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M. Armand De Decker (MR). - Monsieur le ministre, le gynécologue Denis Mukwege s'est réfugié en Belgique le 25 octobre, après avoir fait l'objet d'une tentative d'assassinat. Le 14 janvier, il est retourné à Bukavu.
Nous connaissons tous la personnalité exceptionnelle du docteur Mukwege. Il fut cité plusieurs fois pour le prix Nobel. Il est lauréat du Prix Roi Baudouin pour le développement. Nous savons l'oeuvre extraordinaire qui est la sienne dans les deux Kivu et surtout à l'hôpital de Panzi, qu'il dirige, et où vous vous êtes d'ailleurs rendu. Lors de votre visite, vous avez manifesté une profonde émotion face au spectacle désolant que vous avez vu dans cet hôpital.
Le docteur Mukwege est rentré à Bukavu à la grande satisfaction de la population. Toutes les femmes de Bukavu, qui savent le rôle essentiel qu'il joue, assurent sa sécurité en l'entourant de leur présence, de leur affection et de leur respect.
Lors de son retour, de nombreuses déclarations ont été prononcées. Le gouverneur de province, M. Marcellin Cishambo, très connu en Belgique, a lui-même pris la parole. Les images diffusées par la télévision ont montré qu'il était protégé par les forces de l'ONU, par la MONUSCO.
Quelles ont été les démarches du gouvernement belge à l'égard des autorités congolaises pour les mettre en demeure d'assurer la sécurité d'un homme aussi exceptionnel, qui a soigné plus de quarante mille femmes victimes de violences sexuelles au Congo et dans les Kivu ? Quelles ont été les démarches du gouvernement belge vis-à-vis des Nations unies ?
Le docteur Mukwege a pris la parole aux Nations unies. Le secrétaire général, Ban Ki-moon, lui aussi, a fait des déclarations fort importantes après l'attentat.
Cela fait tant d'années que nous savons ce qui se passe dans la région. Quand j'étais ministre de la Coopération au Développement, j'avais prévu des budgets très importants pour l'aide aux victimes de ces violences faites aux femmes dans les Kivu et dans l'est de la République démocratique du Congo en général.
Cela fait des années que l'on essaie d'améliorer le sort des femmes, mais lorsqu'elles ont déjà été victimes. Je sais que le territoire est gigantesque, mais je me demande quand même si le mandat des troupes des Nations unies est suffisamment précis par rapport à cette situation. Je suis persuadé que c'est pour vous une préoccupation profonde et je crois que le Sénat serait heureux d'entendre vos réactions à ses questions.
M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et des Affaires européennes. - Madame la présidente, au mois d'août de l'année dernière, j'ai effectivement eu l'occasion d'aller sur place à Bukavu, à l'hôpital de Panzi plus précisément, pour voir les efforts remarquables fournis par le docteur Mukwege et son équipe pour venir en aide à des femmes dont on dit souvent qu'elles ont été violées. Elles ont été mutilées, elles ont subi des atrocités et il faut bien dire que c'est une chirurgie réparatrice que le docteur Mukwege tente de mettre en oeuvre, avec beaucoup de succès et souvent avec l'aide de médecins belges, qui développent parfois de nouvelles techniques sur place et les apprennent aux chirurgiens qui composent l'équipe.
Je l'avais reçu à Bruxelles avant de me rendre sur place. Au moment où cette attaque a été perpétrée à son encontre, nous avons pris toutes les dispositions pour lui permettre de quitter le Sud Kivu. Nous l'avons évacué par Bujumbura et il s'est installé en Belgique avec sa famille.
Je l'ai revu quelques jours avant son retour pour discuter de sa sécurité sur place. J'ai donné instruction à nos ambassades de Kinshasa, de Bujumbura et de New York de prendre toutes les initiatives utiles pour faciliter son retour et surtout pour faire en sorte que l'on puisse assurer sa sécurité, celle de sa famille et celle des médecins belges. Ces derniers sont en effet repartis avec lui pour réaliser des opérations et présenter de nouvelles techniques aux partenaires locaux.
En collaboration avec les autorités locales, plusieurs mesures ont été adoptées par la MONUSCO - présence policière, patrouilles renforcées, contacts réguliers avec le médecin et sa famille, etc. - pour vérifier que tout se passe le mieux possible.
Nous avons aussi beaucoup insisté sur l'importance de poursuivre activement l'enquête concernant l'attaque du mois de novembre. Il n'est pas acceptable que l'on ne tente pas de découvrir quels en étaient les tenants et les aboutissants, ainsi que les auteurs.
À ma demande, un collaborateur de l'ambassade de Kinshasa a rendu hier visite au docteur Mukwege pour s'assurer que son retour s'était déroulé dans les meilleures conditions possibles. Pour l'instant, le docteur et sa famille vivent à l'hôpital de Panzi, leur résidence étant moins sûre.
Je voudrais aussi insister sur le fait que nous nous efforçons déjà, avec le docteur Mukwege et le personnel de l'hôpital de Panzi, de venir en aide à la population qui subit ce genre de violences et de traumatismes. Le ministre de la Coopération pourrait vous en parler car son département intervient aussi dans cette démarche, que nous voulons renforcer.
Le Congo est notre premier partenaire de coopération, mais nous agissons aussi par le biais de l'aide multilatérale. Comme je le disais, des médecins belges sont régulièrement sur place, ce qui est une bonne chose. La laparoscopie, par exemple, est pratiquée quand ils sont présents ; le matériel est sur place. Sans entrer dans les détails, ces méthodes moins intrusives permettent quand même d'éviter énormément d'infections et de suites dramatiques. Les femmes peuvent rentrer plus rapidement chez elles après l'opération. À l'hôpital, les conditions ne sont pas toujours idéales, malgré les efforts accomplis.
Par ailleurs, nous allons poursuivre les efforts entrepris pour faire évoluer la situation dans l'Est du Congo.
Tout d'abord, nous soutenons les efforts du secrétaire général des Nations Unies, qui visent à désigner un envoyé spécial et à reprendre réellement le dialogue entre les partenaires. Dans cette logique, le renforcement - y compris en effectifs - du mandat de la MONUSCO est sur la table. Il faut faire en sorte que la force internationale des pays de la région vienne s'ajouter aux forces de la MONUSCO. Des 17 000 hommes disponibles actuellement, on pourrait passer à 19 000 unités, mais cela n'aurait aucun sens si le mandat n'est pas adapté. Ces 2 000 hommes supplémentaires - provenant peut-être d'Afrique du Sud ou de Tanzanie - doivent jouer un rôle plus actif et non s'en tenir au rôle actuel, que remplissent, dans le cadre du mandat, 4 000 militaires indiens, pakistanais et autres.
Outre ce soutien au secrétaire général, nous devons aussi tenter d'intervenir, sur le plan humanitaire, de manière de plus en plus forte à l'échelon local, en collaboration avec la coopération et avec d'autres acteurs.
Comme je l'ai dit au docteur Mukwege, le rêve est qu'il puisse à nouveau consacrer toutes les forces de l'hôpital de Panzi à des soins classiques à la population, donc notamment à des accouchements et à l'accompagnement des mères, et non plus à tenter de « réparer » les femmes de la région qui subissent des violences atroces. Espérons que cette activité pourra s'arrêter parce que les violences auront enfin été maîtrisées.
M. Armand De Decker (MR). - Je tiens à remercier le ministre pour ses déclarations précises et pour le complément d'information qu'il vient de me fournir concernant le mandat des troupes des Nations unies.