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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 8 JUIN 2006 - SÉANCE EXTRAORDINAIRE

(Suite)

Hommage à Mme Lizin et MM. Roelants du Vivier, Coveliers, Happart, Chevalier et Moureaux, à l'occasion de leurs vingt années de mandat parlementaire

M. Verhofstadt, premier ministre, M. De Decker, ministre, et Mme Mandaila Malamba, secrétaire d'État, siègent aux bancs du gouvernement.

Introduits par Mme Leduc, présidente du Collège des Questeurs, les jubilaires font leur entrée et prennent place dans les fauteuils qui leur sont réservés dans l'hémicycle.

Mme Lizin prend place au fauteuil présidentiel.

Mme la présidente. - Mesdames et Messieurs, le Sénat se réunit aujourd'hui en séance extraordinaire afin de rendre hommage à MM. Roelants du Vivier, Coveliers, Happart, Chevalier, Moureaux et moi-même à l'occasion de nos vingt années de mandat parlementaire.

Il a plu à Sa Majesté le Roi d'envoyer le télégramme suivant :

« Je m'associe bien volontiers à l'hommage que le Sénat vous rend personnellement aujourd'hui ainsi qu'à certains autres membres du Sénat à l'occasion de leurs vingt années de mandat parlementaire.

Il m'est très agréable de joindre aux marques de sympathie qui sont témoignées en ce jour mes meilleurs voeux de santé et de bonheur ainsi qu'une activité féconde au service du pays. »

M. De Croo, président de la Chambre des Représentants, nous a fait parvenir le télégramme suivant :

« Au nom de la Chambre des Représentants, je m'associe volontiers à l'hommage que vous rend le Sénat en cette séance extraordinaire, ainsi qu'à MM. François Roelants du Vivier, Hugo Coveliers, Jean-Marie Happart, Pierre Chevalier et Philippe Moureaux qui comptent également vingt ans de mandat parlementaire.

La Chambre des Représentants adresse ses félicitations les plus chaleureuses aux jubilaires et les remercie pour leur contribution à la vie parlementaire de notre pays. Faut-il rappeler que ces excellents sénateurs ont, pour la plupart, bénéficié d'une formation parlementaire approfondie sur les bancs de la Chambre ? »

Nos collègues, Leurs Altesses Royales le Prince Philippe, la Princesse Astrid et le Prince Laurent m'ont prié d'excuser leur absence à la présente cérémonie et m'ont chargé de féliciter les jubilaires en leur nom.

François Roelants du Vivier s'inscrit dans la continuité d'une famille remarquable. Son arrière-arrière-grand-oncle maternel, Jean-Baptiste Nothomb était membre du Congrès national, institution qui, en 1831, a rédigé la première Constitution belge. Il est donc clair qu'il a la politique dans les gènes.

Fils de diplomate, il est né à Bruxelles, mais il passe son baccalauréat en France. Ce pays le marque profondément. Il devient un expert dans l'art du « bien dire », comme en témoignent ses lettres et discours éloquents et fleuris.

Il entreprend ensuite des études d'archéologie et d'histoire de l'art à l'UCL et, pendant un an, il travaille comme chercheur et enseignant au Centre d'Archéologie industrielle.

Cette formation le servira dans sa vie de parlementaire. En tant qu'archéologue, il se met à creuser, fouiller et exhumer pour mettre à la lumière du jour des trouvailles. Il en fera autant en politique pour trouver la vérité et montrera dans ce domaine une grande obstination !

Peu de temps après la fin de ses études, il retourne à sa première passion : l'écologie, qu'il n'abandonnera plus jamais. Il vient à la chose publique justement par le souci de « son » environnement. À une époque où l'on croyait sans réserve au développement industriel et à la technologie, il aperçoit déjà « le ciel noir, menaçant ». Il met en garde contre la dégradation de notre habitat naturel. En 1989, il crée avec Al Gore le Global Legislators Organization for a Balanced Environment, (GLOBE), exploit porteur d'idées innovantes et précurseur de tant d'autres, qui allaient naître à partir des années nonante. Au sein de cette association, les parlementaires venus de différents horizons s'appliquent à mettre à nu la folie de l'industrialisation sauvage. Ils nous préviennent que nous allons payer cher, voire très cher, notre mépris pour l'environnement. François Roelants du Vivier a bien entrevu l'évolution de la situation à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle.

Cinq ans plus tôt, en 1984, il est entré au parlement européen. Depuis toujours, il veut faire progresser l'idée européenne. Au fil des années, il l'a vue se métamorphoser en une structure de plus en plus grande et de plus en plus compliquée. Il a toujours pressenti que l'Union européenne nous assurerait une paix durable à long terme et dans cette belle aventure européenne, il a voulu jouer le rôle de parlementaire, ultime gardien de la démocratie européenne. Il y explore, en tant que jeune politique, les voies nouvelles de la liberté économique et politique qu'offre une Europe unie.

En juin 1989, il devient membre du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. Il y découvre de nouveaux défis. Une fois de plus, il anticipe un développement de notre société dont l'importance se voit largement sous-estimée dans les années nonante : l'avènement d'Internet, qui, vers la fin du millénaire, est devenue pour le dire en bon franglais « un household name ». Il conçoit et élabore le site web du parlement bruxellois. Il le fait avec panache, soucieux de donner au site un rayonnement mondial, qui privilégie la simplicité et la clarté dans son mode de communication avec le grand public et les spécialistes. Cela me fait penser en quelque sorte que les préoccupations de François Roelants du Vivier - et sa modestie l'empêchera de me donner raison - et celles d'Al Gore ont un peu suivi la même direction. Tous deux sont de grands avocats de l'environnement et tous deux ont compris très tôt l'importance d'Internet, mais le Belge, à la différence de l'Américain, deviendra Président !

En 2000, il entre au Sénat. Il y apporte son expérience en matière internationale, sa vaste culture et son savoir linguistique. En 2004, il devient président de la Commission des Relations extérieures et de la Défense. Il a une vision énergique de cette fonction. Il montre, dans l'art de présider les débats une exigence, une autorité, parfois même une sévérité, mais aussi une chaleur et une courtoisie, qui sauront lui gagner l'amitié et le respect de tous les membres de la commission. Son sens du dialogue et de l'équité l'a toujours mis au-delà des clivages politiques, mais n'a jamais privé les discussions des confrontations si nécessaires à l'exercice de la démocratie.

François Roelants du Vivier est fier d'être au Sénat. Il y est à sa place, parce que notre Haute Assemblée lui permet de « faire parler » ces valeurs classiques qui lui sont si chères et de les traduire dans l'acte politique. La dimension sociale de son travail l'intéresse et demeure au coeur de ses préoccupations.

Notre jubilaire raffole des défis : ce n'est pas uniquement un « irréductible » de l'environnement, de l'informatique, mais aussi de l'espace. Sur son site web, on peut l'admirer en état d'apesanteur, et c'est pour ainsi dire François in space, le grand voyageur dans l'espace illimité. Apparemment, il s'y amuse bien, mais cette légèreté de l'être le quitte aussitôt qu'il prend les commandes du groupe de travail spécial pour l'Espace, qu'il guide de toute son autorité intellectuelle.

François Roelants du Vivier, et cela peut vous étonner, est un homme d'extrêmes : en tant qu'archéologue, il fouille les profondeurs de la terre et en coach du groupe « Espace », il remonte allègrement aux sources de l'univers. Depuis Sirius, il observe le spectacle politique.

Le caractère fort varié du parcours parlementaire de notre collègue est évident. C'est un politique expérimenté, qui a toujours préféré les dossiers aux caméras. C'est un grand travailleur, vigilant, d'une rigueur intellectuelle remarquable, respectueux de sa mission. Il est pour ainsi dire un excellent « chien de garde » de la démocratie : en cas de danger, il aboie ... éloquemment ! Bref, c'est un homme hors du commun, qui s'efface devant ses devoirs, qu'il prend très au sérieux sans pour autant s'en vanter. L'humour est surtout pour lui l'ironie qui se cache dans les petits détails de notre existence. François Roelants du Vivier aime rire, adore se moquer des valeurs vides, des vanités .... Le travail bâclé l'irrite. Il apprécie l'effort, la bonne coopération, la fidélité et ne manquera pas de vous le dire haut et fort et de vous montrer sa gratitude.

Cher Collègue, merci pour votre amitié et votre collégialité ! Au nom du Sénat, je vous présente nos plus sincères félicitations pour votre carrière remarquable !

Rendre un hommage parlementaire est toujours un heureux événement. Le monde politique retient son souffle et, l'espace d'un instant, observe une trêve dans la confrontation des idées. Les amendements font place, pour un temps, aux louanges et à l'encensement. Il s'agit d'un intermède parlementaire de qualité.

J'ignore si Hugo Coveliers éprouve, comme moi, ce sentiment particulier. Le rituel de la célébration jubilaire lui impose aujourd'hui un rôle plutôt contre nature : celui d'auditeur passif et, surtout, silencieux. Ce qui n'est pas une mince épreuve, vu le besoin presque physique qu'il éprouve de prendre la parole. Exprimer ses opinions correspond chez lui à une véritable fonction vitale. Heureusement, ce n'est pas tous les jours que l'on doit lui rendre hommage !

L'année 1947 est, à l'échelle mondiale, une annus horribilis en matière de criminalité organisée. Aux États-Unis, le rideau tombe définitivement sur Al Capone et Bugsy Siegel, deux chefs mafieux légendaires. Plus près de nous, à Schelle, au confluent de l'Escaut et du Rupel, résonne pour la première fois la voix, pas encore de stentor, de Hugo Coveliers, ce fils de briquetier qui allait devenir un des plus célèbres parlementaires justiciers du pays.

Hugo, aîné de cinq enfants et donc chef de groupe par nature, connaît une enfance merveilleuse entre les puits de glaise et les aires de séchage, où les âpres vents d'ouest sèchent les briques et donnent aux chevelures cet aspect rebelle qui caractérisera désormais Hugo. Ses parents, ses maîtresses d'école et les chefs scouts seront les premiers à être confrontés au trait essentiel de sa personnalité : sa faconde.

Sa vision de l'homme et de la société prend forme au Sint-Lievenscollege d'Anvers, fournisseur de la Cour en coryphées flamands tels que Vaast Leysen et Frank Swaelen. À Gand, il se perfectionnera en droit et en criminologie. C'est là un des rares cumuls qu'il s'autorisera. En effet, bien avant l'avènement de la nouvelle culture politique, Hugo Coveliers part en croisade contre le cumul des mandats politiques et la confusion d'intérêts. Il n'ignore pas que l'intégrité des pouvoirs publics est l'épine dorsale de l'État de droit, mais aussi son talon d'Achille.

À partir de 1970, Hugo, pourra se parer du titre honorifique réservé aux combattants professionnels de la liberté : celui d'avocat. Il ne coupera jamais complètement le lien avec le barreau, pas même lorsque ses intérêts convergeront vers le parlement. Son bureau d'avocat est le garant de son indépendance économique, le camp de base où il pourra se retrancher au cas où il se sentirait menacé dans son indépendance politique.

L'homme politique Hugo Coveliers entame sa longue marche chez les jeunes de la Volksunie. En 1984, il est propulsé à la direction du parti et, un an plus tard, il figure en troisième place sur la liste anversoise des candidats à la chambre, même si lors de la constitution de la liste, l'aile gauche et surtout l'aile droite sont quelque peu agacées par l'image progressiste qui est la sienne. Le 31 octobre 1985, Hugo Coveliers prête serment en tant que député de la Volksunie. Neuf jours plus tard, huit personnes perdront la vie dans le dernier braquage des tueurs du Brabant.

Hugo Coveliers a-t-il rendez-vous avec l'Histoire ? Les considérations légèrement pathétiques de ce genre l'indiffèrent. Seule la réalité compte. La réalité, c'est que dans les années '70 et '80, la justice et la sécurité le cèdent à la tyrannie des réformes institutionnelles et de la politique de redressement économique et sombrent dans les tréfonds de l'agenda politique. La réalité, c'est aussi que le drame du Heysel, les tueries du Brabant, les CCC et Gladio plongent la justice et la police dans un climat de crise. Le décor est planté pour que Hugo Coveliers devienne un concept.

Son biotope parlementaire par excellence est celui de la commission d'enquête parlementaire, qu'il contribue à sortir du musée constitutionnel pour en faire un instrument de contrôle dynamique : la première commission sur les tueries du Brabant, la commission sur les achats militaires, celle relative à la criminalité organisée. Avec sa connaissance extraordinaire des dossiers, ses analyses pointues et son aptitude à se concilier les faveurs d'une presse enthousiaste, il décortique les maux dont souffre l'État de droit belge : le morcellement des services de police, l'impossible écartèlement du juge d'instruction, les nominations politiques, l'absence d'un service de lutte contre la corruption.

Une fois le diagnostic posé, vient le remède, radical : qu'on supprime la gendarmerie ! Qu'on contrôle les services de police et de renseignements ! Qu'on reconvertisse le juge d'instruction en juge des libertés ! Armé de son inséparable pipe, Hugo lance la révolution coveliersienne. Plus d'un colonel de gendarmerie, plus d'un magistrat du parquet ont dû s'étrangler à la lecture des journaux du matin. Toutefois, bien plus nombreux encore sont les policiers qui voient en Hugo Coveliers quelqu'un qui pense comme eux et cherchent à en faire leur héraut. Hugo Coveliers devient le médiateur officieux des services de police et, de mémoire d'homme, un des parlementaires les mieux informés en matière de police. Plusieurs de ses idées considérées jadis comme « saugrenues » sont aujourd'hui ancrées dans des textes de loi.

Le parlement et la politique ne sont cependant pas toujours à la hauteur des attentes de Hugo Coveliers, qui constate que bien souvent, le processus de décision politique est inspiré moins par des considérations rationnelles que par des traumatismes nationaux. L'opposition aux conclusions de la commission sur les tueries du Brabant n'a fléchi qu'après l'évasion de Marc Dutroux. La principale désillusion de Hugo Coveliers est sans doute qu'en politique, ce n'est pas la raison du plus intelligent qui l'emporte, mais celle du plus fort. Avoir raison et ne pas obtenir gain de cause met chaque fois à mal le sens de la justice qui l'anime. Pareille déconvenue arrive parfois à un avocat, à ceci près que le juge, lui au moins, est tenu de se justifier. Une majorité parlementaire ne doit même pas se donner cette peine, même si la Cour d'arbitrage joue de plus en plus les trouble-fêtes.

Cher Hugo, vos deux décennies de présence parlementaire constituent un roman plein de rebondissements : après avoir débuté à la Chambre, vous êtes passé au Sénat, puis vous êtes reparti à la Chambre avant de revenir au Sénat. En réalité, Hugo, vous êtes un migrant. Et qui a le droit de vote de surcroît ! Vous l'avez d'ailleurs obtenu d'emblée, le Sénat n'a pas fait de difficulté à ce propos. Pas de condition de séjour de cinq ans, ni même d'obligation de suivre un cursus d'intégration !

Votre carrière parlementaire se caractérise aussi par un exercice en alternance du mandat de président de groupe et une recherche continue, commencée à la Volksunie et poursuivie au VLD, du seul statut qui convienne pleinement à votre personnalité, celui d'indépendant.

Quel est le secret de cette vitalité ? Quel est le moteur qui vous fait avancer en politique ? Est-ce le désir d'obtenir réparation pour les vingt-huit victimes tombées sous les balles des tueurs du Brabant ? Est-ce l'esprit de Saint-Liévin, qui appelle le citoyen a assumer ses responsabilités dans la communauté ? Ou est-ce la leçon de vie politique que donne William Shakespeare, par la bouche de Brutus, lui qui, juste avant de frapper Jules César, dans ce meurtre politique qui, en définitive, mériterait bien qu'on y consacre aussi une commission d'enquête parlementaire, s'exclame : « L'abus de la grandeur, c'est quand elle sépare la pitié du pouvoir. » Le pouvoir exercé sans commisération dégénère en abus de pouvoir. Quiconque est investi de l'autorité publique doit en user avec circonspection. Car le pouvoir doit être au service de la sécurité du citoyen, de la sécurité juridique et de la liberté. Ma liberté, avez-vous dit un jour dans cet hémicycle du Sénat, je ne peux la vivre qu'à travers celle d'autrui. Les pouvoirs publics doivent veiller à délimiter ces sphères de liberté. « Liberté ». Voilà le mot clé de votre action politique - la liberté de l'homme mais aussi, dans une moindre mesure il est vrai, et vous m'en tiendriez rigueur si j'omettais de la mentionner, celle de la colombe.

Hugo Coveliers, brosser un tableau de votre carrière politique n'est pas chose aisée, car notre palette de peintre ne suffit pas à esquisser les contours de votre personnalité. Vous êtes un mélange baroque des traits de caractère les plus divergents : une jovialité désarmante, mais aussi une obstination à toute épreuve ; des marques d'humanité, mais aussi d'intransigeance ; une joie de vivre toute bourguignonne, mais aussi un léger penchant pour un ton mordant, oscillant entre sarcasme et cynisme ; une collégialité chaleureuse, mais aussi un talent soixante-huitard pour la rébellion, voire l'anarchie. Vous avez votre franc-parler ; pour vous, seul le tabou lui-même est tabou. Il n'est pas étonnant dès lors que vos propos ne fassent pas que des heureux. Mais n'est-ce pas là le sort de quiconque tente de s'élever au-dessus de la masse ? Cette pensée doit vous être réconfortante lorsque, par un calme après-midi dominical, vous vous délectez à l'écoute d'une sonate pour piano de Mozart, plongé dans la lecture d'un roman policier à suspense de Bob Mendes choisi dans votre bibliothèque.

Hugo Coveliers, je vous félicite, au nom du Sénat, pour vos vingt ans de carrière parlementaire. (Applaudissements)

Qui eût cru que Jean-Marie Happart, celui qui, avec son frère, au début des années septante, réussit à faire gravir l'escalier d'honneur du Sénat à un taureau et à lâcher des poules et des cochons dans les couloirs, deviendrait un jour sénateur, vice-président et questeur de notre assemblée ?

Qui eût cru que celui qui, plus que jamais avec son frère, a toujours été le grand défenseur de l'Action fouronnaise, deviendrait un jour le président du Parlement du Benelux apprécié de tous, Belges, tant francophones que néerlandophones, Hollandais et Luxembourgeois ?

Qui eût cru que celui qui adore rouler sur son tracteur, deviendrait un jour le plus ardent défenseur de la formule 1 et du circuit de Francorchamps ?

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux paradoxes qui caractérisent Jean-Marie.

Happart ... c'est aussi une histoire de campagne, de terre, de boue, de bottes en caoutchouc, de chasse, qui lui rappelle la révolution française.

Après avoir été attaché au cabinet du ministre de la Région wallonne, il entre à la Chambre des représentants en 1985 et devient membre du Conseil régional wallon et du Conseil de la Communauté française.

C'est en 1991 qu'il devient sénateur. Il deviendra vice-président du Sénat en 1999 et questeur en 2003. Il combinera avec succès ces mandats avec ceux de vice-président et ensuite de président du Conseil interparlementaire du Benelux.

Après avoir déposé de nombreuses propositions de décret au Parlement wallon et à la Communauté française, il a déposé plusieurs propositions de loi au Sénat, dont certaines sont devenues lois, comme celle modifiant la loi sur le bail à ferme et celle modifiant la loi du 10 décembre 1997 interdisant la publicité pour les produits du tabac et créant un Fonds de lutte contre le tabagisme. Notre assemblée se souvient encore de ce grand moment parlementaire. Cela ne l'empêche certainement pas de jouir régulièrement d'un bon cigare Cohiba, confirmant ainsi sa longue appartenance au groupe interparlementaire Belgique-Cuba.

Certaines de ses propositions ne font pas toujours l'unanimité, comme celle tendant à porter la limitation de vitesse en dehors des agglomérations, sur les autoroutes et sur les voies à quatre bandes, à 130 kilomètres à l'heure. Grand défenseur des libertés, il a d'ailleurs déposé au Sénat une proposition de résolution interdisant d'interdire, puisqu'il estime que toutes les lois votées tendent à imposer des restrictions, ce qui constitue d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il tient tant à être membre de la Commission des Affaires institutionnelles.

Ceci résume très brièvement les plus de vingt ans de carrière parlementaire de Jean-Marie Happart, sans parler de son action locale au niveau des Fourons, que personne n'ignore.

Il y aurait beaucoup à dire, mais nous lui souhaitons de rester encore de nombreuses années dans ce Sénat, où tout le monde apprécie sa présence sympathique et conviviale. Souhaitant rester en bons termes avec lui, nous ne nous étendrons pas sur ses connaissances oenologiques et les bisous qu'il adore donner dans les couloirs à toutes celles qu'il rencontre sans distinction aucune, de la présidente à nos chères techniciennes de surface. Merci, Jean-Marie. (Applaudissements)

Permettez-moi de commencer mon hommage à Pierre Chevalier par une affirmation des plus banales, du moins en apparence : il est le fils de son père et de sa mère. Si je me permets ce truisme, c'est parce que l'engagement et la formation intellectuelle de notre brillant collègue ont été déterminés, de manière on ne peut plus évidente, par le vécu de ses parents. Son père, wallon, fut militaire de carrière, résistant, prisonnier de guerre et prisonnier politique durant la Deuxième Guerre mondiale. Il n'eut la vie sauve que grâce à une heureuse intervention de Mme Chevalier-mère. Par la suite, il continua à lire de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, afin de mieux comprendre ce qui s'était passé. Il était friand de discussions ouvertes et passionnées avec ses enfants sur le Vietnam, Nixon et de nombreux autres sujets, une culture de débat qui allait le marquer définitivement. Notre collègue lui-même ressentit très tôt un attrait pour la collection d'ouvrages bien connue « Les grands de ce monde », parmi tant d'autres livres d'histoire. Lisant jusqu'à étancher sa soif d'apprendre, il était surtout fasciné par les révolutions. Ces gens ordinaires qui, révoltés par toutes sortes d'abus et d'injustices, n'ont de cesse de faire bouger les choses, l'ont toujours passionné. Nul n'ignore que notre jubilaire est un fin connaisseur de la Révolution française, mais je suis convaincue qu'il aura aussi suivi attentivement, l'année dernière, la Révolution orange ukrainienne.

De son père, Pierre Chevalier a donc hérité, dès sa plus tendre enfance, l'érudition, l'aversion pour l'extrémisme et le totalitarisme, et la soif de liberté, le tout agrémenté d'un zeste d'insoumission. Quant à son sens de l'engagement sur le terrain, c'est à sa mère qu'il le doit. Avant de devenir mère de six enfants, celle-ci s'était beaucoup investie dans la vie associative et paroissiale. Nul doute que si elle avait vécu à notre époque, Mme Chevalier-mère aurait été active sur le terrain politique. Elle organisait toutes sortes d'événements, des kermesses aux combats de boxe. Passionnée par ce sport, elle communiqua son enthousiasme à plusieurs de ses fils. Selon certaines sources, non confirmées toutefois, son fils Pierre aurait même suivi plusieurs séances d'entraînement. Si vous le permettez, j'y reviendrai tout à l'heure ...

Pierre fut le premier des Chevalier à fréquenter l'université. Parfaitement conscient de ses origines modestes, notre jubilaire ouest-flandrien voulut ne rien devoir à personne et travailla pour financer ses études. Assez curieusement, il n'opta pas pour l'histoire. À la perspective d'une vie d'enseignant, trop passive à son goût, il préféra la lutte active contre l'injustice, après avoir combiné des études de droit et de criminologie. Entraîné dans le sillage des idées de gauche qui prévalaient alors à Gand, il devint trotskiste, même si les raisons de ce choix ne sont pas des plus légitimes. L'élément féminin était, il est vrai, beaucoup plus présent chez les trotskistes qu'au sein d'Amada. Mais Trotsky lui-même, le rebelle, l'attirait aussi pour son analyse qui tenait compte d'une société en évolution.

L'engagement de notre jubilaire à l'université avait déjà bien tiédi lorsque Frank Van Acker, figure de proue du SP brugeois, le convainquit d'entrer en politique. À partir de ce moment, tout alla très vite. Pierre Chevalier devint conseiller communal dans sa ville de Bruges en 1983, parlementaire deux ans plus tard, chef de groupe trois ans plus tard et, à peine cinq mois plus tard, il exerça son premier mandat de secrétaire d'État. Il détint le portefeuille de l'Enseignement pendant trois mois. Lorsque cette matière fut défédéralisée, il se vit confier la Politique scientifique.

Si l'on sait peu de choses de sa carrière de boxeur, l'on sait en revanche qu'il pratiqua jadis le volley-ball à un niveau très convenable. Dans ce sport d'équipe par excellence, peu importe comment et par qui la balle est envoyée au-dessus du filet, pourvu qu'elle le franchisse. Tout comme il le fit à l'époque dans la maison paternelle et, plus tard, au sein de sa propre famille, Pierre sut instaurer un climat de discussion ouvert et laisser une chance à tous. Fuyant la chasse aux premières places dans les sondages, il a toujours recherché une solution pragmatique avec toutes les parties concernées, qu'il s'agisse des universités, des organisations de défense de l'environnement ou du monde des affaires. Fin diplomate, Pierre Chevalier put également apporter son concours à la réforme de l'État en fixant les règles de la collaboration entre le pouvoir fédéral, d'une part, et les communautés et les régions, de l'autre. Il appliqua à plusieurs reprises avec succès l'accord obtenu, notamment dans les domaines de la supraconductivité, de l'environnement et de la recherche sous-marine.

Malheureusement, notre collègue allait constater un an plus tard, à ses dépens, que la presse et les adversaires politiques font parfois d'un événement insignifiant une affaire d'État. Dans le même temps, il commençait à se sentir un peu à l'étroit dans la carcan idéologique de son parti, où il ne trouvait plus l'espace nécessaire au développement de ses idées sur une sécurité sociale rénovée et sur l'économie de marché. Quel que fût son attrait pour l'Internationale, il estimait qu'il devait changer de parti s'il voulait rester cohérent avec lui-même. Quelques années plus tard, la Troisième Voie britannique faisait son apparition chez nous.

Pierre Chevalier devint l'un des principaux candidats d'ouverture du PVV, désormais rebaptisé « VLD ». D'emblée, il apporta une contribution non négligeable au parti, notamment dans le domaine de la sécurité sociale, lors d'un congrès qu'il prépara et présida avec Dirk Van Mechelen. Mais il excellait aussi dans le travail d'opposition. Notre collègue Wille expliquait encore dernièrement, devant les caméras de la VRT, qu'il est impossible de lire à la fois rapidement et efficacement. Notre jubilaire en avait fait la démonstration il y a dix ans, presque jour pour jour, lors de la discussion des lois-cadres à la Chambre. Figurant parmi les 29 orateurs inscrits, il était parvenu à ne lire, en trois heures, que 12 des 50 pages de son intervention, obligeant ainsi M. Langendries, le président de la Chambre, à convoquer la majorité et l'opposition en vue de régler équitablement l'ordre des travaux.

Lors du changement de majorité, en 1999, Pierre Chevalier fut nommé secrétaire d'État au Commerce extérieur. Ce fut pour lui l'occasion de participer, pour la deuxième fois de sa carrière, à une réforme de l'État. Pouvoir atteindre des objectifs commerciaux en concertation avec les régions était une mission taillée sur mesure pour ce battant alliant pragmatisme et esprit d'équipe. Il accomplit également un travail considérable lorsqu'après la crise de la dioxine, usant de tout son charme, il s'en alla convaincre la moitié de l'univers, ou presque, que cette substance ne faisait pas partie des ingrédients de base des produits alimentaires belges. Son bilan à ce poste est impressionnant puisque, envers et contre tout, les exportations belges augmentèrent de 2,8% !

Lorsque Pierre Chevalier redevint ensuite parlementaire, son rôle au sommet de la diplomatie était loin d'être joué. En tant que président de la commission des Relations extérieures de la Chambre, il fut, avec son collègue sénateur Mahoux, délégué par le Premier ministre pour consulter les parlements, les gouvernements et les faiseurs d'opinion des États membres et des candidats à l'Union européenne, dans la perspective de la Déclaration de Laeken. Il devint ensuite le représentant personnel du Premier ministre au sein de la conférence intergouvernementale. Ce véritable partisan de la Révolution française se devait de siéger au moins une fois lui-même au sein d'une Assemblée et d'une Convention !

La philosophie de la Révolution française forme aussi la pierre angulaire de la plupart des grandes organisations politiques internationales. Notre collègue - faut-il le dire - se sent comme un poisson dans l'eau dans son rôle de représentant spécial du ministre des Affaires étrangères dans le cadre de la présidence belge de l'OSCE. Prévention des conflits, défense des droits de l'homme, progrès de la démocratie, ... : il occupe désormais les premières loges dans ce domaine qui le passionne depuis l'enfance.

Cher collègue, comme beaucoup d'autres l'ont expérimenté avant vous, le chemin de vos 20 années de mandat parlementaire n'a pas été parsemé que de roses. Boxant toujours à visage découvert, vous avez dû constamment adapter votre capacité à encaisser les coups.

Ce qui honore notre chaleureux jubilaire, c'est de ne s'être jamais posé en victime et de ne s'être jamais aigri. Pour le dire avec ses propres mots : « Mè èn meter negununegutig moe je niet krom lopen ». Les citoyens brugeois n'ont d'ailleurs jamais été avares en tapes amicales sur l'épaule de « Pier », lui faisant comprendre qu'ils ne savaient que trop bien comment les choses se passaient « là-bas, à Bruxelles ». Tout comme nous, ils connaissent bien votre engagement sans limites pour l'économie et l'emploi dans votre région. La mission spéciale dont vous êtes chargé vous empêchera peut-être d'assister à l'un de ces festivals de rock que vous appréciez tant, mais je ne doute pas que vous rendrez, le mois prochain au sein de notre parlement, le terrain de la conférence de l'OSCE plus praticable que celui des « blauw-zwart », dont vous êtes un fervent supporter. De mémoire d'homme, les chevaliers ont toujours été des guerriers, au caractère noble et ... éternellement jeunes. En tout cas, vous n'avez pas volé votre nom de famille.

Permettez-moi, pour conclure, de vous féliciter pour cette longue et riche carrière. (Applaudissements)

Un quotidien de la capitale a qualifié un jour Philippe Moureaux de « dernier marxiste au village d'Astérix ». S'il est une certitude, c'est bien celle-ci : Philippe Moureaux est un homme aux convictions fortes, un homme de principes. Ses positions sont souvent tranchées. C'est un adepte de la ligne claire. Il croit à la valeur de l'idéologie.

La vocation politique de Philippe Moureaux remonte à son enfance. Son père, Charles Moureaux, grand libéral, était déjà touché par le virus de la politique. Il fut longtemps membre de notre assemblée. Il fut aussi ministre de l'Instruction publique.

Mais le fils suit une autre route. Il devient résolument un homme de gauche. C'est au contact du personnel, des anciens résistants et de communistes convaincus, qu'il découvre l'attrait du marxisme. Henri Simonet le fait entrer en politique, peu après les événements de mai soixante-huit.

Monsieur Moureaux, je ne dresserai pas la liste des mandats que vous avez exercés. Vous avez eu une très longue carrière politique qui commence il y a trente-cinq ans, lorsque vous rejoignez le cabinet de celui qui sera pour vous un mentor, un second père, André Cools. Vous serez le cerveau dans l'ombre des vice-premiers socialistes, avant de devenir à votre tour ministre.

En 1980, vous entrez dans le gouvernement Martens III - d'union nationale -, en qualité de ministre de l'Intérieur et des Réformes institutionnelles.

C'est à ce titre que vous participez à la plus importante réforme de notre histoire institutionnelle. La loi du 8 août 1980, qui jette les bases de la « Belgique-en-voie-de-fédéralisation », porte votre empreinte.

Par la suite, vous avez accompagné toutes les étapes de la transformation de notre pays, une transformation sans heurt, « une révolution lente et irréversible », pour reprendre vos propres mots.

De 1980 à 1993, vous avez fait partie de six gouvernements fédéraux, comme ministre, puis comme vice-premier ministre. Vous êtes le premier ministre-président de la Communauté française. Le 30 janvier 1995, le Roi vous nomme ministre d'État.

Durant toutes ces années, vous avez été un observateur privilégié, mais aussi un acteur important, des mutations qui ont traversé la société belge. Tous les événements - petits et grands, tragiques et heureux - qui se sont produits chez nous, vous les avez vécus de près. Peut-être l'historien que vous êtes trouvera-t-il un jour le temps de les consigner par écrit ...

S'il fallait ne retenir qu'une seule ligne de votre curriculum vitae, ce serait incontestablement la loi contre le racisme, qu'on appelle communément la loi Moureaux. Quelle consécration pour un homme politique de voir son nom associé à un texte de loi ! Ce privilège s'attache à quelques textes qui font date et qui constituent autant de brillantes clés de voûte dans l'équilibre législatif.

Plus que tout autre fait d'armes, la loi Moureaux illustre votre combat. Elle fut le résultat d'un long cheminement. Il a fallu vaincre pas mal de réticences, même au sein de notre institution. Ce sont les tragiques attentats antisémites de Paris, Munich et Anvers au début des années quatre-vingt qui ont finalement décidé le Parlement à doter le pays d'un instrument juridique contre les actes inspirés par le racisme.

Comme vous l'écriviez alors, « le racisme, à la fois généralisé et diversifié, individuel et collectif, ne permet pas une seule définition, une seule approche, une seule réplique ». Si votre initiative ne prétendait pas, à elle seule, éradiquer le phénomène du racisme, elle n'en marquait pas moins une avancée sociale, à la fois symbolique et réelle.

Michel Crozier affirmait que « l'on ne modifie pas la société par décret ». La loi Moureaux est pourtant la preuve que la loi peut avoir une portée éducative, un rayonnement social fondateur.

En 1989, vous portez la Région bruxelloise sur les fonts baptismaux. Désormais, votre sort est lié à celui de cette région, dont vous êtes devenu, personne ne le contestera, un acteur incontournable et une figure emblématique. Le surnom sympathique de Flupke Moustache dont on vous affuble, est à cet égard très éloquent.

Mes chers collègues, il faut reconnaître que Philippe Moureaux incarne bien le caractère bruxellois, son esprit frondeur, parfois irrévérencieux, voire iconoclaste. On connaît son franc-parler : il a en horreur la langue de bois, le ronron des discours convenus. C'est un empêcheur de tourner en rond ! Ses phrases assassines font le bonheur des journalistes.

Philippe Moureaux est un homme entier, qui ne laisse personne indifférent. Il peut être mordant à l'égard de ses adversaires. On a ainsi pu dire : « Quand Philippe Moureaux tire, c'est au bazooka ! » On se souvient encore du tumulte qu'il provoqua dans notre hémicycle lorsqu'il qualifia les juristes de grands comédiens !

Philippe Moureaux sait aussi se montrer un orateur rusé, drôle, efficace, toujours à l'affût du bon mot. En escrime, on parlerait d'une fine lame.

Il s'impose par son intelligence. Ses arguments font autorité. On le consulte, on l'écoute. Ses adversaires politiques reconnaissent la rigueur de sa pensée, son esprit d'à-propos. Fin négociateur, il joue toujours avec trois coups d'avance.

Philippe Moureaux est un brillant intellectuel, docteur en Philosophie et Lettres, spécialiste des Pays-Bas autrichiens. Il est un de ces hommes, trop rares en politique, qui réussissent à allier l'action et la réflexion. Il connaît à fond ses classiques, qualité précieuse à une époque souvent dominée par un consensualisme mou et l'absence de débat idéologique.

En 1993, Philippe Moureaux quitte le gouvernement fédéral, après avoir mené à son terme la réforme de l'assurance-maladie. Il reprend alors les rênes de sa commune. Molenbeek-Saint-Jean est une commune difficile, contrastée, aux facettes multiples. Des populations de toutes classes et de toutes origines s'y côtoient et parfois s'y mélangent. Il relève ce défi nouveau avec le zèle du néophyte et l'inconscience de la vierge.

Monsieur Moureaux, ce choix pour le maïorat traduit chez vous une exigence éthique. Vous tenez à rester en contact avec la réalité sociale, à garder une prise sur la gestion réelle. Vous dénoncez l'idéologie hôtelière, une allusion à ces hommes politiques qui vivent dans des hôtels et passent l'essentiel de leur temps à étudier des rapports. Pour vous, le monde ne se découvre pas dans les sondages. Premier citoyen de la commune, vous y découvrez les vertus de la participation et du dialogue. « Les meilleures idées viennent des habitants ». Cette phrase est de vous.

Votre combat a changé de terrain, mais c'est la même inspiration qui vous anime : la lutte contre toutes les formes d'exclusion et de rejet de l'autre.

Je reviens à cette interrogation que j'évoquais au début : êtes-vous « le dernier marxiste au village d'Astérix » ? Et pour rester dans cette bande dessinée populaire, j'ajouterai ceci : ce dernier marxiste, s'il existe, est-il ce chanteur que personne ne veut écouter ou, au contraire, le druide miraculeux, pourvoyeur de potion magique dans les situations les plus critiques ?

« L'être humain est un subtil cocktail », avez-vous dit un jour. Vous êtes, Philippe Moureaux, d'abord un humaniste. Vous aimez à citer ce mot de Benoît Malon : « Les racines du socialisme plongent dans toutes les douleurs humaines, dans tous les progrès intellectuels et moraux, dans toutes les maturations de l'histoire ». À vos yeux, « il n'y a pas de socialisme sans une approche sentimentale de la chose politique, sans un sens de l'empathie ». Vous vous posez en faiseur de compromis : vous défendez l'idée d'un différentiel acceptable, l'art de ne pas aller trop loin, vous appelez à un allégement des tutelles, vous plaidez pour une laïcité de tolérance, vous vous attaquez au vieux slogan de l'école unique. Mais cela, sans jamais mettre vos principes à l'encan. Vous refusez de sacrifier votre engagement à l'air du temps. Vous êtes sensible au nouvel âge des inégalités. Vous rêvez d'un retour de l'utopie en politique.

Pendant que d'autres courent l'aventure, vous préférez, vous, garder la vieille maison.

En notre nom à tous, je tiens à vous adresser mes sincères et cordiales félicitations à l'occasion de vos vingt ans de mandat parlementaire. (Applaudissements)

Mme la présidente. - Je prie M. Nimmegeers, vice-président, de prendre place au fauteuil présidentiel.

M. Nimmegeers prend place dans le fauteuil présidentiel.

Mme Lizin prend place parmi les jubilaires.

M. le président. - Il me revient le privilège aujourd'hui de rendre hommage à notre présidente, Anne-Marie Lizin. C'est pour moi un très agréable devoir, car je vous dirai d'emblée qu'un des plus beaux jours que j'aie vécus au Sénat fut celui où j'installai dans ses fonctions, le 20 juillet 2004, la première femme présidente du Sénat. Ce fut pour moi une source de fierté et de joie.

Qui est donc cette femme à la fois très médiatique, mais se confiant somme toute fort peu et qui ne laisse personne indifférent ? Nul ne contestera qu'Anne-Marie Lizin est une femme dynamique, d'engagement et de combat. Anne-Marie Lizin a des idées, elle les défend avec passion, elle aime l'action concrète, elle adore être sur le terrain. Les plus jeunes résumeraient en disant : « c'est une battante et une fonceuse ». Cette combinaison de tempérament et de créativité peut s'expliquer selon moi par ses racines. Ses racines géographiques, tout d'abord. Les Vanderspeeten sont originaires de la région gantoise, tandis que la branche maternelle de notre présidente est de la région liégeoise. Des racines qui puisent donc leur substance dans deux villes de caractère, la capitale de l'ancien comté de Flandre, ville natale de Charles Quint et la Cité ardente. Ses racines familiales, ensuite. De sa mère, Anne-Marie Lizin, a hérité d'un caractère bien trempé et de son père, ancien résistant et vieux militant socialiste, le goût des contacts humains, l'engagement politique, l'intérêt pour l'évolution du monde, les droits de l'homme et la défense des démunis. Des racines qu'Anne-Marie Lizin évoque, parfois, avec pudeur et émotion vous vous souviendrez en effet, Chers Collègues, de l'évocation qu'elle fit lors de son premier discours de présidente, de ce petit instituteur de Gand, rentré mourant des camps de concentration, qu'était son oncle Armand Vanderspeeten. Anne-Marie Lizin sait qui elle est, d'où elle vient et où elle va. Elle court de par le monde tout en restant toujours bien ancrée à Ben-Ahin, vit toujours dans la maison construite par son arrière-arrière-grand-mère, transmise de mère en fille depuis cinq générations et qui se situe à 100 mètres de son école primaire où elle fut toujours première de classe. Au lycée de Huy, son intérêt pour la politique et la philosophie était déjà clair. À l'université de Liège, elle participa dès octobre 68 au mouvement étudiant tout en menant à bien ses études sans problème.

Tous ceux qui côtoient ou ont côtoyé Anne-Marie Lizin, que ce soit en tant que collègues, collaborateurs de son cabinet ou encore fonctionnaires de notre Assemblée, vous le confirmeront, Anne-Marie Lizin est bourreau de travail. Karel Van Miert qui occupait au Cabinet de Henri Simonet, dans les années 70, le bureau contigu de celui d'Anne-Marie Lizin, nous confiait récemment qu'elle était à l'époque déjà une jeune femme dynamique, hyperactive, au cabinet dès potron-minet jusque tard le soir, qu'il fallait pouvoir arracher à son téléphone si l'on voulait s'entretenir avec elle quelques instants. Rien n'a changé si ce n'est qu'aujourd'hui le GSM existe ! Dans son discours de nouvel an au personnel du Sénat, le greffier de notre Assemblée, parlant de notre Présidente et du rythme qu'elle imposait au Sénat, la décrivait comme un pilote de course à la tête d'un vieil attelage dont les roues craquent parfois dans les tournants. Il est vrai que pour Anne-Marie Lizin, rien ne va jamais assez vite ... ; ses chauffeurs non plus, nous confiait un de ses anciens collaborateurs ; elle eut même un temps comme chauffeur un ancien pilote de rallye qui en arrivait parfois à la menacer de la laisser au bord de la route si elle continuait critiquer sa conduite. Le plafond de sa voiture porte les stigmates des coups de bic qu'elle lui inflige lorsque tendant d'une main un signataire à son chauffeur, elle empoigne déjà le suivant de l'autre.

Anne-Marie Lizin fut donc atteinte très jeune par le virus de la politique ; elle se présenta à 21 ans aux élections communales de Ben-Ahin, réalisa immédiatement le second score en voix de préférence et devint vite, à l'époque la plus jeune échevine de Belgique.

Dans une interview donnée l'an passé à un hebdomadaire belge, Anne-Marie Lizin se dit gourmande de contacts et de travail et annonce en outre qu'elle ne prendra jamais sa retraite !

Cet appétit l'a amenée à mordre à belles dents dans des domaines multiples et variés : politique européenne - elle fut députée européenne et aussi secrétaire d'État aux Affaires européennes de 1988 à 1992 -, relations internationales, lutte contre le terrorisme, réforme de la police, contrôle des services de renseignement, droit des femmes, mondialisation, traite des êtres humains, rapts parentaux, politique pénitentiaire, sécurité nucléaire, ... pour n'en citer que quelques uns.

Que ce soit comme bourgmestre de sa bonne ville de Huy, comme Présidente du Sénat ou au niveau international où elle est aussi active, Anne-Marie Lizin ne cesse de prendre des initiatives. Depuis qu'elle préside les travaux de notre Assemblée, on peut d'ailleurs dire, paraphrasant ce qui fut longtemps le slogan d'un célèbre grand magasin parisien, qu'il se passe tous les jours quelque chose au Sénat !

C'est vrai aussi à Huy où se déroule, entre autres, chaque année, un festival des Voix et Musiques du Monde, un feu d'artifice ou encore un festival international des écoles de cinéma unique en Belgique et qui n'a d'équivalent européen qu'à Poitiers et à Bologne. Le spectre des matières auxquelles s'intéresse Anne-Marie Lizin est très large, elle a l'art de faire reculer les limites du possible : non contente d'avoir accueilli le Tour de France dans sa ville en 1995 et en 2001, elle est parvenue à lui faire faire un détour par Huy une troisième fois en juillet prochain.

Au niveau international, Anne-Marie Lizin est une personnalité connue également, experte des Nations Unies sur l'extrême pauvreté ; elle n'a jamais reculé devant les missions difficiles voire risquées. Les prisons du Yémen, par exemple ? Elle s'y est rendue. Elle fut aussi parmi les premières personnalités à nouer des contacts avec Arafat. Anne-Marie Lizin est également rapporteur élue de la commission des droits de l'homme de l'OSCE pour la seconde fois et Représentant spécial sur Guantanamo. Dans ce domaine des relations internationales, ses compétences sont reconnues ; elle enseigne d'ailleurs l'actualité internationale à l'Institut d'Études politiques de Paris et l'été dernier, le Président de la République française décida de lui octroyer la Légion d'honneur.

Il arrive parfois que l'on voie Anne-Marie Lizin apparaître à la télévision ou parler à la radio trois fois sur la même journée ... à des endroits différents. À croire qu'elle a le don d'ubiquité ... C'est qu'il n'est pas question de perdre une minute ; donc elle donne rapidement une interview de son portable en attendant l'avion à l'aéroport de Bruxelles-National, une autre à un reporter international pendant l'escale en attendant sa correspondance, et une troisième à la télévision locale une fois arrivée à destination. Je vous le disais, rien ne va jamais assez vite et il ne faut surtout pas perdre une minute ! Anne-Marie Lizin a souvent eu l'occasion de rencontrer les grands de ce monde, certains sont ses amis. Elle a eu l'occasion d'accéder à des lieux pourtant difficilement accessibles : non contente d'avoir visité le cosmodrome de Baïkonour en 2004 qui est une base militaire russe en territoire kazakh, elle s'est rendue en mars dernier au camp de détention de Guantanamo, base militaire américaine en territoire cubain. Décidément, rien n'arrête la Présidente du Sénat.

Sie hat ein fabelhaftes Erinnerungsvermögen, sie schätzt die Menschen und ihre Tätigkeiten blitzschnell und treffsicher ein, und oft macht sie bestimmte Analysen von der Entwicklung der Dinge und der Welt.

Dotée d'une fabuleuse mémoire, d'un jugement rapide et sûr sur les gens et sur leurs compétences, d'une capacité visionnaire, ses analyses sur l'évolution des choses et du monde s'avèrent souvent pertinentes.

Vous me permettrez de conclure en m'adressant personnellement à notre présidente. Vous m'avez récemment touché, Madame la présidente, en m'invitant à vous appeler par votre prénom et je vous dirai simplement, Chère Anne-Marie, sans bien entendu que ce soit un reproche, que parfois, quand vous courrez encore de par le monde, je me dis que c'est tellement dommage qu'on ne vous ait pas un peu plus souvent près de nous ici au Sénat. (Applaudissements)

De heer Guy Verhofstadt, eerste minister. - Er zijn af en toe huldeplechtigheden waarbij je moet toegeven dat je de gehuldigde parlementsleden in kwestie niet zo goed kent. Ondanks hun lange staat van dienst is het nog altijd moeilijk om een naam bij een gezicht en een gezicht bij een naam te plaatsen. Dat is meestal een behoorlijk vervelende zaak. Bij deze huldiging stelt dit probleem zich niet, integendeel. Elk parlementslid dat vandaag zijn twintigste verjaardag als verkozene van het volk viert, is meer dan bekend en niet alleen in deze kamers, maar ook ver daarbuiten. Zodoende roept elke naam vele emoties op, zowel bij de talrijke voorstanders als, zoals het in de politiek niet anders kan, bij de tegenstanders.

François Roelants du Vivier débuta sa carrière parlementaire au Parlement européen. C'était en 1984, l'année où Spinelli présenta son projet de constitution.

Le Parlement européen était à l'époque bien plus petit et l'Union bien plus simple. Mais c'est aussi à cette époque que l'Union réalisa un grand bond en avant, notamment avec le Livre blanc de Delors.

Roelants du Vivier n'a jamais perdu son intérêt pour l'échelon international et européen. Il a été conseiller auprès de la Commission européenne, président de quantité de mouvements européens, membre du Comité des Régions ; il est aussi membre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN et, évidemment, président de la Commission des Relations extérieures. Peut-être est-ce cette pensée internationale qui l'incita également à assumer le poste de vice-président du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.

À noter encore son diplôme d'archéologie et d'histoire de l'art. Sa passion pour l'art et le passé est à ce point dévorante qu'il a fait placer un panneau sur l'Archicommanderie limbourgeoise d'Alden Biesen sur lequel est inscrit en gros caractères, « Roelants du Vivier ».

Pour les vingt prochaines années de votre carrière, monsieur Roelants du Vivier, vous pourrez donc toujours compter sur l'accueil chaleureux du Limbourg.

Hugo Coveliers. Hij startte in de Kamer, was tegelijkertijd lid van de Vlaamse Raad, kwam naar de Senaat, keerde terug naar de Kamer en kwam uiteindelijk opnieuw naar de Senaat. Waar hij de volgende zittingsperiode naartoe zal gaan, is vooralsnog onduidelijk. Om een of andere reden zal zijn naam echter voor eeuwig verbonden blijven met de bestrijding van criminaliteit en terrorisme. Als in de voorbije decennia ergens een moordende bende of terrorist opdook of als het ging over banditisme en georganiseerde misdaad, dan was hij er als de kippen bij. Ik heb zelfs mensen ontmoet die op de duur dachten dat ook hij gezocht werd voor lidmaatschap van de Bende van Nijvel. In elk geval denk ik dat hij daardoor een carrière van onderzoeksrechter of CIA-agent gemist heeft. Al is het natuurlijk nooit te laat.

Sur le site web du Parti Socialiste, le profil de Jean-Marie Happart est le suivant : « Grand défenseur de la Wallonie, des Fourons et de l'agriculture, Jean-Marie Happart a été, tout au long de son action politique, fidèle à ses engagements de base ». La Belgique en a fait l'expérience, c'est le moins que l'on puisse dire. Les deux frères Happart ont été au coeur de la bagarre institutionnelle de notre pays.

Jean-Marie Happart siégea à la Chambre, au Parlement de la Région wallonne, au Parlement de la Communauté française ; il siège au Sénat, où il exerça la fonction de questeur, et au Conseil consultatif interparlementaire du Benelux qu'il a présidé en 2003 et en 2004.

En fait, j'aimerais lui poser, ainsi qu'à son frère, cette simple question : Si vous aviez l'intention de faire chuter à nouveau le gouvernement sur la question des Fourons, pourriez-vous me le faire savoir à temps ?

Pierre Chevalier. Hier word ik nog emotioneler, want we hebben de helft van onze politieke carrière samen afgelegd en ook in het persoonlijke leven een nauwe band gesmeed op basis van de herinneringen aan Sus Verleyen. Vandaag is Pierre de man van de frozen conflicts en dat is positief bedoeld. Sinds 1985 is hij lid van de Kamer van Volksvertegenwoordigers. Hij werd al snel staatssecretaris voor Onderwijs, daarna voor Wetenschapsbeleid en daarna voor Buitenlandse Handel. Hij was ook lid van de Parlementaire Assemblee van de Raad van Europa, de Assemblee van de WEU en een van de actiefste leden van de Europese Conventie. Hij is dus een van de weinige parlementsleden die de Europese grondwet heeft gelezen alvorens ze goed te keuren. Sinds 2003 is hij senator en sinds twee jaar Bijzonder Gezant voor de OVSE. Hij mocht daarvoor namens de regering naar duistere gebieden reizen, zoals Abchazië, Zuid-Ossetië, Transnistrië, Nagorno-Karabach en dergelijke meer om een oplossing te zoeken voor de frozen conflicts. Of zijn warme persoonlijkheid intussen voor wat dooi heeft kunnen zorgen, zal hopelijk spoedig blijken. In elk geval heb ik gehoord, Pierre, dat uw collega's blij zullen zijn dat ze u na het Belgische OVSE-voorzitterschap opnieuw in de Senaat zullen mogen verwelkomen.

Philippe Moureaux, il semblerait que nous fêtions aujourd'hui vos vingt années en tant que parlementaire. J'en suis plutôt étonné. Pour être honnête, j'avais l'impression que vous y aviez toujours siégé.

Pour moi, Philippe Moureaux a toujours été un élément du tableau que je me faisais de la politique. Déjà en 1980, il était ministre de l'Intérieur et des Réformes institutionnelles. Ensuite, ministre-président de la Communauté française, ministre de la Région bruxelloise, ministre d'État, sans oublier bourgmestre de Molenbeek.

Pour moi, Moureaux rime avec « réforme de l'État ». On le retrouve d'ailleurs sur toutes les photos immortalisant des négociations communautaires. La seule réforme de l'État dans laquelle il n'a pas joué de rôle est celle du père Eyskens, en 1970. Il connaît chaque détail de Bruxelles-Hal-Vilvorde et est un négociateur redoutable, au grand dam des autres personnes autour de la table. En tant que professeur d'histoire à l'ULB, il ne doit pas effectuer trop de recherches. Il a écrit lui-même l'histoire de ce dernier quart de siècle.

Pour conclure, nous rendons aujourd'hui hommage à Anne-Marie Lizin, la présidente en personne. En 1979, lorsque le Parlement européen fut pour la première fois élu directement, elle était déjà présente. Ensuite, impossible de l'arrêter. J'ai dû chercher longuement avant de trouver une assemblée au sein de laquelle Anne-Marie n'avait jamais siégé. Et j'ai fini par en trouver une : le conseil provincial. Elle est même experte indépendante auprès des Nations Unies pour les domaines de la pauvreté et des droits de l'homme. Je suppose que c'est cet engagement et non, par exemple, la question de l'égalité entre hommes et femmes qui l'incita à se rendre à Guantanamo.

Le moins que l'on puisse dire c'est qu'Anne-Marie Lizin ne tient pas en place. Ceux qui l'ignoraient encore, s'en sont vite rendu compte lorsqu'elle est devenue présidente du Sénat. Elle interprète le rôle de chambre de réflexion au sens le plus large. Le monde entier sait désormais que le Sénat belge existe. Car une moitié de la population mondiale est déjà passée par ici tandis que l'autre a inscrit une rencontre ou un débat dans son agenda. Quoi qu'il en soit, Anne-Marie Lizin est la preuve vivante que les hommes qui prétendaient que les femmes n'étaient pas faites pour la politique, se trompaient lourdement.

We huldigen hier vandaag in de Senaat niet alleen zes senatoren. We huldigen meer dan vijfentwintig jaar Belgische politieke geschiedenis en het feit dat die geschiedenis kleurrijk was. Wat ik vandaag vooral wil huldigen, is dat u hebt aangetoond dat politiek een zinvol engagement is, dat politiek niet gemakkelijk is, maar wel zaken kan veranderen. U hebt dat gedaan en ik wil u daarvoor van harte bedanken en feliciteren. (Levendig applaus)

M. le président. - Je prie Mme la présidente de remettre aux jubilaires la médaille d'honneur qui leur est décernée par le Sénat.

Mme Lizin remet les médailles d'honneur aux jubilaires.

Pendant que Mme Lizin remets les médailles d'honneur, M. Nimmegeers quitte le fauteuil présidentiel.

Il remet la médaille d'honneur à Mme Lizin.

(Mme Anne-Marie Lizin, présidente, prend place au fauteuil présidentiel.)

De heer Philippe Moureaux. - Het vereert me ten zeerste bij u te mogen zijn voor dit eerbetoon. In naam van de gehuldigden en in mijn hoedanigheid van oudste onder hen dank ik eenieder die het mogelijk heeft gemaakt deze plechtigheid te organiseren.

De herinnering aan onze politieke loopbaan lijkt in veel opzichten op een grafrede, maar we blijven niet bij deze indruk stilstaan. Allen zijn we jong van geest en staan we klaar om de problemen aan te pakken die het leven voor ons nog in petto heeft.

Ceux qui sont devant ou derrière moi - je suis encerclé et pas par n'importe qui - sont effectivement restés fort jeunes.

La première fois que j'ai hanté cette assemblée, je suis entré par la toute petite porte pour m'installer à la tribune dite « des fonctionnaires » en qualité de représentant de cabinet. C'était une assemblée de personnes âgées et j'aurais peut-être été le plus jeune si j'avais été membre de ce parlement. Aujourd'hui, je suis le plus âgé. Quel changement ! Nous faisons figure d'anciens mais, par rapport à cette époque, nous sommes des gamins et une gamine.

Je voudrais profiter de ma présence à la tribune pour faire quelques réflexions. La première portera sur une évolution inquiétante de la vie politique. À treize ans, je faisais la révolution par rapport à mon père dans la cuisine-cave dans laquelle je me retrouvais. Quand j'ai commencé à m'intéresser au débat parlementaire, une grande réserve était de mise vis-à-vis de la vie privée des élus. Je dirai même - c'est un peu gênant en ce jour où l'on fait notre éloge funèbre - que le seul événement médiatisé de leur vie privée, c'était leur enterrement. Je me souviens d'André Cools, qui me disait : « Tu sais, au Parti socialiste, ce que nous réussissons le mieux, ce sont les enterrements ». Mon père, revenant de l'enterrement d'un ancien président du Sénat, M. Gillon, un libéral un peu fransquillon, un monsieur très raide et très laïque, me décrivait une cérémonie somptueuse en présence de l'armée. Devant mon incompréhension, il m'expliquait à quel point l'enterrement était important pour un homme politique : c'était son ultime message. M. Gillon me disait toujours : « Moi qui suis laïque, venu d'une Flandre très catholique, je veux avoir un enterrement fastueux, avec l'armée, pour montrer qu'un laïque aussi peut avoir cela ». Aujourd'hui, la situation est bien différente. Je crois qu'à mon enterrement, il n'y aura pas beaucoup de journalistes. De nos jours, mariages, amours - pensons à l'assemblée voisine, où deux parlementaires qui se sont un peu trop croisés ont fait les premières pages - s'étalent à la une. Paris Match nous montre, sur papier glacé, les mariages, les animaux domestiques, les enfants. Demain, peut-être, le coït ininterrompu de deux politiques. Je ne sais trop jusqu'où l'on ira mais je crois que nous devons tout de même faire attention car ce n'est pas uniquement la faute des journalistes. C'est aussi notre faute. Nous avons un peu trop tendance, quand nous n'avons pas de grand message politique à faire passer, à mettre en avant le petit enfant, la charmante épouse ou le charmant époux. Après, nous sommes étonnés, quand l'enfant a commis une bêtise, que l'on en parle en disant « c'est le fils de » ou, quand le ménage a tourné au vinaigre, que l'on fasse aussi un reportage. Cette évolution n'est pas très saine et je pense que nous devrions tous faire attention. Je dis surtout cela pour les plus jeunes. Nous, il ne peut plus nous arriver tellement d'aventures.

Je voudrais aussi faire une réflexion sur le politique en tant qu'être humain et sur deux aspects, continuité et discontinuité. Ce qui me frappe avec le temps, c'est que nous sommes fondamentalement dans la continuité. J'ai mangé du marxisme avec ceux que mes parents appelaient « les domestiques » puisqu'à l'époque, cette belle grande bourgeoisie, pleine de vertus par ailleurs, les appelait comme cela.

Mon analyse de la société n'a pas tellement changé. Il y a des choses que l'on absorbe très jeune et qui sont très fortes. Toutefois, il y a discontinuité dans la manière d'appréhender les choses. La vie, les difficultés, les heurts, les murs auxquels on se cogne, nous apprennent beaucoup.

Je reprends un instant mon exemple : il y a continuité dans l'analyse sociale, mais une très grande discontinuité dans la manière d'essayer d'aider les personnes. Quand j'étais jeune, je pensais que je détenais la vérité, comme nous pensons tous l'avoir à certains moments. Ceux qui croient ne pas l'avoir et font de la politique sont bien dangereux, car ils n'ont pas de balises. J'avais l'impression que cette vérité, je la distribuerais « de haut ». Depuis lors, j'en suis revenu !

On a parlé de mon maïorat à Molenbeek-St-Jean. Il est vrai que ce fut pour moi une occasion d'inverser le processus. Notre « présidente adorée » y a d'ailleurs fait allusion. Nous sommes donc un mélange de continuité et de discontinuité.

Je vais maintenant évoquer quelque peu les autres collègues qui fêtent comme moi leurs vingt années de mandat parlementaire.

Pierre Chevalier, qui est encore très jeune, est un homme qui me trouble toujours un peu. J'en ai entendu parler pour la première fois dans les milieux de ma formation politique comme le successeur de Van Acker, même si aujourd'hui il n'est pas tout à fait assis du côté où se trouvait ce dernier.

Pierre, tu te souviendras certainement de l'époque où tu étais présenté comme le dauphin de Van Acker. À un moment donné, tu a pris une décision sur laquelle je ne dois pas me prononcer, mais j'ai toujours apprécié chez toi une forme d'élégance de relation et de pensée. Mes amis du SP n'étaient pas heureux de ta décision et, à leur place, je ne l'aurais pas été non plus. Pourtant, nos relations sur le plan humain n'ont absolument pas changé. Tu es un homme qui a un côté à la fois chaleureux et droit, que j'ai toujours apprécié et que je souhaitais souligner.

Mes premiers souvenirs de Hugo Coveliers sont liés au fait qu'il était considéré comme la terreur des gouvernements dans lesquels j'ai siégé. Au conseil des ministres on disait : Attention, Coveliers va interpeller ! Il parlait alors de problèmes liés à la sécurité, aux complots, etc. D'aucuns disaient, et ce n'était pas tout à fait faux : il a encore été tuyauté par un colonel de gendarmerie mécontent ! Il était considéré - je suppose qu'il s'en souviendra - comme le porte-parole d'une partie des forces publiques qui n'étaient pas toujours contentes de ce qui se faisait.

Ce n'est pas un homme facile, mais c'est un homme courageux. Je l'ai récemment apprécié à Anderlecht, où il est venu dans la fosse aux lions. Il est tout à son honneur d'avoir participé à une discussion dans un milieu très difficile par rapport aux mauvaises idées qu'il défend. Ses idées sont très dangereuses, mais l'homme est courageux. Je souhaitais souligner cet élément.

M. Roelants du Vivier, c'est l'aristocratie au parlement. Naguère, il y avait toujours un ecclésiastique de haut rang. Tout évolue dans notre société : auparavant, c'était le PSC-CVP qui nous donnait l'ecclésiastique, maintenant c'est le SP.A !

Il y avait toujours beaucoup d'aristocrates dans cette assemblée. Il n'y en a plus beaucoup, mais quand je le vois marcher, parler, s'exprimer, « galanter », être d'une amabilité suave, moi qui suis historien de l'ancien régime, je me vois au XVIIIème siècle, dans le salon de Charles de Cobenzl, près de la rue Royale, chez un de ces grands fonctionnaires de l'État, plein de ce faste et de cette merveilleuse attraction que constitue en un certain sens cette aristocratie. Je ne dis pas cela uniquement par ironie, mais aussi parce qu'il en a non seulement l'élégance d'apparence, mais également l'élégance de pensée.

Jean-Marie Happart, c'est tout un programme. En politique, on dit souvent que l'on côtoie, au sein de son propre parti, des gens dont on partage les idées mais qui ne sont pas forcément des amis. Avec Jean-Marie Happart, c'est le contraire : je ne partage pas toujours ses idées mais c'est un ami. C'est un homme extrêmement chaleureux et fraternel. Nous nous sommes confrontés, « engueulés », parfois jeté des pierres - enfin, lui m'en a jetées ... (Rires) Nous avons connu des moments très difficiles, mais il est déjà venu me donner des conseils pour mon petit verger, dans le Namurois. Derrière son image un peu brute « d'homme de la campagne », il est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît et je souhaite lui rendre hommage.

Derrière moi, c'est l'eau et le feu. Je connais Anne-Marie Lizin depuis longtemps. Nous avons commencé à peu près en même temps notre parcours politique, dans des fonctions très différentes. J'ai pu l'apprécier ... et craindre l'inattendu.

Anne-Marie est une femme pleine de qualités et d'intelligence, dotée d'un sens du travail exceptionnel, comme l'a dit notre vice-président. Cependant, c'est toujours au moment où on ne l'attend pas qu'elle fera un mauvais coup ... (Sourires) Je ne résisterai pas au plaisir d'en raconter un, car ce mauvais coup est aussi un bon coup.

Quand j'étais vice-premier ministre, elle était secrétaire d'État à l'Europe et disposait déjà du réseau de relations que l'on sait. Léo Tindemans, ministre des Affaires étrangères, courait derrière elle pour tenter d'obtenir des rendez-vous avec les hommes d'État qu'elle avait vus avant lui. Cela provoquait quelques difficultés au gouvernement et Wilfried Martens me priait régulièrement de « m'occuper d'Anne-Marie ». Je l'incitais au calme, tout en reconnaissant que son travail était remarquable et son réseau de relations extraordinaire. Les rapports qu'elle me remettait d'ailleurs régulièrement - car elle me considérait, à l'époque ... (Rires) - faisaient de moi un homme souvent mieux informé que le ministre des Affaires étrangères.

Après la première guerre d'Irak, un consensus international faisait que Yasser Arafat était interdit de toute rencontre avec des hommes politiques américains et européens. Mais Anne-Marie Lizin m'annonce qu'elle a l'occasion de rencontrer le leader palestinien, arguant qu'il faudra quand même, un jour ou l'autre, lui reparler. Bien sûr, Tindemans, s'il le savait, en ferait un drame ... Je lui donne mon autorisation, à la condition que cette rencontre soit tout à fait discrète.

Peu de temps après, le journal télévisé de RTL s'ouvrait sur ce titre : « Anne-Marie Lizin rencontre Arafat à Tunis ». Reportage en direct : M. Arafat et Mme Lizin se font la bise. Les ennuis n'ont pas tardé. Au kern, ce fut ma fête. Je l'ai évidemment défendue ; j'étais bien obligé ... (Rires)

Sa réaction, lorsque je l'ai convoquée, fut à la hauteur du personnage : « C'était un hasard », me dit-elle d'un air désolé, « RTL était justement à Tunis ». Je me suis mis en rage. La superbe Anne-Marie, tout à coup muée en petite fille, m'a alors répondu : « Je n'aurais pas dû ; je ne le ferai plus. »

Politiquement, c'était un très beau coup. Elle a rouvert une voie que tout le monde a suivie. Il fallait évidemment parler avec le Président Arafat. Mais je n'en dirais peut-être pas autant sur le plan des relations au sein du gouvernement ...

Contrairement à Tindemans, Wilfried Martens était très sage, très gentil. Il était plutôt du genre à m'apaiser. Il m'enguirlandait un petit peu parce qu'il le fallait bien, mais cela n'allait pas plus loin.

Aujourd'hui, notre présidente a mis le feu au Sénat. Le problème est de savoir jusqu'où ira l'incendie. Je ne ferai aucun pronostic puisqu'elle est, par définition, imprévisible.

Je remercie le premier ministre, qui a bien voulu nous rendre ce charmant hommage et tous ceux qui s'y sont joints. J'ai apporté un petit cadeau pour mes collègues jubilaires et, bien entendu, pour le premier ministre. Il s'agit d'une brochure que la Région bruxelloise vient de sortir sur Molenbeek, « Molenbeek à la carte », pour les inviter à visiter ma commune.

À mes collègues néerlandophones, je dirai que contrairement à ce qu'ils croient, la porte de Flandre est à Molenbeek. Au premier ministre, je rappellerai que l'axe structurant de Molenbeek, c'est la Gentsesteenweg, que nous avons une frontière avec la Région flamande, que nous sommes une commune très proche. Ils ne doivent donc pas avoir peur. D'ailleurs, comme ils sont courageux, ils oseront peut-être y venir.

À M. Roelants du Vivier, je dirai que c'est un ouvrage dans lequel il verra que nous sommes sans doute une des communes les plus pauvres sur le plan archéologique, mais que nous ne sommes pas pour autant démunis. Il aura l'occasion de découvrir des choses intéressantes.

J'invite mes amis wallons, qui ne connaissent souvent de Bruxelles que le Pentagone, à prendre cette carte et à aller faire un petit tour à Molenbeek.

En politique, il y a le rationnel, l'idéologique et le sentimental. La grande brute qui est devant vous est très sentimentale. La commune de Molenbeek est vraiment devenue - je n'y ai pas grandi, j'y ai été parachuté - un morceau de mon coeur. J'espère que vous avez toutes et tous dans votre coeur un morceau de territoire et une population qui vous sont chers car, quelles que soient nos différences politiques, nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes pas là pour nous ou pour quelques-uns, mais pour les gens. (Applaudissements)

Mme la présidente. - Je déclare la séance extraordinaire close.

J'invite tous les présents à la réception offerte dans les salons du Sénat.

La prochaine séance aura lieu cet après midi à 15 heures.

(La séance est levée à 12 h 35.)