4-1683/1

4-1683/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

26 FÉVRIER 2010


Proposition de résolution visant à faire reconnaître la responsabilité de l'État belge dans le drame du Softenon et visant à obtenir le dédommagement des victimes ainsi qu'un suivi médical adéquat pour celles-ci

(Déposée par M. Alain Destexhe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Cette année marque le triste cinquantième anniversaire de la mise en circulation du Softenon en Belgique. Les effets dramatiques de ce médicament sur la santé des nouveaux-nés des femmes ayant eu recours à ce produit durant leur grossesse ne sont plus à démontrer. Plusieurs d'entre elles ont mis au monde des individus ectroméliens, à savoir des individus dont le développement d'un ou plusieurs membres ne s'était pas opéré de façon complète. Les nourrissons présentaient dès lors de nombreux handicaps tels que l'absence d'une ou des deux mains (voire des quatre membres), l'absence de doigts, de phalanges, l'inclinaison latérale de l'extrémité d'un ou de plusieurs doigts ou orteils, les membres atrophiés, etc. (1) .

I. Historique d'un drame annoncé

a. Un produit créé par les nazis

Dans les années 1950, le marché des antidépresseurs, sédatifs et anabolisants connaît un grand engouement. La firme allemande Grünenthal se lance alors dans le créneau en produisant des médicaments à base de thalidomide, un produit qui aurait été créé par les nazis pendant la seconde guerre mondiale (2) .

La thalidomide fut d'abord testée sur des animaux. Des recherches approfondies sur la toxicité de ce produit furent également réalisées. Bien qu'incomplets — aucune expérience n'ayant été effectuée sur des animaux en gestation — les tests furent jugés concluant, ce qui amena Grünenthal à essayer des produits à base de thalidomide sur trois femmes « ayant de la constipation spasmodique et de manière totalement inattendue la thalidomide induisit le sommeil » (3) . Les premières à en avoir bénéficié furent les épouses des membres du personnel de la firme Grünenthal, sans conséquences dramatiques pour celles-ci.

Le premier cas de malformation avéré semble avoir été celui d'un nouveau-né chypriote en 1955. Aucun rapport ne fut alors fait entre les échantillons de thalidomide ingurgités par la mère et les malformations du nourrisson.

La firme étant en règle avec la législation allemande, le produit fut commercialisé dans la région de Hambourg en novembre 1956. Dès l'année suivante, la production quitta les frontières de la RFA et le médicament fut mis en circulation dans la plupart des pays occidentaux, sous différentes dénominations. Outre l'Allemagne de l'Ouest, la thalidomide fut notamment vendue en Autriche, à Chypre, en Espagne, en Finlande, en Irlande, à Malte, aux Pays-Bas, au Portugal ou encore en Suisse. En Belgique, elle fut également commercialisée, sous le nom de Softenon, dès 1959.

b. Des mises en garde ignorées par les autorités belges

Malgré les mises en garde de chercheurs (démontrant, dès 1960, que la thalidomide était capable d'endommager le système nerveux) et les réactions subséquentes des professionnels de la santé (qui demandaient la mise sous prescription de la thalidomide), les autorités publiques ne réagirent pas, et laissèrent le produit en vente libre.

Outre les mises en garde de certains professionnels, les autorités belges auraient également dû être interpellées par l'attitude adoptée par certains pays à l'égard du médicament. En effet, si la thalidomide fut commercialisée dans la plupart des pays occidentaux, ce ne fut le cas ni aux États-Unis, ni en France.

S'il semble que l'absence de thalidomide en France s'explique essentiellement par la lenteur de l'administration ainsi que par l'adoption, en 1961, d'une loi instituant un contrôle strict sur les médicaments, l'interdiction de la mise en circulation du médicament aux États-Unis, pour sa part, trouve sa source dans la vigilance de Frances Kelsey, membre de l'administration américaine de contrôle des aliments et des substances médicamenteuses (FDA). Celle-ci fut en effet interpellée par les nombreuses critiques adressées par un médecin allemand (le professeur Wildukind Lenz) à l'encontre de la thalidomide. À la suite de plus amples investigations, la FDA décida finalement d'interdire la mise en circulation de la thalidomide sur le marché américain.

Plus la thalidomide était consommée et plus les rapports scientifiques négatifs affluaient. Au Bürgerspital de Bâle, l'utilisation du Contergan, également à base de thalidomide, fut abandonnée après que l'on ait noté de « sévères réactions allergiques sous la forme d'hémorragies locales de la peau » (4) . Ainsi, si le succès du médicament continuait de croître, il en allait de même de la prise de conscience par les scientifiques des terribles dangers potentiels du produit.

Grünenthal fit non seulement la sourde oreille mais entreprit des campagnes de publicité agressives dont le but avoué était de démontrer l'absence de fondement des critiques: les représentants de la firme prirent ainsi contact avec les médecins pour les rassurer et 250 000 brochures vantant les mérites de la thalidomide furent distribuées.

Rien n'y fit: le nombre de victimes augmenta et les rapports scientifiques accablant se multiplièrent tout au long de l'année 1960, ce qui n'empêcha pas la firme de continuer à ignorer ces signaux, se mobilisant au contraire d'avantage pour défendre son produit.

Ce n'est finalement qu'à la fin de l'année 1961 qu'un médecin de Hambourg, Wildukind Lenz (encore lui), découvrit que la cause du nombre croissant de nourrissons victimes de malformations n'était pas due aux retombées radioactives (comme on le pensait jusqu'alors), mais bel et bien à l'absorption de thalidomide par des femmes enceintes.

Lenz fit rapidement état de ses conclusions aux autorités mais Grünenthal, qui avait pris connaissance de ces accusations, réagit en publiant de nouvelles brochures défendant la thalidomide. La presse mit également du temps à réagir, sauf en Allemagne où, dès le 26 novembre, le journal Welt am Sonntag titrait « Les alarmantes suspicions d'un chercheur contre un médicament distribué mondialement », l'hebdomadaire n'hésitant pas à parler de « bombe pharmacologique » pour désigner ce qui apparaissait désormais comme un véritable « médicament maudit » (5) .

c. Le retrait du marché: une réaction trop tardive

Alors qu'une action rapide s'imposait, les pays touchés par la catastrophe furent lents à réagir et tergiversèrent. Alors que l'Allemagne de l'Ouest retira le produit du marché dès novembre 1961, on ne cessa de vendre de la thalidomide en Irlande qu'en janvier 1962. Le Canada fit de même en mars, l'Espagne, en août et le Japon en septembre de la même année.

En Belgique, le ministre de la Santé, Joseph Custers, ne réagit également qu'au début de l'année 1962, sans pour autant prendre les mesures adéquates, de sorte que des pharmacies se fournissaient encore en Softenon au printemps 1963.

À l'époque, « la loi belge prévoyait que lorsqu'un avis de retrait d'un médicament paraissait dans le bulletin professionnel des pharmaciens, ceux-ci avaient encore deux mois pendant lesquels ils pouvaient continuer à vendre le médicament en question. En décembre 1961, le Softenon ne fut pas interdit à proprement parler. En juin 1962, la commission nationale compétente pour établir sa nocivité ne s'était toujours pas réunie. Le vendredi 15 juin 1962, un arrêté royal parut au Moniteur pour permettre au gouvernement de le retirer de la circulation, mais cette interdiction ne porta que sur une période de trois mois renouvelable après ce délai » (6) .

À l'époque, le sénateur libéral Joseph Degrauw, président de la commission de la Santé publique, constata que la Belgique était alors régie en la matière « par une loi sur l'article de guérir de 1818 et par une loi [...] de 1921 » (7) . Ce n'est qu'après avoir constaté le drame que le ministre Custers reconnut que la législation belge était désuète et prit conscience de la nécessité de la remplacer d'urgence par une nouvelle loi qui permettrait à l'avenir d'empêcher la mise sur le marché de médicaments tant que leur innocuité n'aurait pas été totalement établie. Les nouvelles mesures furent adoptées dans l'année ... avec un effet immédiat: « Il existait à peu près 40 000 médicaments, 30 000 d'entre eux ont immédiatement disparu du seul fait qu'ils devaient être enregistrés en 1962 » (8) .

Dès l'apparition du scandale, les Belges se demandèrent pourquoi les autorités n'avaient pas averti la population des dangers qu'elle encourait. Un tragique fait divers, survenu à Liège, défraya par ailleurs la chronique et fut relayé dans la presse: un jeune couple dont l'enfant, victime de la thalidomide, était né sans bras, avait été aidé par un médecin pour l'euthanasier. Poursuivi, les accusés furent finalement acquittés à la mi-novembre 1962.

d. Le nombre de victimes

Bien que le nombre de victimes de la thalidomide soit difficile à établir avec précision, plusieurs études, notamment celle menée par le professeur Lenz, présentent des estimations alarmantes pour certains pays: ainsi, le nombre de victimes est évalué à plus de 3 000 en RFA (9) , à près de 150 en Suède (10) et à près de 350 au Royaume-Uni (11) .

En Belgique, la même enquête établit 32 cas de malformations néonatales causées par le Softenon entre 1959 et 1962 (12) . L'ASBL « Victimes de la thalidomide », fondée en octobre 2009, estime pour sa part qu'il y aurait aujourd'hui une vingtaine de victimes belges encore en vie. Elle estime par ailleurs entre 12 000 et 15 000 (13) le nombre de bébés nés avec des malformations dans 46 pays (14) à la suite de l'ingestion de ce médicament par leur mère durant la période de gestation, la moitié d'entre-eux étant par ailleurs décédée durant la première année après leur naissance.

II. Une responsabilité à reconnaître, une faute à réparer

a. Mesures adoptées dans d'autres pays européens

En Allemagne, un procès fut intenté dès 1968 à l'entreprise pharmaceutique Grünenthal. Ce procès se termina finalement en 1970 par une transaction entre les plaignants et la société défenderesse, cette dernière s'engageant par ailleurs à verser 100 millions de Deutsche marks aux enfants dont les malformations étaient imputables aux médicaments à base de thalidomide (tel le Contergan, l'équivalent allemand du Softenon) qu'elle avait mis en circulation. Un an plus tard, le ministère allemand de la Santé mettait en place une fondation, dont l'objet était de venir en aide aux enfants handicapés, et reconnut sa responsabilité tout en s'engageant à financer un fonds (également alimenté par Grünenthal) au profit des victimes de la thalidomide.

Il convient cependant de souligner que les sommes mobilisées ne permirent pas d'accompagner de manière optimale les victimes allemandes de la thalidomide. Ainsi, certaines d'entre-elles ne touchent, encore aujourd'hui, qu'une aide financière (versée par le Fonds de la thalidomide de la Fondation des personnes handicapées) oscillant entre 252 et 1 116 euros par mois (15) , des sommes dérisoires eu égard aux souffrances indescriptibles qu'elles endurent.

Bien que le gouvernement allemand se soit engagé, en mai 2009, à mobiliser 100 millions d'euros pour les vingt-cinq prochaines années afin de renforcer l'aide aux victimes (environ 2 650 personnes (16) ), plusieurs associations firent remarquer que cela n'aurait pour résultat que de faire augmenter le plafond de l'aide financière dont ils bénéficient qu'à hauteur de 1 500 euros, ce qui reste insuffisant eu égard aux nombreuses difficultés quotidiennes engendrées par l'absence d'un ou de plusieurs membres. Se considérant comme discriminées au regard des montants octroyés à d'autres catégories de personnes handicapées, plusieurs victimes ont par conséquent récemment introduit un recours contre l'État fédéral devant la Cour constitutionnelle allemande (17) .

La situation fut assez similaire au Royaume-Uni. Après l'introduction de plusieurs plaintes (qui aboutirent à des accords à l'amiable avec les entreprises pharmaceutiques ayant commercialisé des produits à base de thalidomide (18) ), une fondation (la Thalidomide Trust (19) ) fut mise en place en 1973 afin d'indemniser les victimes britanniques de la thalidomide grâce à un financement assuré par la Distillers Biochemicals Ltd., firme qui avait commercialisé la thalidomide au Royaume-Uni.

Ce n'est cependant qu'en décembre 2009 que les autorités britanniques reconnurent leur responsabilité (20) dans ce drame, tout en mobilisant vingt millions de livres sterling afin de répondre aux besoins des victimes.

En octobre 2009, les autorités italiennes ont, pour leur part, décidé d'octroyer aux victimes de la thalidomide une indemnité mensuelle de 4 000 euros net par mois (21) .

Enfin, la Suède semble avoir pris cette problématique à bras le corps dès son apparition. Ainsi, dès les années 1960, le gouvernement suédois mit en place une structure spécialisée afin de venir en aide aux victimes de la thalidomide. Basé à Stockholm, ce centre abritait notamment toute une série de spécialistes dont l'objectif était de permettre aux victimes d'acquérir une certaine forme d'indépendance dans leur vie quotidienne. Par ailleurs, en 1993, un autre centre spécialisé dans l'assistance (notamment médicale) des victimes fut lancé, à l'initiative de Björn Hakansson (lui-même victimes de malformations congénitales engendrées par la thalidomide), au sein de l'hôpital de la Croix-Rouge à Stockholm. Enfin, en 2001, le gouvernement suédois accepta de réparer le préjudice subi par les victimes de la thalidomide, en versant une somme de 55 000 euros par personne, somme qui s'ajoute à la compensation financière versée deux fois par an depuis 1970 aux victimes suédoises par l'entreprise pharmaceutique qui distribua des médicaments à base de thalidomide dans le pays (22) .

Si la société Grünenthal finit par reconnaître sa responsabilité dans ce drame, il n'en alla pas de même en ce qui concerne l'État belge, lequel, à ce jour, n'a jamais présenté ses excuses publiques aux survivants.

b. Une faute dans le chef de l'État

Jos Custers fut alerté dès novembre 1961, par le docteur Danner, chef du service de l'Hygiène du gouvernement ouest-allemand, des conséquences potentiellement catastrophiques que le médicament présentait pour les nouveaux-nés (23) .

Or, le ministre belge de la Santé, comme nous l'avons vu plus haut, attendra juin 1962 (24) ( !) pour interdire (à titre provisoire) la vente du Softenon. Et ce n'est finalement qu'en décembre de la même année que le produit sera définitivement interdit dans notre pays (25) .

Cette attitude manifestement irresponsable (au regard de la réaction de ses homologues européens ainsi que du refus de la France et des États-Unis de commercialiser les médicaments à base de thalidomide) n'empêchait pas le ministre de s'enorgueillir de sa capacité à protéger notre pays des médicaments nocifs, avançant pour preuve de sa bonne foi les quatorze arrêtés royaux adoptés en ce sens, les services en charge de la Santé publique ayant pour leur part quelques temps plus tôt annoncé l'assainissement du marché pharmaceutique en Belgique à l'occasion de la nomination des membres de la commission des spécialités du département de la santé publique, laquelle, deux ans après sa création, ne s'était pas réunie une seule fois...

Les médecins qui ont prescrit la thalidomide, les pharmaciens qui l'ont vendue et les patientes qui en ont fait usage, étaient en droit de présumer que les institutions publiques compétentes, au premier rang desquelles leur gouvernement, avaient pris toutes les dispositions nécessaires pour s'assurer que le médicament en question ne présentait aucun danger, notamment pour les enfants que ces futures mères de famille portaient en leur sein.

Si Grünenthal s'est manifestement rendu coupable d'une faute en refusant trop longtemps de retirer des médicaments dont une importante partie du corps médical dénonça assez rapidement les risques de malformations congénitales qu'ils étaient susceptibles de générer chez les fœtus, cela ne dédouane en rien l'État belge des fautes qui lui sont imputables.

En effet, au regard des éléments précités, il appert que l'État belge, par l'entremise de son ministre de la Santé, commit deux fautes aux conséquences dramatiques:

— d'une part, en autorisant la mise en circulation sur notre territoire d'un médicament aux effets dévastateurs et ce, malgré la réticence de deux pays (la France et les États-Unis).

— d'autre part, en manquant de célérité pour retirer le médicament des officines belges, malgré tous les signaux envoyés, tant par les gouvernements étrangers concernés que par le monde scientifique.

Cette responsabilité évidente, le ministre (membre du VNV durant la Seconde guerre mondiale (26) ) choisit pourtant de la balayer d'un revers de la main, faisant ainsi preuve, en plus d'un manque flagrant de compétence professionnelle, d'un cruel manque d'humanité à l'égard de nouveaux-nés condamnés par sa faute à d'intenses souffrances, voire à une mort prématurée.

c. La reconnaissance du statut de victime comme préalable au dédommagement du préjudice subi ainsi que l'accompagnement médical adéquat des patients

Au vu du calvaire enduré par les victimes de la thalidomide, ainsi que la terrible souffrance morale de leur famille (notamment leurs parents), il n'est que justice que le gouvernement reconnaisse, d'une part, la responsabilité de l'État belge dans le drame enduré par ces personnes et, d'autre part, les dédommage en conséquence, en s'inspirant notamment des mécanismes adoptés chez nos voisins.

Par ailleurs, il convient de s'assurer d'un suivi médical adéquat pour ces personnes, dont la faible espérance de vie et le faible nombre suffisent d'avance à délégitimer toute tentation d'éviction de cette problématique sous couvert d'arguments de nature budgétaire, une telle argumentation ne pouvant d'ailleurs qu'ajouter à la souffrance des victimes un sentiment profond d'injustice.

III. Un passé à assumer, un avenir à protéger

Les engagements récemment pris par l'actuelle ministre des Affaires sociales et de la Santé publique (27) en ce qui concerne la reconnaissance de la responsabilité de l'État belge et la réparation des victimes de cette faute vont, à notre avis, dans le bon sens, et méritent d'être salués.

La présente proposition de résolution n'entend d'ailleurs pas se substituer aux initiatives de la ministre, mais bien veiller à ce que celle-ci prenne en considération l'ensemble des revendications avancées par les victimes elles-mêmes.

Il convient, par ailleurs, de rester vigilant. En effet, ces dernières années, la thalidomide a été réintroduite dans notre pays, dans la mesure où des recherches menées, il y a quelques années, auraient démontré l'efficacité de la thalidomide dans la lutte contre certaines affections dermatologiques (telle la lèpre), inflammatoire et cancéreuse, ainsi que dans la lutte contre le virus du SIDA (28) .

Certes, l'arrêté royal du 13 février 2005 (29) portant interdiction (sic) de la cession et de la délivrance de médicaments contenant de la thalidomide prévoit que son administration ne peut être instaurée que moyennant le respect de toute une série de conditions drastiques, notamment l'obligation d'informer le patient des contre-indications, précautions et effets indésirables. Mais il convient à notre sens de s'assurer avant toute chose que les patients amenés à recourir à ce produit prendront les précautions qui s'imposent, notamment en recourant à des moyens contraceptifs efficaces.

Il ne serait pas inutile que le gouvernement fédéral ainsi que les communautés, chacun pour les matières relevant de ses compétences, entreprennent à cet égard une campagne de sensibilisation auprès du personnel médical ainsi que des patients susceptibles d'avoir recours à ce type de médicament.

IV. Conclusions

Toute leur vie durant, les victimes du Softenon furent aux prises avec d'énormes difficultés et ce, dans de nombreux domaines de leur vie: choix de carrière, emploi, logement, transport, vie quotidienne, sociale, sexuelle, loisir, hygiène, etc. Leur vie entière a été affectée par leur handicap mais aussi par le sentiment d'injustice d'avoir été empoisonnées dans le ventre de leur mère, sans que jamais les responsables politiques ne se soient inquiétés de leur sort.

Depuis quelques années, les victimes de la thalidomide s'interrogent sur les causes de la dégradation de leur état de santé, l'apparition de fatigues chroniques ainsi que de douleurs lancinantes.

Outre les dégâts causés sur la croissance des membres ainsi que sur les organes vitaux du nouveau-né, la thalidomide affecte également la formation de la moelle épinière et le système sensoriel périphérique dans son développement précoce, engendrant des souffrances de plus en plus difficile à supporter pour les victimes du Softenon encore en vie.

Au vu du calvaire qu'ils endurent depuis près de cinquante ans et leurs difficultés croissantes tant au niveau de leur autonomie et de leur santé qu'au niveau financier suite aux besoins croissants d'assistance, l'octroi à ces familles d'un dédommagement moral pour la faute commise par l'État ainsi que la garantie d'une assistance financière et d'un accompagnement médical adéquat pour les années à venir, afin de leur assurer une fin de vie digne, ne serait que justice.

En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat apporterait un soutien symbolique aux victimes et un signal fort au gouvernement fédéral.

Alain DESTEXHE
Nele LIJNEN
Dominique TILMANS
Marleen TEMMERMAN
Bart TOMMELEIN.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Considérant que l'État belge, en manquant de diligence et de réactivité face aux nombreux signaux, issus tant de la communauté scientifique que de gouvernements étrangers, mettant en exergue les risques élevés pour les femmes enceintes consommant des médicaments à base de thalidomide (tel le Softenon) de mettre au monde des enfants souffrant de nombreuses malformations, s'est rendu coupable d'une faute;

B. Considérant qu'en application des principes généraux inhérents à la responsabilité des pouvoirs publics, l'État se doit d'indemniser les victimes vivant encore aujourd'hui;

C. Considérant qu'en égard au faible nombre de victimes encore en vie, leur indemnisation implique à la fois la réparation de leur préjudice moral ainsi qu'un financement leur permettant de vivre décemment tout en bénéficiant d'un suivi médical adéquat en s'inspirant des situations prévalant dans les pays voisins;

D. Se réjouissant des récentes déclarations de la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique allant dans le sens d'une reconnaissance prochaine de la responsabilité des pouvoirs publics dans le drame du Softenon;

Demande au gouvernement fédéral:

1. de présenter, dans les plus brefs délais, des excuses officielles aux victimes belges de la thalidomide pour les fautes commises par l'État belge en manquant de diligence dans le retrait du médicament;

2. de reconnaître la responsabilité de l'État belge et d'indemniser les victimes belges de la thalidomide, notamment en prenant en considération le niveau de handicap de chaque victime sur la base de critères préalablement définis, en concertation avec les victimes en s'inspirant notamment des exemples britannique, italien et suédois;

3. d'assurer aux victimes de la thalidomide une assistance financière adéquate, en égard à l'ampleur de l'assistance médicale que requiert leur état de santé.

18 décembre 2009.

Alain DESTEXHE
Nele LIJNEN
Dominique TILMANS
Marleen TEMMERMAN
Bart TOMMELEIN.

(1) JANICKI, J., Le drame de la thalidomide, Un médicament sans frontières 1956-2009, Paris, L »Harmattan, 2009, p. 37.

(2) FOGGO, D., « Thalidomide « was created by nazis » », The Sunday Times, February 8, 2009.

(3) JANICKI, J., op. cit., 2009, pp. 15-16.

(4) Ibid., p. 29.

(5) Ibid., p. 48.

(6) Ibid., p. 49.

(7) Ibid., p. 166; Source: Le Soir, 14 juin 1962.

(8) Ibid., p. 167.

(9) Ibid., p. 104.

(10) Idem.

(11) Idem.

(12) Idem.

(13) Du brulle, C., De Vogelaere, J.P., « Nous demandons des excuses », Le Soir, 25 novembre 2009. Ces chiffres sont corroborés par les estimations du Pr. Lenz.

(14) Ibid., pp. 93-96; La Dernière Heure, le 10 octobre 2009.

(15) VON ULRIKE, R., « Contergangeschädigte hoffen auf Gerechtigkeit », Die Welt, 26 août 2009, http://www.welt.de/wissenschaft/medizin/article4400767/Contergangeschaedigte-hoffen-auf-Gerechtigkeit.html, consulté le 11 janvier 2010.

(16) Idem.

(17) « Cour constitutionnelle allemande: Les victimes du Contergan luttent pour plus d'égalité », ARTE Info, 12 août 2009, http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/ARTE-info/2798686.html, consulté le 11 janvier 2010.

(18) Le Fonds mis en place par Grünenthal et le gouvernement fédéral allemand ne put bénéficier aux victimes originaires du Canada, d'Italie, du Japon, du Royaume-Uni et de Suède, dans la mesure où ce n'était pas la société Grünenthal, mais bien d'autres entreprises pharmaceutiques, qui avaient écoulé des médicaments à base de thalidomide dans ces pays.

(19) http://www.thalidomide.org.uk/.

(20) WILKINSON, E., « Thalidomide survivors to get £20 million », site Internet de BBC News, http://news.bbc.co.uk/2/hi/8428838.stm.

(21) « Gustizia » in La Repubblica, 13 octobre 2009, p. 40.

(22) « Living with a rare disease. Portrait of a European militant: Björn Hakansson, Swedish thalidomide victim », http://www.eurordis.org/article.php3?id_article=1783, consulté le 18 décembre 2009.

(23) BUNNENS, G., « Le drame du « Softenon », Le Peuple, 9-10 juin 1962.

(24) Moniteur belge, 12 juin 1962.

(25) Moniteur belge, 12 décembre 1962.

(26) Site Internet de l'association « Résistances », http://www.resistances.be/cvp.html, consulté le 18 décembre 2009.

(27) DE VOGELAERE, J.P., « Un premier pas vers une reconnaissance », Le Soir, 27 novembre 2009.

(28) « Softenon: le retour », La Dernière Heure, 28 mai 2005.

(29) Moniteur belge, 11 mars 2005.