3-1778/2

3-1778/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

29 JUIN 2006


Révision de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau dans un titre Ierbis nouveau, relatif au développement durable comme objectif de politique générale

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 128, deuxième édition, du 10 avril 2003)

Proposition visant à insérer un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'inscrire dans la Constitution le développement durable comme objectif de politique générale pour l'État fédéral, les communautés et les régions

Révision de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 128, deuxième édition, du 10 avril 2003)

Révision de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 128, deuxième édition, du 10 avril 2003)

Proposition visant à insérer dans la Constitution un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'y inscrire le développement durable comme objectif pour l'État, les communautés et les régions


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR

MME VAN de CASTEELE ET M. WILLE


SOMMAIRE


I. Introduction
II. Discussion
III. Vote
Annexes
I. Avis constitutionnalistes
II. Avis du Conseil fédéral du développement durable
III. Rapport des auditions « Développement durable et la Constition » du 14 mars 2006 (Cette annexe sera publiée dans un document distinct.)

I. INTRODUCTION

Les propositions de révision de la Constitution visant à insérer dans un titre Ierbis nouveau, un article nouveau concernant le développement durable comme objectif de politique générale, s'inscrivent dans le cadre de la déclaration de révision de la Constitution du pouvoir législatif du 10 avril 2003 (Moniteur belge nº 128, deuxième édition, du 10 avril 2003).

Le 8 novembre 2005, M. Cornil a déposé la proposition « de révision de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale » (doc. Sénat, 2005-2006, nº 3-1422/1).

Le 3 février 2006, Mme Talhaoui et M. Martens ont déposé une proposition « visant à insérer dans la Constitution un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'y inscrire le développement durable comme objectif pour l'État, les communautés et les régions » (doc. Sénat, 2005-2006, nº 3-1557/1).

Conformément à l'article 30.1 du règlement du Sénat (1) , ces deux propositions ont été transmises à la commission des Affaires institutionnelles.

Lors de la réunion du 17 novembre 2005, Mme Annemie Van de Casteele a été désignée comme rapporteuse pour la proposition nº 3-1422/1 de M. Cornil. De plus, la commission a décidé de soumettre ladite proposition à l'avis du Conseil fédéral du développement durable (ci-après: CFDD).

La proposition de Mme Clotilde Nyssens « de révision de l'article 23 de la Constitution en vue d'y ajouter un alinéa concernant le principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures » (doc. Sénat, session extraordinaire 2003, nº 3-49/1), qui avait été envoyée à la commission le 9 juillet 2003, a également été soumise pour avis au CFDD le 17 novembre 2005.

Enfin, l'avis du CFDD a aussi été demandé sur la proposition « de révision de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit à l'eau » (doc. Sénat, 2003-2004, nº 3-480/1) de M. Philippe Mahoux, laquelle a été envoyée à la commission le 26 janvier 2004.

Ces avis ont été demandés en application de l'article 11 de la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable (2) .

Au cours de la réunion du 17 novembre 2005, la commission a aussi pris connaissance des avis des trois constitutionnalistes qui se sont penchés sur la question de savoir si les propositions nos 3-49/1 et 3-480/1 rentrent dans le cadre de la déclaration de révision de la Constitution du 10 avril 2003.

Les avis des constitutionnalistes font l'objet de l'annexe I du présent rapport (3) .

Le 9 février 2006, la présidente du Sénat, Mme Lizin, a demandé l'avis du CFDD sur la proposition nº 3-1557/1 « visant à insérer dans la Constitution un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'y inscrire le développement durable comme objectif pour l'État, les communautés et les régions » de M. Bart Martens et Mme Fauzaya Talhaoui, envoyée à la commission le 3 février 2006.

Les avis du CFDD font l'objet de l'annexe II du présent rapport (4) .

Le 14 mars 2006, M. Wille a été désigné comme rapporteur pour la proposition nº 3-1557/1 de M. Bart Martens et Mme Fauzaya Talhaoui.

Le même jour, des auditions ont été organisées en présence de responsables politiques et d'experts en matière de développement durable et de droit de l'environnement.

Le compte rendu de ces auditions fait l'objet de l'annexe III du présent rapport (5) .

Au cours de sa réunion du 8 juin 2006, la commission a décidé de créer un groupe de travail ad hoc, chargé de rédiger une proposition de consensus visant à insérer dans un titre Ierbis nouveau de la Constitution un nouvel article relatif au développement durable comme objectif de politique générale.

Le 29 juin 2006, la commission a examiné la nouvelle proposition nº 3-1778/1 « visant à insérer un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'inscrire dans la Constitution le développement durable comme objectif de politique générale pour l'État fédéral, les communautés et les régions », déposée par les sénateurs Cornil, Martens, Talhaoui, Delpérée, Van de Casteele, de T' Serclaes, H. Vandenberghe, Mahoux et Vankrunkelsven.

Cette proposition a été adoptée en l'état lors de la même réunion.

II. DISCUSSION

Pour les exposés introductifs des trois propositions à l'examen, il est renvoyé aux développements respectifs: doc. Sénat, 2005-2006, nos 3-1422/1, 3-1557/1 et 3-1778/1.

La commission a examiné ces propositions au cours de ses réunions des 17 novembre 2005, 14 mars 2006, 8 et 29 juin 2006.

1. La réunion du 17 novembre 2005 a été consacrée à l'examen des avis des constitutionnalistes, Mme Feyt et MM. Van Orshoven et Velaers. Ils ont examiné si les propositions nos 3-49/1 et 3-480/1 cadraient avec la déclaration de révision de la Constitution du 10 avril 2003 (6) .

On a également décidé, au cours de cette réunion, de demander l'avis du CFDD sur la base de l'article 11 de la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable (7) .

2. Le Conseil fédéral du développement durable a émis deux avis le 24 février 2006:

— le premier avis portait sur la révision de la Constitution concernant le développement durable et le principe de précaution et se rapportait à la proposition nº 3-1422/1 de M. Cornil, à la proposition nº 3-1557/1 de Mme Talhaoui et M. Martens et à la proposition nº 3-49/1 de Mme Nyssens;

— le deuxième avis portait sur la révision de la Constitution concernant le droit à l'eau et se rapportait à la proposition nº 3-480/1 de M. Mahoux.

Les deux avis figurent à l'annexe II du présent rapport (8) .

3. Au cours de la réunion du 14 mars 2006, des auditions ont été organisées avec des responsables politiques et des experts en matière de développement durable et de droit de l'environnement.

Les orateurs suivants ont participé à cette journée d'étude:

Mme Els Van Weert, secrétaire d'État pour le Développement durable et l'Économie sociale

M. Theo Rombouts, président du Conseil fédéral du développement durable

Mme Nadine Gouzée, Task Force Développement durable du Bureau fédéral du plan et représentante belge à la Commission du développement durable des Nations unies

Prof. Dr. Hans Bruyninckx, professeur à la KULeuven et président du Bond Beter Leefmilieu-Vlaanderen

Prof. Dr. Emmanuel Sérusiaux, professeur à l'Université de Liège et président de la Société wallonne des eaux

Prof. Dr. Edwin Zaccaï, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, directeur du Centre d'études du développement durable (CEDD) et président de l'Institut de gestion de l'environnement et de l'aménagement du territoire (IGEAT)

Prof. Dr. Marc Pallemaerts, chargé de cours à la Vrije Universiteit Brussel et à l'Université Libre de Bruxelles et Senior Fellow & Head of the Governance Team, Institute for European Environmental Policy (IEEP)

Prof. Dr. Nicolas de Sadeleer, professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis et à la Vrije Universiteit Brussel

Le compte rendu de ces auditions figure à l'annexe III du présent rapport (9) .

4. La réunion du 8 juin 2006 a été consacrée à la discussion des propositions nos 3-49/1, 3-480/1, 3-1422/1 et 3-1557/1, sur la base des avis recueillis.

M. Cornil, auteur de la proposition de révision nº 3-1422/1, a souligné l'importance d'inscrire le développement durable dans la Constitution. Il a évoqué les textes internationaux en la matière, approuvés par des institutions internationales, par exemple les textes des Nations unies: le rapport Brundtland, la Conférence de Rio de 1992.

M. Cornil a reconnu que plusieurs collègues avaient émis des objections fondées à propos de la portée juridique de sa proposition, invoquant le risque de voir s'installer un « gouvernement des juges » dans les matières se rapportant au développement durable et à l'environnement.

Il s'est dès lors dit prêt à en débattre avec les collègues.

Mme de T' Serclaes a affirmé sa volonté de soutenir une proposition visant à inscrire le développement durable dans la Constitution.

Elle souhaitait néanmoins que les propositions à l'examen fassent d'abord l'objet d'un débat approfondi avant de procéder au vote. Elle était disposée à collaborer à une proposition de consensus en matière de développement durable.

La présidente, Mme Lizin, a proposé que l'on crée au sein de la commission un groupe de travail ad hoc qui serait chargé de formuler, si possible, une proposition de consensus.

M. Mahoux a déclaré qu'il était, lui aussi, favorable à un examen approfondi des propositions en discussion.

M. Delpérée était du même avis. Mais il a quand même tenu à souligner que deux des propositions déposées posaient de sérieux problèmes constitutionnels, à savoir les propositions nº 3-49/1 de Mme Nyssens et nº 3-480/1 de M. Mahoux, qui visent à une révision de l'article 23 de la Constitution.

Il a étayé son point de vue comme suit:

L'article 23, alinéa 3, de la Constitution énumère un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels. Il les cite dans les numéros 1 à 5 de cet alinéa. L'énumération qui est ainsi réalisée est introduite par les mots « comprennent notamment ». Elle n'est donc pas limitative. Ce mode de rédaction se comprend aisément.

D'une part, il faut constater que d'autres droits économiques, sociaux et culturels sont inscrits dans d'autres articles constitutionnels. Les exemples de l'enseignement, visé à l'article 24, et de l'emploi des langues, visé à l'article 30 de la Constitution, sont éloquents. Laisser croire que les numéros 1 à 5 de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution reprendraient l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels reconnus au citoyen serait dénué de pertinence.

D'autre part, il faut considérer que le pouvoir constituant qui s'est exprimé en 1994 a voulu laisser « la porte ouverte ». Il n'a pas exclu d'autres développements des exigences de la société belge en matière de droits économiques, sociaux et culturels. D'autres droits pourraient être revendiqués à ce titre. Il reviendrait au pouvoir constituant de les identifier et de les inscrire dans une énumération complémentaire. Le « droit à une aide psychologique » dans des circonstances traumatisantes pourrait, par exemple, être inscrit à l'avenir dans la Constitution.

Est-ce à dire qu'un tel droit est déjà inscrit en germe dans la Constitution ? Qu'il y figure en filigrane ? Qu'il suffit au pouvoir constituant de le révéler, au sens premier du terme, sans être assujetti au respect des phases de la procédure inscrite dans l'article 195 de la Constitution, en particulier, la rédaction d'une déclaration de révision de la Constitution reprenant, parmi ses dispositions, l'article 23, alinéa 3, de la Constitution ?

Pour dire les choses en d'autres termes, faut-il considérer qu'une déclaration de révision de la Constitution — dont on sait qu'elle doit « désigner » formellement les dispositions constitutionnelles qui sont susceptibles d'être révisées — contiendrait implicitement l'ensemble des dispositions de la Constitution qui utilisent le terme « notamment » ? Outre l'article 23, alinéa 3, il s'agit des articles 11, 11bis, 24, § 1er, alinéa 3, et 24, § 4.

Ce raisonnement n'est pas tenable, selon M. Delpérée.

Les propositions relatives au développement durable (insertion d'un titre Ierbis nouveau dans la Constitution) ne soulèvent pas de telles objections constitutionnelles. En effet, la déclaration de révision de la Constitution du 10 avril 2003 prévoit l'insertion, dans la Constitution, d'un titre Ierbis « en vue d'y insérer un article nouveau relatif au développement durable comme objectif de politique générale ».

M. Delpérée était convaincu de la nécessité d'examiner ce qu'il fallait au juste inscrire dans la Constitution sous la notion de « développement durable ». Dans la proposition nº 3-1557/1 de M. Martens et Mme Talhaoui, la définition de « développement durable » englobe, entre autres, « des garanties en matière d'accès à la justice » et « une participation structurelle des citoyens aux processus décisionnels ». M. Delpérée a indiqué qu'en insérant ces dispositions dans la Constitution, on récrivait d'autres articles constitutionnels non ouverts à révision.

Enfin, il a rappelé que l'intention du législateur était d'insérer un titre Ierbis juste après le titre Ier relatif à la structure de l'État et juste avant le titre II relatif aux Belges et leurs droits. Selon lui, il eût été préférable d'insérer pareille disposition générale relative au développement durable dans un titre IIbis de la Constitution.

Toutefois, comme la préconstituante a opté pour l'insertion de la disposition dans un titre Ierbis, c'est dans ce cadre qu'une solution doit être recherchée.

Selon M. Mahoux, l'audition du 17 novembre 2005 avait quand même montré clairement que certains constitutionnalistes estimaient que la proposition nº 3-480/1 relative au droit à l'eau relevait bel et bien de la déclaration actuelle de révision de la Constitution (10) .

Il fallait donc permettre une discussion sur cette proposition.

L'intervenant a marqué son accord sur la création d'un groupe de travail mais a souhaité qu'une date butoir soit proposée.

Mme Talhaoui s'est elle aussi déclarée favorable à la création d'un groupe de travail mais a rappelé que la majorité s'était engagée lors de l'élaboration de la déclaration de révision de la Constitution. Elle espérait qu'il serait également tenu compte de cet aspect durant les travaux du groupe de travail.

Mme de T' Serclaes s'est également ralliée à la proposition prévoyant de créer un groupe de travail, mais a estimé qu'il faudrait alors que ce groupe se penche exclusivement sur l'insertion, dans la Constitution, d'un titre Ierbis relatif au principe du développement durable.

Enfin, M. Martens s'est déclaré lui aussi favorable à la création d'un groupe de travail mais préférait lui aussi que la discussion se limite aux propositions prévoyant l'insertion, dans la Constitution, d'un titre Ierbis relatif au principe du développement durable.

5. Le groupe de travail ad hoc, présidé par les rapporteurs Mme Van de Casteele et M. Wille, s'est réuni les 15 et 28 juin 2006.

Les autres membres du groupe de travail étaient MM. Cornil, Martens, Mme Talhaoui, M. Delpérée, Mme de T' Serclaes, MM. H. Vandenberghe, Mahoux et Vankrunkelsven, assistés de plusieurs représentants des cabinets ministériels compétents.

Le groupe de travail a décidé de se concentrer sur les propositions qui ont été déposées dans le cadre de la déclaration de révision de la Constitution « en vue d'y insérer un article nouveau dans un titre Ierbis nouveau, relatif au développement durable comme objectif de politique générale ».

MM. Delpérée et Vankrunkelsven ainsi que les représentants des cabinets ministériels ont déposé de nouvelles propositions de textes.

Le groupe de travail ad hoc a recherché un consensus sur les points de discussion suivants:

5.1. le fait de définir ou non dans la Constitution la notion de « développement durable »:

Certains membres du groupe de travail ad hoc étaient d'avis qu'il fallait définir la notion de « développement durable » dans la Constitution.

Toutefois, la majorité des membres présents ont préféré ne pas le faire et ont estimé que mieux valait laisser évoluer la notion de « développement durable » dans le temps. L'essentiel, selon eux, était de faire en sorte que les développements renvoient aux textes de base de droit international en matière de développement durable, à savoir le rapport Brundtland et le texte de la conférence de Rio.

Le groupe de travail ad hoc a décidé de ne pas élaborer de définition académique de la notion de « développement durable ».

En outre, la quasi-totalité des membres du groupe de travail ad hoc étaient d'avis qu'un texte concis présentait deux avantages: le message a beaucoup plus d'impact et l'interprétation de pareil texte évolue mieux dans le temps.

5.2. la différence essentielle entre la proposition nº 3-1422/1 de M. Cornil et la proposition nº 3-1557/1 de M. Martens et de Mme Talhaoui réside dans le fait que la proposition Martens-Talhaoui, en plus des trois piliers du développement durable, mentionne explicitement le pilier démocratique et la dimension internationale (politique étrangère, coopération au développement).

En ce qui concerne la dimension démocratique, divers membres du groupe de travail ad hoc ont fait valoir que la Constitution contenait suffisamment d'autres dispositions comportant des garanties pour la démocratie. Nombre d'entre elles ne sont pas soumises à révision.

M. Delpérée et Mme Van de Casteele ont donc lancé une mise en garde afin que l'on évite de procéder à une révision implicite de la Constitution. Ce serait inconstitutionnel.

Le groupe de travail a donc décidé de ne pas maintenir la référence au pilier démocratique dans la nouvelle proposition.

Selon M. Delpérée, il n'était pas nécessaire de mentionner explicitement la dimension internationale dans un article 7bis nouveau de la Constitution, compte tenu de la place que ce nouvel article 7bis est appelé à y occuper. En effet, cet article relèverait du titre Ierbis « Des objectifs politiques généraux de la Belgique fédérale et de ses composantes ».

De plus, en précisant dans l'article 7bis nouveau que l'État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d'un développement durable dans l'exercice de leurs compétences respectives, on y introduit la dimension internationale (entre autres, la coopération au développement, le commerce extérieur, la politique étrangère).

Mme de T' Serclaes souhaitait des précisions à propos du lien entre une disposition nouvelle à insérer dans un titre Ierbis de la Constitution relatif au développement durable et l'article 23 actuel de la Constitution relatif aux droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux.

En d'autres termes, en quoi l'insertion, dans la Constitution, d'une nouvelle disposition relative au développement durable peut-elle apporter une plus-value ?

Celle-ci pourrait-elle consister, par exemple, dans le fait que les pouvoirs publics seraient obligés de sauvegarder le système des pensions, y compris pour les générations futures ?

M. Delpérée a confirmé qu'il en était ainsi et a ajouté que l'insertion d'un titre Ierbis relatif au développement durable permettait aussi de garantir la dimension internationale.

Quoi qu'il en soit, selon l'intervenant, il n'était pas nécessaire que les deux dispositions renvoient l'une à l'autre pour que l'on puisse s'y référer conjointement.

Mme Van de Casteele a également précisé que le choix en faveur de l'insertion, dans la Constitution, d'un titre Ierbis vise à imposer une ligne de conduite aux autorités, sans créer pour autant des droits subjectifs.

5.3. le fait de mentionner ou non de manière explicite la solidarité intergénérationnelle dans l'article 7bis nouveau de la Constitution:

D'aucuns étaient d'avis que l'aspect intergénérationnel est inhérent à la notion de développement durable et qu'il n'était donc plus nécessaire de le mentionner explicitement.

Toutefois, M. Martens, Mme Talhaoui et M. Cornil étaient d'avis qu'il fallait inscrire explicitement le principe de la solidarité intergénérationnelle dans le nouvel article constitutionnel, et ce, afin de souligner la réciprocité de la solidarité entre les générations actuelles et les générations futures.

Ils préfèrent donc cette formulation à un simple renvoi aux besoins des générations à venir.

Le groupe de travail a retenu la disposition suivante: « en tenant compte de la solidarité entre les générations ».

Sur la base de l'accord en question, neuf membres du groupe de travail ont déposé, le 29 juin 2006, une nouvelle proposition de révision de la Constituion (doc. Sénat, nº 3-1778/1), libellé comme suit:

« Article unique

Dans la Constitution, il est inséré un Titre Ierbis (nouveau) intitulé « Des objectifs de politique générale de la Belgique fédérale, des communautés et des régions » et comprenant un article 7bis nouveau, rédigé comme suit:

« Art. 7bis. — Dans l'exercice de leurs compétences respectives, l'État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d'un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations. ». »

6. Lors de la réunion de la commission des Affaires institutionnelles du 29 juin 2006, M. Cornil, auteur principal de la proposition de loi nº 3-1778/1 nouvelle, a commenté la proposition du groupe de travail comme suit:

La contribution active des membres du groupe de travail a donné naissance à un nouveau texte de consensus.

Quelques membres du groupe de travail avaient émis le souhait que certains aspects figurent expressément dans le texte de l'article 7bis nouveau de la Constitution, tandis que d'autres préconisaient qu'on les inscrive dans les développements.

Il s'agissait des aspects suivants:

— le caractère équilibré des dimensions sociale, économique et environnementale: le groupe de travail a décidé de les reprendre dans les développements;

— la solidarité entre les générations: la groupe de travail a décidé de les insérer dans l'article 7bis nouveau de la Constitution.

Le groupe de travail a également eu un débat sur l'effet juridique de la disposition constitutionnelle. L'accord s'est formé autour de l'interprétation que la nouvelle disposition est une norme qui devait s'imposer à l'ensemble des pouvoirs publics de notre pays, mais que des droits subjectifs ne sont pas créés pour les citoyens.

Tout ceci est repris dans les développements de la proposition du groupe de travail (doc. Sénat, 2005-2006, nº 3-1778/1).

Mme Durant a pris note du compromis présenté, mais elle était un peu déçue du résultat par rapport à la journée des auditions du 14 mars 2006 que la commission avait consacré à ce sujet important.

Les deux raisons principales étaient:

1. la formulation de l'article 7bis nouveau est plutôt une intention; la Constitution ne peut pas être un catalogue d'intentions, mais doit être la charte, la base des lois. À ce titre, il ne faut pas travailler par l'intention, mais plûtot par l'affirmation d'un fait;

2. la notion « solidarité entre les générations » est, selon Mme Durant, mal placée. Le développement durable intervient non pas entre les générations actuelles mais entre les générations actuelles et les générations futures.

Mme Durant aurait préféré la notion « générations futures ».

M. Delpérée partageait l'opinion de Mme Durant dans le sens que la journée d'étude du 14 mars 2006 a vraiment aidé à rendre les esprits mûrs.

Au sein du groupe de travail, différentes propositions ont été déposées et discutées.

Le texte du groupe de travail est un texte qui se défend parce que c'est un texte court, mais par le biais de la notion du développement durable, les interprétations des textes peuvent évoluer dans le temps. L'insertion de la solidarité entre les générations se défend et est en fait inhérent à la notion du développement durable.

Le texte proposé n'est pas un texte purement politique, il lie les pouvoirs politiques: l'État, les communautés et les régions, les collectivités locales. En plus, le texte lie les collectivités politiques lorsqu'elles agissent à l'intérieur et à l'extérieur. Les pouvoirs publics doivent en d'autres termes tenir compte des objectifs précités.

Une des préoccupations du groupe de travail a été d'insérer le développement durable dans l'architecture de la Constitution.

Le pouvoir législatif a donné l'instruction d'insérer un titre Ierbis, c'est-à-dire qu'il fallait mettre ce titre entre le titre Ier. « De la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire », et le titre II. « Des Belges et de leurs droits ». Ceci a requis du groupe de travail un peu d'imagination mais le résultat n'est pas trop insatisfaisant.

M. Martens a qualifié d'injustifiée la déception affichée par Mme Durant.

Le motif pour lequel on a inscrit la disposition « en tenant compte de la solidarité entre les générations » dans le texte, procède de la volonté de prendre expressément en considération les intérêts des générations futures — celles qui ne jouissent pas encore du droit de vote hic et nunc et qui ne sont pas encore en mesure d'exercer leur influence ni de défendre leurs intérêts.

Certains membres du groupe de travail estimaient que cette disposition participait implicitement de la notion de « développement durable ». La volonté de l'expliciter émane cependant de celle de mettre en relief les intérêts des générations futures. Il est clair qu'il s'agit de solidarité entre les générations, et pas uniquement de solidarité intragénérationnelle.

Mme Talhaoui a tenu à souligner le caractère historique de la proposition de consensus. Sous réserve d'adoption, la Constitution belge contiendra explicitement une disposition relative au développement durable. Si la Belgique n'est pas le premier pays à disposer de pareille disposition, elle rejoindra néanmoins un groupe d'États pionniers en la matière, dont plusieurs États sud-américains.

La proposition de texte nº 3-1778/1 n'est pas une simple déclaration politique. Il s'agit d'un texte juridique contraignant. Pour illustrer son propos, Mme Talhaoui a fait référence au droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et aux droits économiques, sociaux et culturels (article 23 de la Constitution). Ces droits imposent aux pouvoirs publics une obligation de moyens. Il en va de même de l'article 7bis nouveau de la Constitution.

M. Van Hauthem a répliqué que, pour lui, le mot « contraignant » signifie « dont on peut revendiquer l'application », ce qui ne sera pas le cas de l'article 7bis nouveau de la Constitution, contrairement aux droits économiques, sociaux et culturels, prévus à l'article 23 de la Constitution. Ce dernier article figure en effet au titre II de la Constitution. Or, en vertu de l'article 142 de la Constitution, la Cour d'arbitrage est compétente pour contrôler la conformité de toutes les lois et de tous les décrets aux articles du titre II de la Constitution. Ce contrôle de conformité ne s'appliquera donc pas par rapport à l'article 7bis nouveau de la Constitution.

S'il est indéniable que la disposition de l'article 7bis nouveau est fondamentale, elle lie aussi, en l'espèce, l'ensemble des communautés et régions.

Le fait d'inclure dans une Constitution des lignes directrices d'une politique déterminée, qui est l'option choisie en l'espèce, ou de limiter strictement les dispositions constitutionnelles à quelques droits et libertés fondamentales, qui seront pleinement contraignants, relève d'un choix de principe.

L'intervenant se dit partagé au sujet de la proposition: en effet, s'il est d'avis que les symboles ont aussi leur importance, il n'en estime pas moins préférable d'avoir une Constitution qui énonce des droits et des libertés limités aux fondements d'un État de droit démocratique mais effectivement contraignants.

Si l'on continue à introduire dans la Constitution une série de droits dont chacun sent qu'ils vont de soi mais qui ne sont pas contraignants, on risque d'être confronté à des problèmes. Tout le monde reconnaît la nécessité d'œuvrer en vue de la protection d'un environnement sain, mais, en inscrivant dans la Constitution des droits non contraignants, on pourrait bien aboutir à des conclusions surprenantes. L'intervenant a pris l'exemple des vols de nuit au-dessus de Bruxelles. Les juges se contredisent parfois dans leurs jugements et arrêts, en raison d'une interprétation divergente de l'article 23 de la Constitution. Certains juges ont ainsi estimé que le fait d'emprunter certaines routes aériennes était contraire au droit à la protection d'un environnement sain, tel que l'énonce l'article 23 de la Constitution. Face à pareille décision judiciaire, le ministre de la Mobilité a déclaré que les syndicats pourraient dans ce cas s'adresser au tribunal pour réclamer du travail pour tous, en invoquant l'article 23 qui établit le droit au travail. Tout le monde reconnaît ce droit comme un objectif mais pas comme un droit contraignant.

Pour toutes ces raisons, l'intervenant s'abstiendra lors du vote de la proposition.

La secrétaire d'État au Développement durable et à l'Économie sociale, Mme Els Van Weert, a remercié le Sénat pour l'attention que celui-ci consacre, en tant que chambre de réflexion et de lieu de rencontre des communautés et des régions, à la vision à long terme et au développement durable.

Le Sénat franchira un pas important en adoptant la proposition visant à insérer, dans la Constitution, le principe relatif au développement durable, qui deviendra ainsi un objectif clair pour les divers niveaux de pouvoir. Cela aura aussi pour conséquence indirecte de faire naître un droit à des décisions stratégiques qui s'inscrivent dans le long terme et qui tiennent compte des équilibres économiques, sociaux et écologiques.

L'intervenante a donc remercié tous ceux qui ont joué un rôle de pionnier en défendant ce dossier.

Au cours des dernières années, un grand nombre d'instruments stratégiques ont été créés au niveau fédéral afin d'inscrire chaque décision et chaque acte de l'autorité publique dans l'optique du développement durable, mais la mention explicite de ce principe dans la Constitution est une manière d'adresser un signal clair à tous les responsables politiques qu'ils doivent prendre le développement durable à cœur, non seulement aujourd'hui, mais aussi à l'avenir.

La secrétaire d'État s'est déclarée prête à invoquer le nouvel article constitutionnel pour permettre l'établissement de rapports d'incidence en matière de développement durable ainsi que la mise en place d'autres instruments, de manière que le développement durable devienne un fil conducteur dans la politique quotidienne.

Une Constitution énonce les principes de base qui contribuent à façonner la société. En y ajoutant le développement durable, on fait un pas dans la bonne direction.

M. Vankrunkelsven s'est réjoui que les membres du groupe de travail soient parvenus à élaborer une proposition de consensus en dépit des fortes divergences de vues initiales.

Mme Van de Casteele, co-rapporteuse, a souscrit à ce point de vue.

III. VOTE

La proposition nº 3-1778/1 « visant à insérer un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'inscrire dans la Constitution le développement durable comme objectif de politique générale pour l'État fédéral, les communautés et les régions » a été adoptée par 10 voix et 1 abstention.

La proposition nº 3-1422/1 « de révision de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale » et la proposition nº 3-1557/1 « visant à insérer dans la Constitution un titre Ierbis et un article 7bis en vue d'y inscrire le développement durable comme objectif pour l'État, les communautés et les régions », deviennent sans objet.


Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteurs, La présidente,
Annemie VAN de CASTEELE.
Paul WILLE
Anne-Marie LIZIN.

ANNEXES

ANNEXE I

Avis des constitutionnalistes

1. Avis de Mme Anne Feyt, assistante à l'Université Libre de Bruxelles

Ayant été invité pour exposer son point de vue sur les deux propositions de révision de la Constitution susmentionnées, M. Marc Uyttendaele, professeur de droit constitutionnel à l'Université Libre de Bruxelles (ULB), est malheureusement retenu. Il est remplacé par Mme Anne Feyt, assistante chargée d'exercices en droit constitutionnel à l'ULB ainsi qu'avocate spécialisée en droit public.

1. La déclaration de révision de la Constitution du 10 avril 2003 prévoit qu'il y a lieu à révision « de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité ».

Or, la proposition de Mme Clotilde Nyssens porte sur l'insertion des mots « et du principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures » entre les mots « en tenant compte des obligations correspondantes » et les mots « , les droits économiques, sociaux et culturels » dans l'article 23, alinéa 2, de la Constitution. Celle de M. Philippe Mahoux tend à compléter l'article 23, alinéa 3, in fine, par un point 6º relatif au droit à l'eau.

Aucune des deux propositions qui sont aujourd'hui sur le bureau de la commission des Affaires institutionnelles n'a donc l'objet défini par le préconstituant, et rappelé ci-dessus.

2. « Dans quelle mesure le pouvoir constituant est-il lié par les intentions du préconstituant ? » Telle est la question qui se pose, en l'espèce, avec acuité et que vous avez formulée lors de votre séance du 4 mars 2004.

L'article 195, alinéa 1er, de la Constitution confie au préconstituant, soit au pouvoir législatif fédéral, « le droit de déclarer qu'il y a lieu de procéder à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne ».

Formellement, la seule tâche assignée par la Constitution au préconstituant est celle d'arrêter la liste des dispositions constitutionnelles qu'il entend ouvrir à révision. Formellement toujours, le Constituant originaire n'a pas donné au pouvoir législatif fédéral le droit d'indiquer dans quel sens les dispositions constitutionnelles qu'il désigne peuvent être modifiées par le pouvoir constituant dérivé.

Partant du texte de l'alinéa 1er de l'article 195 de la Constitution, la doctrine s'accorde à dire qu'il n'appartient pas au préconstituant d'indiquer le sens des modifications qui pourront être apportées aux dispositions constitutionnelles qu'il a ouvertes à révision.

On citera, à ce propos, le professeur Jacques Velu, selon lequel: « Dans sa déclaration, le pouvoir législatif n'a pas, en principe, à préciser le sens dans lequel la disposition considérée devrait être révisée » (11) . On citera également le professeur Marc Uyttendaele, selon lequel: « Dans leur déclaration, il n'appartient pas aux chambres et au Roi d'indiquer dans quel sens la révision doit être effectuée. À supposer que cette précision soit néanmoins opérée, elle ne lie pas le pouvoir constituant. Celui-ci est toujours libre de s'écarter des principes énoncés par le préconstituant » (12) .

David Renders ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que: « La déclaration par liste de numéros d'articles pose une autre difficulté. Dans sa grande majorité, la doctrine constitutionnelle considère que, si les Chambres préconstituantes assignent un sens à la manière dont une disposition doit être modifiée, les Chambres constituantes restent libres de suivre le sens alors indiqué » (13) . De même, selon le professeur et sénateur Francis Delpérée: « Le procédé qui revient à indiquer le sens d'une révision est entré dans l'usage. Il paraît critiquable, dans la mesure où un pouvoir constitué s'arroge la prérogative d'entreprendre l'œuvre réservée au pouvoir constituant. L'indication du sens ne lie évidemment pas les chambres constituantes (...) » (14) .

À l'instar du professeur Francis Delpérée, d'aucuns n'hésitent d'ailleurs pas à affirmer que s'il indiquait l'objet ou la portée de la révision d'une disposition constitutionnelle, le préconstituant s'arrogerait une compétence qu'il n'a pas et méconnaîtrait tant la lettre que l'esprit de l'article 195 de la Constitution.

À ce stade du raisonnement, il est donc deux faits certains. Tout d'abord, il ne revient pas au préconstituant d'indiquer le sens dans lequel une disposition constitutionnelle doit être révisée. Ensuite, le constituant n'est pas lié par une déclaration de révision qui porterait néanmoins le sens dans lequel devrait intervenir une modification constitutionnelle.

3. Il existe, toutefois, une exception notoire à ce principe. Il s'agit de l'hypothèse, d'ailleurs non prévue par le constituant originaire, dans laquelle il ne s'agirait pas d'ouvrir à révision une disposition constitutionnelle existante, mais d'insérer une nouvelle disposition dans la Constitution.

Selon le professeur Jacques Velu, « Si l'on interprétait de manière restrictive l'article (131) 195 de la Constitution, il faudrait considérer que le pouvoir législatif ne peut déclarer qu'il y a lieu à révision constitutionnelle lorsque la réforme envisagée suppose l'insertion dans le texte constitutionnel de dispositions sortant du cadre de celui-ci et non susceptibles d'être mises en rapport avec un article déterminé. Pareille interprétation empêcherait de réaliser des réformes dont la nécessité serait impérieuse et qui seraient voulues par la grande majorité de la représentation nationale. Aussi est-il généralement admis que le pouvoir législatif peut déclarer qu'il y a lieu à révision de la Constitution par l'introduction d'un article dans telle section de la Constitution ou par l'insertion d'une section dans tel chapitre de la Constitution pour mettre en œuvre telle ou telle réforme » (15) (16) .

L'utilisation des termes « pour mettre en œuvre telle ou telle réforme » n'est pas anodine. En effet, ainsi que le relève le professeur et sénateur Delpérée: « L'indication du sens ne lie évidemment pas les chambres constituantes, hormis dans l'hypothèse où l'opération révisionniste conduit à insérer un nouvel article dans le texte constitutionnel — auquel cas il semble indiqué de mentionner l'objet de la disposition envisagée » (17) .

Il s'agit pour le préconstituant d'indiquer sommairement quel est l'objet de l'ouverture à révision d'un titre ou chapitre déterminé de la Constitution. Il pourrait même être soutenu qu'à défaut pour le préconstituant d'agir ainsi, la forme et l'esprit de l'article 195 de la Constitution pourraient ne pas être respectés. La modification constitutionnelle pourrait, en effet, de facto être opérée en une seule législature, le pouvoir constituant s'engouffrant dans la brèche qui lui serait ainsi ouverte pour contourner le fait que l'une ou l'autre disposition qu'il eût espéré voir ouverte à révision ne l'est pas.

En guise de conclusion sur ce point, donc, le pouvoir constituant n'est lié par l'intention du préconstituant que lorsque la déclaration ouvre à révision un titre ou chapitre de la Constitution afin d'y insérer une ou plusieurs dispositions nouvelles.

À titre exemplatif, on citera le cas de la déclaration de révision du 5 mai 1999 dans laquelle il était déclaré qu'il y avait lieu à révision du titre II de la Constitution afin d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité, des dispositions nouvelles relatives aux régions et aux communautés et des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, mentale, physique et sexuelle (18) .

4. S'agissant d'appliquer les principes doctrinaux ci-dessus énoncés à la question d'espèce, il me paraît utile de vous renvoyer au processus d'insertion dans la Constitution de l'article 24bis, devenu article 23.

On se rappellera que, depuis 1968, figure dans les déclarations de révision de la Constitution, la proposition d'insérer une disposition relative aux droits économiques et sociaux dans le titre II de la Constitution (19) . Cette insertion n'aura finalement lieu qu'à la faveur de la modification constitutionnelle du 24 janvier 1994 (20) , sur la base de la déclaration de révision du 18 octobre 1991. Or, cette dernière ne visait que l'insertion d'un article 24bis « relatif aux droits économiques et sociaux », et ne faisait pas mention des droits culturels. C'est au Sénat qu'il a été décidé d'ajouter à côté des droits économiques et sociaux, les droits culturels, intimement liés aux premiers. Les juristes consultés à l'époque n'ont pas considéré que le fait que la déclaration de révision ne faisait pas référence aux droits culturels était un obstacle à leur incorporation dans le nouvel article 24bis (21) .

5. Faut-il conclure que ce qui n'était pas dirimant à l'époque le serait aujourd'hui au motif que le préconstituant a entendu insérer un alinéa dans un objectif déterminé ? En d'autres termes, faut-il faire le parallèle entre cette déclaration d'intention du préconstituant et celle qu'il formule lorsqu'il décide d'ouvrir à révision tel ou tel titre ou chapitre du texte constitutionnel en indiquant sommairement l'objet de la réforme ?

Mme Feyt ne le pense pas.

Si le préconstituant avait entendu, non pas permettre la modification de l'article 23 de la Constitution, mais voir insérer dans le texte constitutionnel le principe du droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité, il aurait dû préférer ouvrir la Constitution à révision en vue d'y insérer, dans le titre II, une nouvelle disposition ayant un tel objet. En inscrivant son intention dans l'optique de l'article 23 de la Constitution, et en ouvrant ce dernier à révision, il permet nécessairement au constituant de modifier l'article 23 dans un sens autre que celui qu'il avait en vue.

Le constituant n'est pas tenu par le sens assigné par le préconstituant à la révision de l'article 23. Il peut, donc, insérer les mots « et du principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures » entre les mots « en tenant compte des obligations correspondantes » et les mots « , les droits économiques, sociaux et culturels » dans l'article 23, alinéa 2, de la Constitution et compléter l'article 23, alinéa 3, in fine par un point 6º relatif au droit à l'eau.

6. Le constituant veut toucher à la fois à l'article 23, alinéa 2, et à l'article 23, alinéa 3 ?

Rien ne s'y oppose.

Une réponse a été apportée à cette question lorsqu'elle a été abordée au Sénat en 1980. On s'était, en effet, demandé à l'époque si un même article pouvait faire l'objet de plusieurs modifications consécutives au cours d'une même législature. Le Sénat a considéré que ce n'était admissible que si les modifications portaient sur des règles de droit différentes. Une telle manière de procéder ne serait pas admissible s'agissant de revenir sur le sens d'une révision opérée (22) .

En l'espèce, il n'est pas question, dans les propositions qui sont sur le bureau de la commission des Affaires institutionnelles, de modifier un texte qui a déjà fait l'objet d'une modification préalable par le pouvoir constituant sous une même législature. Au contraire, il s'agit d'insérer dans l'article 23 de la Constitution des règles de droit distinctes.

2. Avis du professeur Paul Van Orshoven, de la Katholieke Universiteit Leuven

Le problème esquissé doit être résolu à la lumière de ce sur quoi il repose, à savoir l'interprétation de la portée de l'article 195 de la Constitution. Et ce en tenant compte d'une complication particulière puisque le préconstituant ne s'est pas contenté de désigner un article de la Constitution et de le déclarer ouvert à révision mais qu'il a aussi indiqué que c'était en vue d'ajouter dans cet article un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité.

Le professeur Van Orshoven est d'avis que le texte de la déclaration de révision de la Constitution doit être interprété à la lumière de l'objectif de l'article 195 de la Constitution,

qui dispose ce qui suit:

a) Texte:

« Le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne.

Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein droit.

Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l'article 46.

Ces Chambres statuent, d'un commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision.

Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents; et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages. »

b) Ratio constitutionis (hormis le quorum et la majorité des deux tiers)

La ratio constitutionis de l'article 195, à l'exception du dernier alinéa, peut s'analyser comme suit:

1. Le mécanisme de la dissolution des chambres législatives et de la convocation d'élections constituantes (stabilité de la Constitution)

Un parlement qui souhaite opérer une révision constitutionnelle est dissous. Ensuite, il y a des élections.

Cette procédure se veut un signal destiné à indiquer que l'on ne peut pas recourir à la légère à des déclarations de révision de la Constitution.

L'élément dissolution du parlement et convocation d'élections revêt une importance particulière pour la solution du problème à l'examen.

2. La mention « telle disposition constitutionnelle qu'il désigne » conjuguée aux élections constituantes

La combinaison de ces deux éléments a explicitement pour objectif de pouvoir soumettre éventuellement au débat public la révision d'un article constitutionnel. Les élections sont précédées d'une campagne électorale au cours de laquelle les partis politiques peuvent se profiler. En effet, l'électeur doit pouvoir se prononcer, entre autres, sur la modification constitutionnelle envisagée. En pareil cas, les élections ne sont pas des élections législatives ordinaires: elles sont des élections constituantes.

Les partis politiques doivent pouvoir faire des articles constitutionnels ouverts à révision un enjeu électoral.

3. La mention « telle disposition constitutionnelle qu'il désigne » conjuguée à celle des « points soumis à révision »

C'est une manière de lier le constituant au préconstituant.

Le préconstituant ne peut pas régler une matière: il dit seulement ce qui peut être réglé.

En d'autres termes, à ce moment-là, le préconstituant n'est pas législateur au sens matériel.

Le préconstituant fixe le cadre d'une législation (constitutionnelle) qui viendra plus tard.

Le constituant, lui, ne peut pas dire ce qui sera réglé; législateur au sens matériel, il peut seulement légiférer dans le cadre défini par le préconstituant.

Par cette disposition, le constituant de 1831 voulait faire en sorte de lier absolument le constituant au préconstituant, et inversement. C'est la raison pour laquelle, pour modifier la Constitution, il faut une majorité politique stable sur deux législatures.

c) À cet égard, les points les plus importants sont les points 2 et 3 de l'article 195 de la Constitution.

L'interprétation téléologique correcte quant à la question de savoir dans quelle mesure le préconstituant peut lier le constituant est la suivante: le préconstituant définit la matière, « ce qui peut être réglé ».

Le préconstituant n'est pas compétent pour lier le constituant quant au sens dans lequel la matière doit être réglée. S'agissant de la question de savoir « comment la matière sera réglée », les partis politiques doivent pouvoir faire connaître leur point de vue et l'électeur doit pouvoir se prononcer.

d) La distinction établie par Mme Feyt entre « un article nouveau » et un « article existant » n'est pas pertinente.

Est en revanche pertinente la distinction qu'il faut faire entre « la matière » désignée et « le sens dans lequel elle doit être réglée ».

Le préconstituant est compétent pour définir la matière.

Il ne l'est pas, et n'a pas le pouvoir de lier le constituant, sur le point de savoir ce qu'il doit advenir exactement de cette matière.

La confusion vient toutefois, du moins à première vue, de ce que l'article 195 de la Constitution comporte une lacune.

Ce problème apparaît cependant facile à régler à la lumière de la ratio constitutionis.

En effet, en 1831, on est parti du principe que l'attitude normale d'un constituant, révolutionnaire de surcroît, était de considérer que toutes les matières qui devraient être traitées dans la Constitution y étaient inscrites. C'est ce qui explique que l'article 195 de la Constitution parle d'une « disposition » à désigner. Lorsqu'il s'agit d'une matière déjà réglée dans la Constitution, l'indication de l'article qui s'y rapporte suffit.

Ultérieurement, on s'est toutefois rendu compte qu'il y avait de nouvelles matières qui n'apparaissaient pas encore dans la Constitution et qu'il y avait lieu d'y régler.

Comme cette hypothèse n'était pas prévue dans l'article 195 de la Constitution, on a décidé qu'en pareil cas, un article nouveau devrait être désigné.

Dans ce cas, il ne suffisait évidemment pas de mentionner un article, mais il fallait aussi décrire une matière qui figurerait dans la disposition nouvelle.

Dans aucun des deux cas en question, le préconstituant ne peut déterminer lui-même la règle ni fixer le sens dans lequel elle doit aller.

Mais dans chacun de ces deux cas, le préconstituant peut enfermer le constituant dans une matière déterminée.

Il serait en effet absurde que le résultat souhaité par le préconstituant (confinement du constituant dans une matière) ne puisse être atteint que par la désignation d'un article nouveau, et non par la désignation d'un alinéa nouveau dans un article existant.

2) Quel est le problème ?

Dans le cas qui nous occupe, le préconstituant, dans sa déclaration de révision de la Constitution du 10 avril 2003, a à la fois ouvert à révision un article existant de la Constitution (l'article 23 relatif aux droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels) et précisé une matière, à savoir « en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité ».

Le préconstituant peut agir de la sorte. La portée du texte de l'article 195 de la Constitution est suffisamment étendue en l'espèce: en effet, « telle disposition » et « points soumis à la révision » n'ont pas la même signification qu' « article » et doivent donc s'interpréter au sens matériel et non formel.

À y regarder de plus près, il n'y a donc aucune lacune à l'article 195 de la Constitution.

La notion de « disposition » est différente de celle d'« article ».

Par conséquent, la matière peut et doit toujours être désignée, que ce soit en renvoyant à un article ou que ce soit en indiquant de quoi il doit être question.

À cela s'ajoute que le flou qui entoure la notion de « droits sociaux et culturels » oblige le préconstituant à préciser les choses, comme s'il s'agissait d'élaborer un article nouveau. En effet, le domaine en question est si étendu que, si le préconstituant veut se respecter lui-même, il ne peut faire autrement que de préciser sur quoi la révision doit porter.

En tout état de cause, le préconstituant peut lier le constituant en ce qui concerne la « matière », ainsi qu'il l'a fait en l'espèce.

Si le préconstituant le fait, le constituant est lié par ce choix et doit s'y tenir. C'est une question de crédibilité.

Il en résulte que le préconstituant peut aussi agir de la sorte dans le cadre d'un article déterminé, a fortiori lorsque la portée de cet article est à ce point large que, sinon, il se créerait un énorme champ libre, et à plus forte raison encore lorsque le préconstituant entend effectivement imposer une restriction (matérielle) et éviter que le constituant ne règle des choses tout autres.

Il serait dangereux pour le constituant d'ignorer la limitation imposée par le préconstituant car, ce faisant, il mettrait sa crédibilité en péril.

3) La théorie qui précède est ensuite appliquée aux propositions de révision de l'article 23 de la Constitution soumises pour avis:

L'article 23 de la Constitution dispose ce qui suit:

« Art. 23. Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment:

1º le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;

2º le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;

3º le droit à un logement décent;

4º le droit à la protection d'un environnement sain;

5º le droit à l'épanouissement culturel et social. »

La déclaration de révision de la Constitution du 9 avril 2003 dispose ce qui suit:

« Il y a lieu à révision [...] de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité. »

Ce que le constituant peut certainement faire, c'est régler « quelque chose » qui concerne un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité.

Se pose ensuite la question de savoir si l'on peut utiliser cette déclaration de révision pour y ajouter le « droit à l'eau » ou le « principe de précaution » [cf. proposition de révision de l'article 23 de la Constitution en ce qui concerne le principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures (proposition de Mme Clotilde Nyssens); nº 3-49/1. — Révision de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution, en vue de le compléter par un 6º garantissant le droit à l'eau (proposition de M. Philippe Mahoux); nº 3-480/1].

La question préliminaire centrale, liée à celle qui précède, est la suivante: le « droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité » représente-t-il une « matière » ou le « sens dans lequel la matière en question doit être réglée » ?

Le professeur Van Orshoven estime qu'il s'agit d'une « matière ».

À cela s'ajoute que le flou qui entoure les droits sociaux, économiques et culturels oblige le préconstituant à préciser la matière dont il est question. En d'autres termes, celui-ci doit indiquer, en plus du numéro d'article, de quoi il doit s'agir exactement. On s'aventure en l'espèce sur un terrain tellement étendu que tout préconstituant qui se respecte ne peut que préciser de quoi il est question.

L'on se retrouve ainsi à proprement parler dans une situation identique à celle où le préconstituant déclare qu'il y a lieu d'insérer un article nouveau dans la Constitution.

C'est à cela que se ramène en réalité le cas qui nous occupe, c'est-à-dire insérer un alinéa nouveau à l'article 23 de la Constitution.

Le préconstituant peut lier le constituant en ce qui concerne la matière.

S'il le fait, le constituant est lié par ce choix.

L'article 23 de la Constitution concerne le droit à une vie conforme à la dignité humaine et les droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels.

La déclaration de révision de la Constitution du 9 avril 2003 dispose qu'il y a lieu à révision de l'article 23 de la Constitution, « en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité ».

Le constituant peut en tout cas régler quelque chose qui concerne le service universel en matière de poste, de communication et de mobilité.

La question est de savoir si l'on peut utiliser cette déclaration pour ajouter à cela le droit à l'eau ou le principe de précaution.

La question préalable qui se pose est celle de savoir si le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité constitue une matière ou le sens dans lequel une matière doit être réglée.

La réponse à cette question est qu'il s'agit d'une matière.

Le professeur Van Orshoven souligne en outre qu'il est question, dans la déclaration de révision de la Constitution, de l'ajout d'un alinéa « ... concernant le droit (...) à ... ». Par conséquent, il ne s'agit pas d'une règle, mais d'une matière.

À la question de savoir si le préconstituant était en droit d'agir de la sorte, la réponse ne peut être qu'affirmative.

Le constituant doit dès lors s'en tenir à cela. Le nœud de la question est en effet le suivant: les partis politiques et l'électeur ont-ils pu se prononcer sur ce qui doit advenir de l'eau et du principe de précaution ?

Le professeur Van Orshoven estime qu'il y a lieu de répondre à cette question par la négative. Ce thème n'a pas pu être un élément des campagnes politiques qui précèdent les élections législatives.

L'hypothèse suivante, par contre, paraît possible: si le préconstituant avait effectivement désigné le droit à l'eau comme matière, le constituant aurait pu y associer le principe de précaution, non pas d'une manière générale, mais bien en ce qui concerne l'eau.

Dans ce cas, en effet, le principe de précaution n'est plus une « matière » mais un « sens dans lequel ».

Mais dans le cas qui nous occupe, le problème est que le préconstituant n'a pas désigné l'eau. Impossible dès lors d'y associer la moindre parcelle de principe de précaution.

3. Avis du professeur Jan Velaers de l'Universiteit Antwerpen

I. Le rapport entre le préconstituant et le constituant dans l'article 195 de la Constitution

1. Conformément à l'article 195 de la Constitution, la procédure de révision de la Constitution se déroule en trois phases. Le Roi et les Chambres — qui constituent ensemble ce que l'on appelle le préconstituant — élaborent une déclaration de révision de la Constitution, qui est publiée au Moniteur belge (a). Les Chambres sont dissoutes et des élections sont organisées dans les quarante jours (b). Les Chambres nouvellement élues — qui forment avec le Roi le constituant — statuent à une double majorité des deux tiers « sur les points soumis à révision ».

2. La question qui a été soulevée en commission du Sénat porte sur le rapport entre le préconstituant et le constituant. Il s'agit de savoir dans quelle mesure la déclaration de révision de la Constitution lie le constituant.

3. Il ressort de la lecture de l'article 195 de la Constitution que le préconstituant s'est vu confier un rôle certes important mais quelque peu limité. Ce rôle consiste à « déclarer qu'il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne ». Le préconstituant doit donc désigner des « dispositions constitutionnelles », avec pour conséquence que la matière qui figure dans ces dispositions est soumise à révision.

L'histoire constitutionnelle montre que dans une seule hypothèse, le préconstituant doit faire davantage que seulement désigner les dispositions constitutionnelles soumises à révision. Il s'agit de celle où le préconstituant entend créer la possibilité de régler dans la Constitution une matière nouvelle qui ne fait encore l'objet d'aucune disposition. Dans ce cas, le préconstituant ne peut évidemment pas se contenter de désigner une disposition constitutionnelle. Il lui faut indiquer dans la déclaration de révision de la Constitution qu'une disposition nouvelle peut y être insérée. Dans ce cas, le préconstituant indique aussi d'emblée la matière sur laquelle porte la nouvelle disposition en question (23) .

4. En vertu de l'article 195 de la Constitution, le préconstituant et le constituant sont indissociables. Ils ont, dans la procédure de révision, un rôle propre à jouer et sont tenus chacun de respecter le rôle de l'autre. Le préconstituant doit respecter le constituant. Il ne lui appartient donc pas d'indiquer quelle révision de la Constitution peut être réalisée. S'il s'agit d'une matière déjà réglée dans une disposition constitutionnelle, il n'est pas autorisé à indiquer dans quel sens cette disposition peut être modifiée, notamment en indiquant les dispositions qui peuvent être ajoutées.

Si le préconstituant le fait malgré tout, ses indications ne lient pas le constituant (24) .

Le constituant doit néanmoins aussi respecter le préconstituant: il ne peut réviser la Constitution qu'au niveau des dispositions ou, s'il s'agit d'une disposition nouvelle, au niveau de la matière, des objets, que le préconstituant a désignés dans la déclaration de révision (25) .

II. Correspondance entre les propositions de révision de l'article 23 de la Constitution et la déclaration de révision du 10 avril 2003

5. Pour répondre à la question qui s'est posée à propos de deux propositions de révision de l'article 23 de la Constitution, il convient tout d'abord de se pencher sur la matière qui est actuellement réglée par cet article (a), il faut ensuite établir si la déclaration de révision a déclaré l'article 23 ouvert à révision et si oui, dans quelle mesure (b) et il reste à vérifier enfin si les propositions de révision se bornent à modifier la matière déclarée ouverte à révision (c).

1. La matière réglée actuellement par l'article 23 de la Constitution

6. L'article 23 de la Constitution est rédigé comme suit:

« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment:

1º le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;

2º le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;

3º le droit à un logement décent;

4º le droit à la protection d'un environnement sain;

5º le droit à l'épanouissement culturel et social. »

7. Cet article se compose de trois parties. Il est bon d'analyser plus avant l'article 23, précisément dans le but de définir la matière qu'il règle.

L'alinéa 1er énonce en des termes très généraux que le « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine » est garanti. Telle est donc la matière visée par l'article 23 de la Constitution: un droit, formulé largement, de mener une vie conforme à la dignité humaine.

L'alinéa 2 dispose que pour protéger ce droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels.

L'alinéa 3 définit quels droits comportent notamment le « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine » et les droits économiques, sociaux et culturels à garantir. Il importe selon nous de s'assurer que les droits énumérés à l'alinéa 3 sont effectivement à considérer comme des aspects du « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine », car c'est ce droit qui constitue la matière réglée par l'article 23 de la Constitution. Ce droit est d'ailleurs plus vaste que la liste des droits énumérés à l'alinéa 3 (26) , qui n'est du reste pas exhaustive, comme il ressort des travaux parlementaires (27) et comme l'a souligné la jurisprudence (28) .

8. Le préconstituant peut déclarer l'article 23 ouvert à révision dans son intégralité ou chaque alinéa séparément. Si tout l'article est déclaré ouvert à révision, il s'ensuivra que le constituant pourra par exemple modifier l'alinéa 2 en précisant les « obligations correspondantes ». Mais il pourrait aussi modifier l'alinéa 3 et la liste de droits qui y figure,

— soit en formulant autrement les droits existants,

— soit en supprimant certains droits de cette liste,

— soit en y ajoutant d'autres droits.

Si le constituant ajoute des droits à cette liste, elle ne sortira pas de la matière réglée par l'article 23 de la Constitution, pour autant que ces droits puissent être raisonnablement considérés comme un élément, un aspect du « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ». C'est la limite à ne pas dépasser, mais aussi la seule limite qui soit: il doit s'agir de droits liés à la matière réglée par l'article 23, c'est-à-dire qu'il doit s'agir de droits pouvant être considérés comme relevant du « droit de mener une existence conforme à la dignité humaine ».

En revanche, le préconstituant ne peut pas déclarer l'article 23 ouvert à révision en indiquant d'emblée dans quel sens celui-ci doit être revu. Le préconstituant n'a pas ce pouvoir. Si le préconstituant déclare ouvert à révision l'article 23, y compris l'alinéa 3 contenant la liste des droits, il ne peut pas déterminer simultanément, de manière contraignante, quelles modifications le constituant pourra apporter à la liste en question.

Nous estimons qu'il en va d'ailleurs de même pour toutes les listes figurant dans les articles de la Constitution. L'article 77, par exemple, contient la liste des matières soumises au bicaméralisme intégral. Si le préconstituant déclare cet article ouvert à révision, le constituant pourra modifier la liste contenue audit article, soit en la raccourcissant, soit en la complétant. Il n'appartient pas au préconstituant d'indiquer dans quel sens la liste devra être modifiée. Il en va de même pour la liste des articles sur lesquels repose le contrôle exercé par la Cour d'arbitrage (art. 142 de la Constitution).

2. La déclaration de révision du 10 avril 2003

9. Dans la déclaration de révision du 10 avril 2003, l'article 23 de la Constitution est déclaré ouvert à révision dans les termes suivants: « Le Sénat déclare qu'il y a lieu à révision] de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité. »

Cette formulation indique que le préconstituant a fait deux choses:

— il a, d'une part, déclaré l'ensemble de l'article 23 de la Constitution ouvert à révision.

En conséquence, le constituant peut modifier chacune des trois parties de cet article, pour autant du moins qu'il reste dans les limites de la matière qui est actuellement régie par cet article.

— il a, d'autre part, spécifié quelle révision de l'article 23 de la Constitution il avait en vue, à savoir une seule modification ajoutant seulement un droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité.

Or, il n'appartient pas au préconstituant de se prononcer sur ce dernier point. Il lui appartient uniquement de déterminer la matière susceptible d'être révisée. Tout ce que le préconstituant peut faire, c'est désigner l'article ou l'alinéa de l'article qui est ouvert à révision (29) . Mais il ne peut pas préciser dans quel sens un article ou un alinéa de l'article devra être révisé. Il ne peut pas, d'une part, déclarer l'ensemble de l'article 23 ouvert à révision et, d'autre part, décider que seul un droit déterminé pourra y être ajouté. Le membre de phrase de la déclaration de révision du 10 avril 2003 « en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité » n'engage dès lors pas le constituant, qui pourra revoir l'article 23 de la Constitution dans son intégralité, sans tenir compte de ce que le préconstituant a désigné comme révision souhaitable dans la déclaration de révision de la Constitution. La seule restriction dont le constituant devra tenir compte est que le nouveau droit qu'il ajoute doit avoir trait à la matière réglée par l'article 23 de la Constitution, c'est-à-dire le « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ».

3. Les propositions de révision de la Constitution

A. La proposition de révision de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution concernant le « droit à l'eau »

La proposition de révision de la Constitution de M. Mahoux (doc. Sénat, nº 3-480/1) vise à compléter l'article 23, alinéa 3, de la Constitution comme suit: « 6° le droit à l'eau. »

Cette proposition est conforme à la déclaration de révision du 10 avril 2003 qui déclare ouvert à révision l'article 23 de la Constitution et donc aussi son alinéa 3. Le « droit à l'eau » peut être raisonnablement considéré comme un aspect éventuel du « droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ».

L'ajout du « droit à l'eau » ne requiert pas l'adjonction d'un nouvel article, mais nécessite uniquement de modifier la liste contenue dans un article existant — l'article 23, alinéa 3 — qui a été déclaré ouvert à révision.

Le membre de phrase de la déclaration de révision « de l'article 23 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité » n'engage pas le constituant.

B. La proposition de révision de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution concernant le principe de précaution

La proposition de révision de la Constitution de Mme Clotilde Nyssens (doc. Sénat, nº 3-49/1) vise à modifier l'article 23, alinéa 2, de la Constitution en insérant les mots « et du principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures » entre les mots « en tenant compte des obligations correspondantes » et les mots « , les droits économiques, sociaux et culturels ».

Cette proposition est conforme à la déclaration de révision du 10 avril 2003 qui déclare ouvert à révision l'article 23 de la Constitution et donc aussi son alinéa 2. Si le préconstituant avait voulu limiter la possibilité de révision à l'alinéa 3 (qui contient la liste des droits), il aurait dû explicitement déclarer ouvert à révision le seul alinéa 3. Or, il ne l'a pas fait.

D'aucuns affirmeront peut-être que l'ajout des mots « en vue d'y ajouter un alinéa concernant le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité » participe de la volonté implicite du préconstituant de limiter le pouvoir de révision du constituant à l'alinéa 3. Nous ne partageons pas ce point de vue. On peut exiger du préconstituant qu'il fasse preuve de minutie. Il peut limiter la possibilité de révision à un alinéa d'un article. Mais il doit alors l'indiquer expressément. Le préconstituant ne l'a pas fait, mais il a manifestement cru — à tort — pouvoir préciser dans quel sens le constituant pourrait revoir la matière réglée à l'article 23 de la Constitution.

ANNEXE II

Avis du Conseil fédéral du développement durable (CFDD)

II.1. Avis sur la révision de la Constitution concernant le développement durable et le principe de précaution

— À la demande de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat, dans des lettres de Mme Anne-Marie Lizin datées du 22 novembre 2005 et du 9 février 2006,

— Préparé par le Bureau, après consultation d'un groupe de travail ad hoc Constitution.

— Approuvé par l'assemblée générale du 24 février 2006 (voir annexe 1) (30) .

— La langue originale de cet avis est le néerlandais.

1. Situation

[1] La commission des Affaires institutionnelles du Sénat a demandé deux avis au Conseil, par l'intermédiaire de sa présidente, Mme Anne-Marie Lizin, au sujet de trois propositions de modification de la Constitution concernant le développement durable et le principe de précaution:

— une première proposition (31) qui vise à insérer un nouvel article dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale (demande d'avis formulée dans une lettre du 22 novembre 2005);

— une proposition (32) de révision de l'article 23 de la Constitution en ce qui concerne le principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures (demande d'avis formulée dans la même lettre du 22 novembre 2005);

— une deuxième proposition (33) qui vise à insérer un nouvel article dans un nouveau titre Ierbis, relatif au développement durable comme objectif de politique générale (demande d'avis formulée dans une lettre du 9 février 2006)

[2] Le préconstituant (34) a déclaré le 10 avril 2003 qu'il y a lieu, d'une part, « d'insérer un nouveau titre Ierbis dans la Constitution, relatif au développement durable comme objectif de politique générale et, d'autre part, qu'il y a lieu de réviser (...) l'article 23 de la Constitution en vue d'inscrire dans la Constitution le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité » (35) . La proposition de M. Cornil et la proposition de M. Martens et Mme Talhaoui concrétisent la première proposition du préconstituant. La proposition de Mme Nyssens rejoint la deuxième proposition précitée du préconstituant visant à modifier l'article 23.

[3] La proposition de M. Cornil vise à insérer un nouveau titre Ierbis dans la Constitution (36) , intitulé « Du développement durable » et comprenant un article 7bis, rédigé comme suit (37) :

« Art. 7bis. — Dans l'exercice de leurs compétences, l'État fédéral, les communautés et les régions œuvrent en faveur d'un développement durable dans la perspective de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins.

À cette fin, ils veillent à l'intégration équilibrée des composantes sociales, économiques et environnementales dans la définition de leurs politiques ainsi que dans les processus décisionnels. »

[4] La proposition de M. Martens et de Mme Talhaoui vise également à insérer un nouveau titre Ierbis dans la Constitution, intitulé « Du développement durable » et comprenant un article 7bis, rédigé comme suit:

« Art. 7bis. — L'État fédéral, les communautés et les régions, les provinces et les communes s'efforcent de mener, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières nationales, une politique fondée sur les principes d'un développement durable, consistant à pourvoir aux besoins sociaux, économiques, écologiques et démocratiques des générations actuelles, sans mettre en péril ceux des générations futures.

Cela suppose un développement économique et social qui soit basé sur le respect de la capacité d'absorption de l'environnement, l'utilisation efficace des ressources naturelles, une répartition socialement équitable, une participation structurelle des citoyens aux processus décisionnels et des garanties en matière d'accès à la justice. »

[5] La proposition de Mme Nyssens modifie l'article 23 avec les mots inscrits en caractères soulignés.

« Art. 23. Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes et du principe de précaution à l'égard des générations actuelles et futures, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment:

1º le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;

2º le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;

3º le droit à un logement décent;

4º le droit à la protection d'un environnement sain;

5º le droit à l'épanouissement culturel et social. »

[6] Le secrétaire de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat a précisé davantage, au sein du groupe de travail, la demande d'avis pour la première proposition relative à un article constitutionnel traitant du développement durable :

— La formulation est-elle adéquate ?

— Le concept couvre-t-il tous les aspects du développement durable, comme M. Cornil l'explique dans l'exposé des motifs ?

— N'est-il pas plus recommandable de reprendre le développement durable dans l'article 23 (cf. Traité de l'Europe: le développement durable apparaît dans plusieurs articles) ?

[7] Il n'est pas demandé au Conseil de se prononcer sur la question de savoir si la déclaration de révision de la Constitution autorise ou pas de reprendre un tel principe dans l'article 23 de la Constitution.

[8] La commission des Affaires institutionnelles du Sénat a d'abord demandé l'avis du Conseil sur la première proposition de révision de la Constitution, qui concerne le développement durable et sur la proposition qui concerne le principe de précaution pour la fin janvier, début février 2006. La commission avait en effet prévu d'organiser à ce moment-là une journée d'étude sur ces deux propositions. Le Sénat a ensuite demandé si le Conseil pouvait traiter dans son avis de la deuxième proposition qui concerne le développement durable. Le délai de remise de l'avis a été prolongé jusqu'à la mi-février, du fait qu'une journée d'étude aura lieu le 14 mars.

2. Contenu de l'avis

Remarques générales

[9] Le CFDD apprécie que le Sénat accorde de l'attention au développement durable, un concept qui tend à l'intégration des dimensions sociale, économique et écologique. Le CFDD apprécie que le Sénat demande l'avis du Conseil et fasse appel à l'expertise existante.

[10] Le Conseil se fonde pour cet avis sur des éléments issus d'avis antérieurs (38) , qui traitent du développement durable et du principe de précaution, et qui sont approuvés à l'unanimité. Cependant, le Conseil ne se prononce pas sur l'opportunité de reprendre ces principes dans la Constitution belge.

Le concept de développement durable

[11] Dans ses avis, le Conseil part de la définition du développement durable basée sur celle du rapport Brundtland Votre avenir à tous. Il existe autour de cette formulation un consensus international et la formulation précise facilite la vérification en droit (39) . Dans ses avis, le CFDD souligne l'importance de l'intégration des trois piliers du développement durable dans une approche qui tient compte à la fois de la dimension mondiale et de la dimension à long terme (aspect intra- et intergénérationnel) (40) .

[12] Pour une meilleure compréhension et l'application des principes du développement durable, le Conseil renvoie dans ses avis aux explications données en la matière dans les plans fédéraux quadriennaux ainsi que dans les rapports fédéraux biennaux de développement durable (cf. loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable).

[13] Le Conseil attire l'attention sur la cohérence souhaitable entre les définitions des propositions qui sont présentées avec celle de l'art. 2 de la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable (41) .

Le principe de précaution

[14] Pour une meilleure compréhension du principe de précaution, le Conseil renvoie à son avis du 17 octobre 2000 sur la communication de la Commission européenne sur le recours au principe de précaution (42) .

[15] Le Conseil attire l'attention sur la cohérence souhaitable entre la définition du principe de précaution dans la proposition qui est présentée, et l'interprétation courante de celui-ci dans le droit, dans lequel il a une signification plus restreinte. Le principe de précaution est devenu au niveau international et européen un principe de droit général en environnement (43) .

Annexe 1. Nombre de membres présents et représentés ayant voix délibérative lors de l'assemblée générale du 24 février 2006

— Les 4 président et vice-présidents:

T. Rombouts, C. Gernay, A. Panneels, R. Verheyen

— Les 6 représentants des organisations non gouvernementales pour la protection de l'environnement:

V. Kochuyt (Birdlife Belgium), J. Gilissen (Inter-Environnement Bruxelles), G. De Schutter (World Wide Fund for Nature — Belgium), W. Trio (Greenpeace Belgium), J. Turf (Bond Beter Leefmilieu), M. Fourny (Inter-Environnement Wallonie)

— Les 6 représentants des organisations non gouvernementales pour la coopération au développement:

B. Bode (Broederlijk Delen), G. Fremout (VODO), B. Gloire (Oxfam-Solidarité), L. Langouche (Iles de Paix), J.-M. Swalens (ACODEV), B. Vanden Berghe (11.11.11)

— Les 2 représentants des organisations non gouvernementales de défense des intérêts des consommateurs:

R. Renaerts (OIVO), C. Rousseau (CRIOC)

— 4 des 6 représentants des organisations des travailleurs:

J. Decrop (Confédération des syndicats chrétiens de Belgique), F. Maes (Algemeen Belgisch Vakverbond), C. Rolin(Confédération des syndicats chrétiens de Belgique), D. Van Daele (Fédération générale du travail de Belgique)

— Les 6 représentants des organisations des employeurs:

A. Nachtergaele (Federatie Voedingsindustrie), C. Ven (Fédération des entreprises de Belgique), I. Chaput (Fédération des industries chimiques de Belgique), M.-L. Semaille (Fédération wallonne de l'agriculture), P. Vanden Abeele (Unie van Zelfstandige Ondernemers), A. Deplae (Union des classes moyennes)

— Les 2 représentants des producteurs d'énergie:

H. De Buck (Electrabel), F. Schoonacker (Samenwerkende Vennootschap voor Productie van Elektriciteit-SPE)

— 4 des 6 représentants des milieux scientifiques:

M. Carnol (Université de Liège), J.-P. van Ypersele de Strihou (Université Catholique de Louvain), H. Verschure (KULeuven), E. Zaccaï (Université Libre de Bruxelles)

Total: 34 des 38 membres ayant voix délibérative

Remarque: les noms des personnes qui ne sont pas encore nommées en tant que membres du Conseil sont notés en italique.

Annexe 2. Réunions de préparation de cet avis

Le groupe de travail ad hoc Constitution s'est réuni le 16 décembre 2005 et le 6 janvier 2006. Le Bureau s'est réuni les 11 janvier et 10 février 2006 pour préparer cet avis.

II.2. Avis sur la révision de la Constitution concernant le droit à l'eau

— À la demande de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat, dans une lettre de Mme Anne-Marie Lizin datée du 12 janvier 2006,

— préparé par le Bureau,

— approuvé par l'assemblée générale du 24 février 2006 (voir annexe),

— la langue originale de cet avis est le néerlandais.

1. Situation

[1] La commission des Affaires institutionnelles du Sénat a demandé un avis au Conseil, par l'intermédiaire de sa présidente, Mme Anne-Marie Lizin, au sujet d'une proposition de révision (44) de l'article 23 de la Constitution, en vue de le compléter par le droit à l'eau (demande d'avis formulée dans une lettre du 12 janvier 2006).

[2] Le préconstituant (45) a déclaré le 10 avril 2003 qu'il y a lieu « de réviser (...) l'article 23 de la Constitution en vue d'inscrire dans la Constitution le droit du citoyen à un service universel en matière de poste, de communication et de mobilité. (46)  » La proposition de M. Mahoux rejoint cette proposition du préconstituant visant à modifier l'article 23.

[3] La proposition de M. Mahoux modifie le même article avec les mots inscrits en caractères soulignés.

« Art. 23. Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment:

1º le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;

stabiel mogelijk werkgelegenheidspeil, het recht op billijke arbeidsvoorwaarden en een billijke beloning, alsmede het recht op informatie, overleg en collectief onderhandelen;

2º le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;

3º le droit à un logement décent;

4º le droit à la protection d'un environnement sain;

5º le droit à l'épanouissement culturel et social.

6º le droit à l'eau. »

2. Contenu de l'avis

[4] Le Conseil apprécie que le Sénat accorde de l'attention au droit à l'eau. Le Conseil rappelle que le droit à l'eau potable est une des actions prioritaires des Nations unies [Déclaration du Millénaire (47) ]. Le Conseil s'est déjà prononcé dans différents avis (48) en faveur de l'accès à l'eau potable, dans une perspective mondiale.

[5] Certains membres (49) estiment important que le droit à l'eau soit reconnu comme un droit humain fondamental et approuvent dès lors l'insertion de ce droit dans la Constitution belge, à l'article 23 qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels.

Ces membres souhaitent que le droit à l'eau soit explicitement mentionné dans l'énumération à l'article 23 de la Constitution. Le droit à l'eau n'y est pas encore repris explicitement. Le droit à l'eau n'est pas non plus repris dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cela a conduit dans le passé à des confusions. C'est pour cela que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a rédigé une observation générale (50) sur le droit à l'eau, afin de montrer que le droit à l'eau est repris implicitement dans le droit à un niveau de vie suffisant. C'était la première fois que le Comité faisait une telle observation générale sur un droit qui n'était pas explicitement repris dans le pacte. Le Comité a reçu beaucoup de louanges pour cela, mais aussi beaucoup de critiques. Le Comité a reçu notamment le reproche qu'il allait trop loin dans sa lecture des droits fondamentaux dans le Pacte.

À partir de cette expérience, ces membres plaident pour qu'on laisse subsister aussi peu que possible d'incertitude en ce qui concerne le droit à l'eau en tant que droit fondamental. Par conséquent, ces membres estiment qu'il est indiqué d'utiliser la révision de la Constitution pour y inscrire également le droit à l'eau. Étant donné l'importance croissante de l'eau pour chacun, il est nécessaire de reconnaître ce droit non seulement implicitement, mais aussi explicitement, en tant que droit fondamental pour tous.

[6] D'autres membres (51) ne souhaitent pas s'exprimer sur l'opportunité d'insérer ce droit à l'eau dans la Constitution belge.

Au préalable, ils veulent faire remarquer qu'ils sont conscients tout d'abord du fait que, dans une grande partie du monde, les gens n'ont pas accès à l'eau potable, mais qu'en Belgique, ce n'est certainement pas le cas. L'accès à l'eau et la qualité de l'eau en Belgique sont garantis par un cadre légal solide, tant au niveau européen qu'au niveau belge, et sont clairement considérés comme une priorité politique.

De plus, le droit à l'eau est garanti dans la Constitution à l'article 23, 2º: le droit à la protection de la santé, et au 4º: le droit à un environnement sain. Ces droits sont destinés à éviter que l'autorité n'affaiblisse les normes existantes.

Ces membres sont aussi convaincus que l'inscription du droit à l'eau dans la Constitution n'est pas nécessaire en Belgique, puisque la population a en pratique accès à l'eau potable, ce qui est finalement le but. Ces membres peuvent certainement se retrouver dans l'objectif de sensibiliser la population au fait que l'eau est un bien précieux pour tout le monde, mais ils sont d'avis qu'il y a certainement d'autres façons plus efficaces pour ce faire.

Annexe 3. Nombre de membres présents et représentés ayant voix délibérative lors de l'assemblée générale du 24 février 2006

— Les 4 président et vice-présidents:

T. Rombouts, C. Gernay, A. Panneels, R. Verheyen

— Les 6 représentants des organisations non gouvernementales pour la protection de l'environnement:

V. Kochuyt (Birdlife Belgium), J. Gilissen (Inter-Environnement Bruxelles), G. De Schutter (World Wide Fund for Nature — Belgium), W. Trio (Greenpeace Belgium), J. Turf (Bond Beter Leefmilieu), M. Fourny (Inter-Environnement Wallonie)

— Les 6 représentants des organisations non gouvernementales pour la coopération au développement:

B. Bode (Broederlijk Delen), G. Fremout (VODO), B. Gloire (Oxfam-Solidarité), L. Langouche (Iles de Paix), J.-M. Swalens (ACODEV), B. Vanden Berghe (11.11.11)

— Les 2 représentants des organisations non gouvernementales de défense des intérêts des consommateurs:

R. Renaerts (OIVO), C. Rousseau (CRIOC)

— 4 des 6 représentants des organisations des travailleurs:

J. Decrop (Confédération des syndicats chrétiens de Belgique), F. Maes (Algemeen Belgisch Vakverbond), C. Rolin (Confédération des syndicats chrétiens de Belgique), D. Van Daele (Fédération générale du travail de Belgique)

— Les 6 représentants des organisations des employeurs:

A. Nachtergaele (Federatie Voedingsindustrie), C. Ven (Fédération des entreprises de Belgique), I. Chaput (Fédération des industries chimiques de Belgique), M.-L. Semaille (Fédération wallonne de l'agriculture), P. Vanden Abeele (Unie van Zelfstandige Ondernemers), A. Deplae (Union des classes moyennes)

— Les 2 représentants des producteurs d'énergie:

H. De Buck (Electrabel), F. Schoonacker (Samenwerkende Vennootschap voor Productie van Elektriciteit-SPE)

— 4 des 6 représentants des milieux scientifiques:

M. Carnol (Université de Liège), J.-P. van Ypersele de Strihou (Université Catholique de Louvain), H. Verschure (KULeuven), E. Zaccaï (Université Libre de Bruxelles)

Total: 34 des 38 membres ayant voix délibérative

Remarque: les noms des personnes qui ne sont pas encore nommées en tant que membres du Conseil sont notés en italique.


Annexe III

Rapport des auditions « Développement durable et Constitution » du 14 mars 2006

I. PROGRAMME

Matinée
10.05-10.25 Mme Els Van Weert, secrétaire d'État au Développement durable et à l'Économie sociale
10.25-10.45 M. Theo Rombouts, Président du Conseil Fédéral du Développement durable
10.45-11.05 Mme Nadine Gouzée, Task Force Développement durable du Bureau Fédéral du Plan et Représentante belge à la Commission du Développement durable des Nations unies
11.05-11.15 Pause café
11.15-11.35 Prof. Dr. Hans Bruyninckx, professeur à la K.U.Leuven et Président du Bond Beter Leefmilieu-Vlaanderen
11.35-11.55 Prof. Dr. Emmanuel Sérusiaux, professeur à l'Université de Liège et Président de la Société wallonne des Eaux
11.55-12.30 Échange de vues
Après-midi
14.00-14.20 Prof. Dr. Edwin Zaccaï, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, Directeur du Centre d'Études du Développement durable (CEDD) et Président de l'Institut de Gestion de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (IGEAT)
14.20-14.40 Prof. Dr. Marc Pallemaerts, chargé de cours à la Vrije Universiteit Brussel et à l'Université Libre de Bruxelles et Senior Fellow & Head of the Governance Team, Institute for European Environmental Policy (IEEP)
14.40-15.00 Pause café
15.00-15.20 Prof. Dr. Nicolas de Sadeleer, professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis et à la Vrije Universiteit Brussel
15.20-16.30Échange de vues

II. RAPPORT

Exposé de Mme Els Van Weert, secrétaire d'État au Développement durable et à l'Économie sociale

« À tous, présents et à venir »

Chère Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Chers collègues orateurs,

Tout d'abord, je tiens à vous féliciter d'avoir pris l'initiative de consacrer une audition au thème passionnant de l'inscription du développement durable dans la Constitution. Dans le même ordre d'idées, je me réjouis également des propositions de loi qui ont été déposées concrètement et qui font l'objet de la présente audition. [Je remercie donc chaleureusement les auteurs de ces propositions.] Le Sénat démontre à nouveau qu'il est la chambre de réflexion parlementaire par excellence. En effet, le thème en question porte ni plus ni moins sur le modèle de société que nous imaginons pour un avenir proche et moins proche, et sur le regard que nous portons vers les générations futures dans l'organisation de notre société. La transposition de cette dynamique dans la Constitution, par l'introduction du développement durable, vise à renforcer encore les principes de solidarité et de prévoyance dans notre loi fondamentale.

En organisant une audition sur le thème qui nous occupe, le Sénat, en tant qu'assemblée à forte valeur ajoutée, répond aux attentes en matière de développement durable. Il répond aux attentes des auteurs des propositions à l'examen, il répond à celles des innombrables personnes qui militent pour améliorer la qualité de la gestion et/ou qui se préoccupent de l'héritage que nous laisserons aux générations futures, et il répond à mes propres attentes. Comme vous le savez sans doute, lors de la discussion à la Chambre du « rapport de la Cour des comptes sur la coordination de la politique fédérale de développement durable », j'ai invité le Sénat à se pencher sur l'élaboration d'une stratégie à long terme et sur la conformité des plans fédéraux avec la législature.

D'ailleurs, je tiens aussi à souligner que la liste impressionnante des orateurs qui prendront aujourd'hui la parole montre que le Sénat prend sa mission très au sérieux.

Or, nous participons aujourd'hui à une « audition », ce qui signifie aussi qu'il est avant tout indispensable de bien nous écouter mutuellement. Je ne parle pas d'une écoute distraite mais d'une écoute attentive. Autrement dit, il faudra prêter une oreille attentive aux différents arguments et aux nuances exprimés pour et contre le développement durable et aux observations en matière d'efficacité et d'opportunité. Cela doit se traduire par une volonté d'apprendre et « de se renforcer mutuellement », comme nous avons parfois coutume de le dire sur la scène internationale du développement durable. C'est la raison pour laquelle je tiens à exprimer d'emblée cette volonté de la part du gouvernement. Je veillerai, avec toute l'attention requise, à la prise en compte du contenu et des conclusions de la présente audition lorsque j'aborderai avec mes collègues chargés des affaires institutionnelles et avec les autres ministres la question de l'inscription du développement durable dans la Constitution. Autrement dit, je tiens à apporter une contribution constructive à l'objectif en question, de préférence avant l'élaboration, par le gouvernement, d'un projet d'articles de la Constitution soumis à révision, afin d'en faciliter la réalisation.

Comme vous le savez sans doute tous, et cela reviendra encore sûrement aujourd'hui, le projet de gouvernement du 21 mars 2003 de déclaration de révision de la Constitution prévoyait des ouvertures juridiques permettant d'inscrire le développement durable dans la Constitution, dont — pour la première fois — une nouvelle disposition figurant dans un nouveau titre Ierbis et visant à inscrire le développement durable comme objectif politique général. La préconstituante a repris cette option.

Lors des discussions de mars 2003 au Sénat, le gouvernement a déclaré qu'il entrait dans les intentions de jouer un rôle de moteur et aussi de contribuer à l'évolution internationale en matière de développement durable et qu'en intégrant le concept de développement durable, la Belgique jouerait un rôle de pionnière. À l'instar notamment de projets similaires dans un certain nombre d'autres pays, ce projet a été qualifié à juste titre d'« extrêmement actuel ».

Bien que je ne fisse pas encore partie du gouvernement à ce moment-là, je souscris [sans réserve] à ces propos. En inscrivant le développement durable dans sa Constitution, la Belgique soulignerait effectivement son rôle de moteur sur le plan international dans ce domaine. Elle se taillerait ainsi une place dans un peloton de tête international. Mais il y a plus. L'inscription du développement durable dans la Constitution serait également de nature à apporter une contribution positive à celle-ci en termes de contenu. Elle permettrait d'intégrer dans la Constitution une vision d'avenir sur notre société ainsi que l'expression d'un volontarisme certain. Si, aux yeux des juristes de l'époque, la Constitution de 1831 revêtait un caractère assez révolutionnaire, la Constitution de 2006-2007 pourrait aussi servir de modèle à d'autres pays et être une source d'inspiration pour les citoyens.

On définit souvent le développement durable comme un concept de gouvernance ou comme la concrétisation d'une aspiration à la bonne gouvernance. Ceux qui sont un peu plus familiarisés avec le développement durable savent que cette notion concerne en outre une vision de la société et une conception de la vie qui font primer l'intérêt général et non celui d'un petit nombre, qui étendent la solidarité dans le temps et dans l'espace et dont les bénéficiaires, y compris parmi les générations futures, seraient en outre plus nombreux qu'en cas de statu quo. Inscrire un tel concept dans la Constitution demande donc du courage, mais je suis convaincue que la Belgique, ses citoyens et ses gouvernants sont prêts à relever ce défi.

Car en associant sa réalité administrative actuelle à une Constitution qui fait du développement durable un objectif général, notre pays ne ferait certainement pas pâle figure, bien au contraire. Le texte constitutionnel serait bien davantage qu'une simple déclaration d'intention, car cet objectif est déjà en voie de concrétisation. En voici quelques exemples:

1. Premièrement, la stratégie nationale de développement durable. Ce qui constitue en principe l'exécution d'un engagement international est devenu, en Belgique, le moteur d'une collaboration entre les membres des gouvernements régionaux, communautaires et fédéral compétents en matière de développement durable. Réunis, fin 2005, au sein d'une Conférence interministérielle du Développement durable ad hoc, nous avons adopté un texte-cadre commun en vue d'une stratégie nationale de développement durable, lequel texte a ensuite été approuvé par tous les gouvernements du pays. Dans ce texte, qui est le fruit d'une collaboration à laquelle j'ai oeuvré en tant qu'initiatrice, facilitatrice et coordinatrice, les gouvernements assument la responsabilité collective de la promotion et du renforcement du développement durable en Belgique, en Europe et dans le monde. Ils le font dans le cadre de leur propre politique et dans les limites de leurs propres compétences, et ils poursuivront dans cette voie sur la base d'une collaboration réciproque axée sur les principes de complémentarité, d'interaction, de plus-value et de synergie. Le texte-cadre souligne également la nécessité d'une perspective à long terme dans la politique menée en Belgique et annonce l'élaboration d'un texte exposant, à partir de six thèmes verticaux et de quatre thèmes horizontaux, la situation qui, à leurs yeux, conviendrait le mieux pour l'avenir de notre pays. Les autorités locales sont associées à cet exercice, au même titre que la société civile d'ailleurs, de manière à garantir la présence de plusieurs strates de la société et la participation de nombreux acteurs dans l'interprétation spécifiquement belge de la notion de développement durable. Comme on le constate, il n'y a pas loin entre une aussi large manifestation de la volonté et l'inscription du développement durable dans la Constitution.

2. Deuxièmement, l'action internationale de la Belgique. L'importance que la Belgique accorde à une concrétisation effective à plusieurs niveaux ressort également de son action, « de longue date » si je puis dire, sur la scène internationale. Cela s'est manifesté, non seulement au niveau mondial, à l'ONU, où la Belgique a pris place parmi le peloton de tête grâce à un rôle de catalyseur politique, par le volume de travail réalisé en coulisses, par l'inscription à l'ordre du jour de thèmes forts, [en émerge à l'heure actuelle, comme les modes de production et de consommation durables,] par la poursuite du développement et de la diffusion de la « théorie du développement durable », [par exemple, en concrétisant avec quelques autres pays le « peer reviewing » ou autrement dit, l'évaluation par des pairs des stratégies nationales]. Sur la scène européenne également, la Belgique assume sa responsabilité. Hic et nunc, la révision de la Stratégie européenne de développement durable est un point important de l'ordre du jour. Le point de vue de base, adopté il y a deux semaines à peine, contient à nouveau quelques éléments progressistes. Premièrement, il y a le plaidoyer clair en faveur du « forecasting and backcasting ». Il s'agit de la nécessité de définir une vision d'avenir pour l'UE en 2040-2050 (forecasting), [partant des objectifs prévus dans le Traité instituant la Communauté européenne et dans le Traité constitutionnel de l'UE,] associée à la formulation d'objectifs intermédiaires censés orienter l'ensemble de la politique de l'UE vers cet objectif à long terme via une sorte de management de transition (backcasting).

En parallèle sont formulées une série de propositions dans le domaine de la « gouvernance » ou de l'approche administrative en matière de développement durable, car, comme on le sait, c'est cela qui fait défaut au sein de l'UE. D'une certaine manière, on pourrait dire que la situation de l'UE est le reflet de celle de la Belgique; on y trouve un objectif de politique générale formulé comme suit: « L'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». Toutefois, il manque une véritable « gouvernance » qui permette d'ancrer cet objectif sous la forme d'une procédure.

3. Troisièmement, on peut dire que la Belgique dispose, dans la perspective d'une politique axée sur le développement durable, d'une architecture administrative déjà bien développée et appelée à s'étendre encore davantage.

Les ingrédients utilisés par les autorités fédérales pour agrémenter la politique qu'ils mènent sont connus: la loi de 1997 relative au développement durable, le système des plans et rapports fédéraux en matière de développement durable, le Conseil fédéral du développement durable (CFDD), le SPP Développement durable, la Commission interdépartementale du développement durable, la task force Développement durable du Bureau fédéral du plan et les cellules de développement durable créées au sein des SPF et des SPP. À cela s'ajoute le passionnant phénomène de l'évaluation des incidences des décisions sur le développement durable (EIDDD). Comme son nom l'indique, il s'agit d'un instrument servant à évaluer la conformité des décisions gouvernementales aux objectifs du développement durable et permettant de déterminer si elles revêtent un caractère équilibré, d'une part, et durable ou non durable, d'autre part. On constate également une évolution positive du côté des communautés et des régions. La stratégie de développement durable de la Flandre, actuellement en chantier, en est, avec l'architecture qui va de pair, l'exemple le plus actuel, même si son pendant wallon, le Contrat d'avenir pour les Wallonnes et les Wallons, jouit d'une plus grande notoriété. Ainsi qu'il a déjà été dit précédemment, une stratégie et une coopération nationales approfondies devront être le maillon interne belge qui assurera la cohérence et la durabilité de l'action de notre pays à cet égard.

Il est donc clair que l'inscription du développement durable sous la forme d'une déclaration de mission constitutionnelle est bien plus qu'une démarche symbolique, surtout pour la Belgique. Le caractère à première vue peu conventionnel — du moins, lorsque l'on envisage les choses sous le seul angle du droit constitutionnel — constituera dès lors tout au plus un obstacle psychologique. [Il ne faudrait cependant pas en tirer prétexte pour ne pas confirmer la position progressiste de la Belgique dans le contexte européen.] Les auteurs des propositions à l'examen méritent donc bien quelques mots d'éloge. Bien que différentes quant au fond, ces propositions partagent la même finalité, une finalité à laquelle je souscris bien sûr en tant que responsable politique du développement durable, mais aussi en tant qu'habitante de ce pays, une habitante qui, à l'instar du reste de ses concitoyens, se soucie au quotidien de l'avenir de ses enfants et des prochaines générations. En tant que coresponsables de cet avenir, les Belges ont intérêt à avoir une perspective inspirante qui contribuera en outre à renforcer le processus de conscientisation concernant l'incidence de nos actes et de nos idées au quotidien.

J'estime que les propositions soumises contribueront toutes au débat ultérieur sur l'inscription du développement durable dans la Constitution. Elles contiennent toutes des points forts. Je songe par exemple aux éléments ayant trait à l'ensemble des autorités belges, à l'équilibre entre les piliers, à l'action à l'étranger, aux principes de développement durable et aux droits des générations futures. Je suis en outre convaincue que cette audition et les délibérations ultérieures seront une source d'inspiration pour parfaire éventuellement encore ces propositions. Comme je l'ai déjà dit antérieurement, en tant que gouvernement, nous prenons au sérieux les propositions comme cette audition, et nous tiendrons compte des informations fournies.

Afin que le débat reste aussi ouvert que possible, je me limiterai à quelques observations sur certains aspects des textes proposés. Premièrement, les sommets européens ont déjà précisé à maintes reprises l'essence du traité en affirmant que le développement durable est l'objectif fédérateur de toutes les politiques. Ce caractère fondamentalement fédérateur, cette recherche de synergies et d'intégration et de solutions de type « win-win », cet effort de réflexion au-delà d'un certain nombrilisme, notre Constitution ne peut pas l'ignorer, mais elle doit lui réserver une place de choix, ce qui donnera des perspectives non seulement à nos dirigeants, mais aussi à nos concitoyens.

Deuxièmement, il me semble indiqué de ne pas limiter l'inscription du développement durable dans la Constitution à un seul des cinq principes [(le principe de la double équité, le principe de la responsabilité partagée mais différenciée, le principe d'intégration, le principe de précaution et le principe de participation)] à propos desquels tout le monde est d'accord en Belgique pour dire qu'ils constituent le fondement permettant d'assurer la cohérence et la durabilité de la politique mise en œuvre.

Troisièmement, en ce qui concerne la possibilité de contrôle du respect d'une disposition constitutionnelle relative au développement durable — ce point sera certainement abordé pendant le débat — je recommanderais de ne pas en faire une fixation. Outre les possibilités de contrôle direct et indirect dont jouit la Cour d'arbitrage, une orientation politique générale dans la Constitution signifierait à tout le moins qu'il ne peut pas y être porté atteinte et enfin, un contrôle pourrait déjà être introduit lors de l'instauration de l'EIDDD.

Chère Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Chers collègues orateurs, Mesdames, Messieurs,

J'aimerais remercier encore une fois les organisateurs de la présente audition et les auteurs de l'initiative législative qui y a donné lieu. Je vous souhaite à tous une participation fructueuse à ce biotope du droit et du développement durable. Sans doute le législateur avait-il déjà voulu, in tempore non suspecto, faire part de son souci du sort des générations futures en prononçant la formule — que je n'hésite pas à faire mienne pour clôturer mon intervention: « À tous, présent et à venir, Salut. ».

Exposé de M. Theo Rombouts, Président du Conseil fédéral du développement durable (CFDD).

Madame la présidente,

Madame la secrétaire d'État,

Mesdames et Messieurs les commissaires,

Vous avez saisi le CFDD de trois demandes d'avis sur les propositions qui vous ont été soumises et qui visent à inscrire dans la Constitution une référence au développement durable et au principe de précaution et à ajouter à l'article 23 le droit à l'eau.

Notre Conseil vous sait gré de l'importance que vous accordez à cette problématique et salue votre volonté de mettre à profit, dans votre travail législatif, nos idées et notre expertise concernant les projets à l'examen. Ces idées et cette expertise sont le fruit de nombreux débats qui ont eu lieu ces dernières années entre les divers groupes sociaux représentés au sein de notre Conseil. Cette concertation « multi-stakeholder » est d'ailleurs une des idées fondamentales du concept de développement durable. Grâce à cette concertation structurée, les différentes valeurs chères à certaines personnes ou à certains groupes de notre société ont des chances d'être davantage respectées.

Considérations préliminaires

Aborder intelligemment la complexité de notre société, dans un contexte mondial, est le grand défi auquel nous sommes confrontés et c'est en fait de cela qu'il s'agit lorsque l'on parle de développement durable.

La création du concept du développement durable ne résulte pas du hasard, mais constitue une suite logique du développement socio-économique en Belgique et dans le monde.

La période moderne a connu successivement une économie de marché de type capitaliste, qui a ensuite été corrigée par la concertation sociale et qui se dirige maintenant vers le concept de développement durable.

Durant la période industrielle, un cadre juridique a été créé pour permettre de collecter des capitaux, afin de financer de nouvelles entreprises ou de grands projets. C'est ainsi que se sont mises en place les conditions pour une forte croissance économique.

Dans le concept d'économie de marché capitaliste, le travail a été détaché de la personne, pour devenir un produit à vendre sur le marché du travail. Ceci a donné naissance aux mouvements sociaux, qui ont acquis progressivement une capacité de négociation. C'est ainsi que sont nés des lois et des accords au niveau national. Les partenaires sont dans ce cas les employeurs et les syndicats. C'est la période d'une économie de marché corrigée par la concertation sociale qui s'est construite pendant le vingtième siècle.

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, un nouveau mouvement de société est apparu, issu du constat que la satisfaction des besoins humains n'est pas suffisamment maîtrisée. Le monde devient conscient de la nécessité d'apporter des corrections à nos modes de production et de consommation pour résoudre les grands problèmes écologiques.

Parallèlement, une correction est nécessaire au niveau mondial, pour combler l'énorme fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres.

Tenir compte de manière équilibrée des aspects économiques, sociaux et environnementaux, tant dans la réglementation que dans le comportement des individus et des institutions, est devenu le nouveau paradigme de notre société, autour duquel tous les acteurs doivent être impliqués, selon le concept « multi-stakeholders ».

Les leviers pour mettre en œuvre une telle politique, ce sont des accords et des législations tant mondiales que régionales, comme par exemple au niveau des Nations unies ou de l'Union européenne. Le concept de développement durable est global, mais est mis en œuvre par les États, les pouvoirs locaux, les entreprises et les citoyens.

Encouragé par les événements, le concept du développement durable déterminera de manière de plus en plus profonde le cadre dans lequel les autorités, les entreprises et les citoyens pourront opérer.

Les autorités de nos pays ont pris l'engagement, dans le cadre des Nations unies et de l'Union européenne, d'intégrer le développement durable dans leur politique et de développer des stratégies en ce domaine.

La Belgique aussi s'est engagée dans ce sens. Notre Conseil constate toutefois dans plusieurs avis que la volonté politique d'intégrer activement les trois piliers connus (économie, développement social et écologie) est encore trop peu présente dans la pratique.

Pourtant, la troisième enquête sur l'existence d'une base sociale pour le développement durable, que nous avons fait réaliser l'année dernière, montre qu'il existe chez les décideurs politiques belges un large consensus quant à l'importance et à la nécessité d'un développement durable. Bien que le concept ait de nombreux défenseurs, il arrive parfois que le terme lui-même soit considéré comme trop général pour pouvoir être utilisé dans la communication avec le citoyen.

Commentaire des propositions

Et ceci m'amène aux avis que nous avons formulés à propos des propositions en discussion au sein de votre haute assemblée.

Compte tenu du délai limité dont nous disposions, nous nous sommes préoccupés essentiellement de la contribution spécifique que nous pouvions apporter en tant que forum unique de concertation entre les diverses parties prenantes et de la manière dont nous pourrions alimenter au mieux le débat au sein de votre haute assemblée.

Un groupe de travail ad hoc a été constitué dans le but de formuler à l'intention du bureau des avis sur l'éventail de vos demandes. Les précisions fournies par les secrétaires de la commission compétente de votre assemblée ont permis de clarifier le contexte des demandes d'avis. Nous avons procédé aussi à l'audition de divers experts. Les aspects juridico-techniques ont été abordés dans le cadre de la discussion mais le bureau a proposé au Conseil que nous nous limitions dans l'avis formel aux concepts clés qui sont à la base des propositions à l'examen. Nous avons pu à cet effet utiliser les nombreux avis que nous avions déjà émis à l'unanimité. Mais cela implique aussi que nous ne nous prononçons pas sur les aspects juridiques, à savoir la problématique constitutionnelle et la formulation juridique des propositions.

Vous disposez au sein de votre assemblée d'excellents experts pour éclairer ces aspects sous différents angles. De plus, tous les experts que vous avez invités aujourd'hui sont ou ont été associés, d'une manière ou d'une autre, aux travaux de notre Conseil.

Concernant le développement durable

Sans doute est-il superflu de rappeler la définition que Mme Brundtland donne du développement durable dans son rapport intitulé « Notre avenir à tous » (1987): « Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

Deux concepts sont inhérents à cette notion: 1. le concept de « besoins », et plus particulièrement les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité; et 2. l'idée des limitations de la capacité (...) à répondre aux besoins actuels et à venir.

Les développements au niveau européen sont importants aussi pour les discussions que vous menez. Comme vous le savez, le Traité d'Amsterdam (2 octobre 1997) a adapté les traités européens. Dans le traité CE, les articles 2 et 6 font référence au développement durable et l'article 174 au principe de précaution. L'article 2 du Traité sur l'Union européenne fait référence au développement durable. Par ailleurs, l'article 3 du projet de constitution dispose que l'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe.

Le Conseil a examiné la notion de développement durable dans plusieurs avis. Je les commenterai brièvement. Les textes peuvent être aisément consultés, dans leur intégralité, sur notre site web.

Dans l'avis (2000) sur le premier avant-projet de plan fédéral, le Conseil souscrit à cinq des vingt-sept principes de Rio en matière de développement durable, qui ont été choisis dans l'avant-projet comme particulièrement englobant (« responsabilités communes mais différenciées », « équité intra- et intergénérationnelle dans la satisfaction du droit au développement », « intégration des composantes d'un développement durable », « précaution et reconnaissance des incertitudes scientifiques », et « participation et bonne gouvernance »). Selon le Conseil, leur formulation mérite cependant plus de soin et de nuances et leur application reste un difficile exercice d'équilibre. Dans un avis récent, le conseil souligne qu'il ne faut pas perdre de vue les autres principes de Rio (avis sur le texte-cadre de la stratégie nationale de développement durable — 2005).

Vous devrez constater avec nous que les notions qui ont trait au concept du développement durable ne peuvent pas être formulées in extenso de manière succincte. Il faudra certainement expliquer les principes essentiels (de Rio) en matière de développement durable. Pour ce faire, on pourrait mettre utilement à profit les principes définis dans les rapports fédéraux de 1999, 2002 et 2005. Dans le dernier rapport, le Bureau fédéral du Plan se limite essentiellement à trois principes (intégration, précaution et participation).

Le Conseil a souligné à plusieurs reprises que les objectifs de développement durable se situent autant sur le plan économique que social et écologique et qu'ils ne peuvent en aucun cas être réduits à un seul de ces domaines. Pour le CFDD, il est clair que la concrétisation de ces objectifs — tant à court qu'à long terme — implique un choix de société et que cela signifie qu'il faut organiser un débat de société sur les options fondamentales, à tout le moins au sein des instances parlementaires.

Dans son avis faisant suite au Sommet mondial sur le développement durable (Johannesburg, 2002), le Conseil apprécie les efforts consentis par les gouvernements afin de faire du développement durable une priorité politique. Pourtant, le Conseil constate que davantage d'attention encore doit être accordée à une approche équilibrée et intégrée des trois piliers du développement durable: l'écologique, le social et l'économique. Les membres du Conseil trouvent que les piliers écologique et social devraient être renforcés, sans entraver un développement économique durable.

L'approche intégrée du développement économique, social et écologique sert de point de départ à la loi du 5 mai 1997, relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable. C'est pourquoi le Conseil est d'avis que le développement durable en général, et l'Action 21 de la conférence de Rio en particulier, doivent faire l'objet d'une attention générale et permanente dans la politique de tous les membres du gouvernement.

Outre la nécessité d'une intégration horizontale, le Conseil souligne également l'importance d'une intégration verticale, surtout au vu de la complexité de la répartition des compétences en Belgique. Une politique efficace en matière de développement durable requiert plus de coordination entre les différents niveaux de politique dans notre pays. L'autorité fédérale est appelée à stimuler cette coordination et cette concertation, en accord tant avec le niveau international qu'avec les communautés, les régions et les autorités locales. Depuis, la secrétaire d'État a mis cette recommandation en pratique dans le cadre de la Stratégie nationale de développement durable.

Les autorités belges ont une double responsabilité. En Belgique même, elles devraient mener une politique durable et promouvoir celle-ci, dans les forums multilatéraux, elles devraient en outre faire de la promotion du développement durable le fil rouge de leurs interventions.

Enfin, dans son avis du 3 février 2005 en vue de l'évaluation annuelle de la politique fédérale de développement durable, le Conseil confirme que la politique de développement durable en Belgique est certainement, par rapport à d'autres pays, bien soutenue institutionnellement. La loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable a fixé un cycle politique de plans quadriennaux dotés d'une consultation préalable, de rapports biennaux et d'avis des milieux sociétaux. Les lois du 25 février 2002 et du 22 septembre 2004 sont venues ultérieurement y ajouter respectivement le Service public fédéral de programmation Développement durable (SPFPDD) et les cellules de développement durable.

Le cadre légal est un acquis important et constitue un atout pour l'amélioration de la qualité des politiques menées. Il permet d'identifier, à temps, des zones de tension entre les dimensions économique, écologique et sociale au niveau des décisions politiques et de créer des situations win-win.

Sur le principe de précaution

Je tiens préalablement à rappeler que le principe de précaution est déjà inscrit dans plusieurs textes légaux belges en matière d'environnement. Sur le plan fédéral, nous avons la loi relative à la protection du milieu marin. Au niveau de la Région flamande, par exemple, ce principe est inscrit dans le Decreet algemene Bepalingen Milieubeleid et, en Région wallonne, nous le retrouvons dans le décret du 27 mai 2004 relatif au livre 1er du Code de l'Environnement.

Dans son avis circonstancié et unanime d'octobre 2000, le Conseil s'est prononcé sur la communication de la Commission européenne sur le recours au principe de précaution. Il n'y aborde pas la question de savoir s'il est souhaitable ou non d'inscrire cette notion dans la Constitution.

Le Conseil estime nécessaire d'ouvrir un large débat sur le recours au principe de précaution. Il s'agit en l'occurrence de préciser les modalités de la décision politique en situation spécifique d'ignorance ou d'incertitude scientifique.

Le Conseil estime qu'un tel débat doit être basé sur le choix d'un développement durable et sur la volonté de déterminer des niveaux de protection de l'environnement et de la santé. Telle est la base du recours légitime au principe de précaution. Le Conseil pense en outre qu'un tel débat doit tendre à une harmonisation maximale des conditions de recours à ce principe. En particulier, le principe de précaution ne peut servir de prétexte à l'adoption de mesures protectionnistes.

Selon la communication de la Commission européenne, la santé et l'environnement sont les champs d'application du principe de précaution. Le Conseil partage ce point de vue, mais il estime qu'il serait aussi intéressant d'envisager le recours à ce principe dans d'autres domaines caractérisés à la fois par l'incertitude des scientifiques et par la possibilité d'un grave dommage potentiel. Le principe de précaution pourrait ainsi s'appliquer dans des contextes liés à la sécurité sociale, à la justice ou à la cohésion sociale, et ce tant sur le plan national que sur le plan international. Il n'est pas évident de savoir comment on pourrait rendre le principe de précaution opérationnel dans ces domaines, alors que de très nombreuses avancées ont été réalisées dans le domaine de l'environnement, grâce notamment à la technique des rapports relatifs à l'incidence sur l'environnement.

À propos du droit à l'eau

Nous avons également reçu votre demande d'avis sur la proposition de révision de l'article 23 de la Constitution, en vue de le compléter par un 6º garantissant le droit à l'eau. Cette demande d'avis nous étant parvenue tardivement, le Conseil n'y a pas consacré un large débat. Toutefois, il s'est déjà prononcé à de nombreuses reprises sur cette problématique, lors de la préparation de réunions dans le cadre des Nations unies. Le Conseil considère l'eau comme un bien public global qui se fait de plus en plus rare sur terre. Les changements climatiques, entre autres, ne sont pas sans conséquences sur l'approvisionnement en eau potable. C'est dans les pays en développement que ce problème se pose avec le plus d'acuité; c'est pourquoi le Conseil a principalement conseillé le gouvernement à ce sujet dans le cadre de la politique de développement, mais cette problématique a également été abordée dans l'avis sur les directives de la Commission on Sustainable Development (1998) concernant la protection des consommateurs. Le Conseil précise ici qu'il incombe à chaque pays de tout mettre en œuvre pour assurer la protection des consommateurs, surtout les plus vulnérables. Assurer l'accès aux biens et aux services élémentaires tels que l'eau s'inscrit assurément dans cette mission.

Le Conseil estime que cette mission incombe aussi à la Belgique. Mais les membres ne sont pas d'accord quant à la nécessité d'inscrire, pour autant, ce droit dans la Constitution.

Certains membres du Conseil estiment qu'il est important de reconnaître le droit à l'eau comme un droit fondamental de l'homme; par conséquent, ils se disent favorables à l'inscription de ce droit dans l'article 23 de la Constitution belge, qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels.

Les membres en question souhaitent que le droit à l'eau figure explicitement dans l'énumération de l'article 23 de la Constitution, où il n'apparaît pas encore de manière explicite, pas plus d'ailleurs que dans le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cela a entraîné une certaine confusion dans le passé. C'est pourquoi le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels a rédigé un Commentaire général sur le droit à l'eau, afin de démontrer que ce droit est inclus implicitement dans le droit à un niveau de vie décent. C'était la première fois que le comité rédigeait un tel Commentaire général sur un droit non prévu explicitement dans le pacte. Cela lui a valu beaucoup de louanges, mais aussi nombre de critiques. Il s'est notamment vu reprocher d'avoir été trop loin dans la lecture des droits fondamentaux du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Partant de cette expérience, plusieurs membres plaident pour qu'on laisse subsister le moins d'incertitude possible quant au droit à l'eau en tant que droit fondamental. Ces membres estiment par conséquent qu'il serait opportun de profiter de la révision de la Constitution pour inscrire dans celle-ci le droit à l'eau. Vu l'importance croissante de l'eau pour chacun, il est indispensable de la reconnaître, non seulement implicitement mais aussi explicitement, comme un droit fondamental pour tous.

D'autres membres s'interrogent sérieusement sur l'opportunité d'inscrire le droit à l'eau dans la Constitution belge.

Ils font tout d'abord remarquer qu'ils sont parfaitement conscients que si dans une grande partie du monde, les gens n'ont pas suffisamment accès à l'eau potable, tel n'est certainement pas le cas en Belgique. L'accès à l'eau et la qualité de l'eau en Belgique sont garantis par un cadre légal solide, tant au niveau européen qu'au niveau belge, et sont en outre considérés comme une priorité politique.

En outre, le droit à l'eau est déjà protégé dans la Constitution par les articles 23, 2º (droit à la protection de la santé) et 23, 4º (droit à la protection d'un environnement sain). Ces droits ont pour objectif de prévenir tout affaiblissement des normes existantes par l'État.

Les membres en question ont dès lors la conviction qu'il n'est pas nécessaire d'inscrire le droit à l'eau dans la Constitution belge pour que la population puisse, dans la pratique, avoir accès à l'eau potable, puisque c'est de cela qu'il s'agit en fin de compte. Ils souscrivent tout à fait à l'objectif visant à faire prendre conscience à la population que l'eau est un bien précieux pour tous, mais estiment qu'il y a certainement d'autres méthodes plus efficaces pour atteindre cet objectif.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs,

Au nom du Conseil, je tiens encore une fois à vous exprimer l'estime que nous avons pour les discussions que vous avez initiées au sein de votre assemblée sur les différentes propositions. Ceux qui les ont proposées les ont soigneusement explicitées. Le Conseil n'a pas souhaité les évaluer individuellement, pour ne pas émettre de jugement de valeur et donc de préférence.

J'espère que cette explication des idées du Conseil fédéral du développement durable, sur les concepts clés des propositions qui nous ont été présentées vous aidera dans votre travail législatif, que nous apprécions par ailleurs.

Il va de soi que mes collaborateurs et moi-même restons à votre disposition pour répondre à vos questions ou à vos remarques.

Exposé de Mme Nadine Gouzée, Task Force Développement durable du Bureau Fédéral du Plan et Représentante belge à la Commission du Développement durable des Nations unies

Mme Gouzée. — J'ai l'honneur de présenter à cette prestigieuse assemblée un résumé des travaux de la Task Force Développement durable du Bureau fédéral du Plan qui, depuis 1998, a entrepris une longue recherche afin d'aider les autorités publiques et la société civile à cerner ce concept du développement durable, nos travaux mettant en évidence son importance considérable et sa richesse.

Je m'appuie aussi sur l'expérience que j'ai pu accumuler en qualité de représentante du gouvernement belge à la Commission du Développement durable des Nations unies et aux Conférences de Rio et de Johannesburg en compagnie d'experts des Affaires étrangères.

Le concept du développement durable, que d'aucuns se plaisaient à déclarer moribond, s'est irrésistiblement affirmé. Personnellement, je pense qu'il va continuer à s'affirmer, comme le concept des droits de l'homme l'a fait. La question n'est donc pas de savoir s'il faut intégrer la notion de développement durable dans la Constitution, mais bien où et quand et de savoir si la Belgique sera parmi les premiers ou parmi les derniers pays à le faire.

Les titres de nos trois rapports successifs illustrent la progression de nos travaux. Le premier se demandait si nous étions sur la voie d'un développement durable. Le deuxième se demandait si nous avions fait un pas vers un développement durable dans notre pays. Le troisième posait, de façon beaucoup plus précise, la question du « développement » et situait résolument l'objectif de « développement durable » dans le cadre des engagements internationaux relatifs à ce concept, engagements auxquels la Belgique a souscrit.

Ces rapports font des évaluations des politiques menées en matière de développement durable et ils examinent le développement en cours dans notre pays et contiennent toujours un chapitre sur la « Prospective ». Dans notre dernier rapport, ce chapitre proposait une nouvelle méthode de prospective appelée le back casting qui est appliquée dans la préparation du quatrième rapport (qui sortira en 2007) pour élaborer des scénarios de développement durable pour 2050.

Au cours de mon exposé, j'aborderai les questions suivantes: qu'est-ce que le développement au sens restreint ? Qu'est-ce que le développement durable ? Quel est son horizon et son tempo ?

De quoi est-il composé ? D'où vient l'idée de développement durable dans la négociation internationale et quels en ont été les acteurs successifs ? Sur quels principes et sur quelles valeurs transversaux repose-t-il ? Est-ce une halte à la croissance comme le prédisait le Club de Rome en 1972 ? Quels sont les objectifs d'un développement durable ? Quel est le lien avec la croissance démographique et économique ? De quel équilibre s'agit-il ? Comment notre dernier rapport, dans un modèle nuancé, situe-t-il la relation entre croissance et développement pour appréhender cet équilibre ?

Qu'est-ce que le développement ? La vision critiquée par la Commission Brundtland, c'est que le développement est ce que les pays pauvres doivent faire pour devenir riches. La vision proposée par le rapport Brundtland est qu'un développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Dans l'expression « développement durable », un qualificatif est ajouté au mot développement. Nous devons donc nous interroger sur ce qu'est un concept « hors norme » du développement. Le développement d'une société est la transformation de ses conditions de vie — pour le meilleur et pour le pire — en interaction avec ses possibilités de décision et d'action, notamment politiques.

Tous les pays sont en développement mais aucun n'est actuellement en développement durable. Il est très difficile d'« inventer » le développement durable car les horizons temporels des transformations que connaissent nos sociétés sont bien différents.

Il faut de 50 à 500 ans pour créer ou reconstituer des ressources naturelles. L'avenir de nos sociétés peut être raisonnablement envisagé sur une période de 5 à 50 ans. Nous avons une idée relativement précise de l'avenir de la génération actuelle mais nous avons bien du mal à entrevoir celui des générations futures qui vivront dans le même environnement. L'horizon de l'économie va de six mois à cinq ans. Celui de la politique est souvent encore bien plus court.

C'est bien pour cette raison qu'il est intéressant d'essayer d'introduire des références à un développement durable dans un cadre de politique générale. Les différences d'échelles de temps sont considérables ! Les processus décisionnels — via le capital institutionnel — déterminent les réponses politiques relatives aux questions que pose l'évolution des composantes économiques, environnementales et sociales du développement.

L'environnement a fait son apparition sur la scène internationale au Sommet de Stockholm, en 1972. À l'époque, les relations internationales étaient encore régies par la guerre froide. Les négociations étaient menées par les gouvernements, même si certains acteurs de la société civile se manifestaient déjà.

Vingt ans plus tard, à Rio de Janeiro, la société civile était beaucoup plus présente pour discuter, dans la Déclaration de Rio, du rapport entre environnement et développement. Le contexte était relativement euphorique, comme celui qui prévalait après la guerre, lors de l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme.

En 2002, à Johannesburg, le contexte international était beaucoup plus sombre. La discussion portait sur la mondialisation. Nous avons vu arriver de nouveaux acteurs du développement durable en masse: les mondes des affaires, des entreprises et des syndicats. Le Sommet de Johannesburg fut le premier sommet à être appelé Sommet du développement durable.

Le principe nº 1 de la Déclaration de Rio de Janeiro — « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature » — affirme un concept résolument anthropocentrique. Il doit être combiné avec les principes intersectoriels — transversaux — que sont la responsabilité à l'échelle mondiale, l'équité intra et intergénérationnelle, l'intégration socioéconomique et environnementale, la précaution et la participation.

Ces principes rejoignent des valeurs universelles. Lors de sa création, la Fondation des générations futures a mené une enquête qui a permis de mettre en évidence une série de valeurs que ses membres associaient à la notion de développement durable: l'humanisme, la sauvegarde, la diversité, les différences dans une intégration harmonieuse, la prudence et la citoyenneté.

La définition de la Commission Brundtland, avec le principe d'équité intergénérationelle, apparaît en filigrane dans les cinq grands principes. Toutefois, la Déclaration de Rio est plus nuancée puisqu'elle comporte aussi le principe d'équité intragénérationelle.

Les principes de responsabilité et de précaution ont été très difficiles à défendre, notamment au Sommet de Johannesburg, face au point de vue des États-Unis. Ils n'ont d'ailleurs été acquis qu'au prix d'un travail continu. Les principes adoptés à Rio sont souvent rediscutés. À terme, ils risquent de disparaître si l'Union européenne renonce à les défendre.

L'intégration et la participation sont aussi des principes importants mais, dans les négociations internationales, les pays en développement se montrent réticents à leur égard car, pour eux, la lutte contre la pauvreté à court terme prime toute autre considération. Il s'agit souvent d'un frein aux efforts d'intégration à long terme des trois composantes. Quant à la participation, elle n'est pas toujours bienvenue pour des grands pays comme la Chine.

Le développement durable ne consiste pas à donner un coup d'arrêt à la croissance mais bien à améliorer la qualité de la croissance.

Le principe nº 8 de la Déclaration de Rio est ainsi libellé: « Afin de parvenir à un développement durable et à une meilleure qualité de vie pour tous les peuples, les États devraient réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables et promouvoir des politiques démographiques appropriées ».

Nous sommes en présence de trois variables fondamentales de la croissance: la démographie, la consommation et la production.

Les objectifs primordiaux d'un développement durable ont été réaffirmés à Johannesburg.

En premier lieu vient l'objectif primordial d'« éradication » de la pauvreté — et non de sa « réduction », une autre nuance très difficile à défendre face aux États-Unis. En deuxième lieu vient l'objectif primordial de modification des modes de consommation et de production « non durables », c'est-à-dire les modes de consommation et de production pratiqués par les populations actuelles qui empêcheront les générations futures de répondre à leurs besoins.

Pour connaître l'avenir, il est intéressant d'étudier le passé. Vous avez sous les yeux un graphique qui illustre la consommation d'énergie par personne par rapport à la population. Nous voyons que dans l'ensemble des pays développés, la surface du rectangle représentant la consommation d'énergie par personne multipliée par la population, c'est-à-dire la consommation d'énergie totale, a doublé entre 1850 et 1900 et a à nouveau doublé entre 1900 et 1950, ainsi qu'entre 1950 et 2000.

Dans le même temps, que s'est-il passé dans les pays en développement ? En 1850, leur consommation d'énergie par tête d'habitant se situait quasiment au même niveau que la nôtre. En 1900, elle n'avait pas bougé. En 1950, guère davantage mais la population avait augmenté. De 1950 à 2000, la population des pays en développement a explosé. La mortalité a diminué, grâce, notamment, à la coopération.

En revanche, la consommation d'énergie par tête d'habitant n'a pas augmenté dans la même proportion que dans nos pays. C'est donc le contenu de leur croissance mêlé à leur manque de croissance qui a donné ce résultat.

En 2000, les surfaces de ces deux rectangles statistiques sont comparables mais elles se présentent de façon très différente. Il n'est donc pas étonnant que les pays en développement, quand ils discutent avec nous, aient envie de faire la nuance entre consommation totale et consommation par tête d'habitant.

Les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie pour 2050 et celles des pays en développement vont dans cette direction. En effet, la croissance de la population, bien qu'elle ralentisse, est néanmoins substantielle à l'horizon 2050.

Que se passerait-il si tout le monde avait le même niveau de vie que nous ? Ce ne serait pas soutenable. Le même raisonnement peut être fait pour d'autres ressources naturelles que l'énergie. Par conséquent, notre mode de croissance actuel et son contenu en ressources matérielles doit être modifié.

Si je passe maintenant d'un graphique en termes d'énergie par tête à un graphique en termes d'émission de CO2 par habitant et que je trace une ligne horizontale correspondant aux recommandations actuelles de l'Union européenne pour les pays développés en 2020, vous voyez où se situe l'évolution vers 2050 et où se situe l'enjeu au niveau de la consommation, en particulier d'énergie fossile. C'est la raison pour laquelle le troisième objectif primordial d'un développement durable réaffirmé à Johannesburg est la protection et la gestion des ressources naturelles, autrement dit le respect des limites de la capacité de charge des écosystèmes.

À droite, vous distinguez l'image d'une petite île ou d'un petit État insulaire. Quand leurs représentants s'expriment aux Nations unies, il est difficile de ne pas être ému. Ces gens sont affolés par la menace qui plane sur leurs populations. C'est aussi pour cette raison que notre mode de vie et le contenu de notre croissance doivent être modifiés: ils comportent des risques importants de réchauffement climatique que d'autres devront supporter.

Dans le dernier rapport fédéral sur le développement durable du Bureau fédéral du Plan, nous mettons en évidence une série de variables importantes des transformations de nos conditions de vie.

Nous mettons aussi en évidence leurs forces directrices: la démographie, la consommation et la production, ainsi que des pressions sur les capitaux humains, environnementaux et économiques, qui sont des stocks sur lesquels notre développement est basé.

Enfin, nous mettons en évidence les effets en retour, les coûts à long terme que la dégradation de ces capitaux pourraient engendrer pour notre développement et même pour notre croissance. Nous soulignons que la décision politique peut jouer un rôle par rapport aux transformations en cours qui ont un impact sur le reste du monde. Nous soulignons que le décideur politique peut s'informer, se baser sur les connaissances relatives à ces systèmes et qu'il peut en retour intégrer ces informations dans des « boucles » que nous appelons, depuis le début de nos travaux, des boucles d'apprentissage de la politique de développement durable.

Je termine en citant Richard Henry Tawney: « Les certitudes d'une époque sont les problèmes de l'époque suivante ».

Exposé du prof. dr. Hans Bruyninckx, professeur à la KU Leuven et président du Bond Beter Leefmilieu — Vlaanderen

M. Hans Bruyninckx. — C'est en mon nom personnel que je m'exprimerai aujourd'hui. L'exposé que je vais présenter n'a donc pas vocation à traduire l'un ou l'autre consensus. Il s'agit d'un exposé académique et critique, qui est toutefois étroitement lié à la réalité politique.

Mes points de départ sont les suivants. En premier lieu, je suis intimement convaincu de la nécessité d'une politique axée sur le développement durable. Le ton critique de mon exposé n'est donc dicté ni par le manque de connaissance de la matière, ni par un manque de conviction sur le sujet.

En deuxième lieu, il n'existe pas de Belgique durable, de Flandre durable, de Wallonie durable, de ville de Gand ou de Bruxelles durable. Une politique axée sur le développement durable doit avoir pour but de soutenir la durabilité globale. Le développement durable est un problème de société global et un problème politique global. Je tiens à souligner au passage que je ne suis pas constitutionnaliste. Je ne m'exprimerai sur les modifications prévues que sous l'angle de leur opportunité stratégique. Je laisse aux spécialistes le soin de se prononcer sur les aspects plus constitutionnels.

En troisième lieu, je souhaiterais préciser que le développement durable est, à mon sens, un processus de changement social et non un domaine politique. Il s'ensuit notamment que les pouvoirs publics ne sont peut-être pas les principaux acteurs en la matière, que le cadre juridique est un instrument, et peut-être pas le plus important, que le développement durable est un défi pour les responsables politiques, et sans doute pas le défi principal.

Que pouvons-nous dire à propos de la Belgique et du développement durable ? En comparaison avec d'autres pays, la Belgique dispose, sur le plan institutionnel, d'un cadre relativement solide pour pouvoir mettre en œuvre une politique en matière de développement durable. Notre Constitution comporte déjà pas mal de points d'ancrage possibles qui renvoient à des éléments de développement durable. Nous avons signé et ratifié toute une série de traités internationaux en matière de développement durable, nous sommes membres de l'Union européenne, qui joue un rôle important en la matière, et nous avons adopté la loi de mai 1997 qui consacre toute une série d'éléments au niveau fédéral. Nous ne sommes donc pas mal lotis pour l'instant.

Si l'on examine la réalité politique en matière de développement durable, on est immédiatement frappé par la répartition des compétences. On sait qu'en tant que thème horizontal, le développement durable couvre toutes sortes de domaines stratégiques, depuis le niveau fédéral jusqu'aux niveaux de pouvoir inférieurs, en passant par les régions et les communautés. Et cela se remarque. Ce n'est que très récemment qu'une stratégie nationale a été mise au point. Avant cela, il y avait un plan fédéral et des institutions fédérales et aux niveaux régional et communautaire, des initiatives plus ou moins cohérentes et plus ou moins bien développées, tantôt dotées d'un budget, et tantôt pas. Le plus souvent, tel n'était pas le cas. Toutefois, la quasi-totalité des documents politiques comportaient une référence au développement durable. Il m'arrive de mettre mes étudiants au défi de trouver un document politique dont la première page ne mentionne pas les mots « développement durable ». Un document qui ne comporterait pas cette mention serait assurément un document unique. Dans des domaines comme l'environnement, l'aménagement du territoire, la coopération au développement et la mobilité, le développement durable est présent à tous les niveaux. Le thème dispose donc d'un ancrage sur le plan institutionnel.

Il importe toutefois de noter qu'en tant que thème horizontal, le développement durable se heurte à toute une série de rationalités bureaucratiques et financières. En matière de développement durable, il n'existe pour le moment aucune rationalité de financement horizontale de quelque importance.

Il importe aussi de souligner que, dans les comparaisons internationales en matière de développement durable, de durabilité écologique, etc., la Belgique enregistre malheureusement en permanence de piètres résultats.

Elle est l'un des pays européens qui enregistre les scores les plus bas. Face à ce constat, la réaction est toujours triple: on n'a pas utilisé les bons indicateurs, on n'a pas employé les données adéquates les plus récentes et, enfin, la Belgique est un pays industriel densément peuplé, ce qui nous empêche de réaliser de bons scores dans les domaines en question. Loin de moi l'idée de contester ce troisième argument. La Belgique est effectivement un pays industriel densément peuplé. Il n'en demeure pas moins que, dans la majorité des études comparatives, elle réalise de mauvais scores. La question est de savoir comment nous pouvons remédier à cela. Ce n'est pas parce qu'un pays est densément peuplé qu'il ne doit pas respecter certaines normes. Au contraire.

La proposition de Mme Nyssens précise notamment que le principe du développement durable recueille un large consensus. Je ne suis pas de cet avis. J'en veux pour preuve des études que nous avons réalisées, notamment pour le Conseil fédéral du développement durable. Ce n'est pas le principe général du développement durable qui fait consensus, mais plutôt le fait que l'on y est favorable, ce qui n'est pas du tout la même chose. Qui pourrait d'ailleurs y être opposé ? Si l'on examine ce que l'on entend par développement durable, on observe de très grandes divergences de vues. D'après les études, on peut distinguer trois axes dans le débat. Pour d'aucuns, le développement durable est synonyme de durabilité écologique alors que, pour d'autres, ce sont surtout les relations nord-sud qui importent. Entre ces deux pôles, il y a tout un éventail de conceptions possibles. Pour d'aucuns, le développement durable requiert une autre base structurelle de production et de consommation, c'est-à-dire une alternative au système capitaliste de marché, alors que, pour d'autres, le problème peut être résolu par une meilleure application des principes du marché et par l'amélioration de notre capacité technologique. Pour d'aucuns encore, le développement durable est la recherche d'un meilleur équilibre entre écologie, objectifs sociaux et objectifs économiques alors que d'autres le conçoivent actuellement — à ma grande surprise — comme le rétablissement d'un équilibre, partant du principe que l'on a eu tendance, ces dix dernières années, à mettre par trop l'accent sur l'environnement et qu'il est urgent d'intégrer davantage d'objectifs économiques dans la politique environnementale. Il n'y a donc manifestement pas de consensus.

Si nous examinons de manière plus concrète encore les mesures qui sont prises pour chaque domaine, plan ou projet, et les conflits d'intérêts auxquels le nécessaire partage des moyens donne lieu, alors nous constatons qu'il ne reste souvent pas grand-chose de ce consensus.

Je souhaiterais à présent passer en revue les propositions concrètes visant à inscrire le principe du développement durable dans la Constitution.

M. Mahoux déclare à propos de sa proposition d'inscrire le droit à l'eau dans l'article 23 de la Constitution qu'il s'agit d'un acte symbolique. Tel serait effectivement le cas. Cela rejoindrait la politique internationale menée depuis plus de trente ans à propos de l'eau. Dans les traités internationaux et les promesses internationales de toutes sortes, on ne cesse effectivement de redire l'importance de l'eau, et les Nations unies ont proclamé 2003 année internationale de l'eau. Dans les développements de la proposition de M. Mahoux, il est précisé que le fait de « reconnaître, dans notre Constitution, l'eau en tant que droit humain viendrait couronner l'année 2003 ». L'idée d'inscrire quelque chose dans notre Constitution pour couronner une année des Nations unies me paraît assez curieuse en tant que non-constitutionnaliste. Ce qui ne veut absolument pas dire que je ne soutiendrais pas le droit à l'eau pour tout un chacun sur cette planète.

Ensuite, il y a la proposition de Mme Nyssens relative au principe de précaution. Comme vous le savez, c'est dans les années 70 et 80, essentiellement en Allemagne, en Scandinavie, aux Pays-Bas et aussi aux États-Unis, que le principe de précaution a fait son apparition dans la politique environnementale. Il renvoie essentiellement au rôle des connaissances et de la science dans la mise en œuvre des politiques par rapport à l'incertitude et aux risques. Par extension, le principe est aussi appliqué à certains aspects de la politique de santé publique — en particulier, l'épidémiologie — et est en outre déjà intégré dans le cadre de la politique environnementale proprement dite.

Il est l'un des principes de base de la politique environnementale européenne, sur laquelle repose en grande partie notre propre politique environnementale. Toutefois, selon moi, ce n'est pas un indicateur de développement durable. Le concept de développement durable va bien au-delà d'une réflexion sur la manière dont on gère l'incertitude. Le développement durable consiste à éviter que les coûts de notre système de production et de consommation ne soient reportés sur d'autres, que ce soit dans notre propre pays — transfert social —, dans un autre pays — transfert géographique —, ou dans le futur — transfert temporel ou intergénérationnel.

Il ressort des développements des propositions de M. Martens et de Mme Talhaoui, d'une part, et de M. Cornil, d'autre part, que celles-ci sont assez semblables. Elles renvoient au même processus international et aux mêmes définitions de base. Toutefois, la proposition de Mme Talhaoui et de M. Martens est plus précise en ce qui concerne la dimension administrative, internationale, politique et participationnelle. Je ne porte par là aucun jugement de valeur sur l'une des deux propositions. C'est plutôt à l'aune de considérations constitutionnelles que l'appréciation doit se faire, et ce n'est pas de ma compétence.

À mon sens, il y a quatre avantages à inscrire le développement durable dans la Constitution. Premièrement, cela permettrait, en principe, de conférer au développement durable l'ancrage juridique le plus fort. Ensuite, cela permettrait de renforcer l'attention politique et sociale dont ce thème bénéficie, et cette inscription serait aussi l'expression d'un engagement et d'un investissement politiques. C'est un aspect important en soi, car il pourrait contribuer à l'indispensable renforcement et à l'élargissement de l'assise du concept au plus haut niveau. Je souligne cet élément car de nombreuses études internationales réalisées auprès de divers auteurs — entreprises, autorités, ONG — montrent que la clé du changement social réside avant tout dans un engagement et un investissement authentiques au plus haut niveau. En outre, si l'on inscrit le développement durable dans la Constitution, on fera légitimement entrer celui-ci dans la même catégorie que celle des concepts d'égalité, de justice et de liberté. Aux 19e et 20e siècles, ces concepts ont été le moteur de grands processus de changement sociaux qui ont donné naissance à des organisations sociales et sont à l'origine de notre modèle d'État-providence. Ces concepts étaient aussi vagues que celui du développement durable mais ils étaient également tout aussi normatifs. En soi, le manque de précision n'est donc pas un inconvénient. Il s'agit essentiellement de concepts qui sont contestés et qui peuvent être concrétisés de deux manières: par un débat de société et par leur transposition effective sous forme de politique. Ce sont, en d'autres termes, des concepts qui se concrétisent et se réalisent par eux-mêmes. Si l'on demande à dix personnes de participer à une discussion théorique de fond sur la liberté et l'égalité, on peut être sûr qu'elles donneront aux concepts dix contenus différents. Mais concrètement aussi, nous n'avons pas donné au concept de liberté le même contenu ni la même forme que les Néerlandais, les Chinois — qui ont également inscrit ce concept dans leur Constitution — et les Américains. Il me paraît donc essentiel de faire figurer le développement durable dans la catégorie en question car on crée de la sorte un concept qui se réalise et se concrétise par lui-même et est ancré dans le cadre juridique suprême. En outre, on consolide ainsi constitutionnellement le lien entre la Constitution et l'ensemble des traités, accords et objectifs internationaux élaborés depuis 40 ans en matière de développement durable.

L'inscription du principe du développement durable dans la Constitution est qualifiée d'acte symbolique dans deux des trois propositions.

À cet égard, je tiens quand même à lancer une mise en garde. Si l'on considère le fait d'inscrire le développement durable dans la Constitution comme un acte purement symbolique, on agit de la même manière que les Américains, qui ont inscrit aussi le droit au bonheur dans leur Constitution. C'est la légitimité tant de la Constitution que du concept de développement durable qui en pâtirait alors. Tel ne me paraît pas être le but. Peut-être est-il un peu péremptoire de ma part de dire cela, mais il y a trente ans, nous prenions déjà l'engagement, plan stratégique après plan stratégique, de consacrer 0,7 % de notre PNB à l'aide au développement. Qui y croit encore après toutes ces années ? C'est une promesse qui s'est pour ainsi dire banalisée.

Si nous inscrivons le principe du développement durable dans la Constitution, comment ferons-nous donc pour qu'il soit effectivement respecté ? Cela ne me paraît pas si simple. Puis-je en tant que citoyen me présenter devant un tribunal et soutenir que l'autorité a violé mon droit au développement durable ? Je serais curieux de voir cela.

Je conclus. Il n'est pas nécessaire d'inscrire le développement durable dans la Constitution pour mener une politique résolue en ce domaine. Nombreux sont les pays qui mènent une politique forte en matière de développement durable sans en avoir inscrit le principe dans leur Constitution. Il n'en reste pas moins que cette insertion pourrait être un signal majeur et l'expression d'un soutien à la mise en œuvre d'une politique, à condition — et ce sont là des éléments très importants pour moi — que toutes les parties concernées à quelque niveau que ce soit, y compris au niveau international, s'investissent activement dans le domaine et que le principe du développement durable soit rendu contraignant. Il faut aussi que le développement durable cesse d'être perçu comme un « appendice » de la politique ordinaire et ne puisse pas être considéré comme incompatible avec les vrais enjeux, comme la compétitivité de l'économie. Cette dernière est d'ailleurs cruciale à mes yeux, mais il faut néanmoins rompre avec l'idée que compétitivité et développement durable ne sont pas compatibles. C'est là une affirmation inexacte. Le développement durable ne peut pas, en d'autres termes, être considéré comme une politique de deuxième ou de troisième ordre car il ne mériterait pas alors de figurer dans la Constitution. Il doit donc être une politique de premier plan.

Je suis favorable sur le plan du principe à l'inscription du développement durable dans la Constitution, même si certaines conditions marginales m'inspirent un certain scepticisme.

Exposé du prof. dr. Emmanuel Sérusiaux, professeur à l'Université de Liège et président de la Société wallonne des Eaux

M. Sérusiaux. — Vous vous souvenez de cette belle journée d'août 1999, lorsque, émigrés pour quelques jours ou quelques heures dans le petit coin de Provence belge qu'est la région de Torgny, nos concitoyens se sont émerveillés qu'à l'heure précise, que dis-je à la seconde précise où les médias l'avaient annoncé depuis des mois, le cône d'ombre de l'éclipse totale du soleil s'inscrivait sur le sol national. Toujours à la micro-seconde prévue, le disque solaire s'effaca derrière la lune, tout à coup devenue un masque noir, et la couronne neigeuse de lumière un peu glacée s'inscrivit dans le ciel. Quel spectacle, quelle mise en scène, quel réglage: tout s'est déroulé exactement comme prévu.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers collègues et amis, mesdames, messieurs,

Ces quelques mots d'introduction, intrigants — du moins je l'espère — vous auront convaincu que j'avais choisi de placer mon intervention dans des périmètres moins juridiques et peut-être plus ciblés quant à l'articulation du développement durable et de la chose publique.

Je vous remercie très sincèrement de m'avoir convié à ce colloque, non seulement parce qu'il m'a permis de revoir bien des amis mais aussi parce que la préparation de mon intervention m'a permis ce week-end de me replonger dans la trame même de la politique de l'environnement et du développement.

La configuration de l'écologie et la détermination de son périmètre de compétences, telles que proposées par l'américain Odum, le français François Ramade ou le belge Paul Duvigneaud dans les deux décennies de l'après-guerre, ont mobilisé les modèles cybernétiques pour l'analyse du fonctionnement des milieux naturels désormais appelés écosystèmes. Les boucles de rétroaction mettent en place des dispositifs de coordination et de régulation entre les différents compartiments des écosystèmes, et l'analyse des flux et des stocks d'énergie et de matière qui les traversent constitue le couronnement de la discipline.

La Synthèse Ecologique, pour reprendre le titre de l'ouvrage fondateur de Paul Duvigneaud, entamé en 1962 à la demande du ministre de l'Education Nationale et de la Culture, est toujours le textbook de référence dans nos enseignements. Le paradigme dans lequel il s'insère résolument a ainsi pu faire croire que les systèmes naturels étaient à l'équilibre, ou tendaient spontanément vers cet état, et que leur fonctionnement s'apparentait à l'horlogerie de précision. Toute perturbation de cet équilibre pose dès lors problème et seul le scientifique est à même d'expliquer le dérèglement et de proposer la solution. Sous cette approche, la politique environnementale a ainsi été définie comme la réparation technique du mécanisme de l'horloge, étant bien entendu qu'il faut recourir à l'expert pour le faire.

Tel est d'ailleurs bien un des termes de référence de la politique environnementale dont les bases ont été jetées en 1970 lors de l'Année Européenne de la Conservation de la Nature, mise sur pied par le Conseil de l'Europe: l'État doit s'entourer d'experts et leur mission est de décrire ce qui va arriver si telle décision est prise ou tel acte commis, et de proposer les moyens à mettre en œuvre pour remettre le système à l'équilibre. C'est la logique même de l'étude d'incidence sur l'environnement.

Ce que le développement des sciences de l'environnement nous a amenés à comprendre au cours des vingt dernières années, et c'est ce qui va nous amener au principe de précaution, c'est précisément que ce paradigme n'est pas vérifié.

Pour résumer directement le propos, on peut dire, en s'inspirant des écrits de notre excellent collègue français Patrick Blandin, que: « Tous les phénomènes relatifs au monde vivant s'inscrivent dans une histoire qui ne se répète pas. Tout fragment de la biosphère, tel qu'on peut l'observer, est le produit local d'une histoire singulière: il est définitivement unique. Entre d'une part la vision positiviste d'un écosystème-concept, fondement d'une généralisation à l'échelle du monde de quelques lois de flux d'énergie et de matériaux, et, d'autre part, l'observation fine, dégagée de toute trace de philosophie essentialiste, du monde qui nous entoure et qui conduit à constater que tout cela est intrinsèquement particulier et transitoire, le choix aujourd'hui est bien de privilégier la seconde approche. »

C'est bien à cela que renvoit l'émergence d'un de ces instruments nouveaux qu'est le principe de précaution, aujourd'hui quasi universellement reconnu — comme nous le rappelle l'excellent avis du Conseil Fédéral pour un Développement Durable d'octobre 2000 —: dans le champ de l'environnement naturel, la prévisibilité scientifique n'existe guère, elle est limitée par la nature même des écosystèmes. C'est bien au politique que le choix revient, c'est bien aux élus qu'appartient la décision.

Même s'il peut apparaître outrageant de mêler les deux sujets dans la même phrase, on peut relever que le colloque que la Politique Scientifique Fédérale a organisé fin de semaine dernière sur les espèces invasives et la stratégie adoptée pour la gestion du risque d'apparition d'un virus recombinant de grippe aviaire et de grippe humaine participent tous deux à l'illustration du propos. Ce qui va arriver ne peut être décrit de façon précise: le modèle, parfois les modèles, sont entourés de probabilités et d'incertitudes. Ce qui doit être fait, c'est préparer et maîtriser le processus de communication et d'action, de l'action préventive et curatrice. Et je précise bien les termes: il s'agit bien de préparer et maîtriser la communication, la prévention et l'action curatrice. Jean-Pierre Berland, directeur de recherche à l'INRA en France, déclarait de façon radicale dans le journal « Le Monde » à propos des systèmes biologiques: « Il n'y a pas de preuve scientifique permettant la prise éclairée de décision. Et il n'y en aura pas. »

Le principe de précaution, avec l'angle sous lequel je l'ai abordé — et ce n'est bien sûr qu'un des angles d'approche; les interventions de mes collègues vous le montrent —, est donc le renvoi en politique de ce que le monde vivant, c'est-à-dire la seule planète qui est la nôtre, ce monde vivant est intrinsèquement contingent. Nous sommes en face d'un processus, d'une dynamique. Il signifie donc que les choix reviennent aux politiques, et que ces choix, s'ils sont et seront documentés par les contributions scientifiques, sont des choix véritables, des choix de société. Ils doivent donc être démocratiques et transparents.

Convenons que le principe de précaution, s'il nous rappelle que l'avenir n'est pas écrit et que le pire n'est donc pas sûr, est souvent coloré de la peur du lendemain, et de la peur du changement. Dit plus simplement, il est aussi l'expression de l'adresse aux élus « Faites bien attention ! ». Il peut aussi être une expression sociale du temps que notre époque ne permet plus de perdre, et peut donc aussi être le souhait du « Arrêtez: je veux descendre ». Le Parlement Wallon a connu ce débat, et a, le 27 mai 2004, adopté le livre Ier du Code de l'Environnement, dont l'article 3 contient les grands principes de la gestion de l'environnement, et cite, en premier lieu, le principe de précaution. En adoptant sa formulation classique qui dit que l'absence de certitude scientifique n'est pas un prétexte pour ne pas adopter les mesures nécessaires à prévenir et à réparer l'environnement.

Le principe de précaution est, comme je l'ai déjà indiqué, l'un des concepts et outils nouveaux, enfin presque, émergeant du rapport Bruntland et des différents textes adoptés à Rio en 1992. Il n'est pas le seul, et dans la mesure où les auditions de votre Commission aujourd'hui portent sur le développement durable, je souhaite en aborder un autre aspect qui retient mon attention au-delà du principe de précaution: la logique de la croissance économique.

Nous savons tous que la croissance économique est indispensable pour développer l'emploi et pour assurer le bien-être économique, social et culturel des plus âgés et des générations qui vont nous suivre. Les seuls besoins en termes de revenus et de soins de santé de la génération du baby-boom exigent une augmentation des richesses. Nous savons aussi que cette création de richesses s'accompagne souvent d'une augmentation de la pression sur l'environnement, et donc sur les ressources naturelles et sur ses capacités à les reconstituer.

Le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, déclarait la semaine dernière que l'objectif d'assurer 50 % de notre consommation énergétique grâce aux énergies renouvelables d'ici 20 ans était possible. Le gouvernement wallon décidait, aussi la semaine dernière, d'imposer des normes strictes sur l'isolation et les modes d'alimentation en énergie des bâtiments, lors de leur construction ou de leur rénovation. De telles mesures assurent un découplage entre la croissance économique et la pression environnementale: de tels dispositifs sont essentiels, fondateurs de l'avenir et doivent devenir structurels. C'est très certainement une des déclinaisons opérationnelles souhaitées par mon prédécesseur à cette tribune, ce qu'est le développement durable. Ils ne le sont guère aujourd'hui car il semble bien manquer un cadre théorique pour les appréhender, et donc pour les promouvoir et les implémenter. De ce point de vue, à savoir la création d'outils économiques nouveaux, le Protocole de Kyoto, sous l'impulsion de l'administration américaine d'alors, avait été particulièrement novateur. Appelé à gérer une pression environnementale insoutenable (la croissance de l'émission des gaz à effet de serre), le Protocole s'est attaché à créer des outils économiques nouveaux. D'une part, les droits d'émission, ce qui a pour effet direct de faire entrer la gestion durable de l'environnement dans les actifs d'une entreprise, et non plus seulement comme une charge d'exploitation, et d'autre part, les mécanismes flexibles, ce qui a pour effet direct de mettre en place des partenariats internationaux sur les technologies propres.

En Région Wallonne, le décret du 20 décembre 2001 sur les conventions environnementales a créé le cadre juridique pour, notamment, encadrer les obligations de reprise des déchets. Le prix de la reprise et du traitement du déchet que représentera le produit lorsqu'il sera en fin de vie est déjà inclus dans son prix de vente, et déjà injecté dans la filière économique correspondante. De tels mécanismes de découplage doivent être obstinément conçus et mis en œuvre. Lorsqu'on lit les rapports sur l'avenir de l'environnement mondial du Programme des Nations unies pour l'Environnement, que ce soit pour les pays émergents du Sud-Est asiatique ou pour les pays occidentaux, on constate immédiatement que nous en sommes très loin.

J'ai donc choisi, dans cet exposé que vous m'avez donné l'occasion de vous présenter et que j'ai voulu bref et bien ciblé, de souligner deux aspects qui me paraissent essentiels pour un développement durable:

— la nécessité du débat démocratique et transparent quant à l'utilisation du principe de précaution car la science ne décrira pas l'évolution des écosystèmes et de leurs composants;

— la nécessité d'organiser le découplage entre la croissance économique et la pression sur les ressources naturelles.

La prochaine éclipse totale du soleil qui pourra être vue de Belgique est organisée en 2153, le 23 janvier à 12: 02, à Liège bien sûr. Nous y serons tous bien évidemment.

Échange de vues

M. le président. — M. Sérusiaux a rappelé des repères chronologiques. Il a mis l'accent sur les deux grandes idées, le principe de précaution et le principe de croissance économique. Je l'en remercie. Son intervention alimentera certainement nos réflexions.

Mme Isabelle Durant (ÉCOLO). — Le concept de développement durable a gagné en légitimité. À présent, nous sommes dans le vif du sujet. Toutes les propositions respectent la volonté du pré-constituant, qui avait ouvert cet article à révision. Je suis cependant étonnée, et même un peu déçue, par le fait que le Conseil fédéral de développement durable ne se soit pas vraiment avancé quant à l'opportunité de reprendre les principes du développement durable dans la Constitution. Pourquoi cette frilosité ?

M. Bruyninckx, du Bond Beter Leefmilieu, a quant à lui été très clair.

Je pense personnellement que l'inscription dans la Constitution est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faudrait se doter d'autres outils. Le volet vertical est bien pris en compte. Certaines propositions affirment que cela concerne l'État fédéral, d'autres disent que cela concerne les pouvoirs publics dans leur ensemble et donc aussi les régions, les communes et les provinces. Par contre, le volet horizontal, qui permet d'assurer une vision globale du développement durable, fait défaut. Je crois que nous pourrions faire référence à une loi-cadre qui instaurerait une procédure obligatoire pour toute décision publique.

Faut-il inscrire les cinq principes de développement durable dans la Constitution ? Je suis plutôt favorable à cette solution pour une question de précision.

Faut-il mettre un standstill, c'est-à-dire une impossibilité d'aller en deçà d'un effet de cliquet qui ferait en sorte que les décisions politiques ne se situent pas, à tout le moins, en deçà de ce qui se fait aujourd'hui ?

Comment mieux intégrer dans les différentes propositions la logique d'intégration horizontale et donc la référence à une obligation de travail à tous les niveaux, donnant, à l'instar de l'Inspection des finances, un avis contraignant à la décision politique ou à la proposition parlementaire ?

Mme Fauzaya Talhaoui (SP.A-SPIRIT). — Je souhaiterais évoquer brièvement avec le professeur Bruyninckx la question de savoir si nous devons ou non inscrire le développement durable dans la Constitution. Notre groupe défend cette inscription avec force, car cela permettrait de conférer une continuité au concept. Les gouvernements se succèdent, les uns progressistes, les autres pas, et cela est vrai à tous les niveaux, de l'échelon local à l'échelon fédéral. C'est pourquoi notre groupe est d'avis qu'il faut inscrire le développement durable dans la Constitution. Quant aux modalités concrètes, c'est un point dont on peut discuter.

Par ailleurs, j'ai une question pour le professeur Bruyninckx et éventuellement aussi pour les autres intervenants. La Convention de Aarhus ne pourrait-elle pas offrir une solution en ce qui concerne l'exigibilité du respect d'un droit inscrit dans la Constitution ? Sans doute y a-t-il encore un certain travail législatif à accomplir à cet effet, mais cela me semble être une piste très intéressante.

M. Jean Cornil (PS). — Je remercie les orateurs. Je salue la détermination et l'opiniâtreté de Mme Gouzée, la perspective critique de M. Bruyninckx et le pragmatisme mâtiné de lyrisme de M. Sérusiaux.

Tous nous ont dit qu'il s'agissait d'une notion bien intégrée et j'en suis ravi. Dans Le Soir du 9 janvier, j'ai lu que notre empreinte écologique était trois fois trop grande. Dans Le Soir du 16 février, j'ai lu que le président de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques estimait que dix Kyoto seraient nécessaires. En octobre 2004, ce même journal écrivait que nous avions un demi-siècle pour sauver la planète. La consommation énergétique et l'empreinte écologique, environnementale des citoyens des pays développés excèdent manifestement la capacité de la biosphère. Notre mode de développement doit être revu en profondeur. L'explosion des ventes de véhicules 4 fois 4, qui sont la négation même du développement durable, en atteste à suffisance.

Il y a un profond décalage entre, d'un côté, l'urgence écologique, environnementale, économique et sociale et, de l'autre, nos modes de production et consommation, qui demanderont incontestablement des modifications radicales.

Ma proposition se veut souple, amendable, pour tenter de trouver un consensus au sein des deux assemblées. Le sujet est fondamental pour l'avenir de l'espèce humaine, de toutes les espèces. Mon souhait est que cela devienne un dossier absolument essentiel pour les autorités publiques au-delà des déclarations de principe du droit international ou du projet de traité institutionnel européen.

J'en termine par une question: si, d'aventure, le principe est inscrit comme je le propose — et comme le pré-constituant le proposait — en créant un article 1bis nouveau et un chapitre 7bis dans la Constitution, le citoyen pourra-t-il s'en prévaloir devant les cours et tribunaux ? En d'autres termes, une contrainte pèserait-elle sur l'ensemble des politiques publiques belges ? Personnellement, compte tenu de l'urgence, je souhaiterais l'existence d'un levier juridique de cette nature.

M. le président, M. Delpérée (CDH). — C'est la question fondamentale. Est-ce un droit effectif ou un droit virtuel ? Est-ce une proclamation politique ? Je n'ai rien contre les proclamations politiques mais la Constitution n'est peut-être pas nécessairement le bon endroit pour le faire.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). — Le développement durable et le principe de précaution sont des concepts utilisés en droit international, en droit européen et en droit régional. Je constate qu'ils figurent à l'article 1er du Code wallon. Pourquoi ne seraient-ils pas inscrits dans la Constitution ?

Quant au lien entre le principe de précaution et le développement durable, je ne suis pas une spécialiste mais j'ai l'impression que le principe de précaution est à la fois plus étroit et plus large. Le développement durable se décline en cinq principes. Je retrouve le principe de précaution dans un exposé mais j'entends qu'il s'applique dans bien d'autres domaines que le droit de l'environnement. Il convient donc de préciser le lien entre les deux.

Il est des États qui ont déjà inscrit le principe du développement durable ou le principe de précaution dans leur Constitution — je pense à l'Allemagne — avec des jurisprudences qui pèsent sur les décisions. Quelqu'un a-t-il étudié les effets juridiques de ce choix politique ?

M. Rombouts. — Je répondrai à la question de Mme Durant. Les demandes d'avis relèvent des prérogatives du Bureau du Conseil. Jusqu'à présent, le Conseil n'avait jamais examiné l'aspect constitutionnel. Dès lors, les membres du Conseil estimaient devoir consulter leurs instances mais cela n'a pu se faire. Nous ne disposions que de deux mois, ce qui était insuffisant étant donné la longueur des procédures à suivre. Les personnes qui participent habituellement à nos groupes de travail ne sont pas des experts en la matière, excepté notre président. Or, ce sont les groupes qui déterminent les points de vue. Certains groupes affirmaient que l'insertion de ces principes dans la Constitution méritait une discussion mais ils se demandaient jusqu'où le travail législatif des partenaires sociaux pouvait aller. Ils affirmaient devoir se concerter avec leurs instances pour arrêter une position à ce sujet. D'autres disaient que notre rôle se limitait à donner des avis sur des propositions du gouvernement. Bon nombre d'intervenants estimaient qu'il s'agissait d'un travail politique incombant au Sénat. Néanmoins, d'aucuns jugeaient qu'il était important de discuter de la Constitution.

Finalement, vu le temps imparti, nous avons décidé de ne livrer que les éléments sur lesquels nous étions d'accord et qui concernent les principes clé du développement durable et le principe de précaution. Le Conseil a donc choisi de ne pas émettre un avis quant à l'opportunité d'inscrire ces principes dans la Constitution. Nous estimons néanmoins avoir fait œuvre utile pour votre travail législatif.

M. le président, M. Delpérée (CDH). — Je crois que cette précision éclaire le problème de procédure qui s'est présenté. J'ai travaillé pendant vingt ans au Conseil d'État. Je puis vous dire que lorsque le Conseil d'État est saisi d'une proposition de loi, il ne travaille pas de la même manière que lorsqu'il est saisi d'un projet de loi. Le fait que l'initiative émane de parlementaires et non pas du gouvernement a sans doute conduit le Conseil à adopter des pratiques un peu similaires.

M. Hans Bruyninckx. — À la question de Mme Talhaoui, je répondrais, en principe, par l'affirmative, mais je nuancerais ma réponse par quelques considérations critiques. En fait, le développement durable est aujourd'hui déjà un principe contraignant, mais contraignant ne veut pas dire exigible. Le principe est contraignant pour les autorités belges en raison du fait que celles-ci ont signé une série de traités internationaux mais, sur la question de l'exigibilité, ce n'est pas la règle du « tout ou rien » qui prévaut. Mon collègue Marc Pallemaerts pourrait en dire bien davantage à ce sujet.

L'exigibilité dépend du point de savoir si l'on confère ou non une force obligatoire à un cadre législatif. On peut le faire par toute une série d'instruments, de modifications institutionnelles et juridiques et d'adaptations budgétaires. C'est un problème à dimensions multiples, dont l'une est certes juridique mais dont les autres ont une portée beaucoup plus large. Dans ce cadre, je considère aussi la Convention de Aarhus comme relevant de la dimension participationnelle et publique de l'exigibilité. Elle est importante, et nous en avons une assez grande expérience, y compris au niveau international, mais ce n'est pas suffisant en soi. Selon moi, en matière d'exigibilité, on ne peut pas se borner à transposer la Convention de Aarhus.

Mme Gouzée. — Depuis 1992, les textes fondateurs font de plus en plus référence au développement durable. De l'Union des villes et communes à l'ONU, nous sommes sortis du petit ghetto initial des négociateurs de la Conférence de Rio à une vitesse qui les a surpris eux-mêmes. Bon nombre de pays introduisent le développement durable dans leur Constitution. La Belgique fera-t-elle partie des pionniers ? Nous n'en savons encore rien mais le débat de ce jour est un signe encourageant.

À l'échelon de l'ONU en tout cas, le principe de précaution est une référence automatiquement présente dans tous les textes qui parlent de développement durable. Il suffit de lire les résultats du Sommet du développement durable pour s'en convaincre. Une référence au développement durable englobe donc normalement une référence au principe de précaution. En cas de doute, il suffit de se référer à la Déclaration sur l'Environnement et le Développement issue de la Conférence de Rio qui définit les 27 principes de développement durable, dont celui de précaution, libellé de façon très précise.

M. Bruyninckx a démontré à suffisance à quel point il était urgent d'envoyer des signaux non seulement aux citoyens, mais aussi aux décideurs, y compris aux décideurs politiques. Le développement durable est en effet un concept très englobant. Il risque d'être enclavé dans des milieux qui travaillent sur le développement durable sans arriver à mettre en pratique l'indispensable intégration et la nécessaire transversalité par manque d'intérêt d'autres acteurs qui travaillent sur le social, sur l'environnemental ou sur l'économique.

M. Sérusiaux. — Je ne me prononcerai pas sur la nécessité d'intégrer des principes de développement durable dans la Constitution.

Je tiens seulement à insister sur le fait que les principes resteront du « droit à l'état gazeux », comme l'expliquait François Ost dans La nature hors-la-loi, un ouvrage paru il y a un peu plus de dix ans, aussi longtemps que les outils de décision, d'action curative, d'action préventive et de communication, ne seront pas identifiés, Il faut absolument identifier les outils opérationnels sur lesquels nous allons travailler.

Mon intervention portait explicitement sur le fait que la science ne décrira pas ce qui va se passer. Par conséquent, nous n'échapperons pas au débat, au choix. Il n'existe pas de réponse univoque mais si nous identifions les outils qui découplent la croissance économique des pressions environnementales croissantes, nous faisons du développement durable de manière opérationnelle.

M. Lionel Vandenberghe (SP.A-SPIRIT). — Une dernière remarque. Cette matinée a été pour moi extrêmement instructive et je m'attends à ce que l'après-midi soit tout aussi intéressant, mais je crains de rester quelque peu sur ma faim quant au nœud du problème: faut-il ou non inscrire le développement durable dans la Constitution ? Je propose que quelques constitutionnalistes nous disent ce qu'ils en pensent.

M. Francis Delpérée (CDH). — Tout à l'heure, quelqu'un a dit que rien n'était prévisible, même pas la science. Le lunch nous donnera l'occasion d'approfondir un certain nombre de questions. Je retiens néanmoins votre suggestion, M. Vandenberghe, d'entendre aussi des juristes. D'ailleurs, M. de Sadeleeer, qui s'exprimera cet après-midi, est un juriste expérimenté, notamment dans le domaine du droit public.

Exposé du prof. dr. Edwin Zaccaï, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, directeur du Centre d'Études du Développement durable (CEDD) et président de l'Institut de Gestion de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (IGEAT)

M. Zaccaï. — Au Centre d'Études du développement durable, j'étudie les aspects sociopolitiques de l'environnement. J'ai une analyse universitaire, un peu comme mon collègue Hans Bruyninckx, mais j'annonce d'emblée que je suis favorable aux propositions concernant le développement durable examinées ici. Mon analyse est donc un peu orientée, bien que je montrerai aussi certains aspects plus difficiles.

Au cours de mon exposé, je m'intéresserai à la perception du développement durable dans la société, j'évoquerai ses différentes définitions, j'examinerai le choix du développement durable comme principe de gouvernement et, enfin, je dirai quelques mots sur la portée du principe de précaution.

Nous disposons de quelques données relatives à la compréhension du développement durable par la population. Entre 1999 et 2002, plusieurs enquêtes ont montré que la connaissance du développement durable, le plus souvent intuitive, est restée stable dans la société belge.

En France, une enquête a montré que le développement durable est surtout bien compris par les catégories les plus instruites. Par contre, l'environnement recueille la sympathie d'une bonne partie de la population, toutes catégories sociales confondues.

À la question de savoir ce qui est le plus important à léguer aux générations futures, les Belges citent l'environnement en premier. Ensuite, viennent l'emploi et d'autres aspects, à juste titre, puisque les générations futures n'auront pas seulement besoin d'un environnement sain. L'environnement occupe une place de plus en plus importante dans les préoccupations des Belges. La Constitution ne reflète peut-être pas encore suffisamment cette évolution.

Selon une enquête qui date de la fin des années 90, à l'échelon européen, l'environnement fait partie des préoccupations les plus souvent citées avec la lutte contre le chômage, la lutte contre la pauvreté et les problèmes de sécurité. Selon une enquête réalisée en 2005, 85 % des Européens déclarent que l'environnement est aussi important que les politiques économiques et sociales.

En Belgique, une enquête récente auprès des leaders d'opinion quant à leur perception du développement durable montre qu'ils connaissent mieux le concept que lors de l'enquête précédente, qui datait de 2002. Ils l'associent à différents aspects. Les décideurs flamands semblent plus proches de l'économique. Les jeunes décideurs sont plus favorables au développement durable et demandent plus fréquemment que leurs aînés que des normes soient édictées pour le faire progresser.

D'une façon générale, les personnes interrogées considèrent que l'on n'en fait pas assez pour le développement durable.

Parmi les personnalités belges interviewées, il y avait des décideurs économiques, des personnalités culturelles, des personnalités syndicales, des dirigeants d'ONG. Des questions portant sur le point de savoir qui contribuait le plus ou le moins au développement durable et qui avait le plus ou le moins de pouvoir leur ont été posées. Dans les meilleures contributions, on retrouve les ONG et les scientifiques; dans les moins bonnes, les entreprises, les syndicats et les individus. En ce qui concerne les syndicats, c'est probablement parce que le développement durable est fortement associé à l'environnement. Ce sont les entreprises, les hommes politiques et les médias qui sont censés avoir le plus de pouvoir.

Le développement durable jouit d'une réelle reconnaissance dans les grandes entreprises, principalement au niveau international. Il arrive en deuxième position dans l'énumération des principes directeurs de la Fédération des entreprises de Belgique. Un consortium de multinationales extrêmement puissantes, le World Business Council for Sustainable Development, regroupant des entreprises dont le chiffre d'affaires cumulé s'élève à 2 500 milliards de dollars, soit dix fois le PNB de la Belgique, dit textuellement: « Nous croyons que la poursuite du développement durable est bonne pour les affaires et que les affaires sont bonnes pour le développement durable ». Ces entreprises interprètent le développement durable à leur façon mais il n'empêche qu'elles s'en revendiquent et qu'à ce titre, elles sont actrices.

J'ai tenté de représenter sur un graphique les variations de la conception du développement durable dans la société. Entre 1995 et 2005, nous sommes passés d'une vision plutôt environnementale à un concept proche du concept initial de l'ONU, plus complet, avec des pôles économiques et sociaux. D'une manière un peu schématique, nous pourrions dire que les médias et l'opinion ont une vision plus environnementale du développement durable et que les syndicats et les entreprises sont plus proches d'une vision « équilibrée ».

Dans le développement durable, certains enjeux sont plus présents que d'autres. Cette division en composantes sociales, environnementales et économiques a son utilité dans les négociations politiques mais, au fond, elle est relativement abstraite. Ainsi, la défense d'objectifs sociaux implique fréquemment de lutter contre la pauvreté et la pauvreté revêt un aspect économique. Je trouve personnellement que l'aspect intégration est beaucoup plus important que l'aspect équilibre.

J'en arrive aux différentes définitions du développement durable. Hans Bruyninckx a dit que ce n'était pas parce qu'un concept faisait l'objet de définitions relativement larges qu'il ne pouvait pas être utilisé. Il a pris l'exemple de la liberté. Je prends souvent l'exemple de la culture. La culture a des sens divers mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne peut pas être reprise dans la Constitution.

Parmi les définitions de référence, la plus importante est celle de la Commission mondiale pour l'environnement et le développement (« Rapport Brundtland »). En Belgique, la définition qui est inscrite dans la loi de 1997 est une adaptation de la définition contenue dans le rapport Brundtland. La politique fédérale retient cinq principes mais il y en a d'autres.

Certaines des propositions que nous examinons mettent l'accent sur l'environnement — c'est le cas de la proposition Martens-Talhaoui —, d'autres, comme la proposition Cornil, font référence à la santé. Toutes reprennent l'aspect mondial et les trois composantes du développement durable.

Le développement durable est mentionné dans le Traité sur l'Union européenne et ses mises à jour, Amsterdam et Nice. L'article 1.3 du Traité constitutionnel dispose que l'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe. Le développement durable apparaît comme l'objectif de faîte de la politique européenne.

En 2001, dans sa Stratégie pour le développement durable, l'Union Européenne a émis l'idée que le développement durable devait devenir l'objectif central de tous les secteurs et de toutes les politiques. Une procédure a été mise sur pied pour étudier les impacts économiques, sociaux et environnementaux des politiques européennes. Le site de la Commission permet de consulter les 120 études déjà réalisées. En conclusion, il me semble que la Constitution contient peu de principes de gouvernement. Pourquoi le développement durable devrait-il en faire partie ? Je me suis efforcé de vous livrer des éléments pour fonder ce choix.

Le développement durable est une notion qui a une histoire mais pas de définition univoque. Je crois donc que cette histoire devrait être reprise dans les considérants. Il y a une tendance marquée à sortir de la notion d'environnement, mais sans l'oublier pour autant, pour aller vers un objectif plus complet. Le développement durable jouit d'une reconnaissance importante parmi les acteurs sociaux. Il s'agit d'un principe qui fait la part aux générations futures et, enfin, d'un principe qui considère les interdépendances mondiales présentes et, surtout, à venir.

Je suggère donc modestement d'exposer les différentes interprétations et implications dans les considérants et de se limiter à un court article.

La notion d'équilibre reprise dans la proposition Cornil est fragile. Elle représente une étape dans l'évolution. Il faut se demander s'il y a vraiment lieu de l'inscrire dans la Constitution.

Les droits de participation et d'accès à la justice mentionnés dans la proposition Martens-Talhaoui pourraient éventuellement trouver leur place dans le titre II « Des Belges et de leurs droits ».

Voilà donc quelques éléments succincts d'une approche assez favorable, motivée d'abord par l'ampleur des problèmes auxquels l'orientation de développement durable cherche à faire face.

Je me limiterai à examiner maintenant deux éléments relatifs à la portée du principe de précaution, principe assez controversé, si l'on en croit les réactions constatées en France, à propos de la Charte de l'environnement qui a été adossée à la Constitution. L'article 5 relatif au principe de précaution a suscité beaucoup plus de débats que l'article 6 relatif au développement durable.

Pour résumer le principe de précaution, je dirai qu'en cas de risque de dommage grave, pour lequel subsiste une incertitude, cette incertitude ne doit pas être un paravent pour empêcher une action. Ce principe est rationnel; nous en usons tous dans notre vie. Bien sûr, il faut l'interpréter, et c'est là que réside la difficulté. Je soulignerai trois éléments.

— Le rapport à la prévention. La différence entre précaution et prévention est que la précaution s'applique à des risques moins facilement calculables, qui contiennent plus d'incertitudes. La frontière entre précaution et prévention n'est pas nette du tout mais la précaution se trouve davantage du côté des risques incertains.

— La proportionnalité des interventions. Ce n'est pas parce que l'on demande d'intervenir qu'il faut faire n'importe quoi. Les textes liés à la précaution indiquent que les interventions sont proportionnelles au risque. Certes, mais l'incertitude de celui-ci engendre des difficultés d'interprétation.

— On a dit que le principe de précaution pouvait freiner la recherche. C'est possible dans certains cas, mais le plus souvent, il demande une recherche vers les points d'ombre, les éléments les plus difficiles. C'est un sens important du principe de précaution.

Enfin, le principe de précaution a d'abord été utilisé dans l'environnement, avec un événement notoire: sa définition dans la déclaration de Rio en 1992, dont la référence est reprise à Johannesburg. L'Union européenne, de son côté, a élargi le domaine du principe de précaution à la santé, ce qui relève du bon sens, me semble-t-il. Se soucier de l'environnement sans se préoccuper de la santé des humains revient à dire que la santé des poissons est plus importante — le principe de précaution est apparu dans le droit de la mer — que la santé humaine, ce qui paraît absurde.

Contrairement au souhait de l'Europe, le sommet de Johannesburg n'a pas permis d'étendre le principe de précaution à la santé. Une série de pays l'ont refusé, en raison de certains enjeux économiques, craignant que le principe de précaution ne serve le protectionnisme.

Le principe de précaution est parfois utilisé dans d'autres domaines, même si on ne le cite pas comme tel. Le cas le plus notoire est l'intervention des États-Unis en Irak. C'est devenu un cas d'école dans les universités où l'on souligne que les États-Unis qui s'opposent continuellement au principe de précaution, dans les négociations internationales, n'ont pas hésité à invoquer ce principe dans le domaine militaire, ce qui illustre bien toutes les difficultés qui le caractérisent.

La proposition que nous examinons tend à élargir assez considérablement le domaine d'application du principe de précaution, ce qui est assez innovant par rapport au cadre classique que j'ai exposé, centré sur l'environnement et la santé. On trouve cependant, dans certains textes comme dans cette proposition, une volonté de coupler « précaution » et « générations futures », ce qui mérite d'être étudié.

Exposé du prof. dr. Marc Pallemans, chargé de cours à la Vrije Universiteit Brussel et à l'Université Libre de Bruxelles et Senior Fellows Head of the Governance Team Institute for European Environmental Policy (IEEP)

M. Marc Pallemaerts. — Avant d'aborder les problèmes juridiques soulevés par les propositions, je tiens, pour avoir été impliqué dans le passé dans le fonctionnement du Conseil fédéral du développement durable, à dire ma déception par rapport au fait qu'en raison de divergences de vues, ce Conseil n'a pas estimé opportun ou possible de rendre autre chose qu'un avis sommaire sur ces propositions essentielles. C'était la toute première fois que le pouvoir législatif demandait au Conseil d'émettre un avis et je trouve dès lors dommage que ce Conseil n'ait pas saisi cette opportunité. Il est vrai que le temps manquait peut-être pour mener une discussion approfondie. Il s'agit bien entendu de propositions aux implications importantes, d'où l'intérêt de ces auditions, qui nous donnent la possibilité d'approfondir quelque peu cette problématique.

Nous pouvons scinder les propositions en deux catégories. La première regroupe les propositions qui visent à insérer dans la Constitution, sous un titre Ierbis nouveau, un article faisant du développement durable un objectif de politique générale. La seconde catégorie regroupe les propositions qui visent à compléter l'article 23 actuel de la Constitution. Comme vous le savez, cet article porte sur les droits économiques, sociaux et culturels, et les auteurs des propositions veulent y ajouter, l'une le droit à l'eau, l'autre le principe de précaution.

Aucune des deux propositions de la deuxième catégorie ne fait explicitement référence à la notion de développement durable, avec toutes ses connotations. En fait, ces deux propositions cherchent à inscrire certains aspects spécifiques du développement durable dans la Constitution, mais dans un contexte bien particulier: celui des droits fondamentaux individuels, des droits économiques, sociaux et culturels. C'est là pour moi une approche trop limitée, et même peut-être réductrice, de la notion de développement durable. Cette notion va plus loin que la garantie de droits individuels. Elle est liée également à des devoirs très importants et à une vision sociétale plus large. Par conséquent, l'article 23 n'est pas le contexte le plus approprié où inscrire le développement durable dans la Constitution. De plus, selon mon interprétation, l'article 23 couvre déjà les trois piliers du développement durable. L'article 23 traite du droit à mener une vie conforme à la dignité humaine, et le développement durable est justement une condition pour pouvoir garantir ce droit à tout un chacun, aujourd'hui et demain, dans notre pays et ailleurs dans le monde. Dans les droits énumérés par l'article 23, il n'est pas seulement question du droit à la protection d'un environnement sain, mais aussi de droits sociaux et économiques fondamentaux, tels que le droit à la protection sociale, le droit à un logement et le droit à la santé. En fait, l'article 23 énonce déjà les trois dimensions du développement durable: l'économique, le social et l'environnemental. Il prévoit aussi implicitement la recherche d'un équilibre entre ces trois « piliers » du développement durable, dès lors que la mise en balance des différentes revendications individuelles avec les divers aspects de l'intérêt général est inhérente à l'application même de la figure juridique des droits fondamentaux.

Ce serait selon moi adopter une approche réductrice que de restreindre l'application du principe de précaution à ce contexte bien particulier, même en y ajoutant une référence aux générations futures, comme le fait la proposition de Mme Nyssens. De plus, il n'est pas tout à fait pertinent d'affirmer que le principe de précaution doit être inscrit dans ce contexte spécifique. S'il est certes apparu dans le contexte de la politique environnementale et du droit de l'environnement, le principe de précaution possède d'ores et déjà un champ d'application plus large dans son interprétation actuelle, notamment en droit européen. La Cour de justice des Communautés européennes a admis depuis longtemps qu'il s'appliquait également à la protection de la santé.

Il me semble également que la valeur ajoutée de la proposition de M. Mahoux, qui vise à ajouter explicitement le droit à l'eau à la liste des droits garantis par l'article 23, est relativement limitée, dans la mesure où ce droit est déjà inclus implicitement dans d'autres droits énoncés par l'article 23, comme la protection d'un environnement sain et la protection de la santé, droits qui ont entre-temps été reconnus également à l'échelle internationale.

Il ne fait pas aucun doute que les deux propositions de la première catégorie, qui font du développement durable un objectif de politique générale, sont novatrices en ce qui concerne tant du contenu que de la forme.

Commençons par la forme. Il s'agit effectivement d'objectifs politiques généraux ou de principes directeurs adoptés par les pouvoirs publics. En fait, cette figure juridique n'existe pas en droit constitutionnel belge, mais il n'est pas interdit au constituant d'innover en la matière.

Sur le plan du contenu, les deux propositions font référence explicitement au développement durable, et en donnent une brève définition inspirée dans les deux cas de la définition classique du rapport Brundtland, en lui conférant davantage la forme d'un principe.

Il y a donc analogie de structure entre les deux propositions. Dans l'une, le développement durable est présenté comme un objectif, et dans l'autre, comme un principe, ce qui correspond peut-être à une qualification un rien plus faible. Toutes deux font référence aux générations futures; la dimension intergénérationnelle constitue effectivement un aspect très important de la notion de développement durable. J'ai noté également que seule la proposition Martens-Talhaoui fait explicitement référence à la dimension mondiale de la notion, qui est essentielle aussi. Enfin, les propositions évoquent toutes deux d'une manière ou d'une autre la recherche d'un équilibre ou d'une intégration entre les trois piliers ou « composantes » du développement durable.

C'est surtout dans la deuxième partie des propositions que l'on peut observer des différences au niveau de la formulation et du choix des principes mentionnés expressément. Puisqu'il s'agit par définition d'une proposition de texte juridique, d'une norme destinée à figurer dans la Constitution, le libellé juridique est bien entendu extrêmement important. Il déterminera en grande partie la portée juridique de la proposition.

La forme qui lui est donnée doit faire en sorte que la norme inscrite dans la Constitution soit avant tout interprétée comme un objectif politique général, une ligne directrice que suivront les différents législateurs et les autres pouvoirs de notre État fédéral. Le contenu concret de la notion de développement durable dépendra donc de son interprétation par les législateurs. Ils disposent à cet effet d'une large marge d'appréciation discrétionnaire.

Quoi qu'il en soit, le caractère juridiquement contraignant d'une telle disposition constitutionnelle reste par conséquent très limité. Notre système juridique ne connaît pas de norme générale autorisant le juge à contrôler la constitutionnalité des lois. La Cour d'arbitrage peut certes, sous certaines conditions, confronter les normes du pouvoir législatif à certaines dispositions de la Constitution, mais en l'espèce, le pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage ne s'étendrait pas aux nouvelles dispositions à inscrire sous le titre Ierbis de la Constitution. Ce pouvoir de contrôle se limite en effet aux dispositions du titre II de la Constitution. La force obligatoire de la norme est donc considérablement limitée, tant en raison de sa formulation que du fait de la place qui lui est attribuée dans la structure de la Constitution.

À l'inverse, cela ne signifie certainement pas qu'une norme constitutionnelle n'aurait aucune effectivité juridique. L'inscription du développement durable dans la Constitution ne manquera pas d'influencer l'interprétation d'autres normes constitutionnelles et lui conférera en outre une portée institutionnelle au sein de la structure de l'État belge, dès lors que la Constitution fixe les normes de base du fonctionnement de toutes les entités fédérées et de tous les niveaux de pouvoir de notre État fédéral. L'inscription de cette norme dans la Constitution revêt donc une grande importance pour l'intégration verticale.

Un des auteurs d'une des propositions justifie son initiative en soulignant l'importance d'ancrer symboliquement le développement durable dans la Constitution. Tout comme mon collègue Bruyninckx, j'espère que l'on ne se contentera pas d'un ancrage symbolique. Et pour cela, il est essentiel de définir exactement la notion de développement durable.

J'en viens donc à la formulation d'une telle disposition. Contrairement à l'avis exprimé par le CFDD, je ne pense pas que l'on puisse qualifier la fameuse définition de la commission Brundtland de définition précise. Si elle a inspiré énormément d'autres travaux, on ne peut pas pour autant dire que la précision soit sa principale qualité. Comme l'a dit tout à l'heure Hans Bruyninckx, c'est plutôt son ambiguïté qui s'est révélée un atout pour garantir le large consensus que cette notion semble avoir engendré dans le discours politique. C'est pourquoi je pense que l'on ne peut pas se limiter à une simple référence au développement durable, même en reprenant la description assez abstraite du rapport Brundtland.

La spécification des implications de la notion au moyen des principes que l'on va préciser est importante. Dans cette optique, le développement durable doit être envisagé comme plus que la simple mise en balance de trois « composantes », plus qu'un exercice d'« équilibrisme » politique, d'intégration équilibrée des composantes économiques, sociales et écologiques, pour reprendre les termes de la proposition de M. Cornil.

Si on se limite à ses implications pour le processus décisionnel, le développement durable risque de se réduire à une simple norme procédurale. J'ose espérer que le développement durable a aussi une portée matérielle et une réelle substance normative. Il me semble important de mettre en exergue, dans le choix et la formulation des principes, l'essence normative du concept, dans toute la mesure du possible. L'apport normatif réel du concept de développement durable, c'est d'une part la prise en compte, à long terme, des droits et intérêts des générations futures — cette notion ne figure pas encore en tant que telle dans notre prescrit constitutionnel — et, d'autre part, la prise en compte de la dimension mondiale, planétaire. Ces deux éléments s'inscrivent dans le contexte global des limites écologiques, des contraintes objectives que l'état et la capacité de notre planète fixent aux activités humaines.

Ces deux dimensions sous-tendent deux principes importants: la solidarité et la responsabilité, dans laquelle j'inclus le principe de précaution, comme une expression de la responsabilité envers l'autre et envers la planète.

Pour conclure, quels enseignements peut-on tirer des précédents étrangers ? Je n'ai pas pu mener une étude approfondie de droit constitutionnel comparé, mais les développements des propositions citent certains exemples d'autres pays où le développement durable a été inscrit dans la constitution — la Suisse et la Pologne. J'y ajouterai la France où, depuis 2005, une Charte de l'environnement a été jointe à la Constitution. Celle-ci mentionne, en son article 6, le développement durable. On constate cependant, dans ces trois textes constitutionnels, que la mention du développement durable n'est assortie d'aucune définition explicite.

Dans les trois cas, le développement durable est envisagé dans un contexte exclusivement environnemental. La Constitution suisse mentionne le développement durable comme l'un des buts de la Confédération. L'article 73 de cette même Constitution, intitulé « Développement durable », fait référence à l'établissement d'un équilibre durable entre la nature et son utilisation par l'être humain.

La Charte de l'environnement française utilise l'approche de la conciliation des trois « piliers » — environnement, économie et progrès social — mais dans un texte qui, par son intitulé et par ses autres dispositions, se veut explicitement environnemental.

Je me réjouis de constater que les propositions soumises à votre examen dépassent ce pur contexte environnemental. Il est important de souligner que le développement durable est une notion plus large que la simple protection de l'environnement. Trop souvent, cette notion se trouve réduite à cette seule dimension environnementale. De ce point de vue, l'approche proposée est cohérente avec le droit européen. En effet, le Traité établissant la Communauté européenne, dans sa version actuelle, comprend deux références au développement durable, non pas dans les dispositions spécifiques du traité concernant la politique de l'environnement mais dans ses dispositions liminaires, à savoir aux articles 2 et 6.

Le texte européen ne contient par ailleurs aucune tentative de définition du concept.

Si le constituant veut, comme cela semble être le cas, dépasser le strict cadre environnemental, il ne peut néanmoins s'inspirer exclusivement des exemples d'autres constitutions de pays européens que je viens de citer.

Si l'on veut produire des effets juridiques — s'agissant d'un texte constitutionnel, on peut supposer que ce soit le cas —, on ne peut se limiter à citer la définition du rapport Brundtland, trop imprécise.

On ne peut pas non plus, pour faire justice au concept de développement durable, se limiter à la simple juxtaposition en triptyque des trois piliers. En effet, je voudrais souligner qu'il existe des visions plus larges du développement durable que l'approche classique se limitant aux trois piliers. J'ai remarqué que la proposition de Mme Talhaoui et de M. Martens fait référence à quatre piliers, les trois piliers connus auxquels s'ajoute la démocratie. Pour citer un autre exemple, je ferai référence à la déclaration de l'Organisation internationale de la francophonie, lors de son Sommet de Ouagadougou (2005), où les chefs d'État et de gouvernement ont considéré que le développement durable reposait sur cinq piliers: aux trois piliers bien connus s'ajoutent la démocratie et l'État de droit mais aussi la diversité culturelle et linguistique, deux aspects chers à notre pays.

Pour produire des effets juridiques, il importe, me semble-t-il, d'énoncer dans le texte les principes les plus fondamentaux du développement durable qui cernent le noyau normatif auquel j'ai fait référence. Dans cette formulation, il conviendra de rechercher un juste équilibre entre, d'une part, le caractère général que toute disposition constitutionnelle doit avoir, s'agissant d'un texte qui occupe un niveau très élevé dans la hiérarchie des normes et, d'autre part, la volonté de laisser au concept une certaine ambiguïté que je qualifierais de créatrice ou constructive. Comme d'autres intervenants l'ont rappelé avant moi, d'autres concepts fondamentaux de notre ordre juridique et de notre système politique n'ont pas toujours eu de définition précise et consensuelle, ce qui ne les a pas empêchés d'acquérir une force propre.

Une autre technique pourrait être envisagée pour renforcer l'effet juridique de la disposition proposée; il s'agirait d'établir un lien entre cette nouvelle disposition et des dispositions existantes de la Constitution. Un moyen serait de relier la notion de développement durable proposée dans les deux versions du nouvel article 7bis à la notion de vie conforme à la dignité humaine qui constitue, en quelque sorte, le « chapeau » de l'article 23. On peut envisager le développement durable comme un objectif, une conception de la politique publique visant à garantir la réalisation d'une vie conforme à la dignité humaine, pour tous les êtres humains, tant ceux qui sont en vie aujourd'hui que les générations futures, tant ceux qui vivent sur le territoire de notre pays que ceux qui vivent ailleurs sur la planète. C'est une façon de faire un lien entre deux dispositions constitutionnelles qui pourrait renforcer leurs effets combinés.

S'agissant des principes à mentionner pour concrétiser la notion de développement durable, une série de textes existants peut servir d'inspiration à un débat politique approfondi qu'il incombera au constituant de mener. Les cinq principes du premier plan fédéral de développement durable (2000-2004) ont déjà été évoqués. Les développements de la proposition de M. Cornil y font référence. Ces principes sont une base importante mais il ne faudrait pas oublier l'existence d'autres textes de référence. Je voudrais attirer votre attention sur la déclaration relative aux principes directeurs du développement durable qui a été adoptée par le Conseil européen de Bruxelles, en juin 2005. Ces dispositions sont passées inaperçues car ce Conseil a été dominé par d'autres questions d'actualité politique européenne. Il s'agit néanmoins d'une initiative louable de la présidence luxembourgeoise de l'époque. Ce texte comprend une dizaine de principes qui sont reconnus par le Conseil européen comme des principes directeurs du développement durable, dont une série de principes qui n'ont pas encore été évoqués aujourd'hui mais que je n'ai plus le temps d'aborder ici. Je vous recommande, dans vos travaux ultérieurs, d'examiner ces principes tout comme ceux du plan fédéral et de choisir parmi les différents textes de référence, les formulations les plus judicieuses.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur l'importance de la mise en œuvre de toute nouvelle disposition constitutionnelle éventuelle. Il ne suffit pas d'inscrire une nouvelle norme, un nouvel objectif de politique publique dans la Constitution pour qu'il se réalise. Il faut aussi que les différents niveaux de pouvoir — législatif et exécutif — prennent des mesures d'exécution. Cela vaut également pour l'article 23 de la Constitution qui a déjà été évoqué. En 1994, on a inscrit des droits importants dans la Constitution, mais il faut bien constater que les mesures de mise en œuvre prises par les différents législateurs ne sont pas encore suffisantes pour les garantir. Dès lors, si l'une des propositions venait à aboutir, il conviendrait de s'interroger par la suite, dans tous les parlements et gouvernements, sur les mesures législatives et réglementaires à prendre pour la concrétiser.

Exposé du prof. dr. Nicolas de Sadeleer, professeur aux Facultés Universitaires et à la Vrije Universiteit Brussel

M. Nicolas de Sadeleer. — Madame la Présidente, mesdames, messieurs, je formulerai à l'égard des différentes propositions qui m'ont été transmises par Mme Lizin, neuf observations brèves. Je me contenterai de compléter les discours des orateurs qui m'ont précédé.

Première observation: les concepts sous-jacents aux différentes modifications relatives au développement durable et à la précaution ne sont pas définis dans les propositions, ce qui n'a rien d'étonnant, dans la mesure où tant les constituants que les auteurs des lois qui énoncent ces principes évitent de définir de tels concepts.

Deuxième observation: tant le développement durable que la précaution font l'objet de moult controverses, dès leur origine, notamment dans les cénacles internationaux tels que l'Organisation Mondiale du Commerce ou les institutions communautaires européennes. En quelque sorte, les idées sous-jacentes, en raison des réformes importantes qu'elles viendraient à entraîner, sont de nature à susciter la discussion et la réflexion, également au niveau académique, ce qui explique peut-être cet aréopage de professeurs que vous avez invités à cette occasion.

Troisième observation: les concepts ont également évolué au fil du temps.

Comme l'a indiqué M. Pallemaerts, le concept de développement durable a fait l'objet de différentes interprétations qui se sont affinées. Il en va de même de la précaution dont les définitions étaient précisées, non pas par des instances internationales mais davantage par l'intervention de certaines juridictions. On constate donc que des concepts relativement flous comme le développement durable et la précaution peuvent, au fur et à mesure, connaître des précisions et des évolutions. Le professeur Zaccaï avait également indiqué que le principe de précaution qui tirait son origine de la protection de l'environnement avait été, par la suite, étendu à des domaines tels que la sécurité du consommateur, la santé humaine et la sécurité alimentaire, sujets tout à fait inattendus pour les promoteurs de ce principe dans les années '80 qui vouaient principalement son application à la pollution marine.

Quatrième observation: sur le plan juridique, il me semble que le développement durable et la précaution ne sont pas exactement au même niveau. Un certain nombre de juristes sont parvenus à un consensus pour qualifier le développement durable de « métaprincipe » ou de principe dont la valeur est davantage politique que juridique, alors qu'un certain nombre de juristes estiment, au contraire, que le principe de précaution revêtirait, au sein de certains ordres juridiques, une valeur de principe général de droit. En tout cas, une chambre du tribunal de première instance des Communautés européennes a qualifié la précaution, en droit communautaire, de principe général de droit. D'autres juridictions ont tendance à tirer du principe de précaution une véritable fonction d'interprétation de norme législative ou de norme réglementaire.

Il me paraît que les deux concepts ne sont pas exactement au même niveau, dans la mesure où la précaution se trouve déjà à un stade beaucoup plus affiné, au niveau de la technique juridique, soit en tant que principe général de droit pouvant contrecarrer des dispositions hiérarchiquement inférieures, soit en tant que méthode d'interprétation juridique qui permet de déterminer, le cas échéant, le champ d'application d'une norme.

Cinquième observation: tant le développement durable que la précaution connaissent déjà des assises en droit positif belge, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau régional.

La loi du 5 mai 1997 est entièrement consacrée au développement durable, alors que le principe de précaution est énoncé parmi une batterie de principes destinés à protéger l'environnement, tant dans le Code flamand de la protection de l'environnement que dans le nouveau Code wallon de l'environnement. Il est important de souligner que le constituant prend ici le relais de l'œuvre du législateur fédéral et du législateur régional.

Sixième observation: les juridictions belges ont été invitées, surtout par les plaideurs, à faire application de la précaution, en tant que méthode d'interprétation juridique, notamment pour faire pencher la balance en faveur d'interprétations plus favorables à des mécanismes protecteurs ou régulateurs d'activités économiques, sources, le cas échéant, de nuisances.

J'ai pu observer, avec d'autres juristes, une certaine réticence des juridictions à énoncer expressément le principe de précaution dans leurs jugements, bien que l'on retrouve, dans un certain nombre de décisions judiciaires, une application implicite du principe.

Septième observation: l'incidence en droit belge, au regard des normes préexistantes sur le développement durable et sur la précaution, de ces deux concepts sur l'évolution des pratiques administratives est difficile à évaluer, en raison des controverses engendrées par ces deux notions. Ici, il est difficile d'appréhender le succès, le cas échéant, de ces normes dans les pratiques administratives. Cet exercice est extrêmement délicat.

Huitième observation: devant l'ampleur des débats suscités notamment chez nos voisins français par l'élaboration de la Charte française de l'environnement, on peut se demander s'il n'aurait pas été prudent, de la part des auteurs des propositions de révision, de prendre position sur une série de questions relativement délicates qui risquent, un jour ou l'autre, d'être débattues devant des juridictions telles que la Cour d'arbitrage ou une cour d'appel ou un tribunal de première instance. Quel est l'objectif recherché par le constituant par l'insertion de cette norme ? Quel est le rapport entre cette future norme constitutionnelle et les normes hiérarchiquement inférieures, telles que la loi nationale, le décret, l'ordonnance ? Quel sera le rôle du juge constitutionnel ou du juge ordinaire, lorsqu'il aura à appréhender cette norme ? Toutes ces questions restent ouvertes. Sans doute les praticiens espéreront-ils, de la part du constituant, un certain nombre de réponses.

Neuvième observation: l'insertion d'une disposition propre au développement durable me paraît moins révolutionnaire. En tout cas, j'ai l'impression que cela s'inscrit dans le sillage d'une série de réformes constitutionnelles, certes relativement rares — j'ai eu l'occasion de faire un examen de droit comparé avant cette session.

On a évoqué, dans les travaux préparatoires, la disposition française selon laquelle « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. »

Je rappellerai que la Finlande, dans sa Constitution de 1999, a également inscrit une disposition sur le développement durable: « la démocratie implique le droit, pour les individus, de participer et d'influer sur le développement de la société et de leur environnement. » C'est relativement flou.

La Grèce, lors de la révision constitutionnelle de 2001 précise que « l'État est tenu de prendre des mesures préventives ou répressives particulières, dans le cadre du principe de durabilité, pour assurer sa préservation. »

Pour ce qui est de la Suisse, la disposition a déjà été évoquée par M. Zaccaï, sauf erreur de ma part. « La Confédération et les Cantons œuvrent à l'établissement d'un équilibre durable entre la nature — en particulier sa capacité de renouvellement — et son utilisation par l'être humain. »

De manière plus intéressante, certaines dispositions constitutionnelles de pays latino-américains pourraient, eu égard à la pauvreté des articles que je viens de citer, constituer des pistes de réflexion pour le constituant belge.

Je pense notamment à la Constitution argentine de 1994 selon laquelle tous les habitants jouissent du droit à un environnement sain, équilibré et adapté au développement humain, pour que les activités productives satisfassent aux nécessités présentes, sans compromettre les besoins des générations futures. Les autorités sont tenues de promouvoir la protection de ce droit, l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, la préservation du patrimoine naturel et culturel et la diversité biologique, ainsi que l'information et l'éducation environnementale. Manifestement, ces dispositions s'inscrivent plutôt dans le prolongement d'une réflexion sur l'environnement.

La République du Salvador a adopté, en 2000, des dispositions selon lesquelles il est du devoir de l'État de protéger les ressources naturelles ainsi que la diversité et l'intégrité de l'environnement, pour garantir un droit au développement durable. Sont également d'intérêt social la protection, la conservation, etc. En insérant une disposition sur le développement durable, je ne crois pas que le législateur belge ferait œuvre révolutionnaire mais il aurait peut-être intérêt à examiner de plus près le libellé des différentes dispositions déjà reconnues en Amérique latine ou en Europe.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que l'insertion du principe de précaution dans une constitution serait plus exceptionnelle. Vous savez sans doute que l'insertion de cette norme a suscité d'amples débats en France. Le libellé de ce principe dans la Charte constitutionnelle française est extrêmement alambiqué, ce qui atteste sans doute des controverses que cette norme a pu susciter. Or, à l'exception de la Charte constitutionnelle française, je n'ai pas trouvé d'autre constitution nationale, cantonale, de länder ou d'États américains qui consacre le principe de précaution. La consécration, dans la Constitution belge, d'un tel principe, serait nettement plus osée, surtout dans la mesure où le principe serait mis en rapport avec des droits économiques, sociaux et culturels. Jusqu'à présent, le débat sur la précaution a porté sur des matières relativement sophistiquées où l'incertitude scientifique est très pregnante, telle que la sécurité alimentaire, la pollution marine ou atmosphérique. L'application d'un concept de précaution, c'est-à-dire la possibilité pour les autorités publiques d'agir dans un contexte d'incertitude scientifique, soulèverait plus de questions d'un point de vue théorique mais également d'un point de vue pratique. Pour des affaires sociales et culturelles, je me demande si la volonté d'étendre la précaution d'emblée à de nouvelles matières, alors que l'expérience n'a pas nécessairement été réunie, n'appellerait pas à une réflexion plus poussée sur un tel choix constitutionnel.

M. Jean Cornil (PS). — Je remercie nos trois intervenants. Comme ce matin, nous avons bénéficié d'interventions d'une qualité et d'une densité qui me feront réfléchir. Certains de mes points de vue ont évolué par rapport à la proposition que j'ai déposée en juillet dernier.

Cette journée d'auditions sera forcément suivie de discussions politiques afin de dégager, éventuellement, une majorité susceptible de modifier la Constitution, ce qui suppose un large consensus.

J'aimerais adresser une dernière question à nos spécialistes. Des analyses ont-elles été réalisées dans les pays où le principe fondamental du développement durable a été inscrit dans la norme première ? Des études ont-elles été menées sur le plan scientifique, en droit comparé, en sociologie de l'environnement ? Les politiques environnementales ont-elles été modifiées ? A-t-on assisté au développement d'une jurisprudence ? Quels ont été les constats, au-delà de l'aspect symbolique ? J'ai bien perçu qu'une des critiques émises par M. Pallemaerts visait le caractère trop symbolique de ma proposition. J'ai dû m'efforcer d'être le plus consensuel possible, même si j'admets aisément qu'une telle mesure doit forcément être effective, sous peine d'être inutile. Je le répète, je voudrais savoir si les pays concernés ont connu des modifications, tant dans les politiques publiques mises en œuvre que dans les comportements des citoyens.

M. Nicolas de Sadeleer. — Je suis plutôt un positiviste. Malgré mon intérêt pour la science politique, un certain nombre de débats m'échappent. Peut-être Edwin Zaccaï, qui suit davantage l'évolution de la littérature sur le développement durable, aurait-il des éléments de réponse ...

M. Edwin Zaccaï. — En ce qui concerne les pays, j'avoue que je l'ignore. Peut-être ces études existent-elles au niveau européen. Le Traité d'Amsterdam et ensuite le Traité de Nice comportent la mention en question, ce qui a peut-être renforcé les directives ou autres textes relatifs au développement durable. On peut se poser la question, en effet.

Mme Christiane Daeme. — M. Cornil s'interrogeait, à juste titre, sur l'impact des modifications intervenues dans les Constitutions de l'Argentine et du Salvador, auxquels on peut ajouter le Brésil, lequel vient de modifier certains règlements.

Pour connaître un peu cette question, je dirai qu'il existe, dans ces pays, une certaine volonté de modifier les choses, de faire changer les mentalités, volonté contrecarrée par un manque de moyens, auquel il faut ajouter la distance qui persiste entre le pouvoir et les citoyens. Cet aspect ne concerne pas la Belgique où les citoyens sont tout de même plus proches du pouvoir qu'au Salvador, par exemple. Pour ce qui est de la Finlande, je soulignerai que le fait d'inscrire le principe du développement durable dans la Constitution n'a pas empêché les entreprises finlandaises d'investir dans le sud de l'Uruguay et de l'Argentine, pour y planter des forêts d'eucalyptus, chose qui ne leur est plus permise dans leur pays. L'inscription du principe dans la Constitution doit donc tenir compte de la dimension internationale.

M. Paul Wille (VLD). — En tant que rapporteur, je ne peux malheureusement pas m'exprimer aussi librement que les autres membres de la commission des Affaires institutionnelles. La tâche d'un rapporteur est, en effet, de restituer au mieux les propos qui ont été tenus.

La discussion d'aujourd'hui fait partie d'un processus plus large dans lequel l'aspect constitutionnel a déjà été abordé à diverses reprises. Sans aller jusqu'à vouloir susciter la compassion des témoins pour les sénateurs qui voteront tout à l'heure, je voudrais quand même dire que notre situation n'est guère confortable lorsque des universitaires viennent défendre devant nous, avec beaucoup de conviction, deux thèses opposées.

Certains estiment que l'inscription du principe du développement durable dans la Constitution est possible alors que d'autres sont d'un avis contraire. Si d'aucuns pensent que cela peut encore être fait d'ici la fin de la présente législature, d'autres affirment que non et d'autres encore sont d'avis que ce n'est réalisable que dans une faible mesure. C'est là le propre des universitaires. Nous avons déjà vécu cela lors des discussions sur « la bonne gouvernance ».

Chez les sénateurs, le concept de développement durable me paraît bénéficier d'un large soutien. Toutefois, la discussion d'aujourd'hui n'a pas, à mon sens, fait apparaître suffisamment les raisons pour lesquelles nous devrions inscrire le principe du développement durable dans la Constitution. Personnellement, je suis favorable à une approche très pragmatique consistant, pour chaque aspect, à déterminer de quelle manière nous obtiendrions les meilleurs résultats: avec ou sans inscription du principe du développement durable dans la Constitution.

Certains avancent, en termes généraux, que divers pays de l'Union européenne ont déjà inscrit ce principe dans leur Constitution. Toutefois, dans ces pays, il s'agit le plus souvent de la protection de l'environnement, tandis que dans un certain nombre de pays d'Amérique latine, le spectre est beaucoup plus largement ouvert. Je crains que nous n'ayons pas été suffisamment attentifs à la différence d'approche et de conséquences. Examinons de manière pragmatique la politique de l'eau, par exemple, et dépassons le discours académique pour voir ce qui se passe sur le terrain, notamment dans les quatre plus grands pays qui connaissent une forte croissance économique, à savoir le Brésil, l'Inde, la Russie et la Chine. Si ces pays appliquaient la maxime chinoise « Peu importe la couleur du chat, pourvu qu'il attrape des souris », ils feraient évidemment fausse route. Car en appliquant cette politique, ils bénéficieraient effectivement au bout de 15 ans d'une croissance durable et soutenue — et pas pour autant d'une croissance environnementale durable — mais ils devraient aussi faire face à une facture désastreuse pour l'environnement. Dans certaines provinces chinoises, 15 à 20 pour cent du produit intérieur brut sont consacrés à la réparation du préjudice écologique résultant de décisions antérieures. Pour plus d'informations à ce sujet, je renvoie au rapport que j'ai rédigé à ce sujet pour le Conseil de l'Europe.

Il me semble intéressant d'aborder ici un important problème de société, à savoir l'approvisionnement en eau potable dans des pays comme l'Inde ou la Chine, même si le problème prend des formes très différentes dans ces pays. La Chine abrite 21 pour cent de la population mondiale et ne dispose que de 7 pour cent de la réserve disponible en eau potable. Dans l'étude que j'ai consacrée à cette problématique, je me suis surtout penchée sur la question de savoir ce que l'on pouvait et devait faire socialement en matière d'eau potable dans l'intérêt de la santé publique. Les chiffres montrent que dans les régions de la Chine continentale qui n'ont pas développé de politique en matière d'eau potable, la durée de vie moyenne peut être jusqu'à 15 ans inférieure à celle dans les régions qui mettent en œuvre une telle politique. Cela concerne des provinces comme le Hebei et le Hubei qui comptent chacune plus de 100 millions d'habitants. Il s'agit donc d'un problème d'une ampleur considérable. La question que nous nous posons est de savoir de quels outils l'autorité dispose, indépendamment du système politique, pour s'attaquer à ce problème. De par son système politique non démocratique, la Chine pourrait décider très rapidement de déplacer le cours du Yangtse de 100 kilomètres. En Inde, une telle décision prendrait beaucoup plus de temps car il faudrait qu'elle parcoure tous les rouages des provinces, communes et sous-communes. Une chose est sûre: pour résoudre des problèmes de société comme l'approvisionnement en eau potable de qualité, l'autorité doit certes exiger le droit de mener sa propre politique en matière d'eau potable et d'imposer certains critères, mais il s'avère à chaque fois que, même avec une croissance de 10 ou 15 pour cent, cette autorité n'a pas de moyens suffisants pour résoudre ce problème de manière durable et qu'elle doit donc recourir au capital à risque. Je tiens donc à attirer l'attention sur le danger auquel les populations les plus vulnérables sont exposées, non pas tant chez nous, mais bien dans ces pays en développement qui connaissent une croissance rapide. Écartant les préjugés de toutes sortes, les autorités de ces pays doivent développer un partenariat avec les multinationales et demander à celles-ci de développer, dans le cadre de contrats de service de longue durée, une infrastructure d'épuration des eaux. Si l'autorité ne le fait pas, les habitants moins favorisés qui vivent à proximité des zones industrielles consommeront l'eau disponible sur place et tomberont de plus en plus malades. Si l'État prend cela à sa charge, rien ne se passera ou, pour être plus précis, la situation empirera de jour en jour. C'est pourquoi je ne vois toujours pas très bien en quoi l'inscription du droit à l'eau dans la Constitution pourrait aussi améliorer ne fût-ce qu'un tant soit peu la qualité de l'eau potable. Je suis conscient qu'il s'agit là surtout d'une approche économique, mais je tiens malgré tout à soumettre ce raisonnement aux personnes ici présentes.

M. Bart Martens (SP.A-SPIRIT). — Comme l'a déjà indiqué le collègue Wille, il s'agit surtout en l'espèce de la proposition de loi relative à l'inscription du droit à l'eau dans l'article 23 de la Constitution. Apparemment, le professeur Pallemaerts est d'avis que cela n'ajoute pas grand-chose aux droits déjà inscrits dans la Constitution. J'estime pourtant, pour ma part, que pour plus d'un milliard de Chinois et plus d'un milliard d'Indiens, il peut être important que nous ancrions les principes du développement durable dans notre politique étrangère. Notre politique commerciale ou notre autre politique étrangère peut en effet aussi influencer favorablement l'accès à l'eau potable pour ces populations. À mon sens, c'est déjà une raison suffisante pour s'employer à rechercher, dans la première catégorie de propositions de loi, des possibilités de consacrer le développement durable comme principe ou comme objectif dans la Constitution. Évidemment, le monde ne changera pas du jour au lendemain et il est clair que nous devrons définir la politique à suivre et poser les balises dans des lois et des réglementations concrètes, pour la protection de l'environnement comme pour les droits sociaux. Il n'en reste pas moins que l'ancrage du développement durable dans la Constitution pourrait servir de modèle à d'autres initiatives publiques. Certains principes qui figurent déjà dans notre Constitution depuis 1830 ont également joué ce rôle par le passé. Simplement, il est urgent de les actualiser et de rafraîchir la Constitution. Le monde a évolué depuis 180 ans. Il nous faut donc appliquer aujourd'hui d'autres principes stratégiques.

Le professeur Zaccaï propose que l'accès au droit mentionné dans la proposition de Mme Talhaoui et de moi-même soit inséré sous le titre II de la Constitution. Cela ne me semble pas être une bonne idée car le titre II traite des droits individuels alors que l'accès au droit pour la sauvegarde de droits individuels comme la propriété dispose déjà d'un ancrage suffisant. Il s'agit à présent de garantir l'accès au droit pour la sauvegarde de droits collectifs. C'est pourquoi ce droit est mieux à sa place sous le titre Ierbis de la Constitution, qui traite justement de ces droits collectifs. Il est navrant qu'une organisation de défense de l'environnement n'ait toujours pas la possibilité aujourd'hui d'intervenir au nom de l'intérêt général en vue de sauvegarder la qualité de l'environnement, ce qui est bénéfique aussi pour les droits des générations futures. Cette action populaire n'est pas autorisée dans notre système juridique. C'est précisément la raison pour laquelle l'accès au droit pour la sauvegarde de ces intérêts collectifs a bien sa place sous le titre II et notre proposition conserve donc toute sa pertinence.

M. Paul Wille (VLD). — L'inscription du droit à la vie dans la Constitution pourrait être une entrave pour la législation relative à l'avortement ou à l'euthanasie. Les auteurs ne pensent-ils pas que leurs propositions de loi pourraient faire obstacle à la concrétisation sur le terrain de ce que nous voulons tous ? Il me semble en tout cas qu'il s'agit d'un point auquel nous devons réfléchir sérieusement. En outre, nous ne sommes pas un petit cercle de rêveurs, mais des responsables politiques. Nous savons que ces propositions requièrent une majorité des deux tiers. Pour moi, le critère est de voir si nous mettons en péril les acquis existants ou si, au contraire, nous les faisons progresser.

M. le président. — Tout d'abord, aucun droit n'est absolu, pas même le droit à la vie. Ensuite, il est vrai que ces propositions de loi requièrent une majorité des deux tiers. J'espère que nous pourrons avoir une discussion constructive sur la question en commission des Affaires institutionnelles.

M. Bart Martens (SP.A-SPIRIT). — Je voudrais signaler à M. Wille que le groupe VLD aussi a marqué son accord comme préconstituant pour déclarer cet article ouvert à révision. Nous pouvons donc assurément faire une partie du chemin ensemble.

En revanche, je suis d'accord avec lui pour dire qu'il ne faudrait pas qu'en inscrivant des droits dans la Constitution, on passe à côté de l'objectif. On m'a un jour lancé l'argument qu'une application stricte du principe de précaution aurait empêché toute commercialisation des GSM car il règne aujourd'hui encore parmi les scientifiques une grande incertitude quant à la nocivité du rayonnement sur la santé publique. Il est exact que nous ne pouvons pas considérer ces droits comme absolus. C'est pourquoi je suis assez favorable à la suggestion du professeur Pallemaerts de rédiger la disposition en termes suffisamment vagues et de laisser aux législateurs une marge discrétionnaire suffisante pour pouvoir interpréter le sens exact des dispositions constitutionnelles.

Mme Olga Zrihen (PS). — Les propos que j'ai entendus m'inspirent plusieurs remarques.

Nous sommes tous un peu tributaires de ces clubs de réflexion ou clubs d'idéalistes qui nous ont permis de créer des choses aussi extraordinaires que la sécurité sociale, la démocratie et l'égalité entre les hommes et les femmes. Certains nous disaient bien que les femmes pouvaient y aller mais nous avons poussé le luxe jusqu'à vouloir que ce soit inscrit dans les textes.

Je rappellerai le grand principe selon lequel nous devons intégrer dans nos règles, nos lois et nos textes, les grandes directives européennes.

Lorsque je siégeais au Parlement européen, je pense avoir écrit, pratiquement dans toutes les propositions de loi qui ont été approuvées en séance plénière, par l'ensemble des États membres, le concept même de ce que nous appelons le développement durable, même sur des sujets comme la politique industrielle à la veille de l'élargissement ou les économies d'énergie dans les bâtiments publics, sujet d'actualité s'il en est.

Une des responsabilités qui incombe au mandataire public est de veiller à la conformité des dispositions adoptées « avec » le traité fondamental, comme disent les Allemands. Cette tâche s'inscrit dans cette sorte de rapport contractuel que nous avons avec le citoyen d'œuvrer à lui offrir les meilleures perspectives d'avenir possible.

L'inscription du principe de développement durable dans la Constitution relève bien de la responsabilité politique. Une telle initiative permettrait d'ajouter du sens à ce texte, en y intégrant une préoccupation bien actuelle.

En effet, il ne faut pas négliger le danger que représenterait un texte constitutionnel devenu obsolète dans lequel les citoyens ne retrouveraient plus les éléments mêmes de l'essence de leur citoyenneté.

Parler du développement durable me semble une réactualisation de ce qui se fait au niveau européen, alors même que les pays d'Amérique latine, que nous appelons souvent pays en développement, pratiquent depuis longtemps ce développement.

Par ailleurs, n'est-il pas étonnant que nous nous posions si peu de questions quant aux règles de l'OMC, lorsqu'il s'agit des OGM ou de la manière dont on va demander à certains pays d'organiser leurs services publics, alors que nous nous en posons davantage lorsqu'il s'agit du développement durable, lequel conditionne pourtant l'avenir de la planète ?

M. Daniel Dekkers, ingénieur retraité au CERN, Centre européen de recherche nucléaire. — Les propos que nous avons entendus ont traité de questions politiques et juridiques mais pas de l'aspect scientifique.

Or, les notions de développement durable et de principe de précaution ont une dimension scientifique qu'il ne faudrait pas négliger. La réflexion, pour être complète, devrait donc associer des scientifiques. Il faudra peut-être un peu les brusquer car ils ont tendance à éviter ces questions, mais leur présence est hautement souhaitable, notamment pour réfléchir à l'évolution des principes.

En effet, toutes ces notions évoluent avec le temps. Par exemple, au début de ma carrière, la dose de radioactivité jugée supportable par un individu était de cinq unités par an. Après quelques années, la prudence a requis de n'accepter qu'une unité et demi.

Ces normes évolueront encore, en fonction de la connaissance. Cette variabilité dans le temps doit, d'une façon ou d'une autre, être rencontrée dans les textes.

M. Marc Pallemaerts. — La question a été posée de savoir quelles étaient les conséquences juridiques lorsque des pays inscrivaient le développement durable dans leur constitution. Je n'ai pas eu l'occasion d'étudier cette question pour les pays européens, et encore moins pour les pays d'Amérique latine. En revanche, je sais que depuis que la France a inscrit les chartes de l'environnement dans sa Constitution, il y a déjà eu des exemples d'application judiciaire. Il ne s'agit pas exactement de l'article sur le développement durable mais d'autres principes. J'ose donc croire que dans un avenir proche, des juges se prononceront également sur cet article.

C'est à juste titre que l'ordre juridique européen a été mentionné parmi les ordres juridiques concernés, puisque depuis le Traité d'Amsterdam de 1999, nous avons inscrit deux articles sur le développement durable dans le Traité CE. Je n'ai toutefois pas connaissance d'une jurisprudence de la Cour de Justice ou d'un tribunal de première instance faisant application spécifique de la notion de développement durable. Mais ceci n'exclut pas que tel puisse être le cas dans un proche avenir. L'inscription de la notion de développement durable dans les traités européens a en tout cas contribué à l'organisation d'un débat politique sur cette notion et à la concrétisation de celle-ci.

Je ne dispose pas non plus de données scientifiques sur les pays d'Amérique latine, mais il me paraît important que plusieurs pays en développement aient choisi d'inscrire la notion de développement durable dans leur Constitution à l'occasion de réformes institutionnelles ou de révisions constitutionnelles. Ils ont estimé cette démarche tout à fait pertinente pour leur situation. Comme ma collègue, Mme de Sadeleer, l'a déjà indiqué, ils ont adopté une définition et une interprétation du développement durable un peu plus large que la seule politique de l'environnement. Il y a là matière à réflexion.

En ce qui concerne la Chine, je serai bref. Puisqu'il ne s'agit pas d'un État de droit, il n'est guère utile de discuter des implications de textes constitutionnels. En revanche, l'exemple de l'Inde est intéressant, bien que ce pays n'ait pas inscrit la notion de développement durable dans sa Constitution. Mais comme le pouvoir judiciaire y est relativement indépendant et la société civile particulièrement active, la jurisprudence indienne a connu une évolution importante au cours des 10 à 15 dernières années. À la suite de plaintes déposées par des particuliers ou par des organisations non gouvernementales, la Cour suprême indienne a estimé, sur la base des dispositions constitutionnelles actuelles, que le développement durable faisait implicitement partie du droit constitutionnel. Dans des affaires concrètes où des citoyens indiens fragilisés ont été exposés à une détérioration de leur environnement par des zones industrielles ou aux conséquences de la construction de barrages, les juges se sont efforcés d'appliquer et de concrétiser ces droits pour les citoyens indiens. Je trouve cette évolution particulièrement intéressante.

On a évoqué ce matin la Convention d'Aarhus et on a demandé dans quelle mesure ses dispositions sont impératives.

Cette convention règle le droit à l'information et le droit d'accès à la justice en matière environnementale. Son champ d'application est donc limité à l'un des trois piliers du développement durable, mais les normes qui y sont inscrites sont certainement pertinentes pour les deux autres piliers. La Belgique a ratifié cette convention, mais le législateur n'a probablement pas encore réfléchi suffisamment à la manière dont il doit la mettre en œuvre. Je m'attends d'ailleurs à ce que, dans un proche avenir, notre pays soit interrogé sur la conformité de sa législation aux dispositions de la convention en question. Cela montre une fois de plus qu'un pays qui approuve les grands principes contenus dans des conventions internationales en matière de droits de l'homme, d'environnement et d'autres thèmes analogues, doit également faire l'effort de transposer ces mêmes principes en direction de ses propres citoyens.

Enfin, lorsqu'on élabore des dispositions constitutionnelles, il faut toujours veiller à les formuler avec précision. Sans vouloir critiquer les propositions de loi concrètes, j'attire l'attention sur le fait que des formulations qui ne seraient pas mûrement réfléchies peuvent avoir toute une série de conséquences inattendues. C'est pourquoi j'ai plaidé, dans mon exposé, pour une discussion politique approfondie sur les divers textes et les diverses formulations.

Mme Nadine Gouzée. — Je voudrais ajouter quelques éléments à propos de la crédibilité et de la cohérence des engagements pris par la Belgique, sur la scène internationale, en matière de développement durable.

Depuis la Conférence de Rio, notre pays souscrit à des conférences, des sommets, des plans d'implémentation. Le résultat de la Conférence de Johannesburg s'appelle Plan de mise en œuvre du développement durable. Nous prenons donc des engagements fermes à cet égard.

Mais, par ailleurs, nous promouvons chez nous et chez nos partenaires une croissance plus souvent soutenue que soutenable, avec des impacts souvent non soutenables. Il faut ajouter que notre croissance a aussi des conséquences pour les autres.

Nous avons donc un problème de cohérence. Ce que je décris n'est pas virtuel; c'est le témoignage d'une délégation souvent confrontée à une question récurrente de la part des délégations des pays en développement ou des États-Unis.

Cette question est la suivante: « Avec qui discutons-nous de développement durable sur la scène internationale ? Avec vos gouvernements ou des morceaux de votre pays ? » Il y va de la crédibilité de la Belgique.

Nous sommes au pied du mur. Faudra-t-il cesser de porter ces promesses ? La délégation américaine considère que ces négociations cesseraient si l'Europe ne s'en préoccupait plus. En effet, elles ne sont pas menées par la Chine, le Brésil et l'Inde ni par les États-Unis ou l'Australie, pas même par la Nouvelle-Zélande, pourtant active et intéressante dans ce domaine.

Pour continuer, il nous faut faire face à ce problème de cohérence et de crédibilité. Je le dis avec la modestie d'une non-experte en droit, et moins encore en droit constitutionnel, mais je pense que la discussion qui a lieu ici peut accroître nos chances de cohérence et de crédibilité, pour autant que nos préoccupations s'accompagnent d'une mise en œuvre et de principes suffisamment solides.

M. Paul Wille (VLD). — En tant que sénateur communautaire, je dois souligner que cette discussion ne doit nullement réduire les compétences et les droits des institutions fédérées. L'exercice est plus facile à dire qu'à faire ....

M. Jacques Wirtgen, directeur de l'IRGT, l'Institut d'environnement présidé par le Prince Laurent. — Je voudrais rebondir sur les propos de Mme Gouzée et du professeur Pallemaerts, éclairés par la remarque que vient de faire M. Wille.

Il est vrai que sur le plan international — et nous avons pu l'observer plus d'une fois —, la complexité du paysage institutionnel belge est assez difficile à rapporter.

La Région flamande, en particulier, est très avancée sur le plan du développement durable. Le document intitulé « Samen grenzen verleggen », que vous connaissez très certainement, est un exemple typique de document consacré au développement durable.

Il me semble un peu bizarre que le Sénat belge se trouve entre, d'une part, l'Union européenne et les Nations unies et, d'autre part, les Régions qui ont très clairement adopté une dynamique environnementale et de développement durable. Il y a donc quelque chose à faire, car l'absence d'initiative crée un déficit démocratique. Le citoyen se demande dans quelle pièce il joue. Comme M. Zaccaï l'a souligné, la FEB a inscrit le développement durable dans ses objectifs, mais on n'a pas défini ce qu'était le développement durable. Chacun s'approprie donc une définition.

La question ne réside donc pas dans le fait de savoir si on l'inscrit ou si on ne l'inscrit pas, mais comment on l'inscrit. Lorsque la déclaration des droits de l'homme a été proclamée, il n'était pas certain que les choses fonctionneraient parfaitement et ce n'est toujours pas le cas. Il ne faut pas attendre que tous les outils soient en place avant de se lancer. C'est très clairement la position de notre institut, particulièrement préoccupé par le déficit de citoyenneté.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). — Le fait que les textes régionaux soient plus ambitieux crée, selon moi, l'obligation d'inscrire le principe dans notre Constitution. La dynamique dans laquelle s'inscrit déjà l'arsenal législatif crée une sorte de vide au niveau fédéral, vide qu'il convient de combler. Je ne vois pas en quoi l'inscription dans la Constitution pourrait amoindrir les efforts consentis par les entités fédérées.

M. Paul Wille (VLD). — N'oubliez pas que l'un des grands décideurs est absent.

Mme Isabelle Durant (ÉCOLO). — Voilà bien un débat typique de chez nous, alors que nous étions partis de très haut, sur une intention louable. Mais après tout, il peut être intéressant de prendre en compte les deux extrémités de la chaîne, un objectif que nous partageons sans doute unanimement et des modalités très « triviales » du système institutionnel belge.

Je partage l'avis de Mme Nyssens qui voit dans ce débat une sorte d'incitant à intégrer le principe dans la Constitution. J'adhère aussi au point de vue de M. le directeur de l'IRGT qui considère que l'essentiel se trouve dans la façon de le définir. Je pense que l'impulsion des Régions et l'arsenal juridique constituent un bon stimulant.

On pourrait considérer que la nécessité d'inscrire un droit dans la Constitution démontre qu'il n'est pas acquis. Par exemple, le fait d'y inscrire la qualité de l'air montrerait que celui-ci est quasi irrespirable et qu'il est grand temps de faire quelque chose, ce qui au moins un aspect positif. L'inscription dans la Constitution peut donc favoriser l'action. Même si la prise en compte des Régions est nécessaire, on ne peut limiter la question du développement durable au seul niveau régional. Le principe du développement durable se caractérise notamment par sa globalité, son horizontalité. Il n'est pas question d'avoir trois types de développement durable, un en Région flamande parce que densément peuplée, un autre en Région bruxelloise, région urbaine et un autre enfin, en Région wallonne, territoire moins peuplé et plus étendu. Cela n'aurait aucun sens.

À Montréal, on a essayé de sauver le protocole de Kyoto, en gardant tout le monde autour de la table et en évitant que l'Asie ou d'autres pays élaborent seuls leurs programmes. Nous n'allons tout de même pas commencer à faire notre cuisine régionale, même si la réalité régionale doit se faire entendre au Sénat.

M. Edwin Zaccaï. — Je ferai une brève observation à propos de la cohérence, qui est un bon argument. Prenons la déclaration de Rio dont nous avons beaucoup parlé aujourd'hui. Cette déclaration oriente la politique internationale jusqu'à un certain point. Il est clair que les nations ont des prérogatives très importantes, beaucoup plus que les régions. Or, cela ne pose pas nécessairement problème. Bien sûr, cela doit être étudié.

Mme Isabelle Durant (ÉCOLO). — Par rapport à ce débat régions/fédéral, il faut souligner que de nombreux aspects du développement durable relèvent des compétences fédérales, dans leur forme actuelle. Une inscription dans la Constitution apporterait donc un solide appui et pourrait créer une jurisprudence. Les rapports du Conseil fédéral de développement durable font état de nombreuses matières qui sont de la compétence spécifique du Fédéral. Les conférences interministérielles permettent ensuite de mener une politique coordonnée avec les Régions. Le Fédéral ne doit pas se priver de ce débat car il dispose de nombreux instruments, comme la fiscalité, l'économie etc.


(1) Art. 30.1. « Par dérogation à l'article 56, toutes propositions de révision de la Constitution sont envoyées à la commission qui a les Affaires institutionnelles dans ses attributions, sans que le Sénat les prenne préalablement en considération. »

(2) Article 11 de la loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable: « § 1er. Sans préjudice de ses autres missions visées par la présente loi, le Conseil a pour mission: a) d'émettre des avis sur toutes mesures relatives à la politique fédérale de développement durable prises ou envisagées par l'autorité fédérale, notamment en exécution des engagements internationaux de la Belgique; b) d'être un forum de discussion sur le développement durable; c) de proposer des recherches dans tous les domaines ayant trait au développement durable; d) de susciter la participation la plus large des organismes publics et privés ainsi que celle des citoyens à la réalisation de ces objectifs. § 2. Le Conseil remplit les missions visées au § 1er de sa propre initiative ou à la demande des ministres ou secrétaires d'État, de la Chambre des représentants et du Sénat. § 3. Il peut faire appel aux administrations et organismes publics fédéraux pour l'assister dans l'accomplissement de ses missions. Il peut consulter toute personne dont la collaboration est jugée utile pour l'examen de certaines questions. § 4. Le Conseil rend un avis dans les trois mois de la demande. En cas d'urgence, un délai plus court peut être prescrit par celui qui demande l'avis. Ce délai ne peut toutefois être inférieur à deux semaines. § 5. Le Conseil rédige un rapport annuel de ses activités. Ce rapport est adressé au Conseil des ministres, aux Chambres législatives et aux assemblées et gouvernements des régions et des communautés. § 6. Le gouvernement indique les motifs pour lesquels il est éventuellement dérogé à l'avis du Conseil. »

(3) Voir infra Annexe I, p. 18 et suivantes.

(4) Voir infra Annexe II, p. 32 et suivantes.

(5) Voir infra Annexe III.

(6) Cf. infra, annexe I, pp. 18 et suiv.

(7) Cf. supra, la note en bas de page no 1, p. 3.

(8) Cf. infra, annexe II, pp. 32 et suiv.

(9) Cf. infra, Annexe III.

(10) Voir infra les points de vue de Mme Feyt et du professeur Velaers: annexe I, p. 18 et suiv.

(11) J. Velu, Droit public, Bruxelles, Bruylant, 1986, T.I, Le statut des gouvernants, p. 168.

(12) M. Uyttendaele, Précis de droit constitutionnel belge, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 92.

(13) D. Renders, « Un diagnostic nuancé » in La procédure de révision de la Constitution, Centre d'études constitutionnelles et administratives, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 59.

(14) F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 80.

(15) J. Velu, op. cit., p. 167.

(16) Voy. également: M. Uyttendaele, Idem; D. Renders, Idem.

(17) F. Delpérée, Idem.

(18) Moniteur belge, 5 mai 1999.

(19) Moniteur belge, 2 mars 1968; Moniteur belge, 15 novembre 1978; Moniteur belge, 6 octobre 1981; Moniteur belge, 9 novembre 1987; Moniteur belge, 18 octobre 1991.

(20) Moniteur belge, 12 février 1994.

(21) Doc. Sénat, S.E., 1991-1992, no 100-2/4o.

(22) Doc. Sénat, S.E., 1979, no 100-28, pp. 2 et 3; Ann. Parl. Sénat, 26 juin 1980, p. 2005 et 27 juin 1980, pp. 2063 à 2065.

(23) Voir rapport Moyersoen et Pierson, doc. Chambre, 1964-65, no 993/6, pp. 4 et 5: « En résumé: en visant des articles existants, les Chambres ne lient pas le constituant, mais celui-ci demeure limité dans son droit de revision à la matière couverte par l'article. De même, si les Chambres décident de proposer une disposition nouvelle, elles doivent indiquer la matière à régler par le constituant et celle-ci ne pourra traiter d'un autre objet. » Voir également le rapport Pierson, doc. Sénat, 1978-79, no 476/2, p. 5: « a) Pour les articles actuels de la Constitution, soumis à révision, le constituant doit s'en tenir à la matière couverte par l'article visé. b) Pour les articles nouveaux à insérer (en bis, ou ter, ou autrement), le constituant est limité par l'objet prévu dans la déclaration. Le constituant ne pourrait traiter d'un autre objet. c) Pour la révision d'un article, ou l'insertion d'un article nouveau, le constituant ne peut implicitement modifier le sens ou la portée de dispositions non soumises à révision. » Voir aussi l'avis du Conseil d'État dans le doc. Chambre, 1997-98, 1591/2.

(24) A. Alen, « De voornaamste procedurele problemen van een grondwetsherziening », T.B.P., 1979, p. 286; F. Delpérée, « Le droit constitutionnel de la Belgique », 2000, p. 80; A. Mast, « Het eerste bedrijf van de grondwetsherziening », T.B.P., 1954, p. 60; M. Uyttendaele, « Précis de droit constitutionnel belge », 2001, p. 92.

(25) Voir par exemple M. Van der Hulst et A. Vander Stichele, « Is de herzieningsbevoegdheid van de grondwetgever beperkt ? », T.B.P., 1991, 516; Les « révisions implicites » d'articles non soumis à révision sont à notre avis inconstitutionnelles. Voir J. Velaers, De Grondwet en de Raad van State, Vijftig jaar adviezen aan wetgevende vergaderingen, in het licht van de rechtspraak van het Arbitragehof, Anvers, Maklu, 1999, p. 661 e. s. Voir aussi A. Alen et F. Meerschaut, « De « impliciete » herziening van de Grondwet, dans Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 261-262.

(26) Rimanque fait remarquer à juste titre qu'il « est parfaitement possible que ce droit fondamental consacré par la Constitution prenne un sens autonome, indépendant du contexte strict des droits sociaux fondamentaux ». K. Rimanque, De Grondwet toegelicht, gewikt en gewogen, Intersentia, 2004, p. 69-70.

(27) Voir à ce sujet le rapport Arts-Nelis, doc. Sénat, S.E. 1991-92, no 100-2/4, p. 83-84.

(28) Voir par exemple A. Alen, Compendium van het Belgisch staatsrecht, Kluwer, 2000, I, p. 50, no 70; M. Stroobant, « De sociale grondrechten naar Belgisch recht. Een analyse van de parlementaire werkzaamheden bij art. 23 G.W. », dans M. Stroobants (ed.), Sociale grondrechten, Antwerpen, Maklu, 1995, 70-71; J. Vande Lanotte en G. Goedertier, Overzicht van publiek recht, Die Keure, 2001, p. 533, no 837.

(29) Le préconstituant pourrait même déclarer l'article 23, alinéa 3, ouvert à révision en spécifiant qu'aucune modification ne peut être apportée aux numéros 1° à 5°. Il en résulterait alors que la révision pourrait consister exclusivement en l'ajout d'un nouveau droit.

(30) 21 des 34 membres présents et représentés (voir annexe 1) ont approuvé l'avis. 13 des 34 membres présents et représentés se sont abstenus: C. Gernay (vice-présidente), G. De Schutter et J. Gilissen (représentants des organisations environnementales), G. Fremout, B. Gloire, L. Langouche et J.-M. Swalens, (représentants des organisations pour la coopération au développement), R. Reynaert et C. Rousseau (représentants des organisations de défense des consommateurs), M. Carnol, J.-P. van Ypersele, H. Verschure, E. Zaccaï (représentants du monde scientifique).

(31) Proposition de M. Jean Cornil, doc. Sénat, no 3-1422/1, 2005-2006.

(32) Proposition de Mme Clotilde Nyssens, doc. Sénat, no 3-49/1, 2003.

(33) Proposition de M. Bart Martens et Mme Fauzaya Talhaoui, doc. Sénat, no 3-1557/1, 2005-2006

(34) Le pouvoir législatif fédéral qui a déclaré qu'il y a lieu de réviser une telle disposition constitutionnelle comme elle le recommande.

(35) Déclaration du pouvoir législatif, voir Moniteur belge, no 128, deuxième édition, 10 avril 2003.

(36) Le Titre Ier de la Constitution parle de « la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire » (articles 1er à 7). Le Titre II, « Les Belges et leurs droits » renferme le catalogue des droits fondamentaux (articles 8 à 32). Le Titre III traite des pouvoirs.

(37) En néerlandais, la proposition est rédigée comme suit: « Art. 7bis. — Bij de uitoefening van hun bevoegdheden streven de federale staat, de gemeenschappen en de gewesten duurzame ontwikkeling na met het oog op het voorzien in de behoeften van het heden, zonder voor toekomstige generaties de mogelijkheid in gevaar te brengen om in hun behoeften te voorzien. Daartoe zien ze erop toe dat de sociale en economische component en de milieucomponent evenwichtig vertegenwoordigd zijn bij het bepalen van hun beleid, alsook bij de besluitvormingsprocessen. »

(38) À consulter sur le site web du Conseil: www.frdo-cfdd.be

(39) Exposé de Mme Eva Brems (professeur en droits de l'homme, Université de Gand) du 16 décembre 2005 dans le groupe de travail ad hoc Constitution du Conseil.

(40) Voir e.a. § 8 CFDD 2002a06 « Premier avis préparatoire au sommet mondial de Johannesburg », § 8 CFDD 2005a01 « Évaluation annuelle de la politique fédérale de développement durable », § 2 et suivants. CFDD 2003a04 « Mémorandum au nouveau gouvernement fédéral »

(41) Art. 2. Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par développement durable: le développement axé sur la satisfaction des besoins actuels, sans compromettre celle des besoins des générations futures, et dont la réalisation nécessite un processus de changements adaptant l'utilisation des ressources, l'affectation des investissements, le ciblage du développement technologique et les structures institutionnelles aux besoins tant actuels que futurs; (...)

(42) À consulter sur: http://www.cfdd.be/frdocfdd/fr/pubfr/avis/2000a13f.pdf

(43) En Belgique aussi, plusieurs textes de loi en matière de politique environnementale ont repris ce principe.

(44) Proposition de M. Philippe Mahoux, doc. Sénat, no 3-480/1.

(45) Le pouvoir législatif fédéral a déclaré qu'il y a lieu de réviser une telle disposition constitutionnelle comme elle le recommande.

(46) Déclaration du pouvoir législatif, voir Moniteur belge, no 128, deuxième édition, 10 avril 2003.

(47) Dans la Déclaration du Millénaire (Nations Unies, septembre 2000), sont mentionnés huit objectifs prioritaires, qui doivent être réalisés pour 2015.

(48) Avis sur la révision de la stratégie européenne pour le développement durable (2004a09f.doc); — Avis sur l'avant-projet de plan fédéral de développement durable 2004-2008 (2004a04f.doc); — Avis sur la note stratégique thématique « Environnement » de la Direction générale de la coopération internationale (DGCI) (2002a24f.doc); — Premier avis faisant suite au Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg (2002a22f.doc) — Avis préparatoire au Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg (2002a06f.doc)

(49) A. Panneels, R. Verheyen (président et vice-président); G. De Schutter, M. Fourny, J. Gilissen, V. Kochuyt, W. Trio, J. Turf (représentants des organisations environnementales); B. Bode, B. Gloire, G. Fremout, L. Langouche, J-M. Swalens, B. Vanden Berghe (représentants des organisations pour la coopération au développement); R. Renaerts, C. Rousseau (représentants des organisations de défense des consommateurs); J. Decrop, F. Maes, C. Rolin, D. Van Daele (représentants d'organisations des travailleurs), M. Carnol, J.-P. van Ypersele, H. Verschure, E. Zaccaï (représentants du monde scientifique). S'abstiennent: T. Rombouts, C. Gernay, R.Verheyen (président et vice-présidents)

(50) http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/898586b1dc7b4043c1256a450044f331/a5458d1d1bbd713fc1256cc400389e94/$FILE/G0340229.pdf

(51) A. Nachtergaele, C. Ven, I. Chaput, M.-L. Semaille, P. Vanden Abeele, A. Deplae (représentants d'organisations des employeurs), H. De Buck, F. Schoonacker (représentants des producteurs d'énergie). S'abstiennent: T. Rombouts, C. Gernay (président et vice-président).