5-2156/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

18 JUIN 2013


Proposition de résolution visant à encourager le don d'excédents alimentaires par une exemption de la TVA

(Déposée par Mme Cindy Franssen et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


D'après le Baromètre interfédéral de la pauvreté 2013, l'annuaire « Pauvreté en Belgique » 2013 et l'annuaire « Pauvreté et exclusion sociale » 2012, la pauvreté ne recule pas en Belgique. Aujourd'hui, 15,3 % des Belges ont un revenu inférieur au seuil européen de risque de pauvreté. Cela signifie qu'un Belge sur sept présente un risque accru de pauvreté. Ce phénomène concerne 9,8 % de la population flamande, 19,2 % de la population wallonne et 28,3 % de la population de la Région de Bruxelles-Capitale.

La pauvreté ne se limite toutefois pas au seul aspect financier, elle touche aussi d'autres domaines de la vie. Il s'agit dès lors d'un problème multidimensionnel, qui requiert une approche multidimensionnelle. « La pauvreté est un réseau d'exclusions sociales couvrant divers domaines de l'existence individuelle et collective. Il sépare les pauvres des modes de vie généralement acceptés de la société. C'est un fossé que ces personnes ne peuvent combler seules. » (1)

La pauvreté s'étend, entre autres, au domaine de la santé et de l'alimentation. Pauvreté et mauvaise santé vont de pair. Un statut socioéconomique inférieur entraîne des risques plus élevés pour la santé, comme le tabagisme ou une alimentation non équilibrée. En ce qui concerne spécifiquement l'alimentation, les ménages à faible revenu dépensent 27,5 % de moins par an en nourriture et en boisson que les ménages dont le revenu est supérieur au seuil de pauvreté. Les ménages à faible revenu rognent sur certaines dépenses, principalement le poisson, le pain, les légumes et les fruits (2) .

Les personnes en situation de pauvreté économisent sur la nourriture pour pouvoir payer d'autres frais importants, tels que le loyer et l'énergie. Le revenu de certains ménages vivant sous le seuil de pauvreté ne leur permet pas de boucler le mois pour leurs achats de nourriture et de boissons. Pour ces ménages, les banques alimentaires sont indispensables.

L'an dernier, plus de cent vingt mille personnes ont dû frapper à la porte d'une banque alimentaire, soit quatre mille cinq cents personnes de plus que l'année précédente. Il s'agit de la plus forte augmentation enregistrée depuis le début de la crise en 2008. À l'heure actuelle, le nombre de personnes dépendantes des banques alimentaires a déjà doublé par rapport à 1995.

Nous sommes confrontés non seulement au problème de la pauvreté, mais aussi à celui des pertes de denrées alimentaires. À l'échelle mondiale, la perte de denrées alimentaires propres à la consommation est estimée à un tiers de la production alimentaire totale, soit 1,3 milliard de tonnes de nourriture. Au sein de l'Union européenne, la perte totale de denrées alimentaires (propres à la consommation ou non) est estimée à environ 89 millions de tonnes. La part de la Belgique dans ce calcul est estimée à 3,6 millions de tonnes.

La perte de denrées alimentaires est aussi un problème environnemental qui ne dit pas son nom. L'impact de la production de denrées alimentaires sur l'environnement est lourd. La perte de denrées alimentaires implique aussi une perte des matières premières — qui se raréfient — utilisées pour produire ces denrées alimentaires, ce qui est à éviter autant que possible. L'on peut minimiser les postes de pertes, réintroduire des denrées alimentaires dans le système alimentaire ou retransformer les aliments.

Dans certains cas, les denrées alimentaires perdues peuvent être transformées en nourriture pour animaux ou être utilisées comme matière première pour l'économie bio, comme engrais ou comme source d'énergie. En pareil cas, les excédents alimentaires conservent une certaine valeur. La transformation des excédents alimentaires n'est toutefois pas toujours possible et les pertes alimentaires ont alors un impact négatif sur l'environnement.

Le rôle des banques alimentaires

Les banques alimentaires et autres organisations caritatives jouent un rôle capital dans la prévention de la pauvreté extrême et dans la lutte contre les pertes alimentaires. La redistribution des excédents alimentaires des grandes surfaces à des personnes en situation de pauvreté crée une situation dans laquelle toutes les parties sont gagnantes car elle permet de lutter à la fois contre la précarité alimentaire et contre le gaspillage alimentaire.

En outre, les banques alimentaires jouent un rôle non seulement au niveau de l'aide alimentaire, mais aussi au niveau socioéconomique. Certaines banques alimentaires emploient par exemple des personnes en situation de pauvreté ou leur proposent du travail à titre bénévole Un certain nombre d'organisations couplent l'aide alimentaire à des activités sociales et culturelles pour permettre aux personnes en situation de pauvreté de participer davantage à la société et d'élargir et renforcer ainsi leur réseau social. De cette manière, certaines banques alimentaires apportent, elles aussi, leur pierre à l'édifice de la lutte contre l'exclusion sociale.

Depuis 1987, l'Europe a mis en place un programme d'aide alimentaire pour les plus démunis, qui constitue l'une des principales sources d'approvisionnement des banques alimentaires européennes. Compte tenu de la diminution des excédents utilisables et de la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'interdire l'achat d'excédents alimentaires sur le marché privé, la Commission européenne a décidé de supprimer tous les achats de denrées alimentaires du budget alloué au programme alimentaire. Cette réduction drastique de l'aide européenne aux banques alimentaires hypothèque gravement le fonctionnement futur de ces dernières.

Comme la Commission européenne se voit contrainte de revoir à la baisse son aide aux banques alimentaires, c'est donc aux autres autorités qu'il incombe de soutenir davantage les banques alimentaires, vu leur importance dans la lutte contre la précarité alimentaire et contre les pertes alimentaires.

Initiatives de certaines autorités

En ces temps de difficultés économiques, les banques alimentaires et autres organisations caritatives sont plus sollicitées que jamais. Elles méritent donc d'être soutenues. Diverses initiatives ont déjà vu le jour aux quatre coins du pays.

Le 19 janvier 2012, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il appelle la Commission européenne à réduire de moitié le gaspillage des denrées alimentaires (3) . Le défi est de taille car la Commission européenne prévoit, à politique inchangée, une augmentation de 40 % du gaspillage alimentaire total d'ici 2020.

Dans le Plan fédéral de lutte contre la pauvreté 2012, le gouvernement fédéral s'engage, au travers de l'objectif opérationnel 5, à garantir les soins de santé préventifs en tenant compte d'une politique alimentaire. La secrétaire d'État à l'Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté mènera, notamment par l'intermédiaire des centres publics d'action sociale (CPAS), une campagne de sensibilisation et d'information sur le thème d'une alimentation saine et des avantages qui y sont liés. Elle poursuivra en outre les missions du premier Plan national Nutrition et Santé, avec une attention particulière pour l'impact des mesures sur les groupes socioéconomiques les plus faibles (4) .

Le gouvernement flamand a un paquet de vingt-cinq mesures, en cours ou en projet, visant à réduire les pertes alimentaires et à mieux valoriser les flux secondaires (5) . Par ce train de mesures, le gouvernement flamand adhère aux objectifs européens.

En 2010, le gouvernement wallon, Comeos (la Fédération belge du commerce et des services), Fevia (la Fédération de l'industrie alimentaire) et la Fédération des banques alimentaires ont signé un accord visant à réduire le gaspillage alimentaire et à augmenter les dons aux banques alimentaires. Le gouvernement wallon, COMEOS et FEVIA ont lancé une campagne de collecte d'excédents alimentaires.

Une approche intégrée et globale de la lutte contre la pauvreté implique des mesures structurelles. L'aide alimentaire répond à un besoin et une demande croissants et l'aide caritative — par exemple les banques alimentaires — est devenue indispensable.

TVA sur le don de denrées alimentaires

En faisant don de denrées alimentaires aux banques alimentaires, les grandes surfaces posent un acte important qui s'inscrit dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises. Les autorités doivent favoriserle don d'excédents alimentaires et ne doivent en tout cas certainement pas y faire obstacle. Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui. La législation actuelle est une entrave au don d'excédents alimentaires aux banques alimentaires.

Les grandes surfaces qui font don d'excédents alimentaires à une banque alimentaire ne peuvent pas récupérer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu'elles ont payée à l'achat de ces denrées. Le don de denrées alimentaires aux banques alimentaires est en effet assimilé à une livraison sur laquelle une TVA est due. En revanche, la TVA est récupérable si les excédents alimentaires sont détruits ou si ces denrées sont offertes à des organisations humanitaires extérieures à l'Union européenne.

Il n'est pas simple de trouver une solution au problème esquissé ci-dessus. Une initiative législative belge doit être conforme à la directive européenne sur la TVA. Dans une réponse à une question orale posée par M. Dallemagne (6) , le ministre des Finances a apporté des précisions à propos de cette limitation. La directive européenne sur la TVA n'autorise pas d'exempter de la TVA les dons de denrées aux banques alimentaires.

Ce n'est pas parce que le législateur européen impose un cadre limité au législateur national qu'aucune solution ne peut être trouvée. En réponse à une question écrite posée par Mme Franssen, le ministre des Finances a donné une piste de solution: une initiative législative n'est pas envisageable dans le cadre de la législation européenne actuelle, mais une directive administrative permettrait de contourner la difficulté.

Les auteurs souhaitent supprimer les obstacles au don de denrées alimentaires par les grandes surfaces. Une directive administrative pourrait adapter l'assujettissement à la TVA des dons de denrées alimentaires. Les auteurs entendent insister sur le fait qu'il convient d'exclure les produits alcoolisés, le tabac et les produits du tabac de cette mesure.

En raison de l'importance des dons de denrées alimentaires aux personnes en situation de pauvreté, les auteurs demandent au gouvernement de résoudre la problématique de l'assujettissement à la TVA des dons de denrées alimentaires.

Cindy FRANSSEN.
Dirk CLAES.
Sabine de BETHUNE.
Etienne SCHOUPPE.
Els VAN HOOF.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. vu la directive 2006/112/CE du Conseil de l'Union européenne, qui prévoit que lorsqu'un contribuable distribue gratuitement des excédents alimentaires à des personnes dans le besoin, cette opération est assimilée, aux fins de la TVA, à une livraison;;

B. vu la résolution du Parlement européen du 19 janvier 2012 visant à éviter le gaspillage des denrées alimentaires, qui préconise une réduction de moitié du gaspillage alimentaire dans l'Union européenne;

C. vu la décision de la Cour de justice de l'Union européenne, qui prévoit que, dans le cadre de la politique agricole européenne, seuls les biens en nature peuvent faire l'objet d'un don, ce qui réduit considérablement le budget que la Commission européenne peut allouer aux banques alimentaires;

D. vu l'objectif, fixé dans le cadre de la stratégie Europe 2020 visant à renforcer la cohésion sociale, qui consiste, d'ici 2020, à réduire de vingt millions le nombre de personnes victimes de la pauvreté dans l'Union européenne;

E. vu l'objectif, fixé dans le Plan fédéral de lutte contre la pauvreté 2012, qui est de faire sortir trois cent quatre-vingts mille personnes de la pauvreté en Belgique à l'horizon 2020, ainsi que l'objectif stratégique de garantir le droit à la santé;

F. considérant qu'en 2012, plus de cent vingt mille personnes ont eu recours aux banques alimentaires en Belgique;

G. considérant que les banques alimentaires et autres organisations caritatives ont un rôle important à jouer dans la prévention de la pauvreté extrême et dans la lutte contre les pertes alimentaires;

H. considérant que la crise économique et financière et la hausse des prix des denrées alimentaires menacent de plus en plus de personnes de précarité alimentaire;

I. considérant que la Commission européenne prévoit, à politique inchangée, une augmentation de 40 % du gaspillage alimentaire total;

J. considérant que la réduction du gaspillage alimentaire constitue une première étape importante dans la lutte contre la faim dans le monde;

K. considérant que le gaspillage alimentaire pose aussi problème sur le plan environnemental, étant donné l'impact considérable de la production alimentaire sur l'environnement, dès lors que la perte alimentaire correspond à la perte des matières premières — qui se raréfient — utilisées pour produire les aliments;

L. considérant qu'en Belgique, les différentes autorités régionales développent des initiatives pour sensibiliser l'opinion publique aux causes et effets du gaspillage alimentaire et aux manières de lutter contre ce gaspillage,

Demande au gouvernement d'étudier les directives administratives envisageables pour encourager le don d'excédents alimentaires, y compris au niveau de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

11 juin 2013.

Cindy FRANSSEN.
Dirk CLAES.
Sabine de BETHUNE.
Etienne SCHOUPPE.
Els VAN HOOF.

(1) Jan Vranken e.a., Pauvreté et exclusion sociale. Annuaire Pauvreté en Belgique 1994-2011.

(2) http://www.luttepauvrete.be/chiffres_budget.htm.

(3) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do ?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P7-TA-2012-0014+0+DOC+PDF+V0//FR.

(4) Plan fédéral de Lutte contre la pauvreté 2012, p. 43.

(5) http://lv.vlaanderen.be/nlapps/data/docattachments/synthesedocument.pdf.

(6) http://www.lachambre.be/PCRI/PDF/53/ip119.pdf.