5-2003/1

5-2003/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

6 MARS 2013


Proposition de loi visant à renforcer la protection du consommateur dans le cadre d'un recouvrement amiable des dettes

(Déposée par M. Gérard Deprez et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


De la protection du consommateur

L'objectif de la loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable des dettes du consommateur était d'éviter que la dette ne soit alourdie par des frais de recouvrement autres que ceux prévus par le contrat sous-jacent et ne fragilise encore plus les ménages débiteurs, en défaut de paiement.

Depuis la crise de 2008, on constate en effet une augmentation du nombre de créances impayées. Les ménages en défaut de paiement ne doivent cependant pas être systématiquement considérés comme « mauvais payeurs » mais plutôt comme faisant face à une situation de surendettement structurelle.

Dans le cadre du recouvrement amiable, ce surendettement peut être aggravé par certaines pratiques abusives de la part de quelques études d'huissiers de justice.

Par la présente proposition, les auteurs souhaitent mieux protéger le consommateur et également répondre à la demande formulée par la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ). En effet, la Chambre constate que: « les pratiques illégales causent beaucoup de préjudices à la profession qui est déjà clouée au pilori (1) . » Cependant, « les pratiques illégales dénoncées ne sont le fait que de très peu d'études », précise Eric Choquet, vice-président de la CNHJ.

Du statut de l'huissier de justice

L'huissier de justice est officier ministériel et public qui exerce sa fonction sous statut de profession libérale. Autrement dit, il possède une identité professionnelle double: d'une part, il est un fonctionnaire public (le législateur lui a ainsi dévolu certaines compétences exclusives, comme la signification d'actes) (2) ; d'autre part, il exerce sa fonction de manière indépendante. En effet, on peut classer les domaines d'intervention de l'huissier de justice en deux grandes catégories: les interventions dites « judiciaires » et les interventions dites « extrajudiciaires » qui regroupent l'ensemble des missions qu'il est en mesure d'exercer en dehors d'une procédure judiciaire (recouvrement amiable de créances, constat, annonce d'un préavis, ...). L'huissier de justice est à la disposition des autorités, des particuliers et des entreprises. En tant que titulaire d'une profession libérale, il doit agir de manière indépendante et impartiale. L'huissier n'intervient d'ailleurs jamais de sa propre initiative mais toujours à la requête de quelqu'un qui lui a confié une mission formelle.

L'ensemble des huissiers de justice du pays (environ cinq cent cinquante) sont membres de la Chambre nationale des huissiers de justice. Cette chambre fut créée en 1963 pour uniformiser les méthodes de travail, la tarification, la déontologie et les procédures disciplinaires au sein de la profession.

Au chef-lieu de chaque arrondissement judiciaire se trouve le siège de la chambre d'arrondissement des huissiers de justice, qui est composée de tous les huissiers de justice de l'arrondissement concerné et qui possède la personnalité juridique. En Belgique, il existe vingt-six chambres d'arrondissement. La compétence territoriale de l'huissier de justice est donc limitée car il doit exercer son ministère dans l'arrondissement judiciaire qui a été déterminé dans son arrêté royal de nomination (3) .

Du développement de l'activité commerciale des huissiers de justice

Tout comme les avocats et les bureaux de recouvrement, les huissiers de justice peuvent également procéder au recouvrement amiable de sommes dues en dehors de toute procédure judiciaire. Dans ce cadre, ils n'agissent pas en leur qualité d'officier ministériel et public mais uniquement à titre privé en tant que mandataire de leur client.

Selon l'Association des bureaux de recouvrement (ABR), le marché du recouvrement de créances belge est estimé à plus de cinq millions de créances par an (4) .

De 2006 à fin 2012, la part des recouvrements assurés par les huissiers est passée de ± 20 % à plus de 50 %. Cette augmentation de leur activité commerciale se traduit d'ailleurs par une nette progression des marges brutes annoncées dans les comptes annuels des principales études d'huissiers. Ces marges dépassent très largement les chiffres réalisés par leurs activités traditionnelles. Certains bureaux sont constitués comme de véritables entreprises, regroupant parfois plus de quatre-vingt-cinq personnes employées en équivalent temps plein et réalisant des marges brutes de plus de 4 millions d'euros pour 2011 (5) .

De l'esprit de la loi du 20 décembre 2002 et son application aux huissiers de justice

La loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable de dettes du consommateur avait pour objectif: « de mettre un terme à l'effet boule de neige selon lequel la dette principale est constamment alourdie par les frais de procédure et par la multiplication des interventions auprès des personnes qui ne peuvent pas rembourser, la créance peut parfois atteindre trois à quatre fois la dette initiale. » (6)

L'activité de recouvrement amiable est régie par les articles 4 à 7 qui prévoient notamment l'interdiction de réclamer au consommateur une quelconque indemnité autre que les montants convenus dans le contrat. Sont également interdits, tout comportement ou pratique qui porte atteinte à la vie privée du consommateur ou est susceptible de l'induire en erreur, ainsi que tout comportement ou pratique qui porte atteinte à sa dignité humaine.

Ces mesures prises dans le cadre du plan fédéral de lutte contre la pauvreté approuvé par le Conseil des ministres du 4 juillet 2008, sont plus que jamais d'actualité.

Cependant, alors qu'à l'origine le texte de la proposition de loi visait toutes les personnes qui pratiquent l'activité de recouvrement, une limitation importante a été apportée lors des travaux parlementaires: le recouvrement de dettes effectué par un avocat ou un officier ministériel ou un mandataire de justice dans l'exercice de sa profession ou de sa fonction a été exclu de la définition. De ce fait, l'activité de recouvrement ne visait plus en réalité que les bureaux de recouvrement. Les huissiers de justice et les avocats, exclus de la définition d'activité de recouvrement, n'étaient donc plus concernés par cette première mouture de la loi.

Or pour un recouvrement extrajudiciaire, les huissiers n'agissent pas en qualité d'officier judiciaire, mais en qualité de mandataire du créancier. Dans ce cadre, il ne devrait y avoir aucune différence entre un bureau de recouvrement, un huissier de justice ou un avocat. Il n'y avait donc aucune raison d'inscrire cette limitation dans la loi. De plus, cette exclusion a entraîné des abus importants: en règle générale, un consommateur est bien plus intimidé par un courrier émanant d'un huissier de justice, d'autant que le plus souvent il ne sait pas s'il s'agit d'une procédure judiciaire ou extrajudiciaire.

Par ailleurs, on peut parler d'une forme de concurrence déloyale entre, d'une part, les bureaux de recouvrement qui ont l'obligation de respecter un cadre légal strict et, d'autre part, les huissiers qui continueraient d'appliquer dans le cadre du recouvrement amiable les barèmes prévus pour la procédure judiciaire et fixés par arrêté royal (7) . Les huissiers ont donc continué à comptabiliser à charge du débiteur des frais de sommation, des frais de port, des frais de renseignement, des droits de recette ainsi que de frais de dossiers et des frais de débours.

De la correction apportée par la loi du 27 mars 2009

Face à cette ambiguïté, la loi de relance économique du 27 mars 2009 a modifié certaines dispositions de la loi du 20 décembre 2002 afin de la rendre applicable à toute activité de recouvrement amiable, qu'elle soit le fait d'une société de recouvrement, d'un huissier de justice, d'un avocat ou d'un mandataire de justice au sens large. Désormais, jusqu'à la citation en justice, aucun acteur du recouvrement amiable ne peut plus réclamer au consommateur des droits ou des frais autres que ceux prévus expressément dans le contrat sous-jacent.

Malgré cette dernière modification, les constats de terrain révèlent que la loi sur le recouvrement amiable n'est pas suffisamment efficace pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur. En effet, si elle détermine un cadre clair pour l'ensemble des acteurs du recouvrement, elle laisse cependant un énorme vide: le contrôle des huissiers de justice et les sanctions à leur encontre sont totalement insuffisants voire inexistants.

Des pratiques abusives: les constats de terrain

On aurait pu penser que l'intervention d'un agent ministériel dans la procédure de recouvrement serait une garantie que les sommes réclamées dans le cadre d'un recouvrement amiable soient bien justifiées, fondées et légitimes. Malheureusement, au vu des constats de terrain, ce n'est pas toujours le cas. Ces constats sont collectés pour l'essentiel dans le rapport publié en octobre 2012 par le Centre d'appui aux services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale (8) , mais également dans des documents de justice faisant état de condamnations et de courriers envoyés par la direction générale du Contrôle et de la Médiation (DGCM) du SPF Économie au président de la Chambre nationale des huissiers de justice.

1º Les mises en demeure ne respectent pas toujours le prescrit de la loi:

En vertu de l'article 6, § 1er: « Tout recouvrement amiable d'une dette doit commencer par une mise en demeure écrite, adressée au consommateur. Cette mise en demeure doit contenir de manière complète et non équivoque toutes les données relatives à la créance. »; § 2: « Dans cette mise en demeure apparaissent au moins les données suivantes: 1 l'identité, l'adresse, le numéro de téléphone et la qualité du créancier originaire; ». Ces dispositions ont pour but de ne pas priver le consommateur du lien qu'il a avec le créancier originaire. Même si le créancier décide de confier le recouvrement amiable à un tiers, « il reste juridiquement l'interlocuteur privilégié du débiteur » (9) . Mais dans la pratique, certains huissiers omettent systématiquement de mettre le numéro de téléphone du créancier originaire dans le but de priver le consommateur de la possibilité de prendre contact avec le créancier, notamment en cas de contestation ou de question relative à la facture d'origine. Il ne s'agit pas d'un oubli occasionnel mais d'une pratique récurrente de certaines études.

En vertu de l'article 6, § 2, 6 « dans le cas où le recouvrement est effectué par un avocat, un officier ministériel ou un mandataire de justice, le texte suivant figurera dans un alinéa séparé, en caractères gras et dans un autre type de caractère: « Cette lettre concerne un recouvrement amiable et non un recouvrement judiciaire (assignation au tribunal ou saisie) » ». Cette disposition, ajoutée lors de la dernière modification de la loi en 2009, a pour but d'éviter que le consommateur ne soit amené à penser que l'huissier intervient dans le cadre d'un recouvrement judiciaire et ainsi éviter toute confusion. Dans la pratique, il arrive, bien que plus rarement, que cette mention ne figure pas sur les courriers de mise en demeure. Or, les consommateurs peu avertis font rarement la différence entre le recouvrement amiable et le recouvrement judiciaire.

2º La teneur des courriers est susceptible d'induire le consommateur en erreur ou comprend des menaces juridiques inexactes:

En vertu de l'article 3, § 1er: « En matière de recouvrement amiable de dettes est interdit tout comportement ou pratique qui porte atteinte à la vie privée du consommateur ou est susceptible de l'induire en erreur, ainsi que tout comportement ou pratique qui porte atteinte à sa dignité humaine. »; § 2: « Sont notamment interdits: — tout écrit ou comportement qui tend à créer une confusion quant à la qualité de la personne dont il émane, comme notamment l'écrit qui donnerait faussement l'impression qu'il s'agit d'un document émanant d'une autorité judiciaire, d'un officier ministériel ou d'un avocat; — toute communication comportant des menaces juridiques inexactes, ou des informations erronées sur les conséquences du défaut de paiement; ... »

Dans la pratique, on constate que les courriers de certaines études sont de nature à induire le consommateur en erreur. En effet, certains huissiers ne justifient pas les frais qu'ils comptabilisent et se contentent de mentionner: « Les éventuels frais de recouvrement amiable repris au présent décompte, le sont conformément à l'article 5 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur. » Bien que cette mention ne soit pas juridiquement inexacte (puisque l'huissier se contente d'affirmer qu'il applique l'article 5 de la loi qui lui interdit de réclamer une quelconque indemnité, autre que les montants convenus dans le contrat sous-jacent), elle est néanmoins de nature à induire le consommateur en erreur en lui faisant croire que les frais réclamés sont fixés par la loi et ne peuvent être contestés, ce qui est une violation caractérisé de l'article 3.

Certaines études indiquent dans leur courrier la mention suivante: « Le solde figurant dans le décompte ci-dessus doit m'être versé dès réception de la présente. À défaut mon client m'a donné pour instruction de poursuivre le recouvrement par voie judiciaire. En application de l'arrêté royal du 30 novembre1976 fixant le tarif des actes accomplis par les huissiers de justice, les frais qui s'en suivront pourraient légalement être mis à votre charge. »

Malgré l'usage du conditionnel, cette phrase est menaçante et laisse croire au consommateur qu'en vertu de la loi, des frais supplémentaires seront à sa charge s'il ne paye pas. Or, cette information est erronée puisqu'on ne peut pas prévoir l'issue du procès et que les frais et dépenses d'une éventuelle action en justice ne seront à charge du consommateur que s'il succombe.

3º Certains huissiers ne justifient pas les montants qu'ils réclament au débiteur:

L'article 6, § 2, 3º et 4º dispose que la mise en demeure doit contenir une description et une justification claires des montants réclamés au débiteur, en ce compris les dommages-intérêts et les intérêts moratoires réclamés.

Lorsqu'un acteur du recouvrement amiable réclame des frais liés au contrat sous-jacent, il doit préciser dans la lettre de mise en demeure les dispositions légales ou contractuelles précises qui justifient les montants réclamés. En cas de contestation, il devra également transmettre au débiteur une copie des pièces justificatives (copie du contrat ou des conditions générales).

Dans la pratique on constate que certains huissiers ne justifient pas les frais comptabilisés, leurs courriers ne contiennent aucune information précise. D'autres études émettent des lettres de mise en demeure contenant toutes la même mention type: « Les éventuels frais de recouvrement amiable repris au présent décompte, le sont conformément à l'article de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur. » Cette formule générale apposée par l'huissier dans ses courriers ne constitue en aucun cas une justification conforme à l'esprit de la loi.

Il est parfois très difficile d'obtenir les documents justificatifs. Malgré des contestations fondées et légitimes du débiteur, l'huissier ne transmet pas toujours la copie de la facture litigeuse et continue à réclamer des montants qui ne sont pas légitimes.

Il arrive également que certains huissiers justifient des frais comptabilisés mais qu'après examen, il s'avère que la justification n'est pas fondée. C'est le cas de certains huissiers qui invoquent des conditions générales qui ne sont ni datées, ni signées et dont le débiteur n'a pas eu connaissance. D'autres se réfèrent à des conditions générales actuelles mais qui ne sont pas applicables car elles sont postérieures à la naissance du contrat. Or l'huissier de justice à l'obligation de veiller à se faire remettre les conditions générales applicables au moment de la naissance des droits et des obligations dans les chefs des parties en présence.

4º Certains huissiers réclament des montants au débiteur qui ne sont pas prévus par le contrat ou par la loi:

En vertu de l'article 3, § 2, en matière de recouvrement amiable de dette, il est interdit d'encaisser des montants non prévus ou non légalement autorisés.

Il en découle que la personne chargée de la récupération a la responsabilité de s'assurer que les montants qu'elle va réclamer et encaisser pour le compte du créancier sont prévus par un contrat ou justifié par une disposition légale. Il s'agit d'un rôle actif qui lui est assigné. S'il s'avère que l'huissier de justice a perçu des montants qui n'étaient pas dus, il sera le seul sanctionné et sera tenu de rembourser ces montants au débiteur.

« Par « montants non légalement autorisés », on entend par exemple les montants qui dépassent les montants maximums légalement autorisés dans la loi relative au crédit à consommation ou les montants qui sont demandés en infraction aux dispositions de la loi sur les pratiques du commerce. » (10)

En plus d'être prévus et légalement autorisés, ces montants doivent avoir été clairement chiffrés. « Par exemple si dans le contrat-sous-jacent, il est uniquement question de frais de recouvrement sans les préciser, ces frais ne peuvent pas être demandés. » (11) « ... les indemnités doivent être décrites avec une précision telle dans le contrat sous-jacent qu'elles sont déterminées ou déterminables à la simple lecture du contrat. » (12)

Alors que la loi impose un contrôle sur la légalité et la régularité des montants réclamés, en pratique, ce contrôle n'est pas toujours effectué. Bien que l'huissier sera tenu de rembourser au débiteur les montants perçus qui n'étaient pas dus, peu de citoyens sont suffisamment vigilants et la plupart payent rapidement la créance par peur de l'effet boule de neige.

5º Il arrive que l'huissier de justice invoque les conditions générales de vente de son mandant pour justifier l'encaissement de ses frais de recouvrement.

Conformément à l'article 5: « II est interdit de demander au consommateur une quelconque indemnité, autre que les montants convenus dans le contrat sous-jacent en cas de non-respect des obligations contractuelles. »

Le ratio legis de ce texte est d'éviter que le consommateur ne doive rétribuer la personne qui assiste le créancier dans l'opération de recouvrement amiable. C'est le créancier qui a choisi de faire appel à un huissier pour se charger des récupérer ses créances impayées. C'est donc le créancier et non le consommateur qui doit rétribuer l'huissier. Par contre, les montants convenus dans le contrat à savoir la clause pénale, les intérêts conventionnels et les frais de mise en demeure effectués par le créancier pourront bien entendu être réclamés au débiteur.

Mais depuis 2009, de nombreux créanciers ont modifié leurs conditions générales de vente afin de contourner l'interdiction de principe de la loi. Ces nouvelles conditions prévoient que le consommateur sera en cas de défaut de paiement redevable d'un montant forfaitaire et d'intérêts à un taux supérieur au taux légal, et également de tous les frais de recouvrement liés à l'intervention de l'huissier de justice.

Dans la plupart des cas, ces conditions générales de vente sont contraires à la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur du 6 avril 2010. En effet, l'article 74 de la loi sur les pratiques de marché énumère trente-trois clauses abusives. C'est le cas lorsque la clause pénale ne respecte pas la condition de réciprocité (13) ou qu'elle est manifestement disproportionnée (14) .

L'article 75, § 1er, stipule que: « Toute clause abusive est interdite et nulle. » Cependant, dans la pratique, même lorsqu'une clause est manifestement abusive, voire nulle de plein droit, il est extrêmement difficile pour le débiteur d'obtenir gain de cause à l'amiable.

Le seul recours du débiteur est actuellement d'entamer une procédure judiciaire pour obtenir, soit l'annulation sur base de la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, soit une réduction des majorations qui excèdent le dommage réellement subi par le créancier, sur base de l'article 1231 du Code civil (15) .

6º Certains huissiers assignent trop rapidement les consommateurs en justice:

Dans la pratique, on remarque que certains huissiers refusent d'envoyer un décompte aux services de médiation de dettes, ce qui rend impossible toute proposition de paiement qui permettrait d'éviter une procédure judiciaire ou d'autres actes inutiles en cours de procédure.

Dans certains dossiers, l'huissier de justice ne donnera son accord pour un plan de paiement qu'après avoir exposé des frais de procédure supplémentaires ou inversement, exposera des frais alors qu'un plan de paiement a été accepté et respecté par le débiteur. L'huissier et son mandant privilégient de la sorte la voie judiciaire qui est beaucoup plus onéreuse alors qu'un plan de paiement à l'amiable est ou pourrait être proposé. Cette pratique engendre des revenus supplémentaires pour l'huissier mais implique des coûts directs et indirects pour le créancier et pour le consommateur. Celle-ci est pourtant totalement contraire à la déontologie des huissiers de justice puisque qu'il est tenu de choisir la possibilité de recouvrement la moins onéreuse pour le consommateur et d'éviter d'entamer une procédure judiciaire dont les coûts seraient disproportionnés par rapport aux montants en jeu.

En refusant toute négociation à l'amiable alors que le risque de prescription n'existe pas et que le plan de paiement proposé est raisonnable, l'huissier de justice commet un abus de droit et engage sa responsabilité professionnelle. Surtout si par la suite, il finit par accorder aux débiteurs des termes et délais. En effet, l'article 866 du Code Judiciaire stipule que: « Les procédures et les actes nuls ou frustratoires par le fait d'un officier ministériel sont à la charge de cet officier; celui-ci peut en outre, être condamné aux dommages et intérêts de la partie. »

7º Certains huissiers pratiques le système « No cure no pay »:

Lorsqu'un créancier lance un marché public pour récupérer des créances impayées, il espère récupérer le plus d'argent possible et payer le moins possible au recouvreur. De plus en plus d'huissiers répondent à ces appels d'offre et proposent un « package » comprenant le recouvrement amiable et judiciaire via le système « no cure no pay ». Par ce système, l'huissier garantit que les frais de justice ne seront pas à charge du commanditaire mais exige en contrepartie un pourcentage sur la récupération de la créance — tous frais supplémentaires étant à sa charge. Or, cette pratique est interdite. En effet, l'huissier ne peut renoncer à ses frais de justice, même si la créance s'avère irrécouvrable: d'une part parce que ces frais sont fixés par arrêté royal (16) , d'autre part parce que l'huissier est tenu d'agir de manière indépendante et impartiale.

D'après Anne Defossez, directrice du Centre d'appui aux services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles (GREPA): « L'huissier ne peut plus être un agent commercial en phase judiciaire. Toutes les règles du Code judiciaire ont été créées pour lui éviter un conflit d'intérêts. Il ne peut ainsi jamais faire de remise de frais, car il est simple exécutant, un garant impartial de la justice. Intéressé dans le recouvrement, l'huissier peut ainsi être tenté d'aller en justice pour ajouter des frais supplémentaires, à charge non pas du créancier qui s'est protégé de ces frais, mais de la personne poursuivie. »

L'illégalité de ce système « no cure no pay » en procédure judiciaire vient d'être rappelée par la Chambre nationale des huissiers de justice dans une circulaire datant de janvier 2013. Pourtant, il semble qu'un certain nombre d'huissiers continuent de répondre à ces marchés publics via un système « no cure no pay ».

Du renforcement du contrôle et des sanctions applicables aux huissiers de justice afin de faire cesser les pratiques abusives:

Contrairement aux bureaux de recouvrement, les avocats, les officiers ministériels et les mandataires de justice dans l'exercice de leur profession ou de leur fonction échappent au contrôle et aux sanctions de la direction générale du Contrôle et de la Médiation (DGCM) du SPF Économie. De telle sorte que si le recouvrement amiable se fait à l'intervention d'un avocat ou d'un huissier de justice en contradiction avec ces dispositions légales, les plaintes doivent être adressées à l'Ordre des avocats ou à la Chambre nationale des huissiers de justice, ces professions étant soumises à des règles déontologiques propres.

Conformément à l'article 2, § 2, de la loi du 20 décembre 2002 qui stipule que: « Les articles 4, 8 à 13 et 16 ne sont pas applicables au recouvrement amiable de dettes effectué par un avocat ou un officier ministériel ou un mandataire de justice dans l'exercice de sa profession ou de sa fonction. »; la recherche et la constatation d'infractions commises par les huissiers de justice ou les avocats ne font pas partie des compétences de la DGCM qui ne peut intervenir qu'à l'encontre des bureaux de recouvrement. Les constats sont pourtant unanimes des services de médiation de dettes et conduisent à considérer que le contrôle déontologique est insuffisant et surtout inefficace (17) .

L'article 542 du Code judiciaire stipule que: « Le conseil de la chambre d'arrondissement est chargé: 1º de veiller au maintien de l'ordre et de la discipline parmi les huissiers de justice de l'arrondissement, et à l'exécution des lois et règlements les concernant;

2º d'appliquer les peines de discipline qui sont de sa compétence, et de dénoncer au procureur du Roi les faits qui, à son avis, pourraient donner lieu à des peines de discipline excédant la compétence du conseil;

3º d'examiner les plaintes qui lui sont soumises au sujet de la taxe de tous frais et dépens réclamés par des huissiers de justice et d'ordonner le remboursement de tous frais ou dépenses injustement perçus;

4º de donner son avis toutes les fois qu'il en sera requis par les cours et tribunaux, ou par le procureur du Roi, notamment au sujet de tous différends qui peuvent s'élever, soit entre huissiers de justice, soit entre ceux-ci et leurs mandants, ou de toutes plaintes ou réclamations concernant des fautes ou négligences dans l'exercice de leurs fonctions; »

Les huissiers de justice sont donc certes soumis aux procédures disciplinaires de leur chambre d'arrondissement, mais cela n'empêche pas que certains d'entre eux continuent de commettre des abus dans l'exercice de leur activité de recouvrement amiable de dettes.

Cela s'explique pour deux raisons: premièrement, l'esprit de corps s'oppose au contrôle des pratiques du voisin; deuxièmement, les plaintes adressées aux chambres d'arrondissement sont traitées de manière confidentielle et le plaignant n'a pas accès à la procédure. Enfin, les directives de la Chambre nationale des huissiers de justice ne sont pas respectées et les sanctions disciplinaires prévues dans le Code Judiciaire sont de nature purement symbolique.

En effet, l'article 531 du Code Judiciaire stipule que: « Le conseil de la chambre d'arrondissement peut infliger les peines disciplinaires suivantes: 1º à l'huissier de justice titulaire: a) le rappel à l'ordre; b) la censure simple; c) la censure avec réprimande par le syndic, devant le conseil de la chambre d'arrondissement; d) l'interdiction de l'entrée au conseil de la chambre d'arrondissement et au conseil permanent de la Chambre nationale pendant une durée de trois ans au plus, la première fois, et de six ans au plus en cas de récidive; »

Ces sanctions symboliques n'ont donc aucun effet dissuasif sur les pratiques abusives de certaines études d'huissier de justice. La seule manière pour un consommateur de faire valoir ses droits contre un huissier qui ne respecterait pas le prescrit légal, est donc d'exercer un recours devant les juridictions compétentes. Or, chacun sait que l'accès à la justice est éprouvant, notamment à cause de son cout. Ainsi, lorsque l'enjeu financier est peu élevé, l'idée d'entamer une procédure est souvent écartée.

La Chambre nationale des huissiers de justice plaide elle-même pour un renforcement des règles du droit disciplinaire: « les pratiques abusives doivent être sanctionnées et les règles déontologiques de l'huissier de justice en la matière devraient être affinées et précisées afin de permettre à ses autorités disciplinaires de sanctionner certaines pratiques (18) . »

De l'objectif de la présente proposition de loi: vers une meilleure protection du consommateur

La présente proposition de loi a pour objectif de renforcer les contrôles et les sanctions applicables aux huissiers de justice afin de faire cesser les pratiques abusives.

Premièrement, il conviendrait de renforcer les règles du droit disciplinaire prévues à l'article 531 du Code judiciaire afin de permettre aux Chambres d'arrondissement des huissiers de justice de sanctionner efficacement les pratiques abusives de certains de leurs membres.

En effet, au-delà des peines de discipline prévues à l'article 531, la Chambre d'arrondissement ne peut que dénoncer au procureur du Roi les faits qui, selon elle, nécessitent des peines plus lourdes.

De nombreux Pro Justitia de dénonciation ont déjà été transmis par les chambres et la DGCM du SPF Économie aux parquets compétents à l'encontre de certains huissiers. Mais, force est de constater que les parquets ne peuvent pas en faire une priorité.

Les auteurs de la présente proposition souhaitent donc octroyer aux conseils des chambres d'arrondissement la possibilité d'infliger une peine de suspension pour une durée de un à trois mois. Cette nouvelle sanction disciplinaire permettrait aux chambres d'écarter temporairement l'huissier de justice inculpé en attendant que le tribunal de première instance puisse se charger de l'affaire et prononcer, si besoin, une peine plus lourde à son encontre.

Deuxièmement, l'huissier de justice et les avocats — lorsqu'ils agissent dans le cadre d'un recouvrement amiable — devraient avoir les mêmes contraintes que celles imposées aux bureaux de recouvrement.

Les auteurs souhaitent donc soumettre les huissiers de justice et les avocats au contrôle indépendant de la DGCM du SPF Économie.

Pour faire face à tous ces constats d'abus, un service de gestion des plaintes portant sur les actes posés par les huissiers et les avocats à l'égard des consommateurs doit être crée.

Les auteurs proposent donc de supprimer l'article 2, § 2, de la loi sur le recouvrement amiable qui stipule que: « Les articles 4, 8 à 13 et 16 ne sont pas applicables au recouvrement amiable de dettes effectué par un avocat ou un officier ministériel ou un mandataire de justice dans l'exercice de sa profession ou de sa fonction. »

La suppression de cette exception aura pour effet d'accroître l'efficacité des contrôles et la transparence de la réglementation. Ainsi les huissiers et les avocats auront, comme tous autres acteurs du recouvrement amiable, l'obligation de s'inscrire au préalable auprès du ministère des Affaires économiques, l'obligation de disposer de garanties suffisantes, l'interdiction de faire de la publicité et seront soumis aux contrôles et aux sanctions de la DGCM du SPF Économie.

Par ailleurs, les auteurs souhaitent la présence au sein de la DGCM du SPF Économie de représentants émanant d'une part de l'Ordre des avocats et d'autre part, du syndic de la Chambre d'Arrondissement des huissiers. Cette précaution permettra aux contrôleurs d'agir tant sur le volet amiable que sur le volet juridique- protégé par le secret professionnel. Le passage entre ces deux volets est en effet très étroit.

En cas d'abus, le consommateur aura dès lors de véritables outils de protection mis à sa disposition.

Gérard DEPREZ.
Jacques BROTCHI.
Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 531 du Code judiciaire, remplacé par la loi du 6 avril 1992, les modifications suivantes sont apportées:

A) l'alinéa 1er, 1º est complété par le point e) rédigé comme suit:

« e) la suspension pour une durée de un à trois mois »;

B) à l'alinéa 1er, 2º les mots « 1, a, b ou c » sont remplaces par les mots « 1, a, b, c ou e ».

Art. 3

L'article 532 du même Code est remplacé par ce qui suit:

« Art. 532. Toutes suspensions de plus de trois mois, destitutions et condamnations d'amendes sont prononcées contre les huissiers de justice par le tribunal de première instance de leur résidence, à la diligence du procureur du Roi. La durée de la peine de suspension ne peut excéder un an. Ces jugements sont susceptibles d'appel. »

Art. 4

Dans l'article 2 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur, modifié par la loi du 6 avril 2009, le § 2 est remplacé par ce qui suit:

« § 2. Les articles 4, 8 à 13 et 16 de la présente loi sont applicables au recouvrement amiable de dettes pratiqué par un avocat ou un officier ministériel ou un mandataire de justice. »

6 février 2013.

Gérard DEPREZ.
Jacques BROTCHI.
Christine DEFRAIGNE.

(1) Propos d'Eric Choquet, vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice repris par Olivier Bailly dans l'article du Vif l'express du 31 janvier 2013, intitulé: « Ces huissiers spécialisés dans le business des dettes ».

(2) Article 516 du Code judiciaire: « Sauf dispositions légales contraires, seuls les huissiers de justice sont compétents pour dresser et signifier tous exploits et mettre à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire. »

(3) Article 513 du Code judiciaire: « L'arrondissement judiciaire dans lequel l'huissier de justice instrumentera et sera tenu d'établir son étude est déterminé par l'arrêté royal de nomination. L'huissier de justice ne peut avoir qu'une étude qui sera établie dans la commune désignée par le ministre de la Justice. Cette désignation peut être modifiée à la requête de l'intéressé. L'huissier de justice ne peut instrumenter que dans l'arrondissement judiciaire déterminé par l'arrêté royal de nomination. »

(4) Chiffres obtenus par extrapolation faite par l'Association sur base des dossiers détenus par les membres de l'ABR et des données relatives aux défauts de paiement en matière de crédit à la consommation de la Banque nationale. Les dérives de la loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable de dettes des consommateurs: Le recouvrement par les huissiers de justice, ASBL Centre d'appui — Médiation de dettes, Anne Defossez, Sylvie Moreau, avec la collaboration des services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale, octobre 2012. pg 3.

(5) Comptes annuels déposés auprès de la Banque Centrale, Les dérives de la loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable de dettes des consommateurs: Le recouvrement par les huissiers de justice, op cit. Annexe 1.

(6) Communiqué de presse du Conseil des ministres du 29 janvier 2009.

(7) Arrêté royal du 30 novembre 1976.

(8) Les dérives de la loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable de dettes des consommateurs: Le recouvrement par les huissiers de justice, ASBL Centre d'appui — Médiation de dettes, Anne Defossez, Sylvie Moreau, avec la collaboration des services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale, octobre 2012.

(9) Travaux préparatoires de la loi du 20 décembre 2002, Sénat 2-1061/5, page 7.

(10) Site Internet du SPF Économie: http://economie.fgov.be/fr/consommateurs/Endettement_recouvrement_dettes/Recouvrement_dettes/Verboden_invordering/.

(11) Ibidem.

(12) Ibidem.

(13) Loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur du 6 avril 2010, article 74, 24; « fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution des obligations du consommateur qui dépassent manifestement l'étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise. »

(14) Article 74, 17: « Dans les contrats conclus entre une entreprise et un consommateur, sont en tout cas abusives, les clauses et conditions ou les combinaisons de clauses et conditions qui ont pour objet de: déterminer le montant de l'indemnité due par le consommateur qui n'exécute pas ses obligations, sans prévoir une indemnité du même ordre à charge de l'entreprise qui n'exécute pas les siennes. »

(15) Article 1231, § 1er, du Code civil: Le juge peut, d'office ou à la demande du débiteur, réduire la peine qui consiste dans le paiement d'une somme déterminée lorsque cette somme excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résultant de l'inexécution de la convention.

(16) Arrêté royal du 30 novembre 1976 fixant les tarifs des actes d'huissiers.

(17) Les dérives de la loi du 20 décembre 2002 sur le recouvrement amiable de dettes des consommateurs: Le recouvrement par les huissiers de justice, op cit. p. 17.

(18) Le rôle économique et social de l'huissier de justice, L. Chabot, Ed. Story-Scientia, p. 35.