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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

18 NOVEMBRE 2010


Proposition de loi créant un Fonds d'indemnisation des victimes de contaminations à la suite d'une transfusion

(Déposée par Mme Dominique Tilmans et M. Jacques Brotchi)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 28 août 2008 (doc. Sénat, nº 4-905/1 - 2007/2008).

Dans les années 70 et 80 et au début des années 90, le virus de l'hépatite C n'était pas isolé et on parlait d'hépatite non A-non B. La présente proposition de loi vise à réparer partiellement le préjudice des personnes qui ont contracté une hépatite chronique, une cirrhose ou un cancer du foie et lorsque la transfusion sanguine peut être incriminée dans l'origine de la contamination par le virus de l'hépatite C (VHC).

Le bénéfice de cette loi est étendu à d'autres infections virales, notamment les autres types d'hépatites (B, etc.) ainsi qu'au virus de l'Human Immunodeficiency Virus (HIV). Toutefois, dans la très grande majorité des cas, c'est l'hépatite C qui sera concernée.

Risques d'hépatite B et C après transfusion

En Belgique, l'hépatite C post-transfusionnelle est une complication qui affecte beaucoup plus de patients que le sida après transfusion.

Selon Jean-Claude Osselaer, le risque de développer une hépatite sur transfusion était particulièrement élevé jusqu'en 1970, lorsqu'on pouvait l'estimer à un trentième des poches transfusées. L'introduction des tests de dépistage de l'antigène de surface pour l'hépatite B (HBs Ag) en 1969 a permis de réduire le risque à un cent cinquantième environ.

Jusqu'au début des années 1980, la fréquence des hépatites post-transfusionnelles était variable géographiquement et comprise entre 4,7 et 12,6 %. Les fréquences observées en France et en Belgique étaient voisines de 6 %, ce qui est à rapprocher de la prévalence d'anticorps anti-VHC de l'ordre de 1 à 2 % qu'on trouvait dans une population de donneurs de sang non censés à risque dans les mêmes pays.

Entre 1970 et 1990 plusieurs éléments vont contribuer à l'amélioration de la sécurité transfusionnelle: l'exclusion des donneurs à risque de VIH ainsi que l'introduction des « surrogate markers ». Ces risques ont encore diminué avec l'apparition de test ELISA.

Le risque viral résiduel après transfusion aux États-Unis en 1996 se résume comme suit (1) :

Agent infectieux Risque par poche transfusée Probabilité d'être infecté après transfusion d'une poche infectée
VIH, types 1 et 2 (sida) 1/493 000 0,9
VHB — Hépatite B 1/63 000 0,7
VHC — Hépatite C  1/103 000 0,9

Il n'y a pas de raison de penser que ces données soient différentes pour l'Europe.

On le voit, le risque a considérablement diminué et aujourd'hui la question de l'hépatite post-transfusionnelle relève largement du passé. Le gouvernement a récemment décidé d'affecter plusieurs millions d'euros afin d'adopter les tests de dépistages de la dernière génération qui réduisent encore le risque.

Imputabilité de l'hépatite C post-transfusionnelle

Lorsqu'un patient développe une hépatite C dans le décours d'une transfusion, le clinicien est tenu d'en avertir le responsable de la banque du sang qui a délivré les produits incriminés. Ce responsable doit lui-même en avertir le centre de transfusion qui a fourni les poches.

L'imputabilité est complexe: il faut un lien entre le fait qu'il y ait hépatite C chez le donneur et le receveur ainsi qu'une compatibilité temporelle entre la transfusion et la période de séroconversion.

Malheureusement, ce lien ne peut pas être établi dans tous les cas. De plus, un certain nombre de facteurs ont évolué d'une manière importante et rendent l'imputabilité complexe: le risque de transmettre l'hépatite C par transfusion, l'épidémiologie de l'hépatite C, la fiabilité du système permettant la reconstitution de l'historique transfusionnelle d'un patient.

Seule une probabilité peut être établie qui tienne compte des données épidémiologiques et des modes de transmission qui seront appréciés de manière différentes selon les cas de figures:

— le centre de transfusion ne parvient pas à localiser tous les donneurs à l'origine de la poche pouvant être la source de la contamination;

— le centre de transfusion qui a pu localiser et tester tous les donneurs impliqués, réplique qu'il n'a trouvé chez aucun de ceux-ci de traces d'anticorps anti-VHC;

— le génotype du virus ne révèle pas un sous-type 1b;

— le patient appartient à un groupe à risque;

— le patient a été transfusé avec des dérivés stables (éventuellement en plus des dérivés labiles).

Jean-Claude Osselaer propose un « scoring system » qui permettrait, en quelques questions, de se faire une idée de la probabilité qu'une hépatite C puisse être imputée à une transfusion. Toutefois, d'autres méthodes sont envisageables.

La présente proposition de loi propose que soient indemnisés les patients pour lesquels il peut être établi avec certitude qu'ils ont reçu du sang contaminé et ceux pour lesquels il existe une certaine probabilité. Celle-ci sera déterminée par le ministre compétent sur la base d'un avis du Conseil supérieur d'hygiène, ce dernier pouvant faire appel à un comité d'experts si nécessaire.

Pourquoi indemniser ces patients ?

Depuis le début des années 90, le risque a été considérablement réduit avec l'apparition de tests de dépistage fiables. Auparavant, il n'existait pas de tests suffisamment performants pour le diagnostic. Pendant la période où le test a été introduit, la Belgique a réagi comme la plupart des pays européens. Le test de dépistage est devenu obligatoire le 1er juillet 1990.

Des patients qui estimeraient que le test a été introduit trop tard en fonction des données scientifiques et des produits disponibles, soit du fait de l'État, soit du fait des centres de transfusion ont toujours la possibilité de s'adresser à la justice.

Pour l'immense majorité des patients, aucune faute ne pourra être mise en évidence. Il n'en reste pas moins que ces personnes ont subi un dommage du fait de la transfusion du virus de l'hépatite C. Les centres de transfusion appartenant presque toujours au secteur public, il me semble légitime que la collectivité nationale se sente solidaire des personnes ainsi contaminées.

Il faut aussi reconnaître que les pratiques médicales ont évolué, que l'on transfusait bien davantage dans les années 70 et 80 qu'aujourd'hui, à une époque où on ignorait les risques liés à la transfusion.

La création d'un fonds permettrait donc de compenser les dommages subis à la suite d'une contamination il y a quelques années, sachant que le problème ne se pose quasiment plus aujourd'hui dans le cadre de la transfusion.

Le préjudice

Le préjudice comprend tout d'abord l'ensemble des soins médicaux nécessités par la contamination.

Il y a ensuite la perte directe de ressources lorsque le patient doit réduire son activité ou arrêter son travail.

Existent aussi des limitations à la conclusion d'assurances ou d'emprunts hypothécaires. Souvent, le patient ne pourra plus souscrire certains contrats d'assurance, ou seulement moyennant une surprime, et ce, quelle que soit l'évolution ultérieure effective de sa maladie. Parfois, il ne peut conclure un emprunt hypothécaire faute d'assurance.

En dehors de tout préjudice matériel, le patient ayant contracté une hépatite C après une transfusion connaîtra la douleur morale qui accompagne la diminution de l'espérance de vie. À cette douleur s'ajoute l'angoisse de l'incertitude, parfois aussi lourde à porter que la certitude d'une évolution létale à court terme.

À côté de ce dommage moral, il faut rajouter les perturbations familiales et sociales, le préjudice sexuel, le préjudice d'agrément (la fatigue empêche certaines activités sportives, plus de consommation d'alcool, ...), le préjudice esthétique, le pretium doloris (lié à l'inconfort de l'hépatite aiguë).

En résumé, le préjudice d'un patient porteur du virus de l'hépatite C qui évolue vers la cirrhose est considérable. La présente proposition de loi envisage seulement de prendre en charge une partie du préjudice.

Quelle réparation ?

Nous ne souhaitons pas que la loi détermine des montants de réparations précis. Ceux-ci seront déterminés par arrêté royal. Nous nous contentons dans les articles de loi de mentionner les préjudices qui peuvent faire l'objet d'une indemnisation. Cependant, le législateur peut s'appuyer sur quelques exemples.

1) L'article 445 du Barème officiel belge des invalidités (BOBI) précise les taux proposés. Ceux-ci peuvent être une référence mais sont seulement obligatoires dans deux législations:

— les allocations familiales pour enfants handicapés,

— les pensions de réparation et de dédommagement des invalides de guerre.

« Suite de lésions hépatiques, quelle que soit l'étiologie: infectieuse, nutritionnelle, chimique, médicamenteuse, physique ou autre:

a) hépatite chronique avec retentissement minime sur l'état général et perturbation légère des épreuves hépatiques: 10 à 20 %,

b) hépatite chronique avec retentissement important sur l'état général et perturbation sévère des épreuves hépatiques: 20 à 100 %,

c) cirrhose avec retentissement léger sur l'état général et perturbations modérées des épreuves hépatiques: 20 à 60 %,

d) cirrhose avec retentissement prononcé sur l'état général tels que signes d'hypertension portale, précoma hépatique et perturbations sévères des épreuves fonctionnelles hépatiques.

L'invalidité concernée par ces rubriques est à revoir et à adapter dans les délais légaux: 70 à 100 %.

e) cancer hépatique comme complication des affections mentionnées de a) à d): 100 %. »

Nous mentionnons ce barème parce que c'est le seul disponible. Il mériterait probablement d'être révisé. De plus, il ne couvre qu'une partie du préjudice. Notre préférence va à des procédures d'expertise médicale qui déterminent les taux d'incapacité et d'invalidité de la personne atteinte.

2) Le sida

Le gouvernement a décidé d'octroyer une allocation à toutes les personnes qui ont été contaminées par le virus du sida à la suite d'une transfusion sanguine ou de l'administration de produits sanguins entre le 1er août 1985 et le 30 juin 1986. Le gouvernement a débloqué le budget nécessaire à cette fin. Une association sans but lucratif (ASBL) a été créée en vue de traiter les demandes introduites et elle est responsable du paiement de l'allocation.

Une proposition similaire instituant un dispositif d'indemnisation en faveur des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite de l'administration des produits sanguins a été déposée à la Chambre des représentants par les députés Simonet, Bacquelaine, Denis et Seghin le 6 décembre 2000. Certaines dispositions de la présente proposition de loi s'inspirent des éléments proposés par les collègues.

3) Aide de l'État aux victimes d'actes intentionnels de violence

Un Fonds spécial pour l'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence a été institué au budget du ministère de la Justice. La personne qui a subi de graves atteintes résultant de faits constitutifs d'un acte intentionnel de violence commis en Belgique peut demander de l'aide sous certaines conditions.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Le Fonds est chargé de l'indemnisation des personnes pour lesquelles la contamination d'origine transfusionnelle est établie. Pourront être indemnisés les personnes pour lesquelles l'origine transfusionnelle ne peut être écartée.

Sont concernés, les conséquences des hépatites B et C, des autres types d'hépatites et des virus, comme le HIV, à l'exclusion des contaminations bactériennes.

Article 3

Le Fonds a la personnalité juridique et est administré par une Commission d'indemnisations. Afin d'effectuer au mieux sa mission, le Fonds peut recourir à l'aide d'associations ou de groupements médicaux.

Article 4

En fonction de l'année de contamination, il existe des probabilités très différentes que la contamination soit d'origine transfusionnelle. Le ministre compétent peut déterminer des critères en fonction de l'année de la transfusion ou de tout autre élément scientifique. Il reçoit l'avis du Comité supérieur d'hygiène, mais cet avis n'est pas contraignant.

Article 6

Cet article a pour objectif de faire hériter du régime les personnes contaminées durant les 30 dernières années lesquelles à défaut se verraient appliquer le système de la prescription actuelle.

Afin d'éviter toute demande injustifiée, les victimes ou leurs ayants-droit doivent mentionner, dans leur demande d'indemnisation, tous les éléments en leur possession concernant leur contamination par le virus de l'hépatite C.

Article 8

L'examen de la demande par le Fonds doit être rapide. Le Fonds doit vérifier si la personne a bien droit à une indemnisation. Afin de maximaliser sa recherche, le Fonds peut bénéficier de tous les moyens nécessaires notamment l'examen médical.

Article 9

Avant le paiement de l'indemnité, le Fonds est tenu d'apporter l'explication du montant qui peut être octroyé à la victime afin que cette dernière puisse donner son accord. Tout refus de la part du Fonds doit être justifié.

Article 10

Le demandeur peut refuser l'offre qui lui sera faite par le Fonds.

Article 11

Il est important de fixer un délai afin d'éviter tout retard dans le paiement de l'indemnité.

Article 12

Le demandeur a le droit de poursuivre le Fonds en justice si celui-ci ne lui a pas répondu dans le délai de six mois, s'il n'accepte pas l'offre qui lui a été faite ou si sa demande a été refusée.

Dominique TILMANS
Jacques BROTCHI.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est créé un « Fonds d'indemnisation des victimes de contaminations à la suite d'une transfusion », nommé ci-après « le Fonds ».

Art. 3

Le Fonds est doté de la personnalité juridique, il est présidé par un magistrat nommé par arrêté royal et est administré par une Commission d'indemnisation dont la composition et le fonctionnement sont également fixés par arrêté royal.

Le Fonds peut recueillir tout avis qui lui semble indispensable à l'accomplissement de sa mission. Il peut notamment consulter les associations ou groupement médicaux, les sociétés scientifiques, les associations de patients, les assureurs, etc.

Art. 4

Pour les cas où l'origine transfusionnelle de la contamination ne peut être établie avec certitude, un arrêté royal détermine les critères qui ouvrent le droit à une indemnisation.

Afin de déterminer ces critères, le ministre qui a la santé publique dans ses compétences prend l'avis du Conseil supérieur d'hygiène. Ce dernier peut prendre l'avis d'un groupe d'experts avant de formuler son avis.

Art. 5

Le dommage est indemnisé sur les bases admises selon le droit commun de la responsabilité civile. Des plafonds d'indemnisation peuvent cependant être déterminés par arrêté royal.

Art. 6

Toute personne ayant été victime d'une contamination à la suite d'une transfusion sanguine dans une période de trente ans précédant l'entrée en vigueur de la loi peut introduire une demande d'indemnisation dans le cadre de la présente loi.

Les personnes concernées doivent joindre à la demande les justifications de la date de la contamination et des circonstances dans lesquelles elle est intervenue.

Art. 7

La demande est adressée au Fonds par pli recommandé à la poste avec accusé de réception.

Art. 8

Dans un délai de six mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants-droit, le Fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

La Commission d'indemnisation peut demander qu'un examen médical ou qu'une expertise soit pratiqué. La Commission est libre de choisir le médecin expert et de déterminer les questions qui lui sont posées. Elle est tenue d'informer le demandeur des noms des médecins/experts, de l'objet, de la date et du lieu, quinze jours au moins avant la date de l'examen.

Le demandeur peut se faire accompagner du médecin de son choix. Tout au long de la procédure il peut se faire assister d'un avocat et d'un médecin de recours.

Art. 9

Le Fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée à l'article 2, une offre d'indemnisation dans un délai d'un an à compter du jour où le Fonds reçoit la justification complète des préjudices.

L'offre indique l'évaluation retenue par le Fonds pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice.

Les décisions du Fonds rejetant partiellement ou totalement la demande d'indemnisation sont motivées.

Art. 10

Dans les trente jours de la réception de l'offre de l'indemnisation, le demandeur fait connaître au Fonds s'il accepte ou non l'offre qui lui est faite.

Art. 11

Lorsque le demandeur accepte l'offre, le Fonds dispose d'un délai de trois mois pour verser la somme correspondante.

Art. 12

La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le Fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné à l'article 6 ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite.

Cette action est intentée devant le tribunal de première instance du domicile du demandeur.

Art. 13

Le Fonds est subrogé, à concurrence des montants versés, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage qu'elle a subi.

Art. 14

Les dépenses afférentes à l'exécution de la présente loi sont prises en charge par le Fonds.

Le Fonds est alimenté par:

1º des interventions à charge du budget du ministère qui a les Affaires sociales et la Santé publique dans ses attributions, dont les modalités sont déterminées par le Roi;

2º les dons et legs faits au Fonds;

3º le produit du placement de ses avoirs;

4º les sommes attribuées au Fonds en suite de la subrogation prévue à l'article 13.

14 octobre 2010.

Dominique TILMANS
Jacques BROTCHI.

(1) US General Accounting Office, « Blood supply: transfusion-associated risks », GAO/PEMD 97-1, Washington DC, US Government Printing Office, 1997, d'après J.-C. Osselaer.