5-742/1

5-742/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

28 JANVIER 2011


Proposition de loi modifiant la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques

(Déposée par M. Gérard Deprez et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 18 octobre 2007 (doc. Sénat, nº 4-312/1 - 2007/2008).

La loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, dite loi du « Pacte culturel », garantit la juste représentation démocratique des tendances idéologiques et philosophiques au sein notamment des organes de gestion ou d'administration des infrastructures, institutions ou services culturels créés par les autorités publiques.

En l'absence d'un outil objectif plus pertinent pour apprécier la représentativité réelle de chaque tendance, l'article 3 de la loi pose en principe que la représentation d'une tendance idéologique ou philosophique au sein d'une institution est appréciée à l'aune de sa représentation politique dans l'assemblée de la collectivité politique concernée (le parlement communautaire, le conseil provincial, le conseil communal, ...).

Le poids de chaque tendance au sein des institutions culturelles doit être nécessairement proportionnel à son poids dans l'assemblée représentative concernée (articles 9 et 19 de la loi).

Faute d'avoir été précisé, ce principe de proportionnalité se prête à des interprétations multiples et, parfois, particulièrement extensives. Ainsi, par exemple, en appliquant « purement et simplement » la clé D'Hondt au nombre de sièges occupés par chaque tendance au sein d'une assemblée communautaire ou régionale, l'on n'obtient pas nécessairement une représentation véritablement proportionnelle au poids politique de chaque groupe politique au sein de ce parlement.

Ce cas de figure s'est présenté lorsqu'il s'est agi de composer le Conseil d'administration de la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF), au terme des dernières élections régionales. Une tendance occupant 44 % des sièges au sein du Parlement de la Communauté française occupe actuellement 54 % des sièges au sein du conseil d'administration de la RTBF. Un groupe politique y dispose donc de la majorité absolue sans pour autant disposer de la majorité absolue au sein du parlement communautaire.

Cette domination d'un organe de gestion par les représentants d'une tendance ne disposant pas de la majorité absolue au parlement va à l'encontre de la logique de l'accord politique du 24 février 1972 (accord dit du « Pacte culturel ») et de la loi qui l'a consacré, lesquels visaient précisément à éviter qu'une tendance ne puisse s'accaparer les « leviers de commande » des institutions culturelles. Dans la logique qui a présidé à l'élaboration du Pacte culturel et de la loi du 16 juillet 1973, une stricte proportionnalité s'impose. Elle s'impose peut-être plus encore s'agissant d'une institution en charge d'une mission d'information.

La loi du 16 juillet 1973 s'inscrit dans un cadre normatif préalable structuré par deux articles constitutionnels.

L'article 11 de la Constitution, tout d'abord, aux termes duquel la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. À cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. L'article ne se borne pas à prohiber les pratiques et les normes discriminatoires: il enjoint également à tous les législateurs d'intervenir activement pour les éviter.

L'article 131 de la Constitution, ensuite, lequel charge le législateur fédéral d'arrêter les mesures en vue de prévenir toute discrimination pour des raisons idéologiques et philosophiques.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, concourent à cette même logique.

Dans cette lignée, la loi du 16 juillet 1973 va conférer une portée normative au principe de pluralisme, lequel repose sur le respect des différences et la participation harmonieuse des différentes tendances idéologiques et philosophiques. Le Pacte culturel précise cette idée lorsqu'il stipule qu'il tend à « favoriser par tous les moyens adéquats, et dans le cadre d'une politique rénovée, la libre expression des différentes tendances idéologiques et philosophiques, ainsi que la compréhension et la coopération, dans le respect mutuel, entre les personnes, les groupes, les organisations et les institutions à vocation culturelle qui s'en réclament ou non ».

Il convient d'en revenir à l'esprit du texte et, par conséquent, de garantir effectivement une stricte proportionnalité au sein des organes de gestion et d'administration des institutions culturelles.

La loi appelle dès lors une précision technique, aux fins d'éviter les interprétations extensives du principe de proportionnalité, qui s'apparentent à un contournement de la norme.

Les auteurs de la présente proposition suggèrent d'insérer un alinéa dans l'article 3, § 2, de la loi du 16 juillet 1973, aux termes duquel une tendance idéologique ou philosophique ne disposant pas de la majorité absolue au sein de l'assemblée représentative ne pourrait se voir attribuer la majorité absolue des sièges au sein d'une institution culturelle. Le nombre de mandats attribués aux groupes politiques reconnus est dès lors plafonné. Le cas échéant, les mandats restants sont attribués en poursuivant l'application de la clé D'Hondt.

Pour les mêmes raisons, les auteurs suggèrent également de modifier l'article 22 de la loi, relatif au mode de composition de la Commission nationale permanente du Pacte culturel.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 3 de la loi pose toute une série de principes qui s'appliquent à l'ensemble du texte. L'article 3, § 2, actuel de la loi définit la notion de « tendance idéologique » comme suit: « La notion de tendance idéologique est fondée sur une conception de la vie ou de l'organisation de la société. La représentation des tendances est fondée sur leur présence au sein de l'assemblée représentative de l'autorité publique correspondante. »

Cet article souffre d'imprécision, laquelle permet à un parti non majoritaire au sein d'une assemblée de détenir une majorité au sein de la Commission permanente du Pacte culturel (CPPC) ou d'un organe de gestion d'une institution culturelle. C'est pourquoi, nous proposons de compléter cette disposition afin de:

— préciser que la « représentation » des tendances idéologiques doit toujours être proportionnelle au nombre de sièges occupés par ces tendances au sein de l'assemblée correspondante, même quand la loi ne l'impose pas formellement;

— préciser que cette proportionnalité est établie en application du système D'Hondt;

— établir une clause de sauvegarde: la proportionnalité ne peut conduire à des effets pervers.

Le présent article avait été déposé à la Chambre des représentants lors de la législature 2003-2007, sous la forme d'amendement au projet de loi nº 51-1929. Saisie d'une demande d'avis sur l'amendement, la section de législation du Conseil d'État s'interrogeait sur le point de savoir si, à la lumière de cet amendement, la représentation des tendances idéologiques devait toujours être proportionnelle ou si la définition de la proportionnalité retenue dans l'amendement ne s'imposait que lorsque la loi du 16 juillet 1973 recommandait que cette représentation soit proportionnelle.

Pour les auteurs de la présente proposition, la logique de la proportionnalité s'impose de manière générale.

Concrètement, dans plusieurs articles, la loi du 16 juillet 1973 parle de « représentation proportionnelle » (articles 9 a, 19 et 22 de la loi) alors que dans d'autres elle ne parle que de « représentation » (article 8 et article 9 b de la loi). Le Conseil d'État interroge: l'adoption de l'amendement implique-t-elle que l'exigence d'une « représentation » des tendances soit nécessairement proportionnelle lorsque la loi ne l'exige pas ?

Après avoir posé la question, le Conseil d'État demandait en quelque sorte au législateur de se prononcer sur la portée précise qu'il entendait donner à l'amendement. Aux termes de l'avis: « Tout au plus, l'amendement devra-t-il conduire à l'interprétation selon laquelle, chaque fois qu'il est question de représentation dans la loi précitée du 16 juillet 1973, il s'agirait nécessairement d'une représentation proportionnelle, alors que le texte actuel de la loi ne requiert pareille représentation proportionnelle que dans des dispositions spécifiques. »

C'est clairement l'interprétation souhaitée par les auteurs de l'amendement.

Cette interprétation coïncide parfaitement avec la jurisprudence abondante de la CPPC.

Dans nombre d'articles de la loi du 16 juillet 1973, le législateur n'exige pas systématiquement que la représentation soit proportionnelle mais, à défaut, il impose de sérieuses balises. S'agissant de l'article 8, par exemple, il exige que la représentation soit assurée « dans une juste représentation démocratique et effective ». « Comment ne pas songer a priori à la représentation proportionnelle pour assurer cet idéal d'équilibre (1)  ? » La proportionnalité s'impose comme un axiome essentiel à partir duquel articuler la réflexion sur le principe de représentation.

La règle de la proportionnalité ne s'impose cependant pas comme un principe unique. Dans une jurisprudence abondante, la CPPC a admis que ce principe devait trouver des aménagements lorsqu'il avait pour effet d'exclure une tendance ou d'assurer une représentation excessive d'une tendance. La jurisprudence de la CPPC tend clairement à éviter qu'une de ces tendances ne se voit attribuer 50 % (ou plus) des sièges (2) . En pareille hypothèse, la CPPC recourt à la notion de « prédominance injustifiée ».

Telle est la raison pour laquelle la présente disposition propose de moduler la règle D'Hondt lorsque son application aboutit à une prédominance injustifiée d'une tendance (clause de sauvegarde).

Dans son avis, le Conseil d'État formulait une seconde remarque. Selon le Conseil d'État, la clause de sauvegarde proposée pouvait aboutir à ce que la deuxième tendance idéologique dans l'ordre de représentativité au sein de l'assemblée représentative dispose, grâce à cette clause, de la majorité absolue au sein de l'organisme culturel alors que non seulement elle ne dispose pas d'une telle majorité dans l'assemblée représentative, mais qu'en outre, elle n'est pas la tendance la mieux représentée au sein de cette assemblée.

Le Conseil d'État illustrait son propos avec un organe de gestion de sept sièges et d'une assemblée représentative composée de quatre listes, soit la liste A qui dispose de dix sièges, la liste B qui dispose de neuf sièges, la liste C qui en dispose d'un et la liste D qui en dispose d'un également. Sans la clause de sauvegarde, la liste A aurait droit à quatre sièges, soit la majorité. Avec la clause de sauvegarde, la même liste verrait le nombre de ses sièges limité à trois (un siège en moins de la moitié). La dévolution se poursuit entre les autres listes.

Le Conseil d'État interprétait le texte de l'amendement en ce qu'il permettait à la liste B d'obtenir quatre sièges: elle aurait bénéficié de la majorité des sièges et, donc aussi, de plus de sièges que la liste A, pourtant mieux représentée au sein de l'assemblée de référence.

Cette lecture de l'amendement n'était évidemment pas celle souhaitée par ses auteurs. L'amendement présentait une portée générale: il devait empêcher tout parti (et pas uniquement le plus important) ne disposant pas de la majorité au sein de l'assemblée de référence de disposer d'une majorité au sein des organes de gestion des institutions culturelles. Pour s'assurer qu'une interprétation erronée ne soit donnée à la disposition proposée, nous avons complété le texte comme suit: « L'opération prévue à l'alinéa précédent est répétée si en vertu de ce dernier, une tendance bénéficie d'une représentation majoritaire au sein de l'organe ou de l'institution concerné, alors qu'elle ne compte pas une majorité de sièges au sein de l'assemblée représentative. »

Enfin, le Conseil d'État formulait une troisième observation, concernant la disposition relative à l'attribution du dernier siège en cas d'égalité de quotients entre deux tendances idéologiques. Le Conseil d'État faisait remarquer, à juste titre, que le critère retenu (le chiffre électoral relatif aux dernières élections de l'assemblée représentative) dans l'amendement pouvait prêter à des difficultés d'interprétation s'agissant des assemblées communautaires dont les membres ne sont pas élus directement. Nous avons donc, ici aussi, adapté le texte en conséquence.

À notre estime, cette adaptation concerne exclusivement le Parlement de la Communauté française.

Article 3

Cette disposition avait également été déposée à la Chambre des représentants, lors de la législature 2003-2007 (51-1929). La section de législation du Conseil d'État avait aussi été saisie d'une de demande d'avis.

Ici aussi, les observations formulées par le Conseil d'État ont été rencontrées.

Gérard DEPREZ
Richard MILLER
Armand DE DECKER.


PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

L'article 3, § 2, de la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, est complété par les alinéas suivants:

« Lorsqu'elle est consacrée par la loi, cette représentation doit être proportionnelle à la représentation des tendances politiques au sein de l'assemblée représentative de l'autorité publique correspondante.

Pour définir la représentativité de chaque tendance, il convient de diviser successivement par 1, 2, 3, 4, 5, etc., le nombre de sièges occupés par chacune d'elles au sein de l'assemblée représentative concernée. Les quotients sont rangés dans l'ordre de leur importance jusqu'à concurrence d'un nombre total de quotients égal à celui des membres à désigner.

Le dernier quotient sert de diviseur électoral.

La répartition entre les tendances s'opère en attribuant à chacune d'elles autant de sièges au sein de l'organe concerné que le nombre de sièges occupés par cette tendance au sein de l'assemblée représentative comprend de fois ce diviseur.

Si, en application des alinéas qui précèdent, une tendance bénéficie d'une représentation majoritaire au sein de l'organe ou de l'institution concerné, alors qu'elle ne compte pas une majorité de sièges au sein de l'assemblée représentative, le nombre de sièges dévolus à cette tendance est plafonné au nombre de sièges immédiatement inférieur au nombre requis pour disposer de la majorité au sein de l'organe ou de l'institution concerné. Les sièges non attribués sont ajoutés à ceux revenant aux autres tendances. La répartition entre celles-ci se fait en poursuivant l'opération indiquée au deuxième alinéa, chaque quotient nouveau déterminant, en faveur de la tendance à laquelle il appartient, l'attribution d'un siège.

Lorsqu'un siège revient à titre égal à plusieurs tendances, il est attribué à celle qui occupe le plus grand nombre de sièges au sein de l'assemblée représentative. En cas de parité de sièges au sein de cette dernière, le siège au sein de l'organe ou de l'institution revient à la tendance dont le chiffre électoral relatif aux dernières élections de l'assemblée représentative est le plus élevé.

Lorsque l'assemblée représentative est un parlement communautaire dont les membres ne sont pas élus directement, le siège au sein de l'organe ou de l'institution revient à la tendance dont les chiffres électoraux cumulés relatifs aux dernières élections des parlements régionaux sont les plus élevés. »

Art. 3

L'article 22 de la même loi, modifié par la loi du 12 mai 2009, est complété par les alinéas suivants:

« Pour définir la représentativité de chaque groupe politique, il convient de diviser successivement par 1, 2, 3, 4, 5, etc., le nombre de sièges occupés par chacun d'eux au sein du parlement de communauté concerné. Les quotients sont rangés dans l'ordre de leur importance jusqu'à 13. Le dernier quotient sert de diviseur électoral.

La répartition entre les groupes politiques s'opère en attribuant à chacun d'eux autant de sièges au sein de la commission que le nombre de sièges occupés par cette tendance au sein du parlement de communauté comprend de fois ce diviseur.

Si, en application des deux alinéas qui précèdent, un groupe politique bénéficie d'une représentation majoritaire au sein de la commission, alors qu'il ne compte pas une majorité de sièges au sein du parlement de communauté, le nombre de sièges dévolus à ce groupe politique est plafonné à 6. Les sièges non attribués sont ajoutés à ceux revenant aux autres groupes politiques. La répartition entre ceux-ci se fait en poursuivant l'opération indiquée aux alinéas précédents, chaque quotient nouveau déterminant, en faveur du groupe politique auquel il appartient, l'attribution d'un siège.

L'opération prévue à l'alinéa précédent est répétée si en vertu de ce dernier, une tendance bénéficie d'une représentation de sept membres au sein de la commission, alors qu'elle ne compte pas une majorité de sièges au sein du parlement de communauté.

Lorsqu'un siège revient à titre égal à plusieurs groupes politiques, il est attribué à celui qui occupe le plus grand nombre de sièges au sein du parlement de communauté et, en cas de parité de sièges, au groupe dont le chiffre électoral relatif aux dernières élections ayant présidé à la composition du parlement est le plus élevé. Lorsque les membres du parlement de référence ne sont pas élus directement, le siège revient à la tendance dont les chiffres électoraux cumulés relatifs aux dernières élections des parlements régionaux sont les plus élévés. »

10 décembre 2010.

Gérard DEPREZ
Richard MILLER
Armand DE DECKER.

(1) H. Dumont, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, Vol. 2, Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 268. L'auteur s'exprime de la sorte au sujet de l'article 7 de la loi, relatif à la participation à l'élaboration de la politique culturelle. Cependant, la question se pose dans les mêmes termes pour les articles relatifs à la représentation des tendances idéologiques et philosophiques. L'auteur établit un parallèle entre les interprétations à donner à ces différents articles, selon la jurisprudence de la CPPC (cf. H. Dumont, op. cit., pp. 280 et sv).

(2) H. Dumont, op. cit., pp. 272 et 273 mais surtout, s'agissant des articles 8 et 9 de la loi, pp. 280 et sv.