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M. Georges Dallemagne (cdH). - Il faut être prudent, bien sûr, dans cette affaire Belliraj qui mêlerait terrorisme islamiste, assassinats ciblés, grand banditisme, financement du terrorisme, trafic d'armes, infiltration des services de la sûreté de l'État par des agents à la solde d'Al Qaeda, si l'on en croit la presse, affaire qui est attribuée à un réseau de 35 personnes dont trois belgo-marocains arrêtés le 18 février dernier au Maroc.
Il faut être prudent, mais l'affaire paraît sérieuse, les autorités marocaines semblent avoir un dossier lourd, à charge notamment du chef présumé de ce groupe, le belgo-marocain Abdelkader Belliraj, l'accusant de faits extrêmement graves commis entre autres sur le territoire belge dans les années 80 et 90, et de relations avec Al Qaida au cours de voyages, notamment en Afghanistan en 2001 et en Algérie en 2005.
Après avoir minimisé l'information, les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme en Belgique semblent surtout aujourd'hui se rejeter la faute de ce qui pourrait apparaître comme une affaire énorme, posant à nouveau la question, plus de dix ans après l'affaire Dutroux, de l'efficacité des services de renseignement, de leur coordination avec les services de police, de la rétention d'information et du contrôle démocratique de ces services essentiels à la sécurité de la population.
J'espère donc que la lumière sera bientôt faite sur les faits reprochés à ce réseau et à son chef ainsi que sur leurs responsabilités exactes et leurs éventuels complices.
Monsieur le ministre, en attendant d'en savoir plus, notamment grâce à la mission d'information de la police fédérale belge qui s'est rendue à Rabat en début de semaine, je souhaiterais vous poser quelques questions :
Savez-vous dans quelles circonstances Abdelkader Belliraj a quitté la Belgique, son épouse ayant déclaré qu'il avait disparu de la circulation plusieurs semaines avant son arrestation par les autorités marocaines ? Quand a-t-il quitté le territoire belge ? L'a-t-il fait de son plein gré ? Quel était le motif déclaré de son voyage ?
Il semble quasiment certain qu'Abdelkader Belliraj a été un informateur régulier et régulièrement rémunéré de la sûreté de l'État depuis une dizaine d'années. Je ne vous demande pas de me le confirmer, la loi vous l'interdisant ; je souhaite néanmoins connaître votre avis sur le fait d'embaucher comme informateur un individu soupçonné à l'époque par la police belge des assassinats don l'accusent aujourd'hui les autorités marocaines.
Est-il exact qu'Abdelkader Belliraj se soit rendu en Afghanistan en 2001, alors qu'il était un informateur de la sûreté de l'État belge ? La Sûreté était-elle informée de ce voyage ? S'est-il rendu dans d'autres pays ces huit dernières années ? Connaît-on le motif de ces voyages ?
Lors du débat à la Chambre mardi, vous avez implicitement accusé la Sûreté de ne pas communiquer ses informations au pouvoir judiciaire. Vous avez aussi demandé une enquête auprès du Comité R. Votre confiance est donc ébranlée, on peut le comprendre. N'est-il pas opportun de reposer la question de l'efficacité du contrôle démocratique en matière de renseignements au moment où il est question d'accorder aux services de renseignement des pouvoirs importants en ce qui concerne les méthodes particulières de renseignement ?
Les polices locales, la police fédérale, la Sûreté de l'État ont chacune leur réseau d'informateurs. Quels sont les critères de sélection et de contrôle de ces informateurs ? Quel est le budget total consacré par la police et les services de renseignement à ses informateurs ? Comment contrôle-t-on ces dépenses - prix payé, opportunité, efficacité des informateurs ?
Que pensez-vous des tensions qui existent à nouveau entre la police fédérale et la sûreté de l'État ? Que pensez-vous de l'efficacité du dispositif belge de lutte contre le terrorisme ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier aux insuffisances actuelles ?
M. Jo Vandeurzen, ministre de la Justice. - Lorsque j'ai pris connaissance des arrestations intervenues au Maroc, notamment celle de M. Belliraj, je me suis immédiatement renseigné, en ma qualité de ministre de la Justice et dans les limites de mes attributions, au sujet de l'échange d'informations concernant cette affaire.
À la question de savoir quand, comment et pourquoi l'intéressé a quitté la Belgique, je peux répondre qu'il a probablement quitté notre pays à la mi-janvier 2008 et qu'il s'est vraisemblablement rendu au Maroc pour y régler des affaires familiales et personnelles. Il serait d'ailleurs rentré plusieurs fois au Maroc par le passé, et cela sans le moindre problème.
Votre question portant sur mon avis quant au recrutement d'un individu suspect comme indicateur ne repose que sur une hypothèse. Je souhaite attendre les résultats de l'enquête.
Je ne peux répondre sur le fond aux questions concernant les prétendus voyages que M. Belliraj aurait effectués par le passé, car les questions de ce type relèvent de loi relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité du 11 décembre 1998 et de la loi organique des services de renseignement en de sécurité du 30 novembre 1998.
J'ai effectivement demandé au Comité R de procéder à une enquête. Comme je l'ai déjà dit mardi, je partage votre souci d'optimisation du fonctionnement des services de la Sûreté de l'État et je m'engage en ce sens. Il ne faut pas chercher à tirer d'autres conclusions.
Dès mon entrée en fonction en tant que ministre de la Justice, les critiques portant sur la Sûreté de l'État à la suite de la menace terroriste surgie pendant la période du Nouvel An m'ont incité à procéder à une évaluation approfondie et à une réorientation de ce service de renseignement. Ce deuxième incident, qui se produit quelques semaines plus tard, ne peut que confirmer cette nécessité.
Il est en outre essentiel, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, que ce service dispose de moyens appropriés et soit ainsi rendu plus performant. J'ai soumis à cet effet, dès mon entrée en fonction, le projet de législation sur les méthodes spéciales de renseignement à une évaluation en vue de son amélioration. Ce projet de loi fera prochainement l'objet d'un nouveau débat parlementaire.
Concernant le recrutement des indicateurs, le contrôle et le budget, tant à l'échelon de la police locale que de la police fédérale et des services de renseignement, il ne me paraît pas opportun de présenter en détail les techniques de sélection, de recrutement et de contrôle, car cela pourrait porter directement atteinte à leur bon fonctionnement.
D'un point de vue général, je peux dire qu'en ce qui concerne les services de police, le recours aux indicateurs est réglé par la loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d'enquête.
Concernant les indicateurs de la police, on a désigné un gestionnaire local des indicateurs et un gestionnaire national des indicateurs, chargés du contrôle du recrutement et de la coordination. Les paiements de plus de 500 euros ne sont pas possibles sans l'autorisation du procureur du Roi. De plus, le procureur général exerce un contrôle formel annuel et doit faire rapport à ce sujet au Collège des procureurs généraux. Les résultats obtenus font l'objet d'un rapport trimestriel au procureur fédéral. Les critères de sélection et le contrôle des sources de la Sûreté de l'État sont très sévères. Il est notamment nécessaire de disposer d'un casier judiciaire vierge. Il n'est pas possible de communiquer le budget total consacré par la Sûreté de l'État à ses informateurs. Ces données sont classifiées. Il est néanmoins utile de noter que ces fonds sont approuvés par le gouvernement et contrôlés par la Cour des comptes.
Les tensions entre services de police et services de renseignement sont inadmissibles.
Pour lutter contre le terrorisme, la Belgique dispose d'une série de structures et de services. Ceux-ci sont régulièrement évalués et réorientés en termes de performances. La Sûreté de l'État constitue un élément crucial de ce dispositif de lutte contre le terrorisme. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la Sûreté de l'État se sent obligée de déposer une plainte auprès du procureur du Roi de Bruxelles et auprès du Comité P parce que des informations concernant des renseignements classifiés ont été rendues publiques, ce qui constitue un délit.
Par ailleurs, j'ai pris l'initiative d'élaborer un modèle de rapport qui permettra d'améliorer le contrôle sur l'indispensable échange d'informations. Sur la base de l'article 29 du Code d'instruction criminelle, il faut au moins soumettre la transmission d'informations concernant des infractions à un contrôle systématique, ce qui impose une bonne coordination de cet échange d'informations. Je propose dès lors d'attendre les résultats de l'enquête du Comité R et je ne manquerai pas de tirer les leçons qui s'imposent des conclusions et des recommandations éventuelles de ce rapport.
M. Georges Dallemagne (cdH). - Je comprends bien que certaines informations ne peuvent pas être publiques. L'essentiel est d'être rassuré sur le bon fonctionnement de nos services chargés de lutter contre le terrorisme, sur leur bonne coordination et sur le fait qu'ils communiquent en temps et en heure les informations dont ils disposent au ministre, ainsi qu'aux services judiciaires.
Je salue les initiatives prises par le ministre en vue d'assurer des échanges d'informations optimaux et d'instaurer des rapports corrects. Comme lui, j'attends la suite de cette histoire absolument incroyable : soit nos services de renseignement ne savaient rien, ce qui serait très inquiétant, soit ils savaient et n'ont rien dit, ce qui serait encore plus inquiétant. Le dossier marocain paraît en effet consistant.
Nous comptons donc sur le ministre pour éviter que notre pays soit ridiculisé mais nous restons inquiets quant à la manière dont notre pays assure sa sécurité.