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30 MARS 2007
Sur une population d'origine juive évaluée à 60 000 personnes, 29 940 ont été déportés de Belgique entre 1940 et 1944. Seule la moitié de la communauté juive de Belgique a pu être sauvée de la barbarie nazie: tous les autres ont été assassinés dans les camps d'extermination, victimes de crimes contre l'humanité. Si une partie de ces crimes ont été perpétrés avec la participation active ou passive de l'État belge, comme l'a révélé le rapport rédigé par le CEGES pour le compte du gouvernement fédéral et à la demande du Sénat belge, il ne faut pas oublier ceux qui, anonymes ou non, ont agi pour sauver des membres de cette communauté.
Par conséquent, il nous semble important que la Nation leur rendent un hommage solennel, aux « Justes » de Belgique ainsi qu'à ceux qui n'ont jamais rendu public leur acte civique, soit qu'ils aient laissé leur vie en aidant l'autre, soit qu'ils n'aient pas songé à faire valoir leurs actes.
En effet, nous ne devons pas oublier que des milliers de personnes ont, à titre individuel, sans aucun espoir de contrepartie et au risque de leur propre vie, sauvé des juifs. Les actions héroïques de ces « Justes » de Belgique sont encore trop méconnues, et ont permis de sauver des vies. Il nous faut raviver le souvenir de l'action de ces hommes et de ces femmes, de toutes origines, de toutes les convictions et de toutes conditions sociales. Il serait utile de faire connaître leurs actions aux plus jeunes, pour qu'elles servent d'exemple.
« Une nation qui ne sait pas regarder son passé, ne sait pas regarder son avenir » a écrit Alain Touraine.
En Belgique, entre 1940 et 1944, les juifs, comme les tziganes, les homosexuels, les communistes, les francs-maçons, les opposants politiques et syndicaux ou les minorités étrangères, étaient persécutés au nom ou avec la complicité de l'État belge, avec le concours de ses forces de l'ordre et par des jugements de tribunaux légaux. Les juifs et les tziganes étaient condamnés à une mort certaine.
Selon l'article 6 (c) du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, constituent des crimes contre l'humanité « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal [c'est-à-dire crime contre la paix et crime de guerre], ou en liaison avec ce crime. [...] Toutes personnes qui, individuellement ou à titre de membres d'organisations, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un de ces crimes, sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. »
L'histoire n'est pas blanche ou noire, elle est à la fois ombre et lumière. Dès le début, des citoyens belges se sont opposés à la politique de persécution et de déportation et, sans nécessairement accomplir des actes de résistance active reconnus comme tels, ils ont sauvé des vies humaines menacées de crimes contre l'humanité. La Belgique se doit de leur rendre hommage aujourd'hui, car ils sont une partie intégrante de l'histoire nationale.
Tous ceux qui, au péril de leur propre vie et au détriment de leurs propres conditions d'existence dans un contexte déjà très difficile, ont apporté une aide matérielle et morale à des juifs, en les recueillant, les cachant, leur trouvant des abris sûrs ou leur fournissant de faux papiers peuvent être considérés comme des « Justes ». Il faut citer les cas particuliers de ces policiers et gendarmes qui ont fermé les yeux, permettant ainsi des évasions, ou alerté des familles juives à l'avance pour qu'elles échappent aux rafles; de ces doyens de faculté qui ont refusé de communiquer les listes de leurs étudiants juifs; de ces prêtres catholiques ou protestants qui ont délivré de faux certificats de baptême; de ces Eglises ou ces couvents qui ont caché des juifs en fuite devant les persécutions de l'occupant nazi. Mais chaque cas particulier est méritoire. Chaque action est héroïque. Pour ces sauveteurs de vies humaines menacées pour raison ethnique ou raciale, ces actes étaient naturels, ne pouvaient pas ne pas être faits. Il s'agit de faits individuels, qui ont rarement leur place dans les archives officielles ou dans les livres d'histoire, mais qui permettent aussi de rendre compte de la réalité historique.
Il fallait oser risquer sa vie et sa liberté pour sauver des juifs.
Le Mémorial de Yad Vashem, institué par le Parlement israélien en 1953, est situé sur la colline du Souvenir à Jérusalem. Il a pour mission de commémorer la mémoire des six millions de juifs qui ont péri dans les camps d'extermination nazis. Il comporte également une commission présidée par un juge de la Cour suprême d'Israël, qui est la seule instance habilitée à accorder le titre de « Juste parmi les nations « pour honorer les non-juifs qui ont sauvé des juifs, au péril de leur propre vie. Ce titre est accordé sur la base de témoignages écrits et certifiés de juifs qui ont été eux-mêmes sauvés. Mais le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.
Le terme de « Juste » est une référence biblique. Il est en effet rapporté dans le chapitre dix-huit de la Genèse que, Dieu s'apprêtant à châtier les villes pécheresses de Sodome et Gomorrhe, Abraham intercéda en leur faveur en demandant que la justice divine distingue le juste du méchant. Et Dieu dit: « Si je trouve dans Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai à toute la ville, à cause d'eux. » Par leur conduite individuelle, le juste peut donc racheter la faute d'une communauté.
L'expression existait déjà dans le judaïsme traditionnel mais désignait les êtres humains respectant les sept lois de Noé, minimum commun de commandements permettant, d'après le judaïsme, de faire fonctionner éthiquement les différentes civilisations. L'expression est devenue centrale dans la mémoire de la Shoah, non seulement pour l'État d'Israël, mais également pour nombre de pays.
Des médailles sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud: « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier » et diplômes d'honneur sont remis aux « Justes », ou à leurs ayants-droit s'ils sont nommés à titre posthume, au cours de cérémonies officielles. Sur le site du mémorial de Yad Vashem a été créée « l'allée des Justes » où des milliers d'arbres ont été plantés, chacun ayant à ses pieds une plaque portant le nom du Juste à qui l'arbre est dédié. Depuis quelques années, par manque de place, un Jardin des Justes a été créé sur le site, avec la liste de tous ceux qui ont été reconnus mais pour lesquels il n'est plus possible de planter d'arbres. À l'entrée du musée, cinq arbres sont attribués à des Justes ayant accompli un travail particulièrement extraordinaire.
Pour être un Juste, il faut:
— Avoir apporté une aide dans des situations où les juifs étaient impuissants et menacés de mort ou de déportation vers les camps de concentration.
— Le sauveteur était conscient du fait qu'en apportant cette aide, il risquait sa vie, sa sécurité et sa liberté personnelle (les nazis considéraient l'assistance aux juifs comme un délit majeur).
— Le sauveteur n'a exigé aucune récompense ou compensation matérielle en contrepartie de l'aide apportée.
— Le sauvetage ou l'aide est confirmé par les personnes sauvées ou attesté par des témoins directs et, lorsque c'est possible, par des documents d'archives authentiques.
La politique de Yad Vashem est de poursuivre ce programme tant que des demandes de reconnaissance étayées par des preuves lui seront transmises.
Comme les résistants, ceux qui ont sauvé des juifs sous l'occupation sauvent par là-même l'honneur de notre pays. En faisant le choix de la fraternité et de la solidarité, ils incarnent l'essence même de l'homme: le libre arbitre. Il importe de leur rendre hommage au moment où est reconnue la responsabilité de l'État belge dans les persécutions antisémites.
Il faut leur rendre collectivement hommage pour leurs actions individuelles exemplaires, qui doivent guider les générations futures. Il s'agit d'associer dans cet hommage solennel tous ceux qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide. Plutôt que de leur rendre un hommage individuel, qu'ils ne recherchent pas et qui interviendrait trop tard pour la plupart d'entre eux déjà décédés, il est préférable de se souvenir de leurs actions de manière collective. La force pédagogique de la mémoire en sera d'autant plus grande.
Au 1er janvier 2007, les Justes parmi les Nations étaient 21 758.
Pays d'origine | Nombre de Justes |
Pologne | 6 004 |
Pays-Bas | 4 767 |
France | 2 740 |
Ukraine | 2 185 |
Belgique | 1 443 |
Hongrie | 685 |
Lituanie | 693 |
Biélorussie | 576 |
Slovaquie | 465 |
Allemagne | 443 |
Italie | 417 |
Grèce | 271 |
Serbie | 124 |
Russie | 124 |
République tchèque | 118 |
Croatie | 106 |
Lettonie | 103 |
Les pays avec moins de 100 « Justes » sont l'Autriche (85), la Moldavie (73), l'Albanie (63), la Roumanie (53), la Suisse (38), la Bosnie-Herzégovine (35), la Norvège (41), le Danemark (21)[12], la Bulgarie (17), le Royaume-Uni (13), la Suède (9), la République de Macédoine (10), l'Arménie (10), la Slovénie (6), l'Espagne (3), l'Estonie (3), le Brésil (2), la Chine (2), les États-Unis (3), le Chili (1), le Japon (1), le Luxembourg (1), le Portugal (1), la Turquie (1), la Géorgie (1).
Christine DERFRAIGNE Alain DESTEXHE. |
Le Sénat,
1. honore la mémoire des victimes des crimes antisémites commis en Belgique et rend un hommage solennel aux « Justes » de Belgique et aux milliers d'anonymes qui ont recueilli, protégé ou défendu, souvent au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide;
2. invite les anonymes qui ont aidé des personnes persécutées de transmettre leur témoignage au CEGES (Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines) afin que leur action soit connue et d'en conserver la mémoire;
3. encourage les communes du Royaume à identifier les habitants qui ont participé à ces actions permettant de sauver des personnes persécutées pour leur origine juive ou tzigane;
4. encourage les communes à aider ces personnes ou leurs descendants, si elles le désirent, à entamer la procédure de reconnaissance à Yad Vashem;
5. invite les différents gouvernements du Royaume et les communes à organiser des manifestations périodiques pour les Justes et ceux qui sont restés anonymes afin de les citer en exemple aux générations futures.
9 mars 2007.
Christine DEFRAIGNE Alain DESTEXHE. |