Mme Thibaut évoque ensuite le rôle des représentants légaux du patient mineur. Lors de son audition, le professeur Herman Nys a mis en garde contre un système de codécision. Mme Hermans a quant à elle précisé qu'il était délicat de faire porter un rôle aux parents dans la codécision. Elle invitait les commissions à se baser sur la solution retenue dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient qui fait du mineur, dans certaines conditions, un acteur des décisions sur sa propre vie.

L'intervenante pense que la procédure proposée par les auteurs de la proposition de loi n'est pas une synthèse des auditions, certainement pour ce qui concerne le rôle des parents.

Mme Thibaut et consorts déposent l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) visant à supprimer, au 7º, dans l'alinéa 4 proposé, les mots « et s'assurer qu'ils marquent leur accord sur la demande du patient mineur ».

Amendement nº 3

Mme Thibaut et consorts déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) qui vise à supprimer le 3º de l'article. Cet amendement découle de l'amendement nº 2 des mêmes auteurs. La phrase proposée est sans objet si l'on considère que le consentement des parents n'est pas requis.

Amendement nº 4

Mme Khattabi relève que le § 4/1 proposé au 4º prévoit que les personnes concernées sont informées d'une possibilité d'accompagnement psychologique après que la demande du patient a été acceptée par le médecin. L'intervenante trouve que l'accompagnement psychologique devrait être prévu dès le moment de la demande. Il faut que le patient soit aidé psychologiquement, peu importe que le médecin accepte ou refuse la demande.

Mme Khattabi et consorts déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) prévoyant que les personnes concernées sont informées de la possibilité d'accompagnement psychologique après que la demande a été traitée par le médecin.

En ce qui concerne l'accompagnement psychologique, M. Mahoux répond que le texte ne prévoit pas d'obligation. Si les représentants légaux et le patient souhaitent bénéficier d'un accompagnement psychologique, rien ne l'empêche.

Aux questions relatives au consentement des parents (amendements nos 2 et 3), M. Mahoux rappelle le cheminement qui préside à l'idée d'introduire les parents dans le processus décisionnel. Le premier élément est de nature juridique: le mineur n'ayant pas de capacité juridique, il peut s'exprimer comme être humain mais, juridiquement, il doit être représenté par ses parents. Le second élément se justifie par rapport au vécu des situations. Quelle serait la position du médecin qui a pratiqué une euthanasie sur un patient mineur alors que les représentants légaux y étaient opposés ? Il est évidemment possible d'aborder ce type de situation de manière théorique mais, d'un plan pratique, M. Mahoux ne voit pas comment un médecin pourrait pratiquer une euthanasie à l'encontre de la volonté des parents.

Sur la problématique psychique, M. Mahoux rappelle que la loi de 2002 vise la souffrance physique ou psychique dans le cadre d'une maladie incurable. La loi vise la souffrance, ce qui n'est pas la même chose que la douleur. La fatigue comme symptôme peut, à un moment donné, devenir insupportable. M. Mahoux comprend que l'on se pose des questions sur la définition de la notion de souffrance psychique. La souffrance est toujours quelque chose de difficile à évaluer et qui a un caractère subjectif. L'intervenant comprend que l'on veuille éviter de donner, par rapport à des mineurs, une interprétation large de la notion de souffrance psychique. Il n'est cependant pas favorable à l'idée de supprimer la notion de souffrance psychique des éléments à prendre en compte.

En ce qui concerne l'amendement nº 1, M. Mahoux précise que les mots « médecin traitant » figurent déjà dans plusieurs dispositions de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie. Les mots « médecin traitant » utilisés dans le 7º, à l'alinéa 3 proposé, visent le médecin à qui la demande d'euthanasie a été adressée. Ce n'est donc pas le « médecin traitant » au sens classique du terme.

À propos du rôle du spécialiste qui est consulté, M. Mahoux rappelle les différents pôles concernés par le processus décisionnel. Le premier pôle, c'est le mineur qui demande l'euthanasie et ses représentants légaux. Le second pôle de décision, c'est le médecin qui reçoit la demande.

La loi de 2002 exonère le médecin qui pose l'acte euthanasique de toute responsabilité pénale. Les tiers n'ont pas à être exonérés puisqu'ils n'endossent pas de responsabilité. Ils sont simplement consultés.

Pour l'euthanasie des personnes majeures, la loi de 2002 prévoit qu'un second médecin est consulté pour se prononcer quant au caractère grave et incurable de l'affection. Ce médecin n'intervient pas dans la décision. Un troisième médecin est également consulté dans l'hypothèse où l'on estime que la mort du patient ne surviendra pas à brève échéance. Ce troisième médecin n'est pas non plus impliqué dans la décision. M. Mahoux rappelle que la loi de 2002 ne prévoit pas un mécanisme de codécision. Le médecin qui reçoit la demande d'euthanasie prend sa décision seul et il est le seul à en assumer la responsabilité.

C'est la même logique qui est suivie pour l'euthanasie des mineurs. Le texte prévoit que le médecin doit consulter un psychologue ou un pédopsychiatre. Ce dernier est consulté pour établir la capacité de discernement du patient mineur. M. Mahoux précise que le médecin peut en outre consulter toute autre personne qu'il juge nécessaire. C'est de l'aide à la décision mais ce n'est pas une codécision.

M. Mahoux pense qu'il n'y a pas de confusion possible, dans le texte proposé au 1º, entre la notion de « capable », qui renvoie à la capacité juridique, et la notion de « capacité de discernement ».

Mme Khattabi comprend l'argument pratique utilisé pour justifier que l'on exige l'accord des parents. On peut cependant retourner l'argument et se mettre à la place du mineur qui voit sa demande d'euthanasie bloquée par ses représentants légaux. C'est une situation tout aussi difficile à accepter et il n'est pas possible d'opérer de gradation entre les souffrances des différentes parties concernées.

L'intervenante ne comprend cependant pas quelle est la plus-value d'une déclaration attestant que le mineur a la capacité de discernement si, in fine, ce sont les représentants légaux qui décident. Elle pense que l'exigence d'une telle attestation est sans objet si l'on est cohérent par rapport aux positions de principe que l'on adopte.

M. Delpérée revient à la question du mineur et de ses représentants légaux. On part du principe d'incapacité du mineur et on lui donne des représentants pour prendre les décisions. L'intervenant pense que cette problématique n'est pas spécifique à la question de l'euthanasie. Il existe de nombreuses situations dans lesquelles un mineur est amené à intervenir dans des procédures judiciaires, des procédures administratives, etc., sans l'aide de ses représentants légaux. M. Delpérée renvoie à l'audition d'un mineur dans le cadre d'une procédure de contentieux familial, de protection de la jeunesse. De même, un mineur peut demander l'asile en Belgique. L'intervenant pense que ces questions devraient faire l'objet d'une consultation juridique pour éclairer les membres des commissions.

Mme Van Hoof déduit de l'argumentation développée par M. Mahoux que la législation actuelle relative à l'euthanasie est déjà appliquée aujourd'hui dans le cas de patients fatigués de la vie. Si la loi est étendue aux mineurs, l'euthanasie sera donc également possible pour des jeunes qui sont fatigués de vivre. L'intervenante pense par exemple à des enfants souffrant d'anorexie ou de dépression. Elle estime pour sa part que ces jeunes ont au contraire besoin de protection avant toute chose et qu'il faut leur offrir une perspective de guérison.

Un deuxième constat est que l'intervention du médecin et du pédopsychiatre n'est que de la poudre aux yeux: ceux-ci ne doivent pas du tout donner un avis favorable et, en fin de compte, le médecin qui pratiquera l'euthanasie décidera tout seul si celle-ci peut l'être ou non. Par ailleurs, le médecin traitant désigne le deuxième médecin ou le psychiatre de son choix, si bien que l'indépendance de ces derniers n'est nullement garantie. L'intervention d'un deuxième médecin est donc de facto superflue.

Pour Mme Van Hoof, il s'agit là de graves constatations. Les auteurs de la proposition de loi donnent l'impression de vouloir renforcer les conditions d'accès à l'euthanasie pour les patients mineurs, alors que le texte de la proposition fait précisément le contraire: à l'avenir, les jeunes qui sont fatigués de vivre auront eux aussi droit à l'euthanasie et le médecin qui la pratique sait que le contrôle du respect des conditions est inexistant. Dans les faits, l'avis du deuxième médecin et du pédopsychiatre consulté ne change rien. Même dans le cadre de l'application de la législation actuelle, il s'avère que le délai d'un mois prescrit par la loi n'est pas réaliste. En effet, les maladies psychiques s'étendent sur une durée de plusieurs mois, voire de plusieurs années, et on a donc besoin d'une période beaucoup plus longue pour déterminer s'il s'agit ou non d'une maladie sans issue. La prudence est encore davantage de mise dans le cas de jeunes patients. La proposition de loi à l'examen ne garantit nullement cette prudence; elle prévoit au contraire que chacun fait ce qu'il veut.

B. Réactions des membres aux avis écrits

À la suite de la première discussion des articles, les commissions réunies ont décidé de demander des avis écrits à M. Luc Roegiers, professeur d'Éthique-clinique aux cliniques UCL-Saint Luc, à M. Etienne Montero, doyen de la faculté de Droit à l'Université de Namur et à M. Jean-Louis Renchon, professeur à l'UCL et à l'Université Saint-Louis. Le texte des avis figure en annexe au présent rapport.

La note du groupe de travail « Metaforum » de la KULeuven « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid » a également été communiquée aux membres des commissions réunies.

1. Discussion de l'avis du professeur Luc Rogiers

M. du Bus de Warnaffe renvoie à la note de réflexion communiquée par le professeur Luc Roegiers sur la place du pédopsychologue ou du pédopsychiatre pour déterminer la capacité de discernement du patient mineur lors d'une demande d'euthanasie.

La proposition à l'examen prévoit que le médecin, confronté à une demande d'euthanasie émanant d'un patient mineur non émancipé, consulte « un pédopsychiatre ou un psychologue en précisant les raisons de sa consultation. Le spécialiste consulté prend connaissance du dossier médical, examine le patient, s'assure de la capacité de discernement et l'atteste par écrit ».

Le professeur Roegiers rappelle dans sa note que la situation d'un patient mineur face à une fin de vie qui semble inéluctable soulève des questions d'une toute autre nature que celle de l'adulte qui se trouve dans une situation a priori comparable. Cela bouscule nos repères fondamentaux en faisant émerger des sentiments d'étrangeté. Il s'agit en effet de la mort d'un enfant qui est d'autant plus inacceptable que sa vie n'est pas encore accomplie. Sur l'échelle des évènements dont la charge psychique est la plus lourde, la mort d'un enfant est l'évènement le plus marquant que des parents peuvent être amenés à vivre, bien avant la perte du conjoint. Si la mort d'un enfant est un événement bouleversant, celle d'un enfant qui demande à mourir sort totalement de notre cadre de référence. C'est dans ce contexte d'une fin proche que l'on sent que la place des parents et celle de l'entourage familial prend une dimension hors du commun. Chaque personne concernée devra puiser dans des ressources inexplorées.

M. du Bus de Warnaffe renvoie au témoignage de la responsable d'un service d'accompagnement scolaire d'un l'hôpital qui déclare que l'enfant sait qu'il va partir et qu'il s'organise en conséquence. Le travail de l'équipe soignante est de permettre à ces enfants de vivre au mieux leurs derniers jours car ces enfants ont la conscience d'avoir encore de bons moments à partager.

M. du Bus de Warnaffe pense que ce témoignage résume le sens du travail fourni par les équipes soignantes et accompagnantes, à savoir assurer une qualité de vie jusqu'au bout. La demande de fin de vie dûment assumée renvoie les équipes médicales et paramédicales à leurs propres limites. Il est évident que la médecine n'est pas toute puissante. Cependant, ce qui caractérise tous les services de pédiatrie et ceux spécialisés dans l'accueil des jeunes, c'est avant tout un combat pour la vie.

Le professeur Roegiers met également en avant le caractère exceptionnel des cas d'euthanasies de mineurs. Aux Pays-Bas, les cas se comptent sur une seule main. Le Dr. Biarent a déclaré lors des auditions que des demandes existent en Belgique. Des contacts que l'intervenant a eus avec des responsables d'un service d'hémato-oncologie traitant plus de 80 enfants par an, avec, régulièrement, une issue fatale, il ressort qu'ils n'ont jamais été confrontés à une demande d'euthanasie de mineurs. Ce constat a été conforté par d'autres autorités lors des auditions.

M. du Bus de Warnaffe rappelle que le nombre de cas d'euthanasies pratiquées sur des majeurs ágés de moins de vingt-cinq ans est quasi nul. Si l'on en croit la presse, le nombre de demandes d'euthanasie de mineurs s'élèverait à une dizaine par an.

Tous ces éléments convergent pour montrer que la demande d'euthanasie formulée par un mineur relève toujours de l'exceptionnel. Une telle demande représente une rupture abrupte qui nous force à imaginer de nouveaux repères. Et la loi doit être fondatrice de ces repères. Le texte à l'examen est-il fondateur de ces repères ? L'intervenant pense, sur la base des travaux des commissions réunies, que ce n'est pas le cas.

L'intervenant n'est cependant pas sourd face aux interrogations légitimes des personnes qui se demandent ce qu'il faut faire quand la souffrance devient à ce point insupportable qu'elle ne parvient plus à donner un sens à la vie. Cette question témoigne d'un souci d'humanité largement partagé.

M. du Bus de Warnaffe déclare que la souffrance liée à la maladie n'est justifiée par rien ni personne. Cette souffrance doit être combattue jusqu'au bout. Il existe aujourd'hui des solutions sédatives puissantes qui engendrent le décès lorsqu'elles sont administrées à doses plus fortes. Quel médecin risque d'être poursuivi parce que la dose de sédatif qu'il administre pour combattre la douleur entraîne le décès ?

Le professeur Roegiers n'utilise pas le mot « souffrance » dans sa note. Il parle de « détresse inapaisable ». La détresse est une notion différente de la souffrance. La détresse véhicule un sentiment d'abandon et un appel au secours. Elle évoque la solitude de l'enfant dans un appel qui n'est plus entendu. Le terme inapaisable renvoie au vécu de l'enfant et aux limites de l'entourage familial et médical qui ne parvient plus à répondre aux demandes de l'enfant. L'expression « détresse inapaisable » est très forte et elle appelle une réponse à la hauteur de la gravité de la situation.

M. du Bus de Warnaffe relève que le professeur Roegiers ne se positionne pas pour ou contre l'euthanasie des mineurs. Il relève cependant que le caractère fortement chargé de ces situations impose la plus grande prudence et en aucun cas un regard unilatéral. Il fait référence à la loyauté familiale. Il est probablement illusoire de sonder le fond des motivations du jeune qui formule une demande d'euthanasie. Le concept de loyauté familiale renvoie au syndrome de l'éponge: le jeune est une éponge à l'égard de son entourage en grande souffrance. Le jeune ressent cette souffrance et il veut en soulager ses proches. Ce phénomène est de nature à précipiter une demande d'euthanasie qui prendrait les atours d'une délivrance généralisée ou de la volonté de mettre un terme à un sentiment de culpabilité devenu invivable.

La note de M. Roegiers attire également l'attention sur les effets pervers d'une procédure stricte, comme si dans une matière aussi sensible, le fait de se conformer au prescrit légal peut se conclure par le sentiment d'une mission accomplie sans n'avoir plus de questions à se poser. Cela touche aux risques et aux limites d'une législation qui a pour ambition de codifier les conditions objectives de l'euthanasie des mineurs.

M. Roegiers met en garde par rapport aux limites du psychologue qui serait considéré comme l'expert à même d'objectiver une situation qui est avant tout subjective. Le psychologue bénéficiera-t-il des formations adéquates pour remplir cette mission ? La note énumère une liste de compétences complémentaires dont chaque psychologue chargé d'évaluer la capacité de discernement d'un patient mineur devrait se parer.

La note évoque également la question de l'effet, auprès du patient mineur, de l'évaluation faite par un tiers. La proposition de loi à l'examen prévoit que le médecin traitant informe le patient et ses responsables légaux du résultat des consultations du spécialiste. M. du Bus de Warnaffe s'interroge sur le message qui sera délivré au jeune si le psychologue remet un rapport négatif. Le médecin dira-t-il que sa demande n'est pas suffisamment fondée ? Qu'elle est confuse ? Qu'elle masque une autre demande ? Quel sera l'effet d'un tel rapport pour le jeune concerné en terme d'image de lui-même, de confiance en lui alors que ce jeune est déjà confronté à un vécu particulièrement douloureux ?

Il n'est pas réaliste de croire que, confronté à un patient mineur dans une situation médicale sans issue et faisant état d'une souffrance physique insupportable, on refusera la demande d'euthanasie car le rapport du psychologue conclut que le patient n'a pas la capacité de discernement ? L'intervenant en déduit que l'on est en réalité en présence d'une condition de pure convenance qui sert d'alibi puisque la possibilité de refuser la demande n'est pas envisageable en pratique.

L'intervenant évoque ensuite l'hypothèse dans laquelle le rapport du psychologue est favorable et reconnaît au mineur la faculté de discernement. Quel sera l'effet de ce rapport vis-à-vis des parents ? Ce rapport positif viendra confirmer ce que chacun croit savoir. Il ne faut cependant pas ignorer qu'il s'agira d'un nouvel élément d'appréciation dans une relation systémique sensible et particulièrement fragile où interviennent plusieurs acteurs. Or, la théorie des systèmes appliquée aux comportements humains démontre qu'un nouvel élément introduit dans un système peut bouleverser les équilibres précaires des relations humaines. Que se passera-t-il si les parents ou l'un d'entre eux change d'avis, ou si les parents réclament une nouvelle expertise ? Que se passera-t-il s'il y a désaccord entre les parents par rapport à la demande d'euthanasie de leur enfant ? Comment de telles situations seront-elles gérées auprès de l'enfant et des parents ? Qui sera chargé de gérer ces situations complexes et d'accompagner la cellule familiale ?

M. du Bus de Warnaffe en conclut que plus on avance dans la projection des situations auxquelles mènera la proposition de loi, moins les choses semblent simples.

Le professeur Roegiers termine sa note en précisant la place que pourrait prendre la psychologue et le rôle qu'il pourrait remplir dans le processus. Le psychologue pourrait participer à l'accompagnement du jeune et de la famille, soutenir l'équipe soignante. Il doit faire partie de l'équipe. Le psychologue ne peut être considéré comme un expert extérieur coupé de la réalité quotidienne de l'équipe. Cette situation est très différente de celle proposée dans le texte à l'examen où le psychologue est considéré comme un expert externe qui vient faire un rapport d'expertise.

M. du Bus de Warnaffe pense que l'on ne peut faire l'économie de l'avis de M. Roegiers qui invite à faire preuve de la plus grande prudence. Les membres qui veulent soutenir le texte à l'examen doivent prendre conscience des enjeux. Le groupe de l'intervenant a choisi de refuser ce qui ressemble à une aventure avec son lot croissant d'incertitudes. C'est au contraire la voie palliative qui doit être privilégiée dans ces situations.

En réaction à la note de M. Roegiers, M. Mahoux relève qu'on y aborde toute une série de bonnes questions qui seront posées aux acteurs qui seront confrontés à ce type de situation. La proposition de loi permet aux acteurs qui seront confrontés à des demandes d'euthanasie de mineurs de les écouter et d'y répondre. Tout le monde est conscient du fait que ce sont des situations difficiles à prendre en charge. Le législateur veut établir un champ de liberté, sans enlever la responsabilités des personnes impliquées dans ces situations et qui prendront l'attitude qu'ils jugeront la plus adéquate.

2. Discussion du texte « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid » du groupe de travail Metaforum de la KULeuven

Mme Van Hoof déclare que le texte du groupe de travail Metaforum de la KULeuven, intitulé « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid », montre que l'évaluation de la capacité de l'enfant à exprimer sa volonté et à faire preuve de discernement est complexe. Il faut tenir compte du développement de l'enfant sur les plans intellectuel, cognitif, moral, social et émotionnel. Quand peut-on dire d'un individu qu'il a atteint le niveau de développement requis et qu'il a la capacité d'évaluer toute la portée de ses décisions ? Plusieurs chercheurs et théoriciens s'accordent à dire que le développement identitaire est l'axe de développement crucial tout au long de l'adolescence et qu'il constitue donc un indicateur important de la maturité. Toutefois, plusieurs psychologues du développement ont déclaré récemment que le développement identitaire est un processus qui se poursuit bien au-delà de la période traditionnelle de l'adolescence.

Des études montrent qu'il existe des différences en termes de développement de l'autonomie entre les jeunes en bonne santé et les jeunes atteints de spina bifida, par exemple. Le processus de développement de certains aspects de l'autonomie, par exemple l'autonomie comportementale, est en effet plus lent chez les jeunes atteints de spina bifida. Ils sont de ce fait plus influençables par rapport à leur environnement et disposent d'une aptitude moindre à exprimer leur volonté.

De nombreux scientifiques s'accordent à dire que la capacité des mineurs à prendre des décisions diffère de celle des adultes. La doctrine selon laquelle un mineur dispose de la maturité nécessaire est donc sérieusement mise en doute.

Il ressort d'études internationales que les mineurs confrontés à des situations médicales prennent leurs décisions de manière plus impulsive que les adultes. Ils ont tendance à moins tenir compte des conséquences à court et à long termes et adoptent donc un comportement plus risqué dans la prise de décisions. De plus, certains mineurs éprouvent un sentiment d'invulnérabilité et ne réfléchissent pas vraiment aux conséquences négatives éventuelles de leurs décisions ou de leurs actes. Ils ne sont généralement pas aptes à mesurer toute la portée d'une décision. Or, cette capacité d'analyse intérieure est la clé de voûte de toute décision adulte. Cela signifie, en d'autres termes, que même s'il prend le temps d'analyser une décision et d'en évaluer les conséquences à court et à long termes, un mineur ne sera en général pas apte à saisir tous les enjeux de certaines décisions sur les plans émotionnel et rationnel.

Une observation pertinente dans ce contexte a été formulée par le chercheur Partridge, qui a déclaré que le processus de maturation du cerveau se termine seulement à l'áge de vingt ans et que lors de la prise de décisions, les structures cérébrales ne sont pas activées de la même manière chez les mineurs que chez les adultes. Une autre étude montre que les mineurs ne disposent pas des capacités décisionnelles requises pour analyser dans une mesure suffisante les informations médicales et pour pouvoir, le cas échéant, exprimer en toute connaissance de cause un consentement éclairé à propos de la mise en œuvre d'un traitement médical. Leur capacité d'appréciation et d'évaluation des conséquences d'une décision relative à un traitement médical est différente de celle des adultes. On souligne aussi l'autorité ferme et naturelle dont les parents peuvent faire preuve pour accompagner ou guider leurs enfants dans le processus de maturation du consentement éclairé dans le cadre d'interventions médicales. Le mineur est donc davantage influencé et il prend sa décision avec une capacité d'autonomie restreinte. Certaines études lancent donc une mise en garde en précisant que le concept du « mineur mature » dans le cadre de situations médicales va à l'encontre des données scientifiques et représente un danger pour les jeunes.

En ce qui concerne les mineurs, on part du principe qu'un pédopsychiatre ou un psychologue peut évaluer si le mineur a la capacité de manifester sa volonté en faisant preuve de discernement. Or, il est extrêmement difficile d'évaluer objectivement la capacité d'une personne à prendre des décisions et, en particulier, sa capacité à exprimer un consentement éclairé.

Mme Van Hoof fait référence à certaines interventions selon lesquelles le critère de l'áge serait particulièrement arbitraire. Le critère de la capacité d'exprimer sa volonté l'est toutefois encore bien plus, comme l'a montré une recherche récente. Cet aspect n'a absolument pas été abordé lors des auditions, étant donné que la plupart des propositions déposées retenaient l'áge du patient comme critère. L'on ignore en cela des connaissances scientifiques récentes. Elle souligne qu'aucun instrument spécifique ne permet d'évaluer la capacité des adultes à demander, en connaissance de cause, de faire l'objet d'une interruption de vie. Toute la question est de savoir si l'instrument qui est actuellement développé pour évaluer la capacité des mineurs à donner un « consentement éclairé » pour participer à une étude clinique a une quelconque validité permettant d'évaluer la capacité d'exprimer sa volonté et la capacité de discernement dans le cadre d'une demande volontaire d'euthanasie.

La discussion sur l'euthanasie de mineurs capables d'exprimer leur volonté et capables de discernement est toujours menée dans une zone grise à l'heure actuelle. Premièrement, on ne définit pas clairement à quel moment le mineur entre dans l'áge adulte. Deuxièmement, les mineurs ne prennent pas leurs décisions comme les adultes car ils se trouvent encore à des stades précoces de développement socio-affectif, cognitif et moral. Enfin, il est extrêmement difficile d'émettre un jugement objectif sur la capacité des mineurs à exprimer leur volonté et leur capacité de discernement.

Pour cette raison, Mme Van Hoof estime que le critère de la capacité à exprimer sa volonté ne permet pas d'offrir une protection aux mineurs en état de nécessité. Le concept juridique de l'état de nécessité permet déjà, aujourd'hui, d'agir dans un contexte légal. Selon l'intervenante, les médecins risquent de se retrouver embarqués dans une situation difficile et d'être impliqués dans une situation conflictuelle. D'une part, un médecin ne peut interrompre la vie en dehors du cadre légal prévu à cet effet, mais, d'autre part, il se doit d'alléger la souffrance de son patient. Dans ces circonstances exceptionnelles, il peut être légitime d'invoquer l'état de nécessité. Celui-ci suffit pour soulager la douleur de l'enfant et cesser de le faire souffrir inutilement. En outre, on dispose de suffisamment de traitements contre la douleur, si bien qu'il y a des alternatives. La capacité d'exprimer sa volonté ne fera que conduire à des décisions plus arbitraires, même plus que si l'on utilise l'áge comme critère.

M. Laeremans partage l'avis de l'intervenante précédente. Il estime lui aussi que le concept juridique de l'état de nécessité offre un fondement juridique suffisant pour interrompre la vie dans des cas exceptionnels.

Les auditions ont clairement montré que, s'il existe des cas d'euthanasie chez les mineurs, ils sont très rares. Les données dont on dispose montrent qu'il y a des années où aucun cas n'est enregistré dans la tranche dix-huit à dix-neuf ans. Il est donc permis de s'interroger sur l'utilité de prévoir une législation spécifique et de se demander si l'on ne fait pas plus de tort que de mal en modifiant la législation au lieu de la laisser telle quelle. On risque de susciter des attentes chez certains jeunes qui ne veulent plus être une charge pour leurs parents et leur entourage et de les inciter à introduire des demandes d'euthanasie alors que d'autres solutions seraient encore possibles pour eux. En pareil cas, cette législation manque son objectif. M. Laeremans estime que les risques sont donc trop grands et qu'il n'y a pas lieu de prévoir une législation spécifique sur l'euthanasie pour les mineurs.

3. Discussion de l'avis du professeur Renchon

M. Delpérée renvoie au 7º que la proposition de loi veut ajouter à l'article 3 de la loi du 28 mai 2002. Le texte proposé utilise deux fois la notion de « capable » dans deux sens différents. M. Delpérée renvoie à l'avis écrit remis par le professeur Renchon qui conseille de ne pas utiliser la notion de « capacité de discernement » mais de lui préférer celle de « faculté de discernement ». Il s'étonne que les auteurs ne réagissent pas à cette proposition d'amélioration du libellé de leur texte.

M. Delpérée pense que le texte proposé est équivoque et imprécis. Ce n'est pas acceptable pour une disposition de droit répressif qui doit permettre de déterminer avec précision quelle est la personne visée. Cela n'en facilitera pas la bonne application.

C. Suite de la discussion des articles (amendements nos 5 et 7 à 12)

Article 2

Amendement nº 5

Mme Sleurs dépose l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) qui vise à modifier l'article 3 proposé de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, en ce sens que pour l'euthanasie appliquée aux mineurs, il est à chaque fois inséré un paragraphe distinct énumérant aussi quelques conditions spécifiques.

Mme Sleurs déclare que l'amendement est d'une importance cruciale parce qu'il tend à distinguer clairement les mineurs des majeurs, afin d'éviter toute confusion sur ce point. D'après l'amendement, la loi du 28 mai 2002 est étendue aux mineurs. La limite d'áge est donc supprimée. En tant que médecin, Mme Sleurs trouve néanmoins tout à fait inacceptable que l'euthanasie soit appliquée aux mineurs à cause d'une souffrance purement psychique. Les pédiatres qui ont lancé un appel en vue d'autoriser également l'euthanasie pour les mineurs l'ont fait eux aussi pour des mineurs atteints de cancers incurables ou d'une affection musculaire au stade terminal, et pas uniquement d'affections psychiques. Comme cet amendement répond à la demande du terrain, l'intervenante ne souhaite donc pas que la législation relative à l'euthanasie soit étendue aux mineurs atteints d'affections purement psychiques. En effet, il est très difficile d'établir un diagnostic psychiatrique dans le cas de mineurs.

Pour Mme Sleurs, l'euthanasie ne peut être envisagée pour les mineurs que lorsqu'il est question de souffrances au stade terminal et donc d'une affection incurable. En ce qui concerne le rôle des parents, l'amendement va en revanche moins loin que la proposition de loi initiale nº 5-2170/1. Ce point fait toutefois l'objet de la suite des discussions au sein des commissions réunies.

L'amendement entend dès lors autoriser la pratique d'une euthanasie chez les patients mineurs capables d'exprimer leur volonté qui souffrent d'une affection physique incurable.

M. De Gucht est d'accord pour dire qu'il est particulièrement difficile de constater des affections psychiques chez les jeunes de moins de dix-huit ans. De même, il est clair que les pédiatres qui lancent un appel pour que la législation relative à l'euthanasie soit étendue aux mineurs, visent les patients qui endurent une souffrance insupportable consécutive à une affection physique. Il est important de trouver le plus rapidement possible une solution pour cette catégorie de patients et M. De Gucht espère qu'un cadre légal sera créé à cet effet dans les plus brefs délais.

M. Delpérée pense que le dépôt de l'amendement nº 5 illustre le fait qu'un certain nombre de questions juridiques n'ont pas de réponses précises.

La proposition de loi nº 5-2170/1 vise l'euthanasie des mineurs. Les auteurs de la proposition partent de l'idée qu'un mineur non émancipé n'aurait pas la capacité d'accomplir un certain nombre d'actes juridiques. On déduit du fait que le mineur n'a pas de capacité juridique que ses représentants légaux doivent être associés au processus d'euthanasie pour autoriser le médecin à pratiquer une euthanasie sur l'enfant. L'intervenant s'interroge sur la question de savoir si la demande d'euthanasie doit être considérée comme un acte juridique. M. Delpérée ne le pense pas. Par ailleurs, en l'état actuel du droit, il existe un ensemble de décisions qu'un mineur peut prendre sans intervention de ses parents ou de ses représentants légaux. L'orateur en déduit que le raisonnement suivi par les auteurs de la proposition de loi selon lequel le mineur n'a pas de capacité juridique et doit dès lors être assisté par ses parents ne tient pas la route. Il serait utile d'avoir l'avis d'un expert sur ce point.

Mme Defraigne pense qu'il y a confusion entre la capacité de discernement et la capacité juridique. La capacité juridique est détenue par un adulte majeur ou un mineur émancipé. La capacité de discernement est une notion que l'on applique à un mineur et qui est bien connue de notre droit. L'áge de discernement n'est pas fixé par la loi sauf, par exemple, pour ce qui concerne l'audition du mineur par le tribunal de la jeunesse qui est prévue à partir de douze ans. Dans les autres situations, la capacité de discernement est appréciée au cas par cas par le magistrat. La capacité de discernement consiste dans la conscience que le mineur a de la portée de ses actes.

Les auteurs de la proposition de loi n'ont pas inventé de nouveau concept. Ils sont partis de la notion de « minorité ». La loi actuelle relative à l'euthanasie s'applique aux majeurs et aux mineurs émancipés. Le but de la proposition de loi est d'ouvrir l'euthanasie aux mineurs qui, par définition, n'ont pas la capacité juridique. La question est de savoir si ces mineurs ont la capacité de discernement pour poser un fait qui entraînera ou non des conséquences juridiques. La procédure proposée pour les mineurs s'intègre parfaitement dans notre système juridique.

M. Mahoux rappelle que la loi du 28 mai 2002 vise des demandes d'euthanasie formulées par des personnes majeures ou des mineurs émancipés. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent étendre la possibilité de pratiquer une euthanasie aux mineurs non émancipés qui ont la capacité de discernement, sans que cela constitue une infraction. Quant à la question de savoir si le mineur qui fait une demande d'euthanasie pose un acte juridique, M. Mahoux relève que cette question n'a pas été posée lors des travaux qui ont précédé l'adoption de la loi de 2002 sur l'euthanasie de personnes majeures. La loi prévoit que le majeur rédige une demande. On ne s'est jamais interrogé sur la manière dont il fallait qualifier cette demande sur le plan juridique. Le Conseil d'État n'a pas formulé de remarque sur ce point. Force est par ailleurs de constater que la loi sur l'euthanasie est applicable depuis plus de dix ans sans que la question de la nature juridique de la demande d'euthanasie n'ait suscité de problèmes.

M. Mahoux précise ensuite que la discussion sur le rôle des parents n'est pas exclusivement de nature juridique. D'un point de vue purement concret, M. Mahoux se demande quelle serait la situation dans laquelle se trouverait un médecin qui pratiquerait une euthanasie sur un mineur sans le consentement des parents du patient. Sur la base des contacts qu'il a eus avec des personnes confrontées à ce type de situation, il ressort qu'il est impossible de pratiquer une euthanasie sur un mineur sans l'acceptation des parents.

M. Mahoux aborde ensuite la question de la souffrance psychique. La loi de 2002 prévoit que le patient majeur doit faire état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable. Les auditions ont montré que l'élément de souffrance psychique ne peut pas être appréhendé de manière équivalente pour les patients mineurs.

Lorsque la souffrance psychique est exclusive et qu'elle ne découle pas d'une souffrance physique, M. Mahoux pense qu'il est plus sage de l'exclure comme critère pour une euthanasie sur un mineur. Quoi qu'il en soit, cette question est essentiellement théorique car il semble que des demandes basées exclusivement sur une souffrance psychique ne se présentent pas sur le terrain.

M. Mahoux fait en outre remarquer que le diagnostic de la maladie mentale est souvent progressif. La détermination du caractère incurable d'une telle maladie prend du temps. Pour toutes ces raisons, l'intervenant peut se rallier à l'idée d'exclure, pour les mineurs, le critère de la souffrance psychique. Cela ne remet pas en cause la logique de la loi de 2002.

M. Delpérée signale qu'il avait compris la distinction entre la capacité juridique d'accomplir des actes juridiques et la capacité de discernement. On peut cependant s'interroger sur l'opportunité d'employer dans un texte légal le même mot « capacité » dans deux sens juridiques différents. Ne faudrait-il pas utiliser d'autres mots pour éviter des problèmes d'interprétation ultérieurs ?

Les développements de la proposition de loi établissent clairement le lien entre la capacité juridique et la situation des mineurs. Aux développements (doc. Sénat, nº 5-2170/1, p. 3), les auteurs précisent que le mineur non émancipé n'a pas la capacité juridique. Ils en déduisent que les représentants légaux du mineur doivent agir par représentation pour poser des actes juridiques. M. Delpérée souligne que la demande d'euthanasie n'est cependant pas un acte juridique. On ne s'est peut-être pas posé la question de la nature juridique de la demande d'euthanasie lors de l'élaboration de la loi de 2002, mais les auteurs de la proposition de loi la considèrent aujourd'hui comme un acte juridique. Ils en déduisent que l'intervention des représentants légaux est nécessaire pour pratiquer l'euthanasie sur un mineur. Il serait utile clarifier ces questions juridiques.

Mme Sleurs pense que, dans le cadre de la discussion sur la souffrance psychique, il est important de déterminer la façon d'aborder la souffrance des patients mineurs atteints d'une affection oncologique ou d'une maladie neuromusculaire. En effet, la législation actuelle parle de « souffrance physique ou psychique ». Si l'on décide d'étendre tout simplement cette possibilité aux mineurs, comme vise à le faire la proposition de loi nº 5-2170/1, on risque d'en arriver à ce que des jeunes souffrant de dépression puissent demander l'euthanasie en toute légalité. L'intervenante estime que cela irait beaucoup trop loin.

En Flandre en tout cas, on fait déjà le maximum pour lutter contre le suicide chez les jeunes. Il est évident que les patients mineurs qui sont atteints d'une affection physique souffrent aussi psychiquement. Mais étendre l'euthanasie aux mineurs souffrant d'une affection purement psychique irait beaucoup trop loin, dans la mesure où il est impossible de poser un diagnostic psychique exact chez des jeunes qui n'ont pas encore atteint l'áge de dix-huit ans. Situer cette affection psychique dans son juste contexte et rechercher des solutions demande du temps.

M. Mahoux se rallie à l'intervention de la préopinante sur la question de la souffrance psychique. À la suite des auditions et des débats, il confirme qu'il est admissible que la seule souffrance psychique ne soit pas retenue comme critère permettant l'euthanasie sur un mineur.

M. Swennense réfère à l'appel publié par seize pédiatres dans différents médias en vue d'étendre le plus rapidement possible la législation relative à l'euthanasie aux mineurs capables d'exprimer leur volonté et qui endurent des souffrances physiques insupportables. C'est l'objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi nº 5-2170/1. Bien entendu, la souffrance psychique est toujours associée à une souffrance physique et l'inverse est également vrai, mais cela n'aurait aucun sens d'en faire un exercice abstrait ou d'avoir une discussion sémantique à ce sujet, cela étant du ressort des médecins concernés. Les auteurs de la proposition de loi avaient l'intention de procéder de la manière la plus simple possible pour élargir la législation relative à l'euthanasie aux mineurs capables d'exprimer leur volonté, mais l'intervenant ne voit aucun inconvénient à exclure expressément la souffrance psychique chez les mineurs. Il va de soi que le but n'est pas de pratiquer une euthanasie chez un adolescent confronté à un chagrin d'amour. Lorsque ce malentendu aura été corrigé, la proposition de loi aura l'appui de M. Swennen.

L'intervenant épingle également la confusion qui pourrait naître de l'appel de seize pédiatres qui parlent « d'enfants de un à dix-sept ans ». La problématique de la néonatologie n'est pas l'objet de la proposition de loi en discussion. L'objectif est d'étendre l'euthanasie aux mineurs capables d'exprimer leur volonté, ce qui exclut bien entendu les nouveau-nés et les enfants en bas áge.

M. De Gucht abonde dans le sens du préopinant.Il s'agit de créer un cadre législatif pour une pratique existante qu'il convient de sortir de la zone grise. La question est de savoir comment le législateur et la classe politique doivent aborder les mineurs capables de discernement qui endurent des souffrances physiques insupportables.

Mme Thibaut relève que le débat s'oriente vers un élargissement de la loi sur l'euthanasie aux mineurs, mais uniquement pour des souffrances physiques insupportables. On exclurait les souffrances psychiques du champ d'application de l'extension. L'intervenante rappelle que son groupe est favorable à l'extension de la loi de 2002 aux mineurs. On ne peut cependant, à cette occasion, toucher aux fondements de la loi de 2002. Le patient doit rester au cœur de la décision. On ne peut pas prévoir de filtre palliatif. Enfin, on ne peut pas toucher aux critères de souffrance qui sont prévus dans la loi de 2002, laquelle vise à la fois les souffrances physiques et psychiques.

Mme Van Hoof pense voir un rapprochement entre les auteurs initiaux de la proposition de loi et l'auteur de l'amendement nº 5. Est-il exact que, pour eux, seuls des patients mineurs souffrant d'une pathologie physique au stade terminal pourraient formuler une demande d'euthanasie ? Il importe d'apporter des précisions à cet égard. L'intervenante rappelle qu'elle n'a jamais été en faveur d'élargir le champ d'application de la législation relative à l'euthanasie aux mineurs qui éprouvent une souffrance purement psychique. Lors des discussions précédentes, les auteurs ont cependant considéré que les patients mineurs fatigués de vivre ou des jeunes souffrant d'anorexie pourraient eux aussi être pris en considération. Elle se réjouit de constater que les mineurs désorientés sont à présent exclus du champ d'application de la proposition de loi à l'examen.

Il n'en demeure pas moins qu'une zone grise subsiste en ce qui concerne la capacité des mineurs d'exprimer leur volonté, même s'ils souffrent uniquement de pathologies physiques. L'amendement nº 5 mentionne à cet égard un patient « capable de juger raisonnablement de ses propres intérêts ». Comment appréciera-t-on cette capacité ? Mme Van Hoof renvoie aux auditions qui ont été organisées et dont il ressort qu'il est très difficile d'établir la capacité d'exprimer sa volonté et que les jeunes ne sont souvent pas en mesure de percevoir le caractère définitif de la mort. Leur processus de développement est tout à fait différent et leur cerveau ne fonctionne pas comme celui d'un adulte. Ce que de jeunes patients disent parfois à seize ans et totalement différent de ce qu'ils disent à dix-neuf ans. Il y a en effet une évolution sur les plans cognitif, émotionnel et social. Un mineur a donc besoin d'une protection juridique.

Mme Van Hoof insiste sur le fait que l'urgence peut d'ores et déjà être invoquée aujourd'hui dans des cas très spécifiques, même s'il s'agit de très jeunes enfants. Si, forts de leur expérience, les équipes de soins palliatifs indiquent que la lutte contre la douleur ne suffit plus, le médecin peut toujours invoquer l'urgence et en faire état dans son rapport. Les cas qui sont décrits dans l'appel de seize pédiatres dans divers médias peuvent parfaitement être réglés de cette manière. En outre, bien qu'il semble excessif d'élargir le champ d'application de la législation sur l'euthanasie aux mineurs en général, Mme Van Hoof considère que l'on peut y procéder si cela s'avère bénéfique à la sécurité juridique. Il doit néanmoins s'agir de mineurs émancipés: les notions utilisées dans la proposition de loi à l'examen et les amendements — capacité de discernement, capacité d'exprimer sa volonté, capacités de juger raisonnablement de ses propres intérêts, ... — sont effectivement très vagues. Qui les appréciera ? On risque d'obtenir l'effet inverse de celui qui est recherché, c'est-à-dire une insécurité juridique plus grande encore. On crée des attentes auxquelles il n'est pas possible de répondre en tant que médecin. Aux Pays-Bas, cela a conduit les médecins à mettre en cause la législation sur l'euthanasie: dans certaines circonstances, les parents insistent pour que leur enfant soit euthanasié alors que d'un point de vue médical, le médecin ne veut absolument pas procéder à une euthanasie. C'est ce qui risque d'arriver dans notre pays également.

Mme Sleurs nie qu'il s'agit d'une discussion sémantique, comme d'aucuns le prétendent. Il faut conclure des accords d'une limpidité cristalline pour savoir dans quelles circonstances il est autorisé de pratiquer l'euthanasie sur des mineurs. En ce qui concerne l'intervenante, elle ne peut être pratiquée qu'en cas de souffrances physiques dues à une maladie au stade terminal. Le texte doit être clair sur ce point afin de permettre aux médecins sur le terrain de prendre leurs décisions dans le cadre juridique adéquat.

M. Laeremans souligne que l'appel lancé par seize pédiatres dans les médias en faveur de l'extension immédiate de la législation sur l'euthanasie aux « enfants de un à dix-sept ans » est fort connoté idéologiquement: le porte-parole de ce groupe de pédiatres est en effet conseiller communal sp.a à Grimbergen, où M. Laeremans siège d'ailleurs lui-même comme conseiller communal. Dans cet appel, il est dit par exemple que notre pays doit jouer un rôle de pionnier. Cet appel relève donc de la politique politicienne, sans doute à la demande des auteurs de la proposition de loi nº 5-2170/1.

Sur le fond, l'intervenant peut très difficilement admettre qu'une souffrance purement psychique suffise à autoriser l'euthanasie sur un patient mineur. Il se réfère aux débats menés lors de l'élaboration de la loi du 28 mai 2002 et, en particulier, aux propos du docteur Germeaux, alors député, selon lesquels la loi serait superflue pour les patients en phase terminale puisqu'un encadrement suffisant était prévu pour eux, mais serait en revanche nécessaire pour les patients non terminaux. Pour ces patients, l'interprétation de la notion de « souffrance insupportable » est en effet très subjective: seul le patient concerné peut déterminer ce caractère insupportable. De ce fait, des patients non terminaux qui souffrent d'une affection purement psychique peuvent entrer en ligne de compte pour l'euthanasie. L'on s'engage ici sur un terrain glissant, puisque l'on n'applique donc pas à ces patients des thérapies qui, même si elles demandent du temps, n'en sont pas moins efficaces. C'est quand même aller très loin.

Selon M. Laeremans, l'amendement nº 5 peut être l'occasion de supprimer tout à fait la souffrance psychique de la loi du 28 mai 2002, de manière à ne permettre l'euthanasie que pour les patients souffrant d'une affection physique. Actuellement, il existe en effet un risque de discrimination entre patients majeurs et patients mineurs: pour les premiers, une euthanasie peut être pratiquée aussi bien en cas de souffrance physique qu'en cas de souffrance psychique, alors que les seconds ne pourraient demander l'euthanasie qu'en cas de souffrance physique.

L'intervenant réitère son plaidoyer en faveur de l'inscription d'un « filtre palliatif » dans la loi. Il renvoie à cet égard à sa proposition de loi introduisant un filtre palliatif obligatoire dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (doc. Sénat, nº 5-1432/1) et à l'amendement nº 6 qu'il a déposé en ce sens dans le cadre de la proposition de loi à l'examen.

Mme Khattabi pense que l'amendement nº 5 de Mme Sleurs ouvre la porte vers une remise en cause, dans la loi de 2002, de la prise en compte de la souffrance psychique. La proposition à l'examen vise à étendre l'euthanasie aux mineurs. On ne peut, à l'occasion de cette discussion, remettre en cause certains principes de base de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.

L'intervenante rappelle que plusieurs experts ont déclaré qu'il était possible de faire la distinction entre une dépression liée à l'adolescence et une maladie psychique incurable. Il faut faire confiance aux professionnels. Aucune demande n'a été formulée lors des auditions pour remettre en cause l'élément de « souffrance psychique » dans la loi de 2002. L'oratrice ne voudrait pas que le présent débat débouche sur un effritement de la loi sur l'euthanasie.

Par ailleurs, il est prévu qu'un spécialiste sera consulté pour se prononcer sur la capacité de discernement du mineur. Le spécialiste devra, lors de l'évaluation de la capacité de discernement, examiner si la souffrance psychique entre dans les critères permettant l'euthanasie.

Pour ces raisons, Mme Khattabi plaide pour la plus grande prudence quant à la suggestion de retirer la souffrance psychique des critères. Cette étape pourrait en amener d'autres.

M. Mahoux peut se ranger au fait que l'on ne prenne pas en compte, pour l'euthanasie des mineurs, la maladie psychique qui ne serait pas la conséquence de douleurs physiques insupportables. L'intervenant comprend cependant la crainte exprimée par Mme Khattabi, qui n'est pas injustifiée. Ceux qui étaient des opposants irréductibles à la dépénalisation de l'euthanasie en 2002 profitent des présents débats pour continuer à remettre en cause les fondements de cette loi.

L'intervenant rappelle que la proposition à l'examen vise à étendre aux mineurs la possibilité de bénéficier d'une euthanasie. Il regrette que l'on prête des objectifs de nature politique à des pédiatres qui, en publiant un appel dans la presse, prennent leurs responsabilités face aux situations très difficiles auxquelles ils sont parfois confrontés.

La proposition de loi à l'examen vise à modifier la loi de 2002 relative à l'euthanasie. L'euthanasie est l'acte par lequel un médecin donne la mort à un patient, à sa demande. Il est dès lors évident que le patient qui ne peut pas exprimer une demande n'entre pas dans le cadre de la loi de 2002. Le problème de la néonatologie a été évoqué lors des débats et des auditions. Cela sort cependant du cadre de la loi de 2002 et de la proposition de loi à l'examen. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi utilise la notion de capacité de discernement. M. Mahoux constate sur ce point que l'amendement nº 5 prévoit, au § 2/1, 3, proposé, que le médecin à qui la demande d'euthanasie a été faite consulte un pédiatre. L'intervenant pense que le pédiatre n'est pas nécessairement la personne la mieux placée pour apprécier l'état de discernement du patient mineur. D'autres personnes semblent plus compétentes pour faire ce type d'évaluation.

Mme Defraigne pense que la notion de « capacité de discernement » est la clé de voute de la procédure mise en place.

L'intervenante rappelle que le principe de l'irresponsabilité de l'enfant sans discernement a été consacré par notre droit et une jurisprudence de principe de la Cour de cassation. Des faits qui sont commis par un mineur et qui ne sont pas des actes juridiques, peuvent entraîner des conséquences juridiques. La Cour de cassation a estimé que le juge du fond, après avoir constaté qu'un jeune enfant n'avait pas de discernement, n'a pas pu légalement décidé qu'un enfant est responsable des conséquences d'un accident dans lequel il a été impliqué et ce, même si le juge du fond a relevé que cet enfant avait eu un geste impulsif qui, commis par une personne responsable de ses actes, aurait été une imprudence.

La capacité de discernement ne peut s'apprécier qu'au cas par cas, en fonction de la nature et de l'importance de l'acte considéré. Le tribunal fédéral suisse ou la Cour suprême du Canada ont donné une définition de la notion de capacité de discernement. Cela fixe des lignes directrices et donne des indications. Les éléments à prendre en considération sont: la nature, le but, l'utilité du traitement médical, les risques et les bénéfices, la capacité intellectuelle de l'enfant, le discernement requis pour comprendre les renseignements qui lui permettraient de prendre la décision et d'en évaluer les conséquences possibles, l'opinion bien arrêtée de l'enfant, la question de savoir si elles reflètent véritablement ses valeurs et croyances profondes, etc.

Ce sont autant de critères qui ont été approchés puisque c'est une appréciation au cas par cas. C'est cette logique qui est suivie par les auteurs de la proposition de loi pour évaluer avec une acuité d'autant plus grande que l'acte à poser est extrêmement lourd de conséquences.

Les auteurs du texte proposent de recourir à un regard médical extérieur pour évaluer la capacité de discernement.

Mme Defraigne pense que le fait que le texte à l'examen utilise le mot « capacité » dans deux sens différents (capacité juridique et capacité de discernement) n'est pas de nature à créer une confusion. Le cas échéant, il est possible de s'inspirer de l'article 12, § 2, de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient qui précise que « suivant son áge et sa maturité, le patient est associé à l'exercice de ses droits. Les droits énumérés dans cette loi peuvent être exercés de manière autonome par le patient mineur qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts ».

La loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie concerne des adultes majeurs. Lorsque les conditions légales sont respectées, il y a une sorte de droit à l'euthanasie. Pour les mineurs, la proposition de loi à l'examen consacre un droit à demander l'euthanasie qui ne devient un droit à l'euthanasie, que lorsque les représentants légaux auront marqué leur accord. C'est un garde-fou important. Cette solution est également dictée par des considérations pratiques: aucun médecin ne pratiquera une euthanasie sur un mineur si ses représentants légaux ne sont pas d'accord. Mme Defraigne pense que la procédure mise en place est cohérente et très balisée.

M. Swennen souligne que les seize pédiatres qui ont lancé dans les médias un appel à élargir au plus vite la loi sur l'euthanasie aux minieurs capables de discernement, confrontés à une souffrance physique insupportable, sont chacun une sommité dans leur spécialité. L'on ne peut donc pas résumer leur appel à une « manœuvre téléguidée par le politique ».

M. Laeremans réplique que l'initiative émane d'un membre du même parti que celui du préopinant, qui se présente aussi comme le porte-parole de ce groupe. Ce n'est pas un hasard si leur appel a été publié le jour où les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales se réunissent à propos de cette problématique. Cet appel est donc très clairement d'inspiration politique.

Mme Khattabi précise qu'elle partage l'analyse de Mme Defraigne sur la notion de « capacité de discernement ». Par contre, si on fait le lien avec la loi sur les droits du patient, il faut suivre la logique de cette loi jusqu'au bout. La loi sur les droits du patient reconnaît en effet l'autonomie du mineur apte à apprécier raisonnablement ses intérêts. Dès lors, les parents ne devraient pas avoir la décision finale en matière d'euthanasie. Inversement, si on exige le consentement des parents pour des raisons pragmatiques, il n'y a aucun intérêt juridique à prévoir une attestation de discernement du mineur puisque l'on ne tient pas compte de son autonomie dans la prise de décision. L'intervenante pense qu'il y a une incohérence dans le raisonnement des auteurs de la proposition de loi. Elle rappelle que son groupe a fait le choix de s'inscrire totalement dans la logique de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (voir amendement nº 2, doc. Sénat nº 5-2170/2).

Mme Defraigne répond que le fondement de la procédure proposée pour l'euthanasie d'un mineur est la demande émanant du patient lui-même. Pour être certain que la demande est pesée dans tous ses aspects, il faut vérifier qu'elle émane d'un mineur qui dispose de la capacité de discernement. L'intervenante pense qu'il y a une différence quant à la portée de la décision entre la loi sur les droits du patient et la loi sur l'euthanasie. Dans le présent débat, ce n'est pas une décision qui porte sur un choix de traitement mais une décision de fin de vie. Cela justifie une différence de critère juridique et une dérogation à la loi sur les droits du patient.

Pour être certain que la demande du mineur est réfléchie et volontaire, à l'instar de ce qui est prévu pour les adultes, on s'assure que l'enfant qui demande une euthanasie dispose de la capacité de discernement puisqu'il n'a pas la capacité juridique. Il faut par ailleurs être conscient qu'aucun médecin n'acceptera de pratiquer une euthanasie sur un mineur doué de la capacité de discernement dès lors que les représentants légaux s'y opposent.

Mme Defraigne fait le parallèle avec les dons d'organes. Malgré le système légal d'opting out, aucun médecin ne prélèvera des organes sans l'accord de la famille du défunt.

L'intervenante pense que la procédure d'euthanasie proposée pour les mineurs est totalement cohérente: il y a une demande qui émane du patient mineur; on vérifie que le mineur a la capacité de discernement; on vérifie que les conditions légales (maladie incurable, souffrance insupportable, etc.) sont remplies; on s'assure enfin que les représentants légaux marquent leur accord sur la demande d'euthanasie.

Mme Khattabi relève une incohérence dans le raisonnement de la préopinante. Tantôt elle s'appuie sur la loi sur les droits du patient pour répondre aux questions sur la notion de « capacité de discernement ». Tantôt elle déclare déroger à cette même loi pour justifier que l'accord des représentants légaux est exigé.

Mme Defraigne répond qu'elle a renvoyé à l'article 12 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient car la notion « d'aptitude à apprécier raisonnablement ses intérêts » qui y est utilisée peut servir d'inspiration à ceux qui trouvent qu'il est inélégant d'utiliser, dans une même disposition les notions de « capacité juridique » et de « capacité de discernement ».

M. Delpérée répond que ce n'est pas qu'un problème de choix de mots. Dans les développements, les auteurs font le lien entre l'incapacité juridique du mineur et l'intervention des parents. Il serait souhaitable que les auteurs reviennent sur ce type de raisonnement.

L'intervenant relève que le débat change de sens. Si l'on analyse l'amendement nº 5 de Mme Sleurs (doc. Sénat, nº 5-2170/2), on n'est plus dans une hypothèse d'extension du champ d'application de la loi de 2002 sur l'euthanasie mais dans l'instauration de deux régimes juridiques différents. Le paragraphe 1er proposé vise l'euthanasie des mineurs uniquement possible en cas de souffrance physique pour un patient en phase terminale ou sans issue. Le paragraphe 2 proposé vise le régime juridique pour les patients majeurs.

Enfin, l'orateur conteste le fait que l'on présente l'euthanasie comme un droit. Si l'euthanasie est un droit, dans quelle catégorie des droits de l'homme va-t-on le situer ? Comment concilier ce droit avec d'autres droits de l'homme comme le droit à la vie consacré par les conventions internationales ? Qui est le bénéficiaire du droit à l'euthanasie ? Le médecin ? Le malade ? Affirmer que l'euthanasie est un droit, c'est franchir une ligne rouge.

M. du Bus de Warnaffe souligne que l'on a peu évoqué au cours des débats le monde du handicap. Quel est le discours des auteurs de la proposition de loi à l'égard de mineurs atteints de maladies graves telles que la myopathie de Duchenne de Boulogne qui touche un garçon sur quatre mille ? Ces patients vivent une souffrance à la fois physique et psychique. Que se passera-t-il si ces mineurs ont une forme de « droit à l'euthanasie » alors qu'ils ne sont, pour l'instant, pas concerné par la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie ?

M. Mahoux précise que la proposition de loi à l'examen ne définit pas les pathologies qui permettent de pratiquer une euthanasie. Les textes ne visent pas des maladies mais des malades. Et les demandes d'euthanasie émanent de personnes malades.

Sur les notions de « capacité juridique » et de « capacité de discernement », l'intervenant pense qu'il n'y a pas de risques de confusion.

L'orateur s'étonne par ailleurs de l'importance qui est accordée aux développements de la proposition de loi par rapport à la question du « droit à l'euthanasie ». Dans l'esprit des auteurs de la proposition de loi, il y a une forme de droit. Par rapport au droit de mourir dans la dignité, M. Mahoux pense que personne ne contestera ce droit même s'il admet que l'on peut avoir plusieurs conceptions de ce que cela signifie.

M. Mahoux rappelle que l'objet de la proposition de loi est d'étendre aux mineurs qui ont la capacité de discernement la possibilité de bénéficier d'une euthanasie. Les conditions sont renforcées par rapport au régime prévu pour les majeurs. L'intervenant ne trouve pas qu'il soit anormal de prévoir une balise supplémentaire pour des mineurs. Parler d'euthanasie à l'égard de mineurs est une chose qui interpelle encore plus que l'euthanasie de personnes qui sont au terme d'une longue existence. Ce qui fait violence, c'est la maladie incurable chez un enfant. Cela ne fait cependant pas violence de vouloir que la fin de vie d'un mineur se passe dans des conditions plus humaines.

En ce qui concerne la maladie psychique, M. Mahoux admet que cela peut être une situation insupportable, y compris pour des mineurs. Le fait de déterminer que la maladie psychique est incurable peut prendre du temps au cours du développement d'un enfant. L'orateur peut dès lors se rallier à l'idée de ne pas retenir la souffrance psychique « exclusive » comme élément permettant d'obtenir une euthanasie. Cela peut être considéré comme une balise supplémentaire visant à rassurer ceux qui pourraient être inquiets d'une extension de l'euthanasie aux mineurs. Quoi qu'il en soit, ces balises ne vont pas modifier la conviction profondes des personnes qui sont opposées au principe même de l'euthanasie. M. Mahoux trouve qu'une telle position est parfaitement respectable à partir du moment où cela n'empêche pas ceux qui ne partagent pas cette analyse d'ouvrir un espace de liberté supplémentaire en permettant que l'euthanasie soit pratiquée dans les conditions fixées légalement.

Mme Van Hoof rappelle que la proposition de loi nº 5-2170/1 parle toujours d'un « droit à l'euthanasie », ce qui crée des attentes irréalistes chez les patients concernés, car on n'a pas le droit à l'euthanasie, mais on a le droit de demander qu'une euthanasie soit pratiquée. L'on constate le même problème aux Pays-Bas, où il n'est pas possible de répondre à ce « droit à l'euthanasie » pour les personnes atteintes de démence étant donné qu'à un moment donné, il n'y a plus aucune communication entre le médecin et le patient concerné.

De plus, toute demande d'euthanasie doit avoir un fondement médical objectif. Les patients qui éprouvent une souffrance physique ou psychique pensent souvent, à tort, qu'ils peuvent demander sans plus de se faire euthanasier, même en l'absence de tout fondement médical objectif. Il arrive donc dans certains cas que le médecin ne puisse pas accéder à une demande d'euthanasie, pas uniquement à cause de problèmes de conscience, mais aussi à cause de l'absence d'un fondement médical objectif. Le médecin peut en effet estimer parfois qu'une souffrance peut encore être apaisée. L'intervenante veut éviter de créer à nouveau des attentes erronées.

Il ressort de la discussion de la proposition de loi et de l'amendement nº 5 qu'il subsiste beaucoup de zones d'ombre. Par exemple en ce qui concerne les patients malades en phase terminale confrontés à une souffrance physique: il n'est pas précisé où l'on veut exactement en venir. La problématique de la capacité de discernement reste aussi un élément très délicat. Des études scientifiques ont en effet montré que le cerveau des mineurs est encore en pleine évolution et fonctionne autrement que le cerveau d'un adulte, par exemple parce que le mineur ne peut pas bien dissocier la pensée à court terme et la pensée à long terme.

Mme Van Hoof constate par ailleurs que, même dans la loi actuelle sur l'euthanasie, la consultation d'un médecin indépendant pose problème. La Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie estime que cette indépendance est un fait dès l'instant où il n'y a aucun lien familial ou rapport hiérarchique. Selon cette interprétation, il n'y a aucun problème dans le cas de médecins qui sont amis. Cela ressort par exemple aussi de l'appel lancé dans les médias par seize pédiatres en vue d'étendre le plus rapidement possible la loi sur l'euthanasie aux mineurs capables de discernement qui subissent une souffrance physique insupportable. Il est indéniable que cet appel émane d'une certaine tendance: quand on parle avec d'autres pédiatres, on entend souvent un autre point de vue. L'on peut donc se poser des questions sur la représentativité des seize pédiatres en question.

De surcroît, la législation existante n'exige pas que l'avis du médecin indépendant qui est consulté, ait force contraignante. Si le médecin indépendant rend un avis négatif, le médecin traitant peut parfaitement décider de procéder malgré tout à l'euthanasie. La Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie n'en fera pas un problème, ne fût-ce qu'en raison du fait que cette commission a une composition telle qu'il ne sera jamais possible de trouver une majorité des deux tiers pour transmettre un dossier au parquet aux fins d'engager des poursuites. Il s'ensuit que le cadre de contrôle, qui manque déjà d'efficacité à ce jour, n'est pas du tout adapté à un élargissement de la loi aux mineurs.

L'intervenante se demande aussi ce qu'il en est de la déclaration de volonté émanant du mineur. Sur ce point aussi, la proposition manque de clarté et elle aurait aimé que les auteurs lui donnent des précisions.

M. De Gucht cite un extrait de l'appel lancé par les seize pédiatres en vue d'élargir le plus rapidement possible la loi sur l'euthanasie aux mineurs capables de discernement et confrontés à une souffrance physique insupportable (De Morgen, 6 novembre 2013):

« J'ai rencontré des enfants ágés de sept ans qui étaient plus conscients de leur vie et de leur futur qu'une personne de trente-cinq ans qui n'a jamais rien vécu. Un enfant gravement malade mûrit très rapidement. En tant que pédiatre, vous avez intérêt à vous accrochez quand vous avez une discussion avec eux. J'ai eu avec des enfants des discussions d'un niveau supérieur à celui de mes discussions avec mes collègues. Ils savent parfaitement ce qui se passe et quelles sont les options. Ils se sont documentés. C'est la génération Internet. Ils savent quelles sont leurs chances de guérison, comment leur état va évoluer, tout. » (traduction)

Il renvoie par ailleurs aux auditions approfondies qui ont été organisées sur la problématique de l'euthanasie. Tous les pédiatres ont été dans le même sens. M. De Gucht voudrait que l'on cesse de prétendre que les mineurs ne sont pas capables d'émettre un jugement sur leur propre situation parce que leur cerveau n'aurait pas encore atteint l'áge adulte ou pour toute autre raison. Les médecins entendus ont tous rejeté de tels prétextes.

Mme Van Hoof conteste que tous les pédiatres se soient exprimés dans ce sens lors des auditions.

M. Mahoux pense que sur un problème tel que l'euthanasie des mineurs et sur la manière d'approcher le fait de mourir, on ne peut pas politiser le débat.

Mme Thibaut revient à la question du rôle des parents. Lors des auditions, des questions ont été posées aux experts sur ce sujet. Les intervenants ont insisté pour que le patient soit au cœur de la décision. Nombre d'entre eux ont par ailleurs dit qu'il fallait éviter de faire porter le poids de la décision aux parents. La proposition de loi à l'examen va à l'encontre de cette deuxième suggestion.

Pendant les auditions il n'a jamais été question de compliquer la procédure d'euthanasie ni de rajouter des balises supplémentaires dans le cadre d'un élargissement de la loi aux mineurs.

L'intervenante suggère aux auteurs de revoir leur copie et de modifier la procédure d'euthanasie pour les mineurs. Il faudrait un processus auquel les parents participent sans qu'ils soient acteurs de la décision.

Mme Sleurs souhaite d'abord progresser sur ce terrain. L'amendement nº 5 est une tentative en ce sens et l'intervenante espère qu'il pourra conduire à une solution pour les mineurs concernés qui puisse se prévaloir d'un soutien aussi large que possible.

Elle fait remarquer que l'article 4 de la loi ne permet une déclaration de volonté, que pour les majeurs ou les mineurs non émancipés.

M. De Gucht rappelle que lors de la rédaction de la proposition de loi nº 5-2170/1, on avait aussi discuté du rôle des parents en cas d'euthanasie sur la personne de mineurs. La pratique nous enseigne qu'aucun médecin ne pratique une euthanasie sur un patient mineur si les parents s'y opposent. Il importe que les parents se sentent impliqués et qu'après avoir épuisé tous les moyens possibles pour aider un enfant dans une situation sans issue, ils puissent permettre à cet enfant de décider lui-même de son propre sort. Le texte proposé est une traduction juridique de la pratique existante.

Mme Khattabi pense que la proposition de loi, telle qu'elle est libellée, ne reconnaît pas toute la dynamique qui doit avoir lieu en amont. L'intervenante ne souhaite pas que l'on passe outre à la volonté des parents. Cependant, prévoir que ce sont les parents qui décident in fine, c'est nier toute la dynamique en amont et tout le travail de codécision et d'accompagnement de l'ensemble des acteurs qui seront amenés à participer au processus de décision.

Mme Defraigne trouve qu'il n'est pas exact de soutenir que tout le poids de la décision pèse sur les parents. L'oratrice rappelle que la demande doit émaner du mineur. Les auteurs de la proposition ont par ailleurs prévu un accompagnement psychologique des parents. Ce n'est pas quelque chose de purement formel ou théorique. Mme Defraigne pense qu'il faut un véritable accompagnement et un suivi qui ne se limite pas aux quelques jours qui suivent la décision.

L'intervenante déclare ne pas avoir la même lecture des auditions que Mme Thibaut. Elle renvoie notamment à l'audition de Mme Dominique Biarent qui a déclaré: « seuls les parents sont les bons juges en ce qui concerne les décisions à prendre pour leur enfant. » M. Masendu Kalenga a quant à lui rappelé « la nécessité d'une individualisation des situations — chaque cas est différent — et de la prise en compte de l'avis des parents qui doivent être correctement informés ». Mme Defraigne souligne que cela répond à la question sur la concertation en amont. M. Kalenga a par ailleurs ajouté que la concertation multidisciplinaire était primordiale.

Le texte à l'examen est équilibré. Il tient compte des différents points de vue en présence. La procédure proposée est sui generis car on est confronté à une situation tout à fait particulière.

Mme Van Hoof demande à l'auteur de l'amendement nº 5 ce qu'elle pense de la déclaration de volonté émanant des patients mineurs. L'amendement ne prévoit en effet rien à ce sujet. Est-ce à dire qu'elle est d'accord qu'un patient mineur puisse rédiger une déclaration de volonté écrite ?

Elle conteste à nouveau que tous les pédiatres consultés lors des auditions sur l'euthanasie des mineurs aient prétendu que les mineurs seraient pleinement en mesure de décider eux-mêmes de l'opportunité ou non de l'euthanasie, et cite en particulier l'exposé du professeur Chris Van Geet (Biologie moléculaire et vasculaire, KULeuven):

« Pourquoi y a-t-il aussi peu de jeunes qui font cette demande eux-mêmes, malgré une discussion ouverte sur la mort et en dépit du fait que bon nombre de ces jeunes soient relativement « matures » à cause de leur longue maladie ? Généralement, les enfants et les jeunes ne sont pas constamment aux prises avec des questions existentielles, ils restent axés sur l'avenir. L'on voit ainsi que des jeunes qui savent qu'ils vont mourir se raccrochent à l'école, non pas pour le contact social, car ils ne sont souvent plus capables de se lever et ils bénéficient d'un enseignement individualisé. Les parents ou les thérapeutes se demandent parfois à quoi cela sert d'encore ennuyer ces jeunes avec l'école, alors que les intéressés s'y raccrochent le plus longtemps possible. Les jeunes et les adolescents vivent plus au jour le jour et peuvent encore prendre plaisir à faire d'autres choses en dépit du pronostic sombre. L'histoire de leur vie doit encore être écrite et leur identité est en gestation.

Je rejoins entièrement le commissaire aux droits de l'enfant quand il dit qu'il y a un manque incroyable de littérature spécialisée sur ce que les jeunes pensent durant cette phase de leur vie. La psychologue du développement Eveline Crone, qui enseigne à l'université de Leiden, est l'auteur de publications sur le cerveau à l'adolescence. Elle essaie d'aborder la question de manière scientifique. Je pense que c'est une donnée importante à prendre en compte lorsque l'on envisage l'euthanasie chez les mineurs.

Le développement d'aptitudes permettant de jauger les résultats positifs à court et à long terme est un processus qui n'arrive à terme que vers la vingt-cinquième année. Toutes les personnes qui ont un adolescent à la maison le savent: les zones du cerveau régissant les émotions et l'intelligence ne sont pas encore bien harmonisées chez les adolescents à la puberté. Ce point me semble essentiel dans la question de l'euthanasie. L'euthanasie est une question d'autonomie, elle relève de la faculté de prendre des décisions de manière autonome. Plus l'enfant est jeune, plus le danger est grand qu'il ne se conforme à ce que disent des adultes importants, surtout ses parents. L'enfant, mais aussi l'adolescent et le jeune adulte sont très influençables. Il faut en tenir compte lorsque l'on évalue le rôle des parents. » (traduction)

L'appel des seize pédiatres, qui veulent étendre le plus rapidement possible la loi sur l'euthanasie aux enfants capables de discernement subissant une souffrance physique insupportable, n'est donc pas représentatif. Mme Van Hoof souligne enfin le manque de recherche scientifique sérieuse sur l'impact d'une maladie sur le cerveau d'un enfant à la puberté ou sur un cerveau en plein développement. Il n'est dès lors pas correct de prétendre que les enfants ont en tout état de cause une maturité suffisante pour décider eux-mêmes de leur fin de vie. Ils ont certes la maturité d'en parler avec leurs parents et ce que leurs parents affirment et prétendent est généralement déterminant pour l'enfant concerné. Mais dans le processus de développement de sa propre identité, l'enfant n'a généralement pas une maturité suffisante.

Amendement nº 7

(Sous-amendement à l'amendement nº 5)

M. Mahoux renvoie à l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 5-2170/2) déposé par Mme Sleurs. Il rappelle qu'en raison de la spécificité des mineurs pour lesquels le diagnostic de maladie mentale et de son caractère incurable sont particulièrement délicats à poser, il est préférable d'enlever la souffrance psychique insupportable des critères permettant de pratiquer une euthanasie sur un patient mineur.

Par ailleurs, il semble peu opportun d'étendre au mineur le système de déclaration anticipée qui est prévu dans la loi de 2002. L'amendement prévoit par conséquent que la déclaration anticipée ne concerne pas les mineurs non émancipés.

En ce qui concerne la problématique du rôle des représentants légaux du mineur, M. Mahoux pense que l'absence d'accord des représentants légaux du mineur rendrait les choses extrêmement compliquées à mettre en œuvre d'un point de vue juridique et empirique.

Enfin, l'amendement vise à limiter l'euthanasie aux mineurs se trouvant dans une phase terminale. La possibilité de recourir à une euthanasie lorsque le patient ne se trouve pas en phase terminale serait dès lors limitée aux personnes majeures et aux mineurs émancipés.

M. Mahoux peut souscrire à ces différents principes. Il faut cependant les inscrire dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie. Il renvoie à cet effet à l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 5-2170/3) déposé par M. De Gucht et consorts, qui est un sous-amendement à l'amendement nº 5, et qui vise à mieux intégrer légistiquement dans la loi de 2002 les principes que l'intervenant vient d'évoquer.

L'amendement nº 7 prévoit en outre que l'accompagnement psychologique est proposé dès que la demande d'euthanasie a été traitée par le médecin. Cette solution est basée sur la procédure d'accompagnement prévue à l'amendement nº 4 de Mme Thibaut et consorts.

Mme Sleurs est d'avis que l'amendement nº 7, qui a été déposé comme sous-amendement à l'amendement nº 5 dont elle est elle-même l'auteur, tient pleinement compte des points de vue sur le fond qui figurent dans cet amendement nº 5. Il a été répondu à toutes les objections qu'elle a exprimées à l'encontre de la proposition de loi initiale nº 5-2170/1.

Mme Thibaut relève que l'amendement nº 7 ne prend en compte que la souffrance physique comme critère pour l'euthanasie d'un patient mineur. L'intervenante pense qu'il s'agit d'un recul par rapport à la loi de 2002 qui prend aussi bien la souffrance physique que psychique en compte. Elle pense qu'il s'agit d'un précédent dangereux.

Par ailleurs, l'amendement prévoit toujours que les parents du mineur marquent leur accord sur la demande d'euthanasie. Lors des auditions il a été précisé qu'une décision d'euthanasie serait très difficile à porter par les parents et, qu'en aucun cas, les parents ne devaient faire partie de la décision. Dans la loi de 2002, c'est le patient qui est au centre du processus. La proposition de loi à l'examen sort de cette logique.

Enfin, Mme Thibaut constate que l'amendement utilise à nouveau la notion de « médecin traitant ». Elle trouve que cette notion prête à confusion et n'est pas à sa place dans la loi sur l'euthanasie.

M. Mahoux fait remarquer que la notion de « médecin traitant » figure dans plusieurs dispositions de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie. Il renvoie notamment à l'article 3, § 2, 3º, alinéa 2, ainsi qu'au § 3, 1º.

Quant au rôle des représentants légaux, l'intervenant rappelle que leur autorisation est indispensable.

Amendement nº 11

(Sous-amendement à l'amendement nº 7)

Mmes Van Hoof et Franssen déposent l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 5-2170/3), qui est un sous-amendement à l'amendement nº 7 et qui vise à apporter quelques modifications au texte proposé dans cet amendement nº 7.

Selon Mme Van Hoof, il apparaît, au terme des auditions au cours desquelles des dizaines d'experts ont été entendus, qu'il n'y a nul besoin de modifier fondamentalement la loi. La figure juridique de l'état de nécessité offre des possibilités suffisantes pour intervenir, si les traitements contre la douleur — qui sont de plus en plus efficaces et sophistiqués — s'avèrent ne plus suffire. Le degré d'humanité d'une société se mesure à la manière dont celle-ci s'occupe des malades, des personnes ágées et des plus faibles et, en particulier, des personnes en fin de vie. Mme Van Hoof plaide dès lors en premier lieu pour que l'on consacre davantage de moyens aux soins palliatifs et demande au secteur médical de mieux intégrer la planification précoce des soins. La meilleure option est de donner la possibilité aux patients en phase terminale, jeunes ou moins jeunes, de mourir sans souffrances inutiles dans un environnement bienveillant. Il existe en effet des équipes palliatives qui accomplissent un travail remarquable et qui peuvent intervenir sur une base pluridisciplinaire. C'est une possibilité qui n'est malheureusement pas très répandue à Bruxelles.

L'intervenante souligne aussi que les propositions de loi et les amendements déposés à ce jour abordent la problématique visée sous un angle différent et comportent des lacunes. L'amendement nº 11 vise à remédier à quelques-unes d'entre elles.

Ainsi, ces propositions de loi et amendements prennent comme point de départ la capacité du patient à exprimer sa volonté. Cette notion ne repose sur aucun critère juridique, ni scientifique, comme le montrent les auditions et les rapports des experts: « ...les mineurs confrontés à des situations médicales prennent leurs décisions de manière plus impulsive que les adultes. Ils ont tendance à moins tenir compte des conséquences à court et à long termes et adoptent donc un comportement plus risqué dans la prise de décisions. De plus, certains mineurs éprouvent un sentiment d'invulnérabilité et ne réfléchissent pas vraiment aux conséquences négatives éventuelles de leurs décisions ou de leurs actes. Ils ne sont généralement pas aptes à mesurer toute la portée d'une décision. » Voilà ce que l'on peut lire dans le texte du groupe de travail Metaforum « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid ». L'intervenante estime que la procédure de l'urgence médicale, que le médecin peut déjà invoquer lorsque toutes les possibilités en termes d'expertise médicale ont été épuisées et que l'enfant souffre inutilement, est suffisante pour ce qui concerne les mineurs. Pour éviter les abus liés à la notion arbitraire et non vérifiable de « capacité à exprimer sa volonté », il est proposé, dans le sous-amendement visé, de fixer l'áge minimal à quinze ans. À l'heure actuelle, l'euthanasie est déjà autorisée pour les mineurs émancipés, et l'émancipation est possible à partir de l'áge de quinze ans.

En outre, les propositions de loi et les amendements précités tendent à limiter l'euthanasie aux mineurs en phase terminale. Or, les modifications apportées dans la loi ne répondent pas à cet objectif. Elles prévoient simplement qu'un certain nombre de conditions supplémentaires doivent être remplies si le patient majeur n'est pas en phase terminale. Cela signifie donc, si l'on se place d'un point de vue juridique, que les propositions de loi autorisent l'euthanasie chez les mineurs qui ne sont pas en phase terminale et qu'il n'y pas de condition supplémentaire à remplir. Le sous-amendement proposé entend remédier à cette lacune, en précisant expressément que l'euthanasie ne peut être pratiquée que chez les mineurs en phase terminale.

D'après Mme Van Hoof, les propositions et amendements à l'examen sont formulés d'une manière négligente tant pour le contrôle a priori que pour le contrôle a posteriori. Dans la pratique, il n'est pas du tout indispensable que le médecin qui est consulté par le médecin traitant avant que ce dernier procède à l'euthanasie soit indépendant. En effet, le médecin traitant choisit lui-même qui il consulte comme second médecin. De même, en pratique, il n'est pas non plus nécessaire que le pédopsychiatre qui vérifie la capacité de discernement du mineur soit indépendant. L'objectif ne saurait être que le législateur insère dans la loi des mots gratuits qui, de toute évidence, n'ont aucune incidence concrète.

Autre problème de taille, les propositions n'imposent nullement de tenir compte de l'avis du médecin consulté. Qu'il s'agisse de l'avis du médecin qui traite l'affection ou de celui du pédopsychiatre, dans les faits, ceux-ci n'ont aucune incidence. Il n'est pas exigé que les constatations matérielles objectives du médecin traitant soient confirmées par le médecin consulté. L'amendement vise à conférer une portée concrète à l'objectif poursuivi par le législateur.

Sur la question du contrôle a posteriori, l'on constate que la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie ne soumet la déclaration que lui transmet le médecin traitant qu'à un contrôle insignifiant. Curieusement, la commission de contrôle n'a jusqu'à présent encore transmis aucun dossier au parquet. Aux Pays-Bas, en revanche, dix à vingt dossiers sont transmis chaque année au parquet. Il y a lieu de dépolitiser la composition de la commission d'évaluation et d'optimaliser les moyens légaux à sa disposition.

En déposant ce sous-amendement nº 11 au sous-amendement nº 7, Mme Van Hoof entend proposer un règlement autorisant le mineur à formuler une demande d'euthanasie à partir de l'áge de quinze ans.

Le médecin traitant vérifie alors si les conditions suivantes sont remplies:

— le patient mineur est conscient au moment de sa demande et est capable de juger raisonnablement de ses propres intérêts;

— la demande est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée, et ne résulte pas d'une quelconque pression extérieure;

— le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d'une souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.

L'intervenante souhaite ajouter une quatrième condition, à savoir que le patient décédera manifestement à brève échéance. Elle souhaite limiter ainsi la pratique de l'euthanasie aux patients mineurs en phase terminale qui font état d'une souffrance physique insupportable et elle demande avec insistance que cette condition soit inscrite dans la loi. En effet, les propositions et amendements déposés jusqu'à présent ne tranchent pas la question sur le plan juridique.

Le médecin traitant consulte un pédopsychiatre après avoir lui-même vérifié le respect des quatre conditions énoncées ci-dessus. Ce spécialiste doit à nouveau vérifier que le patient est capable de juger raisonnablement de ses propres intérêts et que sa demande est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée et ne résulte pas de la moindre pression extérieure. En prévoyant une double vérification de ces deux conditions, tant par le médecin traitant que par le pédopsychiatre, Mme Van Hoof entend ajouter au sous-amendement nº 7 une garantie supplémentaire pour les patients mineurs en phase terminale qui font état d'une souffrance physique insupportable.

De plus, le sous-amendement nº 11 prévoit que le pédopsychiatre est désigné par le médecin en chef lorsque le patient est suivi par un médecin hospitalier, ou par l'Ordre des médecins dans les autres cas. Cette désignation doit garantir l'indépendance suffisante du pédopsychiatre, tant à l'égard du patient qu'à l'égard du médecin traitant. En outre, le sous-amendement fait en sorte que le médecin traitant ne puisse pas ignorer sans raison un avis négatif du pédopsychiatre: seul un avis positif du pédopsychiatre sur tous les aspects dont on l'a saisi pour avis permet de poursuivre la procédure d'euthanasie.

Lorsque le pédopsychiatre émet un avis positif, le médecin traitant consulte un médecin spécialiste de la pathologie concernée. Celui-ci vérifie s'il est satisfait aux conditions suivantes:

— le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d'une souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable;

— le patient décédera manifestement dans un délai relativement court.

En prévoyant une double vérification de ces deux conditions, tant par le médecin traitant que par le médecin spécialiste de la pathologie concernée, l'auteur souhaite ajouter au sous-amendement nº 7 une garantie supplémentaire pour les patients mineurs en phase terminale qui font état d'une souffrance physique.

Pour garantir une indépendance suffisante, le sous-amendement nº 11 prévoit que le médecin spécialiste de la pathologie concernée est désigné par le médecin en chef lorsque le patient est suivi par un médecin hospitalier, ou par l'Ordre des médecins dans les autres cas. En outre, seul un avis positif de la part du médecin consulté sur tous les aspects dont il a été saisi pour avis peut conduire à la pratique d'une euthanasie.

Si le médecin spécialiste de la pathologie concernée émet lui aussi un avis positif, le médecin traitant examine minutieusement l'éventualité d'une euthanasie avec les représentants légaux du patient mineur et informe également ceux-ci des avis des différents médecins consultés. Le médecin traitant ne peut pratiquer une euthanasie sans l'accord écrit des représentants légaux.

Mme Van Hoof conclut que l'amendement nº 11 tend à offrir une protection maximale aux mineurs et à rappeler dans les textes proposés que le patient doit se trouver en phase terminale. D'un point de vue juridique en effet, cette dernière condition ne ressort pas du tout clairement de l'amendement nº 7. La loi en vigueur aujourd'hui est susceptible d'abus, et il faut éviter ceux-ci à tout prix lorsqu'il s'agit de mineurs. L'indépendance du médecin consulté est aussi un élément déterminant dans l'argumentation de l'intervenante. Aux Pays-Bas, il est en effet impensable et même passible de sanction qu'un médecin lié d'amitié avec le médecin traitant soit impliqué dans la déclaration de validité de la demande d'euthanasie; dans notre pays, en revanche, c'est autorisé. En Belgique, aucun médecin n'a encore été renvoyé devant le parquet.

M. Mahoux réagit aux accusations formulées à l'encontre du travail de la Commission d'évaluation. L'intervenant regrette que l'on jette l'opprobre sur l'ensemble des personnes qui prennent en charge des demandes d'euthanasie.

L'intervenant relève que la loi sur l'euthanasie est applicable depuis plus de dix ans. Jusqu'il y a quelques mois, personne n'a jamais formulé la moindre remarque sur la loyauté du travail de la Commission d'évaluation. Il s'étonne dès lors des attaques en règle dont la Commission fait l'objet ces dernières semaines.

En ce qui concerne les remarques sur le stade terminal de la maladie, M. Mahoux fait remarquer qu'il a déposé un sous-amendement à l'amendement nº 7 (amendement nº 12, doc. Sénat nº 5-2170/3) afin de préciser que le mineur doit se trouver dans une situation médicale sans issue entraînant le décès à brève échéance.

Par ailleurs, l'intervenant rappelle que dès que les conditions légales pour pratiquer une euthanasie ne sont pas respectées, cela peut avoir pour conséquence que l'exemption légale ne joue plus.

Mme Khattabi se dit scandalisée par les accusations lancées à l'encontre de la Commission de contrôle et d'évaluation. Jamais elle n'a entendu dans la passé la moindre critique sur le travail de la Commission.

Par ailleurs, l'intervenante veut apporter une précision quant à la portée de l'extension de l'euthanasie aux mineurs. La proposition sur la table est une ouverture qui permet de légaliser ce qui semble être une pratique. Elle trouve surprenant que certains veuillent laisser ces pratiques dans la clandestinité en bloquant toute extension de la loi aux mineurs.

Le texte à l'examen permettra d'entendre les quelques rares demandes qui existent tout en protégeant les professionnels qui souhaitent accéder à ces demandes. C'est un champ de possibilités qui est ouvert. Il n'est nullement question d'imposer le choix de l'euthanasie à des personnes qui ne souhaiteraient pas la pratiquer ni la demander.

Mme Sleurs souligne que l'amendement nº 5 a précisément pour but de limiter, autant que faire se peut, la zone grise dont il est question dans la justification de l'amendement nº 11. À la lecture du texte global du groupe de travail Metaforum de la KULeuven, intitulé « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid », on constate qu'il y a des cas dans lesquels une approche individualisée est définie et autorise l'euthanasie, ce que permet la proposition de loi, telle qu'elle sera amendée.

Amendements nos 9 et 10

(Sous-amendements à l'amendement nº 7)

Mmes Thibaut et Khattabi déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 5-2170/3) qui est un sous-amendement à l'amendement nº 7.

Mme Thibaut rappelle que son groupe n'est pas favorable à l'idée de fixer une limite d'áge pour ouvrir l'euthanasie aux mineurs. Il est préférable de recourir à la notion de capacité de discernement qui permet de tenir compte de l'expérience particulière de chaque enfant. Le niveau de maturité est différent pour des enfants d'un même áge.

En prévoyant une attestation de capacité de discernement, l'amendement nº 7 renvoie de facto à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient. Or, cette loi prévoit que le mineur qui a la capacité de discernement peut exercer ses droits de manière autonome. L'amendement nº 9 vise à supprimer, dans le c)/1 proposé au 4º, le quatrième alinéa qui prévoit que les représentants légaux marquent leur accord sur la demande d'euthanasie.

Mme Thibaut souligne que l'amendement permettra en outre d'éviter des déchirements entre des parents en désaccord.

La disparition d'un enfant est un événement particulièrement lourd à porter pour les parents. Cela sera encore plus lourd si les parents doivent marquer leur accord sur la demande d'euthanasie. L'amendement nº 9 vise dès lors à supprimer cette exigence.

Mmes Thibaut et Khattabi déposent l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 5-2170/3) qui est un sous-amendement à l'amendement nº 7. L'amendement nº 10 découle de l'amendement nº 9 des mêmes auteures.

Mme Defraigne pense que l'accord des représentants légaux est une question centrale à laquelle les auteurs de la proposition de loi ont longuement réfléchi. Il ressort des auditions qu'aucun médecin ne serait disposé à pratiquer une euthanasie sur un mineur sans l'aval des parents. Même en cas de désaccord d'un des deux parents, un médecin ne pourrait pas pratiquer d'euthanasie.

L'intervenante insiste sur le fait que ce ne sont pas les parents qui portent la responsabilité de l'euthanasie. Il faut une demande volontaire et réfléchie d'un mineur doté de la capacité de discernement. Le mineur doit être conscient et le décès doit être prévu à bref délai. L'euthanasie est précédée d'un dialogue permanent et répété entre l'enfant dont on a restauré la liberté de parole, l'équipe médicale et les parents. Ce ne sont donc pas les parents qui sont les porteurs de la responsabilité.

La proposition prévoit par ailleurs un accompagnement psychologique des parents, en amont de la décision, au moment de la décision et en aval de celle-ci.

Mme Defraigne renvoie en outre à l'audition du Dr. Biarent qui a rappelé que les parents sont au cœur du processus. La décision d'euthanasie est douloureuse. Cela se fait en áme et conscient au terme d'un dialogue permanent.

Amendement nº 12

(Sous-amendement à l'amendement nº 7)

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 5-2170/3) visant à insérer, dans la phrase du tiret du 3º, les mots « entraînant le décès à brève échéance » entre les mots « sans issue » et « fait état ».

M. Mahoux précise que l'amendement vise à éviter tout équivoque en précisant que le mineur se trouve dans une phase terminale.

M. Delpérée constate que l'amendement précise que le patient mineur se trouve dans une situation médicale sans issue entraînant le décès à brève échéance. L'intervenant dénonce l'imposture qui caractérise les débats ces derniers jours. Il a dénoncé plusieurs incohérences entre les développements et le dispositif de la proposition de loi ou entre la justification et le dispositif d'un amendement. Cela crée une certaine confusion. L'orateur a tenté de faire une coordination prospective du texte de la proposition de loi, de l'amendement nº 5 de Mme Sleurs et des sous-amendements déposés par les auteurs de la proposition en les intégrant dans la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.

M. Delpérée a ainsi constaté que le dispositif du texte coordonné ne correspondait pas aux déclarations faites par les auteurs dans la presse. Ceux-ci n'ont pourtant pas manqué de vanter la clarté et la pertinence de leur texte. L'intervenant s'étonne dès lors qu'il faille encore déposer un sous-amendement pour préciser que la procédure d'euthanasie ne vise que le mineur en fin de vie. Avant le dépôt de l'amendement nº 12, rien dans le texte de compromis ne précisait que la nouvelle procédure s'appliquait uniquement au mineur en phase terminale.

Mme Van Hoof a relevé quelques négligences dans la proposition de loi et dans les amendements qui ont été déposés à celle-ci. Le texte proposé prévoyait ne ainsi nulle part, même après les amendements proposés, que l'euthanasie ne pouvait être pratiquée que sur des enfants malades en phase terminale. Bien que cette observation ait d'abord été réfutée, l'on a finalement déposé l'amendement nº 12 qui en tient compte dans une certaine mesure. La méthode de travail appliquée fait cependant que l'on adoptera sans doute un texte contenant encore une série d'imprécisions. Certains veulent faire passer des textes à la háte, sans se préoccuper des connaissances scientifiques en la matière. Aux Pays-Bas par exemple, on travaille différemment puisque l'on y examine depuis six ans si — et dans quelle mesure — la loi sur l'euthanasie peut être élargie. Des commissions d'experts composées de scientifiques ont été constituées afin d'encadrer ce processus. Il ne faut pas oublier que c'est une question de vie et de mort, qui touche plus particulièrement des enfants malades en phase terminale, et qu'une législation sur cette question se doit d'être élaborée de manière méticuleuse. Or, tel n'est pas le cas ici dès lors que toutes sortes d'amendements sont ajoutés à la dernière minute.

M. Delpérée pense que la méthode de travail suivie ne permet pas d'avoir une vision correcte et cohérente du texte.

Pour la question de la fin de vie, l'amendement nº 12 utilise la notion de « mort à brève échéance » pour le mineur. Par contre, l'article 3, § 3, de la loi de 2002, qui vise la situation du patient majeur, précise « si le médecin est d'avis que le décès n'interviendra manifestement pas à brève échéance ». M. Delpérée constate que l'on utilise des expressions qui ne sont pas identiques alors que l'on vise la même idée. Quelle différence y a-t-il entre une « brève échéance » et une « brève échéance manifeste » ? Il faut suivre une certaine logique et cohérence dans un même texte de loi.

L'orateur renvoie ensuite à l'amendement nº 7. Au 1º, on vise la situation du « patient majeur ou mineur émancipé, capable ou mineur doté de la capacité de discernement et est conscient au moment de sa demande ». M. Delpérée déclare que la rédaction du texte le laisse perplexe. À qui se rapporte le mot « capable » ? Au patient majeur ? Au patient mineur émancipé ? Aux deux ? De même, à qui se rapporte la notion de « conscient » ? Il regrette le fait qu'un texte qui doit s'appliquer en matière répressive soit rédigé de manière aussi peu claire.

Article 3

Amendement nº 8

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 5-2170/3) qui vise à introduire un article 3 dans la proposition de loi.

M. Mahoux précise que le document d'enregistrement que le médecin communique à la Commission de contrôle doit être adapté pour tenir compte de la nouvelle procédure d'euthanasie des mineurs non émancipés. Pour que la Commission de contrôle soit en mesure de vérifier si le médecin a suivi la procédure adéquate, il faut que la Commission sache si l'euthanasie a été pratiquée sur un mineur émancipé ou non. L'amendement vise dès lors à compléter l'article 7, alinéa 4, 1º, de loi est du 28 mai 2002 par les mots: « et, pour le patient mineur, s'il était émancipé. »

VII. VOTES

L'amendement nº 6 de M. Laeremans est rejeté par 26 voix contre 6 et 2 abstentions.

L'article 1er est adopté par 27 voix contre 3 et 4 abstentions.

L'amendement nº 7 de M. De Gucht et consorts est adopté par 24 voix contre 8 et 2 abstentions.

Mme Khattabi justifie son abstention: bien que son groupe soit favorable au principe de l'élargissement de l'euthanasie aux mineurs, elle trouve que la procédure mise en place n'est pas adéquate.

L'amendement nº 11 de Mmes Van Hoof et Franssen est rejeté par 26 voix contre 6 et 2 abstentions.

L'amendement nº 12 de M. Mahoux et consorts est adopté par 26 voix contre 7 et 1 abstention.

Les amendements nos 9 et 10 de Mmes Thibaut et Khattabi sont successivement rejetés par 32 voix contre 2.

L'amendement nº 5 de Mme Sleurs tel que sous-amendé est adopté par 24 voix contre 8 et 2 abstentions.

À la suite de l'adoption de l'amendements nº 5, les amendements nº 1 à 4 de Mme Thibaut et consorts deviennent sans objet.

M. Mahoux fait remarquer que l'amendement nº 7 de M. De Gucht et consorts a repris, au 7º, le texte de l'amendement nº 4 sur l'accompagnement psychologique.

L'article 2 ainsi amendé est adopté par 26 voix contre 8.

L'amendement nº 8 de M. Mahoux est adopté par 26 voix contre 8.

VIII. DÉCLARATIONS AVANT LE VOTE FINAL

M. Courtois remercie les commissaires pour le climat serein dans lequel les travaux se sont déroulés.

Mme Defraigne remercie les deux co-présidents et les collègues pour le travail constructif qui s'est déroulé dans la sérénité, en prenant le temps d'aller au cœur des choses. L'intervenante pense que c'est un pas important qui va être franchi en matière éthique et qui démontre l'expérience et l'expertise du Sénat dans ce type de dossiers.

Les travaux ont pris la loi du 28 mai 2002 comme base car ce texte a déjà démontré qu'il était possible de restaurer le dialogue entre le patient, le médecin et la famille. La proposition de loi s'inscrit dans la même logique mais prévoit des balises supplémentaires puisque l'on vise l'euthanasie de patients mineurs. La souffrance physique inapaisable des mineurs en fin de vie méritait toute l'attention du législateur.

Mme Defraigne pense que le texte qui sera soumis aux votes met en place une solution harmonieuse qui correspond à la réalité de terrain.

Mme Sleurs remercie les membres des commissions réunies qui se sont ralliés aux propositions et aux conditions avancées dans l'amendement nº 5. Elle pense que gráce à cela, la proposition de loi qui sera adoptée est une bonne proposition, qui offre une sécurité suffisante et qui permettra l'euthanasie pour les mineurs dans certaines circonstances bien définies.

M. De Gucht remercie les deux coprésidents pour la manière dont ils ont dirigé les travaux ces derniers mois. Il considère que le texte proposé est une proposition équilibrée, qui a vu le jour dans un climat de sérénité. C'est important dans les dossiers éthiques et l'intervenant espère qu'à l'évenir aussi, des matières éthiques pourront être discutées avec la même sérénité.

Pour lui, la proposition de loi à l'examen est importante, non seulement pour les mineurs capables de discernement, mais aussi et surtout pour les médecins qui sont confrontés à pareilles situations. Il n'existe pour l'instant aucun cadre juridique en la matière. Une fois que le texte à l'examen sera devenu une loi, les médecins auront une solide base juridique pour fonder leur action.

M. Swennen remercie lui aussi les deux coprésidents et les membres des commissions réunies. Il se félicite de l'ambiance sereine dans laquelle les travaux ont été menés sur un thème aussi sensible. Le texte proposé peut s'appuyer sur une large majorité, non seulement au Parlement, mais aussi au sein de la société. Chaque parlementaire doit voter en áme et conscience et l'intervenant estime qu'il s'agit ici d'une manoeuvre de rattrapage qui réalise quelque chose que l'on n'avait pas pu mettre en place lors de l'élaboration de la loi initiale sur l'euthanasie.

M. Swennen rappelle qu'il y a encore d'autres questions qui attendent une solution, notamment en ce qui concerne la durée de validité de la déclaration de volonté et l'obligation du médecin d'adresser le patient à un confrère. Il espère que ces points pourront encore être traités durant les derniers mois de cette législature.

Mme Khattabi se réjouit de l'étape qui va être franchie par l'adoption en commissions réunies, de la proposition de loi étendant l'euthanasie aux mineurs. Elle regrette par contre le fait que son groupe a été souvent l'otage des dissensions entre la majorité alternative et la famille sociale-chrétienne.

Les travaux ont montré que d'autres aspects de loi de 2002 doivent encore être débattus. Elle pense notamment à la question de la clause de conscience institutionnelle, à la question de la déclaration anticipée.

M. Courtois pense qu'il ne faut pas parler de majorité alternative mais de commissaires qui votent, en áme et conscience, quelle que soit leur sensibilité politique et éthique.

IX. VOTE FINAL

L'ensemble de la proposition de loi amendée est adopté par 26 voix contre 8.

Les rapporteuses, Les présidents,
Zakia KHATTABI. Els VAN HOOF. Alain COURTOIS. Elke SLEURS.

VIII. ANNEXES

A. Auditions:

http://www.senate.be

B. Avis du professeur Etienne Montero, Doyen de la Faculté de droit, Université de Namur

Avis concernant différentes notions juridiques utilisées dans la proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie (doc. Sénat, nº 5-2170/1)

Quelques notions générales

Lacapacité juridiqueest une notion très large désignant l'aptitude à être investi de droits ou d'obligations dans la vie civile et à accomplir personnellement des actes juridiques. On distingue, plus précisément, lacapacité de jouissance, c'est-à-dire l'aptitude à être titulaire de droits ou d'obligations, et lacapacité d'exercice, qui est l'aptitude à exercer ses droits seul, sans régime de protection telles la représentation ou l'assistance. En droit positif, dès sa naissance, tout être humain, quel que soit son état mental, possède la capacité de jouissance ou, en d'autres termes, se voit reconnaître lapersonnalité juridique.

Lamajoritédésigne l'áge fixé par la loi pour l'exercice de ses droits civils et politiques. Depuis la loi du 19 janvier 1990 abaissant à dix-huit ans l'áge de lamajorité civile, cette dernière — qui confère, en droit civil, la capacité d'exercice pour « tous les actes de la vie civile » (Code civil, article 488) — coïncide avec lamajorité pénale. Lemineurest « l'individu de l'un et de l'autre sexe qui n'a point encore l'áge de dix-huit ans accomplis » (Code civil, article 388) ou, en d'autres termes, « la personne n'ayant pas encore atteint l'áge de dix-huit ans » (Code pénal, article 100ter).

L'émancipationest un statut qui, par anticipation, accorde une plus large capacité d'exercice au mineur. L'un de ses effets est de faire échapper le mineur à l'autorité parentale. Le mineur émancipé jouit d'une capacité étendue en ce qui concerne l'exercice des droits relatifs à sa personne et peut accomplir seul — c'est-à-dire personnellement, sans représentation — la plupart des actes juridiques relatifs à ses biens. Pour certains actes, il demeure néanmoins protégé par un régime d'assistance (curatelle) ou d'autorisation préalable (juge de paix) (cf. Code civil, article 481 et s.). Le mineur est émancipéde plein droitpar le mariage (Code civil, article 476). Il peut l'être aussi, généralement sur requête de ses parents,par le tribunal de la jeunesse, à la triple condition qu'il ait plus de quinze ans (Code civil, article 477), que la mesure serve son intérêt et qu'il y consente. L'émancipation peut être ainsi demandée pour permettre au mineur d'exercer une activité commerciale (cf. Leleu, p. 319). Cette mesure a perdu de l'intérêt et se fait rare depuis l'abaissement à dix-huit ans de l'áge de la majorité et la multiplication des hypothèses légales dans lesquelles le mineur se trouve désormais autorisé à accomplir plus ou moins seul des actes juridiques touchant à sa personne. À notre connaissance, aucuneeuthanasie de mineur émancipén'a été déclarée à la Commission de contrôle depuis l'entrée en vigueur de la loi.

Il n'est pas fréquemment fait référence à la notion dediscernementdans les textes (voir toutefois Constit., article 22bis, alinéa 2; Code civil, article 329bis, article 332quinquies, article 348-1, article 410, § 2,in fine; Code judiciaire, article 931) et, à notre connaissance, elle n'est pas légalement définie. La capacité de discernement s'entend de l'aptitude d'une personne à apprécier la portée de ses actes et à en assumer les conséquences. Comme on le verra, cette aptitude est évaluée différemment suivant les domaines.

Le régime juridique de la minorité

Dans la représentation commune, le mineur est juridiquement incapable. Cette idée doit être fortement nuancée. Des approches différentes peuvent déjà être relevées suivant les branches du droit. Par exemple, le mineur peut engager sa responsabilité civile, s'il est doué de discernement (capacité aquilienne), alors qu'il est en principe pénalement irresponsable. Sur le terrain des « actes de la vie civile », la capacité — mieux, l'incapacité — d'exercice, contrairement à la personnalité juridique (capacité de jouissance), est susceptible de degrés:les modalités de protection varient de « la pure et simple représentation jusqu'au droit exercé personnellement et sans recours, en passant par le droit de donner son avis et celui d'accomplir l'acte avec l'assistance d'un majeur » (A.-Ch. Van Gysel, p. 238). La notion de discernement est également à géométrie variable.

Le régime juridique de la minorité est complexe car il entend concilier deux préoccupations plus ou moins contradictoires. D'une part, le mineur d'áge est considéré comme immature, vulnérable, influençable et sans expérience. Aussi saprotectionest-elle assurée par plusieurs institutions: le statut d'incapacité (Code civil, article 1124); l'autorité parentale (article 372 et s.); les obligations des parents en termes d'éducation, hébergement, entretien, ... (article 203); la responsabilité civile des père et mère du fait de leur enfant mineur (article 1384, alinéas 2 et 5). D'autre part, le mineur est titulaire de droits (capacité de jouissance) et on conçoit qu'à mesure de sa croissance et maturation, il puisse jouir d'une plus grande autonomie et prendre lui-même des décisions le concernant.

Au fil du temps et des interventions ponctuelles du législateur, tantôt sensible à la dimension de protection, tantôt à celle d'autonomie, s'est élaboré un régime de la minorité éclaté en une multitude de règles éparses, qui procèdent de logiques, d'approches et de méthodes parfois antagonistes. Dans les limites de cette note, quelques exemples tirés de différentes branches du droit suffiront à illustrer le propos.

En droit pénal, les mineurs sont considérés comme incapables et irresponsables. Distraits du système répressif, ils font l'objet, non de sanctions pénales, mais de mesures visant, d'une part, à protéger la société, d'autre part, à prendre en charge ces « incapables » (rééducation, réinsertion sociale, protection judiciaire, ...). Sauf exceptions légales, le mineur est soumis aux juridictions de la jeunesse et à la loi du 8 avril 1965 relative à laprotection de la jeunesse. Il est en quelque sorte frappé d'uneprésomptionirréfragable de non-discernement, qui justifie le recours à des mesures socio-éducatives et non à des peines. Cela ne signifie pas qu'il soit forcément privé de discernement. La présomption n'est qu'une technique juridique permettant au législateur de privilégier une approche autre que purement répressive. Notons aussi qu'en droit pénal, la circonstance que des crimes et délits soient commis contre des mineurs, surtout de moins de seize ans, est un facteur d'aggravation des peines (Code pénal, article 372 et s., articles 379 et s., etc.).

Le droit de la responsabilité civile prend en compte la faiblesse naturelle de l'enfant en lui adjoignant des garants appelés à répondre, le cas échéant, des dommages qu'il aurait occasionnés à autrui par un acte illicite (cf. Code civil, article1384). Toutefois, le législateur n'a pas opté pour un régime d'irresponsabilité du mineur (Code civil, article 1310). Celui-ci est susceptible d'engager sa responsabilité personnelle s'il possédait, au moment des faits, la capacité de discernement. Autrement dit, il peut être condamné, seul ouin solidumavec les personnes civilement responsables pour lui, à réparer le dommage causé à autrui. En l'absence de disposition légale fixant l'áge du discernement, cette question est laissée à l'appréciation souveraine des cours et tribunaux, en fonction des circonstances du cas (nature du comportement, développement physique et intellectuel du mineur, milieu social, éducation reçue, ...). La majorité des décisions de justice fixe l'áge du discernement à sept ans, mais ce seuil peut varier en fonction des paramètres évoqués ci-avant. La tendance dominante est de ne pas reconnaître le discernement en-deçà de six ans et de le considérer acquis au-delà de dix ans. Les hésitations et discussions se situent surtout entre ces deux áges. Le fait que le mineur puisse engager sa responsabilité personnelle dès ses six-sept ans est déduit d'une expérience assez commune suivant laquelle, dès cet áge, la plupart des enfants peuvent apprécier les conséquences de leurs actes ou, comme il est parfois dit, discerner le bien et le mal: ils savent qu'ils agissent mal en lançant un pavé dans une vitre ou en jouant avec des allumettes au milieu de la paille, ... La solution s'explique aussi par la tendance lourde en responsabilitécivile de favoriser l'indemnisation de la victime. Il ne faudrait pas en conclure que, dès ce jeune áge, le mineur est pareillement apte à discerner la portée d'autres choix, actes ou engagements.

Sur le terrain desactes juridiques privés, les mineurs sont déclarés incapables (article 1124). Tout débat sur l'existence d'un consentement libre et éclairé du mineur est ainsi évité. Il est vrai que le mineur n'a généralement pas le discernement, la maturité et l'expérience pour s'engager seul par un acte juridique. Cela étant, une autonomie croissante lui est reconnue et les exceptions au principe de l'incapacité d'exercice du mineur tendent à se multiplier. Elles concernent au premier chef des droits et actes juridiques qui touchent de près à sa personne et pour lesquels la représentation par un tiers apparaît contre-indiquée. Il peut accomplir seul certains actes à caractère personnel, moyennant le consentement ou l'assistance de majeurs, souvent les parents. Il peut accomplir tout à fait seul, sans aucune modalité de protection, les actes conservatoires, de nombreux actes dits personnels et certains actes spécifiques prévus par la loi (cf. A. Nottet, p. 15 et s.).

Dans la majorité des cas, le législateur autorise un acte à partir d'un áge précis; plus rarement, il fait référence à lanotion de discernement. Parfois, cette différence d'approche concerne un même droit, comme celui d'être entendu par un juge (comp. article 931 du Code judiciaire et article 56bis de la loi sur la protection de la jeunesse). Lorsqu'est utilisé le critère de l'áge, celui-ci varie d'une loi à l'autre: douze anspour consentir dans le cadre d'une recherche de paternité (Code civil, article 329bis et 332quinquies), d'une adoption (Code civil, article 348-1) ou d'un don d'organe (loi du 13 juin 1986), quinze ans en cas de conflit avec son tuteur dans la gestion de ses biens (article 405), seize ans pour disposer par testament de la moitié de ses biens (article 904) ou choisir son mode de sépulture (articles 15bis et 21 de la loi du 20 juillet 1971), etc. Lorsque l'exception à l'incapacité de principe ne fixe aucun critère d'áge, sans préciser une exigence de discernement, on suppose celle-ci de mise: reconnaissance d'un enfant (Code civil, article 328), demande de dispense d'áge et autorisation pour le mariage (articles 145 et 148).

Dans la matière des soins de santé, l'article 12 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient est d'une importance qui n'échappe à personne. Il prévoit ceci: si le patient est mineur, les droits fixés par la loi sont exercés par les personnes investies de l'autorité sur lui (§ 1er); « suivant son áge et sa maturité », le mineur estassociéà l'exercice de ses droits de patient et ilexerceces derniers de manière autonome s'il est estimé « apte à apprécier raisonnablement ses intérêts » (§ 2).

Cette disposition particulièrement confuse illustre à la fois la volonté du législateur d'étendre la « capacité résiduelle » du mineur et l'embarras sur les critères à l'aune desquels il est permis d'estimer un mineur capable d'apprécier et assumer les conséquences de ses actes.

Réflexions finales

Les quelques exemples évoqués indiquent qu'en matière de droits personnels, le mouvement s'oriente vers une autonomie croissante reconnue au mineur. En même temps, ils montrent que le législateur n'a pas une vue claire et cohérente de l'autonomie du mineur. Celle-ci varie suivant des logiques et critères qui essaient tant bien que mal d'épouser la réalité fluctuante de ce que le sens commun appelle la maturité. De l'avis de nombreux auteurs, le constat est particulièrement frappant sur le terrain de la procédure civile: droit d'agir en justice ou d'y être entendu, ... (cf. C. De Boe, p. 485).

L'impression de confusion et de désordre trouve au moins deux explications. Tout d'abord, il apparaît extrêmement délicat d'arrêter un critère suffisamment fiable de la capacité de discernement. Les tergiversations du législateur, qui transparaissent dans la variabilité des critères retenus d'un texte à l'autre, en témoignent incontestablement.

Ensuite, la légitime aspiration du législateur d'accorder plus d'autonomie au mineur se heurte au souci permanent d'assurer la protection de ce dernier. La capacité de discernement, la maturité et l'expérience ne s'acquièrent pas en quelques années. Le seuil des dix-huit ans n'est pas complètement arbitraire. Il est des décisions dont la portée peut difficilement être appréciée par un mineur peu aguerri, influençable, inexpérimenté, ... N'est-ce pas cette conviction qui a conduit le législateur, il n'y a pas si longtemps, à interdire la vente de tabac ou d'alcool aux mineurs de moins de seize ans ? Où l'on voit que le mineur nécessite protection.

Tout cela porte à considérer qu'il demeure indispensable de trouver un équilibre entre protection et autonomie dans le régime juridique de la minorité. C'est ainsi qu'il est désormais permis au mineur d'accomplir des actes conservatoires, d'exercer certains droits personnels, de prendre des décisions quant à l'administration de ses biens ... Faut-il franchir un pas supplémentaire en étendant le bénéfice de la loi sur l'euthanasie au mineur doté de la capacité de discernement ? Il n'est pas interdit de penser que l'équilibre précédemment évoqué est brisé dès l'instant où le mineur se trouve autorisé à faire unchoix irréversible, par lequel il dispose de sa vie, fût-ce aux conditions préconisées.

Une dernière considération, nécessairement trop brève. Il est presque unanimement admis que la médecine dispose aujourd'hui des ressources nécessaires pour soulager la douleur et la rendre supportable. En réalité, c'est presque toujours la souffrance psychologique qui conduit à formuler une demande d'euthanasie et à persévérer dans l'expression de ce souhait: absence de perspectives, anticipation d'une souffrance future, lassitude, désir d'en découdre avec la vie ... Croit-on vraiment que de telles motivations inspirent des enfants ... si, en plus d'une prise en charge performante de leur douleur et autres symptômes, ils sont correctement soignés et soutenus, entourés, accompagnés ... ? À moins qu'une telle possibilité lui soit susurrée, on doute qu'un mineur aspirespontanément, par lui-même, à une mort provoquée. Le respect des conditions prévues dans le cas des majeurs (demande formulée de manière volontaire, réfléchie, répétée et à l'abri de pression extérieure) sera encore plus malaisé à apprécier et à contrôler en ce qui concerne des enfants.

Bibliographie sélective

C. De Boe, « La place de l'enfant dans le procès civil », JT, 2009, p. 485 et s.

E. Delbeke, Juridische aspecten van zorgverlening aan het levenseinde, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2012, spéc. p. 789-829.

Y.-H. Leleu, Droit des personnes et des familles, Bruxelles, Larcier, 2010.

A. Nottet, « Mineurs et droits personnels », Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 15 et s.

C. Rommelaer, « Euthanasie des « enfants » et des « déments » ... Que disent réellement les propositions de loi ? », Ethica Clinica, 2013, p. 72-84.

A.-Ch. Van Gysel, « Le fondement et la portée actuelle de l'incapacité du mineur », in Filiation, autorité parentale et modalités d'hébergement, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 237-259.

Namur, le 19 novembre 2013

Professeur Etienne Montero

Doyen de la faculté de droit

Université de Namur

C. Avis du professeur Luc Roegiers, pédopsychiatre, professeur d'éthique médicale,Cliniques UCL-Saint Luc

Note de réflexion sur la place du pédopsychologue ou du pédopsychiatre (« psy ») pour déterminer la capacité de discernement du patient mineur lors d'une demande d'euthanasie

Les situations de demandes d'euthanasie des mineurs sont exceptionnelles. Peut-être — en comparaison aux adultes:

— parce que les pathologies graves sont moins fréquentes;

— parce que les dégradations physiques collatérales sont moins présentes;

— parce que la motivation vitale est plus importante;

— parce qu'il est plus difficile d'accepter qu'une courte vie soit accomplie;

— parce que l'entourage impliqué et préoccupé est plus important;

— parce que la combativité médicale les porte.

De ce fait, lorsque la barrière des résistances est rompue, que s'exprime une demande d'euthanasie par (pour ?) un mineur, c'est dans un contexte particulièrement chargé.

Dans les situations de détresses inapaisables en fin de vie chez les mineurs, ce contexte « chargé » est donc plus susceptible d'être instable. D'où la nécessaire prudence.

De plus, l'enfant est très exposé par sa loyauté familiale (en lien avec sa « dette de vie ») et par sa dépendance matérielle, à tenir compte du point de vue de ses figures d'attachement (parents, grands-parents, proches, ...) lors de décisions importantes, même si apparemment il les prend de façon « autonome ». Il est probablement illusoire de sonder le fond de ses motivations. Toute décision de mettre fin à ses jours peut obéir à des mobiles occultes parallèles à une situation médicale sans issue. C'est vrai pour chacun, ce l'est plus encore pour l'enfant.

Il peut être tentant d'imaginer pouvoir réduire la complexité de l'accompagnement d'une demande d'euthanasie par une procédure stricte (« objective »), par des expertises extérieures.

La question des effets pervers d'une telle perspective doit être posée.

Le psy peut sembler être à sa juste place pour donner un avis autorisé concernant une demande de mineur, pour discerner la part du réel, de l'imaginaire, du relationnel.

Cependant, plusieurs mises en garde doivent mettre en cause un tel recours, concernant:

— la légitimité d'une position d'expert: celle-ci est a priori périlleuse à occuper par un psy, spécialiste du « sujet » — (la « subjectivité » est-elle « objectivable » ?), lorsqu'il est question de capacité de discernement responsable; a fortiori pour un mineur; a fortiori encore dans des circonstances où les émotions sont particulièrement denses; et où la douleur ou l'inconfort extrême sont à la fois repère et facteur de confusion;

— le manque de formation spécifique des psys de liaison: à la connaissance clinique du développement de l'enfant et de l'adolescent et à la formation psychothérapeutique (individuelle et familiale) doivent s'ajouter une bonne compréhension des soins, des équipements et des pathologies, et surtout une bonne compétence en travail de réseau personnalisé, en travail interdisciplinaire centré sur le patient, en particulier en fin de vie;

— l'effet d'un « examen psychologique »: des représentations troubles relatives à un possible doute pour le jeune patient concernant sa santé mentale pourraient être induites par l'intervention exceptionnelle d'un psy, mal présentée;

— le caractère « extérieur » éventuel de ce psy: on cherche précisément de l'extériorité, de la tiercéité par le recours au psy. Néanmoins, lors d'une fin de vie, toutes les ressources de continuité et de sécurité émotionnelles doivent être privilégiées. On ne peut ouvrir dans ces moments cruciaux de brèches pour des raisons procédurières, en introduisant le cas échéant un acteur inconnu de l'enfant/du jeune, surtout s'il est détaché de l'équipe et ne peut être introduit de façon personnalisée et motivée.

En positif:

Le rôle d'un psy en fin de vie d'un enfant ou d'un jeune est:

— en seconde ligne d'aider l'équipe à tenir le cap de ses soins cohérents, à faire face à son impuissance, à recevoir les demandes de partage, de débriefing, d'éclairage, ..., les médecins et dans leur rôle les infirmières (parfois les kinés) restant les intervenants qui vont agir dans le réel pour moduler tel traitement en fonction de ce qu'ils ressentent au quotidien de l'évolution de tel ou tel jeune patient;

— en interaction avec les membres de la famille pour offrir une disponibilité continue aux parents et proches, et alléger par là le fardeau susceptible d'être porté par le jeune patient préoccupé par la détresse de son entourage;

— en première ligne lorsqu'il est demandé par l'équipe, par la famille (tout en veillant à distinguer ce qui appartient à la souffrance morale de l'enfant ou à celle de son entourage) et bien sûr par l'enfant.

Membre de l'équipe, le psy peut alors avoir son rôle à jouer dans le processus d'évaluation (dans la proximité et dans la durée) du statut d'une demande relative à des souffrances inapaisables (vers l'accentuation des mesures palliatives, vers le retrait de soins pénibles ou dans les impasses, vers l'euthanasie); cette évaluation étant le fait d'une équipe, même si un médecin référent en prend la responsabilité.

La tiercéité ne se joue pas dans le recours à un expert « extérieur » (dont l'« objectivité » est souvent illusoire) mais dans la qualité de la dynamique d'une équipe où chaque voix est entendue (médecins, paramédicaux, personnel d'entretien, ...) en lien avec le patient et son entourage: on peu dans la continuité des décisions d'un « projet thérapeutique » limitant certaines options médicales selon la gravité et les perspectives d'une situation particulière, procédure non balisée juridiquement.

Un tel processus est protocolisé par les bonnes équipes dans la pratique du quotidien (et le psy compétent y joue un rôle actif). Il est particulièrement difficile à « normer » et à « expertiser ».

Luc Rogiers, pédopsychiatre, professeur d'Éthique clinique, Cliniques UCL-Saint-Luc

D. Avis de Jean-Louis Renchon, Professeur à l'UCL et à l'Université Saint Louis;

Note succincte à propos de la proposition de loi modifiant la loi du28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs (doc. Sénat, nº 5-2170/1)

Il m'a été demandé d'établir une note succincte relative aux concepts juridiques insérés dans la proposition de loi nº 5-2170/1 déposée au Sénat et, particulièrement, les concepts de « mineur émancipé capable » et de « mineur doté de la capacité de discernement ».

Il paraît utile, afin d'éviter les difficultés de compréhension, de commencer par reproduire les termes de l'actuel article 3, § 1er, premier tiret, de la loi du 28 mai 2002 qui qualifient ceux qui peuvent solliciter une euthanasie:

— « si le patient est majeur ou mineur émancipé, capable et conscient au moment de la demande. »

Il est donc clair que le patient doit à la fois être majeur (ou mineur émancipé), capable et conscient.

La double condition de capacité et de conscience est donc cumulative avec celle de majeur (ou de mineur émancipé).

Même s'il est majeur, un patient peut en effet ne plus être « capable » et, par ailleurs, avoir perdu sa « conscience ».

On rappellera en effet qu'il existe à l'heure actuelle, jusqu'à ce que ces statuts soient remplacés par le nouveau régime d'incapacité instauré par la loi du 17 mars 2013, quatre statuts de majeurs incapables:

— les interdits judiciaires;

— les personnes placées sous conseil judiciaire;

— les mineurs prolongés;

— les personnes placées sous le régime de l'administration provisoire.

Deux de ces statuts d'incapacité juridique (le conseil judiciaire et l'administration provisoire) ne portent cependant pas sur la personne de l'incapable, et, dans chacun de ces deux régimes, la personne reste intégralement capable par rapport à sa personne.

Il y a donc lieu d'en inférer que ne sont « incapables » de solliciter une euthanasie, sous le régime actuel, que les interdits judiciaires et les mineurs prolongés, puisque ceux-ci ne disposent pas de leur « capacité » par rapport aux actes relatifs à leur personne.

Il est proposé, dans la proposition de loi nº 5-2170/1 déposée au Sénat, de remplacer ce premier tiret par les mots:

— « si le patient est majeur ou mineur émancipé capable ou mineur doté de la capacité de discernement et est conscient au moment de la demande. »

Les concepts ainsi utilisés prêtent à équivoque.

D'une part, il semble que le terme « capable », qui constitue dans le texte actuel une condition distincte, soit désormais accolé au terme « mineur émancipé ».

Est-ce une simple erreur matérielle ?

On peut en effet supposer que les auteurs de la proposition de loi entendent maintenir la possibilité laissée au mineur émancipé de solliciter une euthanasie, puisqu'un mineur émancipé dispose de la pleine capacité juridique par rapport à sa personne.

Il est dès lors contre-indiqué d'accoler le terme « capable » aux termes « mineur émancipé », car on ajoute de la confusion à ce qui en principe est parfaitement clair, à savoir que le mineur émancipé peut solliciter une euthanasie et qu'il ne doit pas au surplus être « capable ».

D'autre part, il n'est pas indiqué d'utiliser les termes « mineur dotéde la capacité de discernement » pour le mineur non émancipé.

Le terme « capable » est en effet utilisé à mauvais escient.

La capacité est « la compétenced'exercer ses droits et devoirs soi-même et de façon autonome » (article 491 nouveau Code civil rétabli par la loi du 17 mars 2013).

Un mineur n'est donc pas doté de la « capacité » juridique.

Bien qu'incapable, il peut par contre être doté d'une « faculté » — pleine et entière ou amoindrie — de discernement.

C'est cette faculté de discernement — et non pas la capacité — que les auteurs de la proposition de loi ont très certainement voulu appréhender.

Enfin, il y a lieu de se demander si c'est de manière délibérée que la proposition de loi supprime la condition distincte de « capacité » dans le premier tiret de l'article 3, § 1er, de la loi.

Que souhaitent les auteurs de la proposition de loi pour les incapables autres que les mineurs, étant entendu qu'il y a toujours lieu de tenir compte, à l'heure actuelle, des interdits judiciaires et des mineurs prolongés et qu'il y aura lieu de tenir compte, à l'avenir, des majeurs qui seront placés sous le régime de protection judiciaire organisé par la loi du 17 mars 2013 ?

L'article 492/1 § 1 nouveau du Code civil, qui énumère les actes en rapport avec la personne à propos desquels le juge de paix doit décider si la personne protégée conserve ou non sa capacité, ne fait pas état — et on peut le comprendre — de la capacité de la personne protégée au regard d'une demande d'euthanasie. Le juge de paix ne devra donc pas expressément se prononcer sur cette capacité, lorsqu'il placera une personne sous le nouveau régime de la protection judiciaire.

La même disposition légale prévoit au surplus qu'en l'absence d'indication dans l'ordonnance du juge de paix, la personne restera capable.

Il n'y aurait donc pas de contre-indication à maintenir dans la nouvelle loi qui serait adoptée la « capacité » comme une condition autonome et distincte pour solliciter une euthanasie.

Le maintien de cette condition permettra de continuer à considérer que les personnes actuellement placées sous le statut de l'interdiction judiciaire ou de la minorité prolongée ne pourront pas solliciter une euthanasie, et l'état psychique dans lequel se trouvent ces personnes est d'ailleurs incompatible avec une faculté de discernement suffisante.

Par contre, le maintien du terme « capable » n'aura pas d'incidence dans le cadre du nouveau régime instauré par la loi du 17 mars 2013, puisque les personnes placées sous ce statut resteront, en principe, capables de solliciter une euthanasie, sauf si le juge de paix en avait décidé autrement.

Il me paraît dès lors que le texte suivant serait le plus adéquat:

— « si le patient est majeur ou mineur émancipé, s'il est capable ou mineur doté d'une pleine faculté de discernement, et s'il est conscient au moment de la demande. »

Jean-Louis Renchon

Professeur à l'UCL et à l'Université Saint Louis

E. Texte « Euthanasie en menselijke kwetsbaarheid » du groupe de travail Metaforum de la KULeuven

Voir http://www.kuleuven.be/metaforum/page.php ?FILE=wg&LAN=N&ID=9.