4-17 | 4-17 |
De voorzitter. - De heer Charles Michel, minister van Ontwikkelingssamenwerking, antwoordt.
Mme Sfia Bouarfa (PS). - L'édition 2008 du salon de l'auto s'est adressée à des acheteurs potentiels de véhicules destinés à leur usage privé tout en attirant leur attention sur des voitures plus « vertes ». Cet événement commercial ainsi que sa stratégie de marketing m'ont interpellée concernant l'orientation politique que va prendre la Belgique en la matière et plus particulièrement en ce qui concerne les biocarburants ou agrocarburants. L'Union Européenne entend remplacer 5,75% de sa consommation d'essence et de diesel par les biocombustibles d'ici à 2010 ; ce pourcentage devrait passer à 20% en 2020.
Dans ce scénario, l'Europe serait tenue de mobiliser 70% de ses terres arables pour tenir son pari. La totalité des récoltes de maïs et de soja des États-Unis devrait être transformée en éthanol et en biodiesel. Une telle conversion mettrait sens dessus dessous le système alimentaire des nations du Nord.
Un article du Monde Diplomatique paru en juin 2007 a pu conscientiser une partie de notre population aux dangers de la conversion de l'énergie fossile en agrocarburants et à la carence informative par rapport à ces produits de substitution « idéaux », image entretenue grâce à leur soi-disant faible impact sur l'environnement.
Les agrocarburants sont produits à partir d'huiles végétales et animales. Le biodiesel destiné aux véhicules au diesel base sa production sur des matières premières telles que des graines de colza, de lin, de moutarde, la noix de coco, l'huile de palme, le soja, le tournesol, les arachides, le sésame et les olives. Le bioéthanol - pour véhicules à essence - est produit à partir de végétaux contenant de la saccharose, au départ de la betterave et de la canne à sucre, ou de l'amidon, au départ du blé et du maïs.
L'intensification des cultures énergétiques pour les carburants a notamment pour conséquence d'augmenter le rythme de l'érosion des sols, en particulier dans le cas de la production du soja. Ces cultures industrielles nécessitent aussi des épandages massifs d'engrais produits à partir de pétrole qui ont fait plus que doubler le niveau d'azote biologiquement disponible sur la planète et contribuant ainsi fortement aux émissions d'oxyde nitreux, gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement global est trois cents fois plus élevé que celui du dioxyde de carbone.
En Indonésie, les plantations de palmiers à huile destinés à la production de biodiesel sont la principale cause du recul de la forêt. La Malaisie, premier producteur mondial d'huile de palme, a déjà perdu 87% de ses forêts tropicales et continue à les défricher à hauteur de 7% par an.
Au Brésil, plus le prix du soja grimpe, plus la superficie consacrée à cette culture gagne du terrain sur la forêt humide de l'Amazonie. Cette pratique concerne actuellement 325.000 hectares par an.
Il y a peu, les agrocarburants desservaient principalement des marchés locaux et sous-régionaux. Avec le boom actuel que connaît ce secteur, la grande industrie est entrée dans le jeu, créant des économies d'échelle gigantesques et centralisant l'exploitation. Les petits exploitants seront vraisemblablement expulsés du marché et de leurs terres, comme c'est déjà le cas au Brésil.
Quant aux conséquences de la culture d'agrocarburants sur la faim dans le monde, il y a actuellement suffisamment de nourriture pour alimenter chaque habitant. Cependant, parce qu'elles sont pauvres, 824 millions de personnes souffrent de la faim. La transition qui s'annonce met en concurrence la production alimentaire et les ressources. À l'échelle de la planète, les personnes les plus pauvres dépensent déjà 50 à 80% de leur revenu familial pour leur alimentation. Elles souffrent d'autant plus lorsque les prix élevés des cultures pour carburants font monter les prix des aliments. Chaque fois que le coût de la nourriture augmente de 1%, 16 millions de personnes tombent dans l'insécurité alimentaire. Si la tendance actuelle se confirme, 1,2 milliard d'habitants pourraient souffrir chroniquement de la faim en 2025.
La transition vers les agrocarburants entre en compétition avec la nourriture pour les terres, l'eau et les ressources. Développés à l'extrême, ils seront utilisés pour produire des agrocarburants plutôt que des aliments. Même si les cultures peuvent être replantées, la terre, l'eau et les nutriments demeurent limités. Les biocombustibles nous encouragent donc à continuer à vivre au-dessus des ressources disponibles au lieu de nous inciter à changer nos comportements de consommation. Leur attractivité réside dans le fait qu'ils pourraient prolonger l'économie fondée sur le pétrole.
Cette transition n'a rien d'inévitable. Nombre de solutions de remplacement locales menées avec succès sur le terrain, efficaces au niveau énergétique et centrées sur les besoins des habitants, sont déjà opérationnelles pour produire de la nourriture et de l'énergie sans menacer l'environnement ou les moyens d'existence.
Aux États-Unis, des dizaines de petites coopératives locales produisent du biodiesel, souvent à partir d'huile végétale recyclée. La majorité des coopératives d'éthanol du Middle West sont actuellement entre les mains des agriculteurs locaux. Par ailleurs, ceux-ci possèdent près de trois quarts des raffineries d'éthanol du Minnesota et d'importantes subventions leur ont été accordées.
Pour conclure, le groupe UN-Energy rassemblant les institutions et programmes des Nations unies concernés par l'énergie, met en garde contre les systèmes bioénergétiques et leurs impacts économiques et sociaux. Ceux-ci doivent être évalués avec soin préalablement à toutes décisions relatives au développement du secteur et à la nature des technologies, politiques et stratégies d'investissement à adopter.
Au vu de ces informations, quelles pistes pourriez-vous envisager en ce qui concerne l'approvisionnement, la production et la consommation de biocarburants de la Belgique ?
M. Charles Michel, ministre de la Coopération au Développement. - Je vous lis la réponse du ministre Magnette.
La loi du 10 juin 2006 relative aux biocarburants vise notamment à certifier, au moyen d'agréments, des unités de production sur la base de critères de durabilité. Ces critères portent sur l'unité de production même, mais aussi sur les sources d'approvisionnement en biomasse. La loi précise, à l'article 5, les indicateurs concernés - environnement, agriculture, économie et aspects sociaux - et, à l'article 6, les critères de durabilité.
La loi du 10 juin mène bel et bien une politique de promotion de biocarburants agréés via des réductions d'accises sur des mélanges entre carburants et biocarburants agréés. Cette approche a incité une production de biomasse énergétique centralisée en Europe avec une importation marginale de composés importés tels que l'huile de palme et de soja. Cette part représentera moins de 10% du volume de biomasse nécessaire pour produire les biocarburants agréés en vue d'atteindre les objectifs de 5,75%.
À l'occasion du sommet de printemps 2007, l'Europe a décidé de porter le pourcentage de biocarburant à 10% pour 2020. Cet objectif est actuellement en passe d'être formalisé dans deux projets de directive européenne : l'un sur la qualité des carburants, l'autre sur les énergies renouvelables. Dans les deux cas, cet objectif de 10% est conditionné à la fixation de critères de durabilité sur la biomasse.
À travers l'un de ces critères, l'Europe entend limiter les émissions de CO2 issues de l'utilisation des biocarburants, toutes origines confondues. La balance de l'ensemble de la filière doit ainsi être positive par rapport à l'énergie fossile. Des réductions significatives de gaz à effet de serre sont possibles. Elles varient de 10 à 50%, selon les scénarios, en utilisant majoritairement de la biomasse issue de la filière agricole européenne. Certaines filières, notamment celles qui contribuent à intensifier la déforestation, sont par contre neutres voire négatives, conduisant à des émissions de CO2.
Un autre critère consiste à limiter les surfaces cultivées et à éviter la concurrence avec les cultures vivrières. Dans son étude d'impact accompagnant la stratégie sur les biocarburants, la Commission européenne a montré la faisabilité de scénarios prévoyant la mise sur le marché de 14% de biocarburants à l'horizon 2020.
En ce qui concerne la préservation de la biodiversité, des critères de durabilité sont en cours de développement. En mars prochain, la Conférence des parties signataires de la Convention sur la biodiversité, CBD, se tiendra à Bonn. La présidence allemande de la CBD entend ainsi accélérer le processus d'élaboration de ces critères de durabilité.
Enfin, d'autres critères de durabilité devront figurer dans la révision de la directive européenne sur la qualité des carburants et le projet de directive sur les énergies renouvelables, dont les importants aspects socio-économiques et la préservation des ressources en eau.
En synthèse, à court terme, toutes les garanties ont été prises pour que l'objectif belge de mélange de 5,75% dans l'ensemble des carburants pour 2010 respecte l'ensemble des composantes du développement durable.
Pour l'objectif de 10% à l'horizon 2020, je défendrai une position belge visant à imposer des critères de durabilité fiables et mesurables pour l'ensemble de la biomasse utilisée à des fins énergétiques. Ces critères devront être clairement définis à l'échelle européenne dans le cadre des directives susmentionnées. Pour ce faire, la DG Environnement du SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, contribue activement depuis quelques mois à accroître et à partager son expertise en la matière. Elle s'appuie sur les travaux réalisés dans le cadre des conventions internationales, dont la CBD, sur des études de groupes belges de recherche, financées notamment par le programme Science pour un développement durable du SPP Politique scientifique, et sur les avis émis par le Conseil fédéral pour un développement durable.
Mme Sfia Bouarfa (PS). - Je remercie le ministre de ces réponses. Nous devons veiller à ce que les pays qui ne sont pas autosuffisants sur le plan alimentaire n'exportent vers nos pays riches des produits alimentaires finis transformables pour notre consommation en biocarburants. Il me paraît difficilement concevable que notre volonté, aussi louable soit-elle, de diminuer notre production de dioxyde de carbone aboutisse à un nouveau déséquilibre potentiellement bien plus destructeur, à savoir des famines chroniques dans les pays du Sud, et à la destruction des derniers poumons verts de la planète.
Dans l'état actuel des recherches scientifiques, les biocarburants sont loin d'être la panacée. Que notre pays s'engage sans retenue sur cette voie me semble des plus aléatoires.
Sachant que le parc automobile des pays émergents en est à ses balbutiements et que d'ici à vingt ou trente ans, le développement économique de pays comme la Chine ou l'Inde nécessitera une quantité phénoménale d'hydrocarbures ou de biocarburants, il me semble que cette voie ne peut être que transitoire, dans l'attente soit d'un autre modèle de développement économique, soit de la découverte d'autres énergies capables de compenser l'épuisement des hydrocarbures et l'impossibilité technique - par manque de surfaces agraires sur cette planète - d'envisager leur remplacement par le « tout aux biocarburants ».