5-1653/1

5-1653/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

6 JUIN 2012


Proposition de résolution pour une réforme de la justice axée sur une exécution rapide, proportionnée et crédible des peines, ainsi que sur une politique pénitentiaire responsable

(Déposée par Mme Christine Defraigne et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


L'effectivité des droits et des libertés de tout citoyen n'est rencontrée que si la société est capable d'organiser une réaction rapide et adéquate aux différentes violations du lien sociétal. Cette réaction peut revêtir diverses formes. Le ministère public et les juridictions de fond en sont les acteurs institutionnels. Mais pour que cette réaction soit crédible, elle doit être prompte, adaptée et suivie d'effets. Trois axes d'actions doivent être menés de front pour atteindre cet objectif.

Tout d'abord, l'accélération du temps judiciaire. Il convient de revoir un certain nombre de procédures afin de réduire le temps s'écoulant entre la commission de l'infraction et sa sanction. Et ce dans le respect des droits de la défense.

Ensuite, l'adaptation de la réponse pénale. Le juge doit pouvoir disposer d'une palette élargie de sanctions. Aujourd'hui, il ne dispose que des peines d'amende, d'emprisonnement et de travail autonome. Idéalement, et dans un objectif d'une peine la mieux proportionnée possible à l'infraction commise et à la personnalité du délinquant, le juge devrait pouvoir s'appuyer sur un vrai choix de peines autonomes. Il pourrait ainsi choisir la peine susceptible d'influencer au mieux le comportement du délinquant. Or notre Code pénal ne contient qu'un nombre restreint de peines principales. La volonté de diversification des peines ne doit toutefois pas occulter la nécessité de prévoir des sanctions spécifiques ou plus sévères à l'encontre des auteurs de certaines infractions: délinquants sexuels, meurtriers ou assassins de fonctionnaires de police, etc. Ces démarches ne sont pas contradictoires.

L'exécution de la peine de travail doit également être assurée. La surveillance électronique doit pouvoir constituer une peine autonome. La réflexion sur la diversification des peines doit se poursuivre. Une réflexion analogue doit être menée au niveau de la détention préventive.

Nous considérons que la surpopulation carcérale et ses effets pervers doivent nous inciter à réfléchir sur la pertinence d'une peine d'emprisonnement pour certaines infractions de moindre gravité. Plutôt que de laisser ces faits impunis en raison de la non-exécution des courtes peines de prison, il convient d'élargir la palette de sanctions dont dispose le juge.

En outre, dans certains cas, une courte peine de prison peut s'avérer contreproductive et présenter un certain nombre d'obstacles à la réhabilitation et à la réinsertion du délinquant dans la société.

Enfin, l'effectivité des sanctions prononcées. En diversifiant les peines et les modalités de la détention préventive, on récupèrera de la capacité pénitentiaire. Le masterplan 2008-2012 pour une détention plus humaine complète ces propositions.

En effet, nous refusons que des individus appréhendés sur la base d'un dossier solide soient remis en liberté sans aucune forme de réponse pénale. Par ailleurs, il ne peut non plus être admis que des mineurs ayant commis des faits graves soient remis en liberté en raison du manque de places dans les institutions concernées.

Nous refusons également l'exécution tardive des peines, la non-exécution des courtes peines, tout comme une interruption de peine dans l'attente de places disponibles ou de bracelets électroniques.

Nous refusons enfin cette impossibilité de mettre en place un véritable plan de détention contribuant à la responsabilisation du condamné, à sa réinsertion, à la prise de conscience de la faute commise et à la réparation du dommage causé par l'infraction.

La situation appelle une réponse d'autant plus structurée que le constat n'est pas neuf. Il nous revient donc maintenant d'avancer les éléments susceptibles d'organiser une réponse pénale rapide, effective, proportionnée et diversifiée afin de favoriser la prévention du passage à l'acte et de la récidive, ainsi que de respecter les victimes comme il se doit.

« La certitude d'une punition, même modérée, fera toujours plus d'impression que la crainte d'une peine terrible si, à cette crainte se mêle l'espoir de l'impunité » (Cesare Beccaria, Des délits et des peines, Livourne, 1764).

Christine DEFRAIGNE.
Alain COURTOIS.
Dominique TILMANS.
Gérard DEPREZ.
Richard MILLER.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Considérant que certaines libérations conditionnelles ont suscité une vive émotion au sein de la population;

B. Considérant que la société doit être en mesure d'organiser une réponse sociétale efficace et crédible aux différentes violations du droit pénal afin d'empêcher le développement d'un sentiment d'insécurité, d'impunité et d'injustice;

C. Considérant que les citoyens sont en droit de voir respecter leurs droits et libertés fondamentales;

Considérant que la prison, par son effet dissuasif et son effet « neutralisant », reste une nécessité, mais doit être considérée comme une peine parmi un panel de sanctions à la disposition des juges et appliquée en fonction de la nature du délit et de la personnalité du délinquant;

D. Considérant qu'il est inacceptable que les peines d'emprisonnement de moins de trois ans ne soient pas exécutées si le condamné n'a pas subi de détention préventive;

E. Considérant que la surpopulation carcérale ne peut pas être une justification suffisante à une politique d'exécution des peines inefficace;

F. Considérant que cette surpopulation provoque également des tensions compréhensibles au sein du personnel pénitentiaire, ce qui ne favorise pas une bonne exécution des peines;

G. Considérant que la peine doit être la plus proportionnée possible à l'infraction commise et la plus adaptée à la personnalité du délinquant;

H. Considérant que les possibilités d'individualisation de la peine impliquant une libération anticipée doivent être maintenues;

I. Considérant que la problématique de l'exécution des peines doit être traitée dans sa globalité, à savoir l'accélération du temps judiciaire, l'adaptation de la réponse pénale et l'effectivité des sanctions prononcées,

Invite le gouvernement à:

1. Poursuivre l'exécution du plan pluriannuel d'augmentation de la capacité pénitentiaire et de rénovation des bâtiments pénitentiaires;

2. Dans la mesure où le personnel pénitentiaire a un rôle majeur à jouer dans le cadre de la détention, revaloriser son statut et développer sa formation tant initiale que continue;

3. Dégager les moyens humains et matériels nécessaires afin d'assurer le fonctionnement efficace de la procédure accélérée qui permet de juger des dossiers simples dans des délais rapides. Le procureur du Roi peut de cette manière convoquer une personne ayant été arrêtée ou qui se présente devant lui, à comparaître devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours, ni supérieur à deux mois. Il lui notifie les faits retenus à sa charge ainsi que les lieu, jour et heure de l'audience et l'informe du fait qu'elle a le droit de choisir un avocat. Cette notification est mentionnée dans un procès-verbal, dont copie lui est remise immédiatement. La notification vaut citation à comparaître. Un jugement doit être prononcé dans les deux mois. Bien qu'elle soit de nature à permettre une réaction rapide, cette procédure n'est pas suffisamment utilisée;

4. Acquérir des bracelets électroniques supplémentaires afin d'éviter que des personnes condamnées n'exécutent pas leur peine ou soient laissées en liberté sans aucun contrôle. Les maisons de justice doivent disposer des moyens et du personnel suffisants devant leur permettre d'assurer un véritable suivi. Il s'agira également d'envisager l'utilisation des technologies GSM et GPRS;

5. Instaurer la surveillance électronique en tant que peine autonome en l'excluant pour le meurtre commis pour faciliter le vol, prise d'otage, viol, viol ou attentat à la pudeur ayant entraîné la mort, ayant été précédé ou accompagné de torture ou commis sur une personne présentant un état particulièrement vulnérable, le coupable ayant un ascendant sur la victime. Il s'agit d'une alternative constructive et économique par rapport à l'emprisonnement et d'une mesure sévère impliquant la présence de l'inculpé en des lieux et des périodes précis. Sa liberté de se déplacer librement est considérablement restreinte;

6. Instaurer de nouvelles peines autonomes telles la peine d'injonction de soins, notamment pour les auteurs d'infractions sexuelles, laquelle débuterait en prison et pourrait si nécessaire se poursuivre à la sortie de prison, la confiscation spéciale en tant que peine principale, et la probation en tant que peine principale;

7. Recourir à la surveillance électronique également dans le cadre de la détention préventive. Dans certains cas, cette technologie permet notamment d'éviter la fuite de l'inculpé ou de nouvelles infractions. Il s'agit d'une mesure restrictive de liberté sévère impliquant la présence de l'inculpé à des périodes et en des lieux précis;

8. Évaluer régulièrement et de manière approfondie l'application de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, notamment pour éviter de grandes différences entre les arrondissements judiciaires en ce qui concerne le type d'infractions menant à la délivrance d'un mandat d'arrêt, la durée moyenne d'une détention préventive et le nombre de mandats d'arrêts délivrés et confirmés. Les conclusions de cette évaluation permettraient d'élaborer des solutions alternatives à la détention préventive, et dans une certaine mesure aussi à la surpopulation carcérale, sur base des bonnes pratiques mises en place par les acteurs du terrain;

9. Procéder à une évaluation approfondie de l'exécution de la peine de travail autonome dont le rapport serait transmis à la Chambre des représentants. Les résultats, les propositions de modifications et les solutions proposées contenus dans ce rapport seraient débattus en commission de la Justice;

10. Assurer une exécution et un suivi effectifs de la peine de travail autonome par l'engagement d'assistants de justice supplémentaires et élaborer un mécanisme de financement équitable des communes s'impliquant dans le suivi de l'exécution des peines de travail autonome. En effet, un peu plus de dix mille peines de travail ont été prononcées l'an dernier, un record, mais cette hausse a conduit à l'apparition de listes d'attente. Le nombre de peines de travail est passé de 8 903 en 2005 à 10 530 l'an dernier. Selon les auteurs de la présente résolution, ce sont surtout les tribunaux correctionnels et les tribunaux de police qui infligent ce type de peine. Les tribunaux de police francophones infligent trois fois plus de peines de travail que leurs collègues flamands. À peine une bonne moitié de ces peines de travail (58 %) ont pu être effectuées l'an dernier endéans les termes légaux, soit au plus tard un an après le jugement.

11. Mener une réflexion sur l'échelle des peines;

12. Donner au juge du fond la possibilité d'assortir la peine qu'il prononce d'une période de sûreté avant l'échéance de laquelle aucune libération anticipée ne peut intervenir. Cette possibilité concernerait certaines infractions telles que les infractions de terrorisme ayant entraîné la mort, les viols ou attentats à la pudeur ayant entraîné la mort, les actes de torture ayant entraîné la mort, l'enlèvement de mineur ayant entraîné la mort, le meurtre ou l'assassinat de fonctionnaires de police ou lorsque la juridiction prononce une peine de réclusion à perpétuité;

13. Organiser une procédure d'appel pour les décisions du tribunal d'application des peines. Ces décisions sont importantes puisqu'elles portent sur le parcours du détenu en prison, sur son évolution, sa capacité de réinsertion et les projets qu'il a pour son avenir. En outre, les recours de ce type de décisions devant la Cour de cassation conformément à la loi du 17 mai 2006 sur le statut externe des détenus, sont déjà nombreux et montrent la nécessité de prévoir un recours quant au fond;

14. Inclure dans le code pénal la notion de récidive de crime sur délit pour ce qui concerne la détermination de la peine, ce qui impliquera de facto son application à la libération conditionnelle;

15. Incriminer l'évasion ou aggraver les peines prévues pour les infractions commises pour faciliter l'évasion;

16. Étendre la palette des infractions qui peuvent faire l'objet d'une sanction administrative;

17. Dans nos prisons:

— garantir un cloisonnement efficace des détenus,adapté aux différents types de criminalité et à la durée des peines. Ainsi, les personnes en détention préventive doivent être séparées des condamnés et les jeunes adultes délinquants, des criminels lourds;

— placer au plus vite les internés, détenus à tort dans nos prisons, dans des établissements appropriés. Ils sont, actuellement plus d'un millier à être internés en prison;

— assurer une réelle prise en charge thérapeutique et multidisciplinaire des détenus délinquants sexuels par des équipes spécialisées dans tous les établissements pénitentiaires. Il est également essentiel d'assurer un contrôle social opérationnel et effectif en cas de libération anticipée d'un délinquant sexuel par le renforcement du suivi par les assistants de justice et la désignation d'un policier de référence dans chaque zone de police locale;

— améliorer la traçabilité des délinquants sexuels par la création d'un registre national des auteurs d'infractions à caractère sexuel au sein du casier judiciaire central;

— créer un véritable statut des agents penitentiaires;

— renforcer le corps de sécurité spécifique chargé du transfert des détenus vers les prisons et les palais de justice;

— imposer une présence policière lors des audiences au sein du tribunal correctionnel;

— instaurer un service minimum en cas de grève des gardiens de prison afin d'alléger le travail des services de police;

— se concerter avec les régions et communautés en vue de la mise en place d'une politique efficace de réinsertion des détenus. Les constats sont préoccupants: pénurie d'éducateurs, manque d'activités offertes aux détenus, formation insuffisante du personnel chargé de les resocialiser, etc.

12 octobre 2011.

Christine DEFRAIGNE.
Alain COURTOIS.
Dominique TILMANS.
Gérard DEPREZ.
Richard MILLER.