5-564/1

5-564/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

6 DÉCEMBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 458bis du Code pénal, afin d'étendre l'exception prévue à l'obligation de respect du secret professionnel pour les confidences faites par un majeur à propos de faits dont il a été victime étant mineur dans le but d'éviter, notamment, que des abus sexuels ne soient commis sur d'autres mineurs

(Déposée par M. François Bellot et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Aux termes de l'article 458 du Code pénal, « Les médecins [...] et toutes autres personnes dépositaires par état ou par profession des secrets qu'on leur confie qui, hors le cas où elles sont appelées à témoigner en justice ou devant une Commission parlementaire et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punies d'un emprisonnement de huit jours à six mois ». Cet article s'applique, de manière très large, à toutes les personnes qui, par état ou par profession, sont dépositaires du secret.

La jurisprudence a précisé au fil du temps les types de personnes tenues au secret professionnel. Il est, par exemple, unanimement admis que les prêtres et les avocats sont soumis à l'article 458 du Code pénal.

Cet article énonce, toutefois, des exceptions qui touchent à la notion d'« état de nécessité ». Bien que le législateur n'ait pas expressément introduit cette notion dans le Code pénal, la doctrine et la jurisprudence ont reconnu de façon explicite cette cause de justification objective qui rend le fait licite (1) . Par ailleurs, ce moyen de défense est applicable à toutes les infractions (2) .

Dans un arrêt du 3 mai 2000 (3) , la Cour constitutionnelle n'a pas manqué de rappeler que la règle du secret professionnel doit céder lorsqu'une nécessité l'impose ou lorsqu'une valeur jugée supérieure (par exemple l'obligation de porter assistance à personne en danger prévue par l'article 422bis du Code pénal) entre en conflit avec elle. Ceci requiert donc que le confident puisse, par la déclaration de faits infractionnels, protéger la vie ou l'intégrité d'une personne.

L'état de nécessité permet d'enfreindre la loi pénale, à condition que l'acte reste utile, strictement nécessaire et proportionné (4) . Le dépositaire appréciera au cas par cas.

Alors que l'état de nécessité peut justifier toutes les infractions, le législateur a décidé d'introduire une nouvelle permission légale de déroger à l'obligation au secret. Il s'agit de l'article 458bis du Code pénal (introduit par une loi du 28 novembre 2000 adoptée suite à l'affaire Dutroux). Il précise que la révélation d'un fait n'est pas punissable lorsque l'infraction consiste en un attentat à la pudeur, un viol, un homicide, des lésions corporelles volontaires, de la provocation, de la mutilation des organes génitaux, de l'abandon d'enfants, de la privation d'aliments ou de soins infligées à des personnes mineures.

Il s'agit bien d'une permission et non d'une obligation de dénoncer des faits de maltraitance commis à l'égard de mineurs d'âge. Cette faculté requiert la réunion des trois conditions cumulatives suivantes:

1) avoir examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci;

2) déceler l'existence d'un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de la victime;

3) ne pas être en mesure, seul ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité.

Cette exception est donc plus restrictive dans ses conditions d'admission que l'état de nécessité. Les travaux préparatoires de la loi du 28 novembre 2000 (5) ont indiqué qu'il s'agissait d'une concrétisation partielle de la notion d'état de nécessité dans des situations particulières qui ne déroge pas aux principes de l'état de nécessité.

Cependant, l'exception ne tient pas compte de deux paramètres mis en lumière lors de l'éclatement des affaires d'abus sexuels perpétrés dans le cadre d'une relation pastorale.

1º Le temps écoulé entre le moment où sont commis les faits et le moment où les victimes parviennent à se remémorer ceux-ci ou décident simplement d'en parler peut s'avérer particulièrement long.

En effet, la publication, le 10 septembre 2010, du rapport de la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale, mise en place par l'Église au début des années 2000, a mis au jour un grand nombre de cas qui n'avaient pas été dévoilés jusqu'alors.

Cette Commission, présidée par le pédo-psychiatre Peter Adriaenssens, a enregistré 327 plaintes d'hommes et 161 de femmes qui n'avaient jamais osé témoigner jusqu'alors à propos de faits remontant parfois à plus de cinquante ans.

2º La protection d'autres mineurs contre les risques de récidive d'un pédophile n'est pas efficace si l'obligation de respect du secret professionnel est maintenue dans le cas où une victime ne divulgue des actes d'abus sexuels qu'une fois l'âge de la majorité atteint.

L'article 458bis n'autorisant la révélation de tels faits, le détenteur du secret ne peut, en principe, pas se soustraire à son obligation de respect du secret professionnel.

Or, le protocole de collaboration conclu en juin 2010 à l'initiative du ministre de la Justice avec les parquets et la Commission dite « Adriaenssens », a permis de signaler à la justice des abus sexuels commis par des prêtres sur mineurs. La transmission de ces informations relatives à des faits souvent prescrits avait pour but de permettre aux instances judiciaires de vérifier si d'autres faits plus récents n'avaient pas été commis par le même auteur.

Ce protocole fut toutefois critiqué par le monde judiciaire et politique parce qu'il prévoyait que c'était à la Commission de prendre elle-même, avec l'autorisation des plaignants, la décision de faire connaître à la Justice les plaintes confidentielles ayant trait à des faits pouvant constituer une infraction.

Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent, en premier lieu, répondre à la situation dans laquelle un jeune abusé sexuellement n'ose dévoiler ce qu'il a vécu qu'une fois l'âge de la majorité atteint.

Comme en témoigne le rapport « Adriaenssens », il arrive très souvent que les victimes attendent plusieurs années avant de parvenir à sortir de leur mutisme et d'oser, enfin, révéler les actes terribles dont elles ont été victimes par le passé. Il s'agit, pour elles, d'un cap important et compliqué à franchir en raison de la souffrance, de la douleur, voire parfois du sentiment de culpabilité qui les habitent. Des victimes peuvent même refouler pendant de nombreuses années des faits d'abus sexuels comme si ceux-ci n'avaient jamais eu lieu.

C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle, les articles 21 et 21bis de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ne font courir le délai de prescription pénale pour certains faits graves commis sur des mineurs d'âge qu'à partir des dix-huit ans de ces derniers.

Il n'est donc pas déraisonnable d'imaginer que des actes d'abus sexuels soient portés à connaissance d'un dépositaire de secrets professionnels après la victime a atteint l'âge de la majorité.

Mais, pour que l'article 458bis du Code pénal puisse s'appliquer, il faudra justifier l'existence d'un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé. À noter que cette notion de danger grave et imminent entre dans les conditions d'ouverture de l'état de nécessité (6) .

Que cette condition soit applicable à une victime venant à peine de dépasser l'âge de la majorité et qui a été l'objet d'abus quelques mois auparavant se conçoit assez facilement. En l'on peut, en outre, se demander si les dépositaires de secrets, confiés par des victimes devenues majeures depuis plus longtemps mais dont les faits dont elles ont été sujettes ne sont pas encore prescrits, ne peuvent pas eux aussi se prévaloir de l'« état de nécessité » en vertu du risque d'extinction du délai prescription et, par extension, des possibilités de poursuites judiciaires. Cette question doit, toutefois, relever de l'appréciation du juge.

La présente proposition de loi vise, en second lieu, à éviter que l'auteur d'abus sexuels sur un mineur ne puisse récidiver.

On peut, par exemple, envisager que l'auteur d'abus sexuels sur un mineur devenu, entre-temps majeur, exerce toujours une fonction pour laquelle il est en contact avec des mineurs. Comme l'illustrent les affaires de pédophilie qui ont ébranlé l'Église belge en 2010, des cas de maltraitance d'enfants peuvent se rencontrer dans le cadre d'une relation pastorale mais également au sein des écoles, des institutions, sportives ou autres, hébergeant des jeunes. Il est donc indispensable d'autoriser le détenteur du secret tenu au silence de par sa profession ou de par son état à en informer le procureur du Roi afin de protéger d'autres victimes potentielles.

En outre, on pourrait éventuellement permettre au parquet de découvrir que l'affaire n'est pas prescrite, dès l'instant, où d'autres faits similaires plus récents commis par le même auteur venaient à être découverts.

Pour ces raisons, les auteurs de la proposition suivante préconisent de reformuler l'article 458bis du Code pénal de la façon suivante:

« Toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur, peut, sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis, en informer le procureur du Roi, à la triple condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli ses confidences même si, entre-temps, celle-ci a atteint l'âge de la majorité; qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé ou pour un autre mineur; qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité. »

Il serait donc, désormais, possible pour une personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction, de se soustraire à cette obligation de garder le silence dans deux nouveaux cas de figure:

1º lorsqu'elle apprend l'existence des faits par une victime ayant dépassé depuis l'âge de la majorité;

2º lorsqu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique d'un mineur autre que la victime mineure par qui elle a eu connaissance des faits mais qui est placé dans la même situation qu'elle.

François BELLOT
Alain COURTOIS
Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution

Art. 2

L'article 458bis du Code pénal, inséré par la loi du 28 novembre 2000, est remplacé par ce qui suit:

« Art. 458bis. Toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur, peut, sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis, en informer le procureur du Roi, à la triple condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli ses confidences même si, entre-temps, celle-ci a atteint l'âge de la majorité; qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé ou pour un autre mineur; qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité. »

22 octobre 2010.

François BELLOT
Alain COURTOIS
Christine DEFRAIGNE.

(1) Colette-Basecqz N., « La violation du secret professionnel dans une situation de maltraitance d'enfant. La justification par l'autorisation de l'article 458bis du Code pénal ou par l'état de nécessité », Rev. Dr. Santé, 09/10, Kluwer, p. 23; Henneau C., Verhaegen J., Droit pénal général, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 189.

(2) Cass., 19 oct. 2005, RDPC, 2006, p. 322.

(3) Cour constitutionnelle, 3 mai 2000, arrêt no 46/2000.

(4) Henneau C., Verhaegen J., Droit pénal général, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 192-194.

(5) Projet de loi relative à la protection pénale des mineurs, auditions, doc. Parl., Chambre, sess.ord. 2000-2001, no 50-695/9, pp. 21, 27 et 37.

(6) Hennau C., Verhaegen J., « Recherche policière et secret médical », JT, 1988, p. .165.