3-202 | 3-202 |
M. Josy Dubié (ECOLO). - Dans une dépêche de l'Agence Belga que j'ai lue aujourd'hui, l'ambassadeur des États-Unis à Bruxelles a critiqué le manque d'engagement militaire belge dans l'opération de l'OTAN en Afghanistan, trop limité selon lui, estimant que notre pays devrait fournir un effort supplémentaire.
Il ressort des réponses à une demande d'explications que j'ai développée jeudi dernier que le gouvernement envisage une augmentation substantielle de l'ordre de 35% de notre engagement militaire dans ce pays dans le courant de l'année 2007 et l'envoi éventuel, sur place, de plusieurs avions de chasse F16. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait de quatre appareils.
Comment réagissez-vous, monsieur le ministre, à cette demande de l'ambassadeur des États-Unis ?
Confirmez-vous l'augmentation de notre effectif militaire dans le courant de l'année 2007 ? Si oui, quelles en sont les motivations ?
Quelle analyse faites-vous de la dégradation de la situation militaire et sécuritaire sur place ?
Quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour y faire face ?
Quelle sortie du conflit prévoyez-vous et à quelle date ?
M. André Flahaut, ministre de la Défense. - J'ai déjà partiellement répondu à cette question ce matin.
J'ai beaucoup de respect pour l'ambassadeur des États-Unis qui quitte sa fonction et j'ai d'ailleurs eu de très nombreux contacts avec lui. Toutefois, ses déclarations lui appartiennent et je ne partage pas nécessairement son point de vue.
Concernant la présence belge en Afghanistan, je crois qu'il est important de rappeler fermement que dans ce pays, comme au Liban ou au Kosovo, les Belges sont présents depuis le début de l'opération et que nous n'avons jamais été pris en défaut de solidarité.
Cette présence constante est centrée sur la sécurité de l'aéroport de Kaboul. Un C-130 est stationné en Afghanistan et il accomplit un travail utile à l'ensemble des forces présentes sur le terrain. Il faut également rappeler qu'à certains moments, notamment lors de l'élection du président Karzaï et de l'installation de la Loya Jirga, nous avons effectivement augmenté de façon substantielle notre présence sur le terrain, puisque nous l'avons doublée.
Chaque fois que ce fut nécessaire, la Belgique a donc fourni une réponse positive.
Qu'avons-nous prévu pour l'année 2007 ? Voici quelques semaines, j'ai déposé au conseil des ministres la note d'orientation pour les opérations 2007. Elle prévoit le maintien de notre présence à l'aéroport de Kaboul ainsi que du C-130 et elle annonce, pour les alentours du mois d'octobre, non pas une augmentation de 35% de notre engagement militaire comme vous l'évoquez, monsieur Dubié, mais l'envoi d'une quarantaine de personnes qui pourraient encore renforcer notre présence à l'aéroport. Il est en effet prévu que nous prenions, pour la première fois depuis que nous sommes présents, le commandement de l'ensemble des troupes se trouvant sur l'aéroport de Kaboul.
En ce qui concerne les quatre F16, la note présentée au conseil des ministres fait état du « déploiement éventuel » de quatre F16. Celui-ci pourrait avoir lieu si la demande était formulée et si le besoin s'en faisait sentir.
Voyez-vous, il faut constater que les approches des problèmes de Défense sont différentes entre nous et les États-Unis, par exemple.
Nous disons qu'il ne sert à rien de déployer des hommes s'ils n'ont pas une utilité. Cela ne sert à rien de doubler notre contingent en Afghanistan si les gens ne sont pas utilisés. Nous préférons envoyer des personnes qui seront utiles sur place et nous croyons que prendre la direction de l'aéroport de Kaboul, qui implique une augmentation de notre contingent, est une bonne chose pour l'ensemble des forces présentes en Afghanistan et spécialement à Kaboul.
C'est la même attitude que nous avons adoptée pour le Liban. Plutôt que d'envoyer un bloc de militaires pour la FINUL, nous avons constitué une force sur mesure que nous avons voulue significative, quatre cents personnes, et utile dans le déminage, le génie et l'hôpital, le tout avec notre propre protection.
Telle est la situation. Aujourd'hui, nous avons près de trois cents personnes à l'aéroport de Kaboul. Nous comptons y rester pendant l'année 2007. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas en renforçant sans cesse les effectifs sur place que nous trouverons une solution aux problèmes de l'Afghanistan. Nous le disons depuis très longtemps : il est important que l'ensemble des acteurs se revoient à propos de l'Afghanistan pour apporter une réponse globale qui intègre également les aspects autres que militaires, comme l'éducation, la coopération, la reconstruction et la lutte contre la culture du pavot.
Voilà la position défendue par notre gouvernement et par le département de la Défense nationale.
Depuis quatre ans, nous dépensons près de trente millions d'euros par an dans notre contribution à l'ISAF. Quand on sait que le département de la Coopération vient aussi de prendre des engagements à hauteur de trente millions pour la période 2007-2010, je crois que l'on peut dire que la Belgique prend largement sa part à la résolution de la problématique de l'Afghanistan.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse. Comme vous, je suis extrêmement préoccupé du sort de nos soldats en Afghanistan. Je note cependant que, dans la réponse que m'a fournie en votre nom Mme la secrétaire d'État, le jeudi 25 janvier, vous parlez d'une augmentation de 310 soldats à 420 d'ici à la fin de l'année. Une simple règle de trois montre bien qu'il s'agit d'une augmentation de trente-cinq pour-cent, sans compter les effectifs qui serviront les quatre F16 qui seront éventuellement déployés.
Mais la question essentielle est : quelle analyse faites-vous, monsieur le ministre, de la dégradation de la situation militaire et de sécurité sur place ? Je suis inquiet et je souhaite que nos collègues prennent conscience de la dégradation accélérée de la situation que vous avez du reste reconnue dans un article du Vif-L'Express voici deux mois. Vous y dénonciez l'explosion des dépenses causées par le bourbier afghan, vous vous y inquiétiez de la fuite en avant, vous affirmiez que les opérations d'alliance en Afghanistan étaient moins aisées à justifier et vous disiez que la situation se dégradait et qu'avec le temps les forces de l'OTAN risquaient d'apparaître comme une force d'occupation. Et vous aviez raison. Nous en sommes là et, pourtant, nous augmentons nos effectifs sur place, trente-cinq pour-cent, ce n'est pas rien...
M. André Flahaut, ministre de la Défense. - Ce n'est pas trente-cinq pour-cent !
M. Josy Dubié (ECOLO). - Comment allons-nous en sortir ? Je m'inquiète.
Aujourd'hui, nous sommes à la veille du printemps. Je connais bien la région pour m'y être rendu souvent comme correspondant de guerre. Et je connais la réputation extrêmement farouche de ces combattants afghans qui luttent pour leur indépendance. Aujourd'hui, le Waziristan-Nord et le Waziristan-Sud, régions limitrophes de l'Afghanistan qui sont majoritairement peuplées de Pachtounes, sont aux mains des talibans. Ce sont leurs bases arrières.
Au printemps, nous serons probablement confrontés à une difficulté considérable.
Mme la présidente et moi avons eu l'occasion de rencontrer récemment le président pakistanais M. Musharraf. Il nous a confirmé qu'il n'avait plus la mainmise militaire sur ces régions de l'ouest de son pays.
J'attire l'attention des collègues sur le fait que notre armée risque d'être en difficulté. Il est vrai qu'elle est aujourd'hui confinée dans l'aéroport de Kaboul et qu'elle n'est pas en première ligne de combat. Mais je suis très inquiet sur l'évolution de la situation militaire.
J'ai suggéré au président de la commission des Affaires étrangères de prévoir une réunion à huis clos pour analyser en profondeur la situation ainsi que tous ses développements militaires et politiques afin de voir comment nous pourrions éviter à nos troupes sur place d'être confrontées à des difficultés très graves.
M. André Flahaut, ministre de la Défense. - Je ne suis pas correspondant de guerre mais je me suis rendu à plusieurs reprises en Afghanistan et je connais bien la situation depuis que nos troupes sont sur place.
Nos vues ne sont pas nécessairement très éloignées, monsieur Dubié. J'ai effectivement dit que la solution ne viendrait pas d'une présence militaire et que les divers acteurs de la communauté internationale devraient se réunir le plus rapidement possible à Kaboul avec les autorités afghanes pour essayer de calmer les choses et de mettre un terme à la dégradation de la situation.
Si le Sénat ou la Chambre belges peuvent contribuer à provoquer cette réunion, notamment au travers du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est une bonne chose. Nos militaires sont présents à Kaboul, à un endroit stratégique car ils sont à la porte d'entrée ; psychologiquement, c'est aussi une position difficile.
Finalement, si nous pouvons contribuer à faire avancer les choses et à dégager une solution dans cette direction, je serai volontiers partie prenante à un tel débat.