(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Le « Center for Global Development » vient de réaliser un classement de 21 pays donateurs dans un rapport intitulé « 2005 Commitment to Development Index ». La Belgique se classe 15e avec un commentaire pas très encourageant.
Que pense l'honorable ministre de cette étude, des conclusions, de sa méthodologie ?
Réponse : Le Centre pour le développement global, une institution américaine, publie cet index pour la troisième fois consécutive. Il vise non seulement à évaluer la politique des pays de l'OCDE vis-à-vis du tiers monde en fonction de leurs dépenses d'aide mais également à vérifier dans quelle mesure les pays se montrent « favorables au développement » dans d'autres domaines politiques. En effet, les investissements internationaux, les transferts des migrants vers leur pays d'origine, les flux commerciaux sont beaucoup plus importants que les montants affectés à la coopération au développement, et la politique relative à ces matières a donc un plus grand potentiel d'impact sur les pays en développement.
Dans le cadre des discussions internationales, c'est ce qu'il y a lieu d'entendre par « cohérence », à savoir que les pays de l'OCDE doivent veiller à l'impact de leurs politiques sur les pays en développement, et adapter si besoin est les mesures prises si l'impact s'avère négatif.
Je suis dès lors favorable à l'établissement de ce type d'index qui permet de mesurer la cohérence des politiques menées par les pays de l'OCDE.
L'index classe les pays dans 7 domaines : aide, commerce, investissements étrangers, migration, environnement, sécurité et technologie.
Tout classement a bien évidemment ses limites. Supposons qu'il existe un domaine politique dans lequel les 21 pays de l'OCDE considérés, sans exception, mènent une politique défavorable au développement. Le classement permet uniquement dans ce cas de relever les différences entre les pays de l'OCDE mais ne fournit aucune précision sur la qualité de la politique dans l'absolu.
Si l'on fait la moyenne des 7 domaines examinés, la Belgique se trouve à la 15e place. Les résultats de notre pays varient toutefois très fortement d'un domaine à l'autre :
Aide 8e place;
Commerce 13e;
Investissements étrangers 16e;
Migration 14e;
Environnement 9e;
Sécurité 16e;
Technologie 17e.
J'ai examiné en profondeur la méthodologie utilisée pour ce rapport et j'ai malgré tout quelques réserves à formuler. En premier lieu, je me suis penché sur l'indice relatif à l'aide.
Le rapport se base sur les chiffres de l'APD (Aide publique au développement) publiés par le CAD. On prend donc en considération l'aide belge totale que l'on divise par le revenu national.
Bien évidemment, ce chiffre du CAD ne permet pas de mesurer autre chose que des montants nominaux. L'Index d'engagement pour le développement tente de corriger le chiffre du CAD en l'assortissant d'un certain nombre d'indicateurs de qualité. Les auteurs partent en effet du point de vue que ce n'est pas seulement le volume total de l'aide qui importe, mais aussi sa qualité. Je suis également d'avis qu'il ne faut pas manquer de mesurer la qualité de l'aide et de faire une comparaison entre les donateurs. Je pense toutefois que la manière dont l'aide est mesurée dans ce rapport n'est pas tout à fait correcte.
— En premier lieu, le fait que la remise de dette consentie de manière bilatérale est déduite du chiffre de l'APD. En fait, cela signifie que les auteurs sont d'avis que la remise de dette n'a aucune valeur pour les pays en développement concernés. Il est exact qu'un certain nombre des pays en développement les plus pauvres ne remboursent qu'une petite partie du service de leur dette, et donc que l'économie réalisée au niveau du budget de l'État à la suite d'une remise de dette est inférieure au montant nominal de la dette. Cependant, on ne peut pas aller jusqu'à dire que les pays concernés n'en retirent absolument aucun avantage.
— En deuxième lieu, le fait que le chiffre de l'APD est corrigé en fonction de la « sélectivité », à savoir la mesure dans laquelle le pays donateur cible son aide principalement sur les pays les plus pauvres et sur les pays qui pratiquent une bonne gestion des affaires publiques (« good governance »). La question est de savoir si ces deux conditions peuvent effectivement être réunies dans un seul résultat, et plus encore, de savoir comment ce résultat doit alors être interprété.
Tout le monde sera naturellement d'accord pour dire que les donateurs doivent consacrer la plus grande partie de leur aide aux pays en développement les plus pauvres, car les besoins y sont en principe les plus criants. La démonstration est par contre plus malaisée en ce qui concerne le second volet l'expérience révèle que l'aide donne surtout de bons résultats dans les pays qui mènent une bonne politique macroéconomique et ciblée sur la pauvreté, et où l'administration fonctionne bien, et il est donc intéressant, pour un pays donateur, de cibler particulièrement son aide sur ce type de pays à la gestion saine. Le problème réside évidemment dans le fait que dans la plupart des pays les plus pauvres, la capacité des administrations est souvent très réduite, et qu'il est généralement plus difficile d'y mettre en place une politique cohérente de lutte contre la pauvreté. Les pays donateurs sont confrontés à un dilemme car cibler prioritairement l'aide sur les pays les plus pauvres implique que l'on doit accepter de travailler dans des pays où les capacités institutionnelles sont limitées. Si le pays donateur choisit par contre les pays dotés de capacités plus grandes, son action s'exercera principalement dans les pays en développement les moins pauvres. Compte tenu de ce dilemme, il est difficile de se prononcer clairement sur la manière d'interpréter le résultat obtenu pour cet indice.
— Je souhaiterais par ailleurs faire observer que les indicateurs de « bonne gouvernance » utilisés dans l'index ne se rapportent pas uniquement au caractère démocratique d'un régime. L'étude se sert des indicateurs élaborés par la Banque mondiale (équipe de D. Kaufmann). Ces indicateurs portent sur six domaines : le niveau d'appropriation de la population, le risque de violences politiques, la qualité de l'administration, la mesure dans laquelle un pays mène une politique encourageant le développement du secteur privé, l'ordre juridique, et la politique anticorruption.
Les indicateurs de « bonne gouvernance » vont donc au-delà de la distinction entre régimes démocratiques et régimes autoritaires.
— Enfin, une dernière correction est apportée, relative à l'importance du « saupoudrage » de l'aide entre de nombreuses petites activités. Un consensus s'est en effet dégagé au sein de la communauté des donateurs sur l'idée que par le passé, l'aide a servi à un nombre trop important de petits projets indépendants les uns des autres, ce qui a eu pour effet d'accroître les frais de gestion de l'aide et de diminuer les chances de parvenir à des résultats durables. Le problème réside toutefois dans la manière dont cette étude mesure le saupoudrage : en Belgique, une part importante de l'aide est accordée via les ONG. Il s'agit généralement, il est vrai, de projets et de programmes plus petits que dans le cadre de la coopération gouvernementale. Au niveau de l'index examiné ici, la Belgique se voit donc sanctionnée en tant que donateur du fait qu'elle travaille fréquemment avec les ONG.
En résumé, si le rapport s'efforce de prendre également en considération la qualité de l'aide, et pas seulement le volume, j'estime que les indicateurs de qualité sélectionnés ne sont pas encore au point. Il s'agit par ailleurs d'une matière complexe.
En ce qui concerne l'indice relatif à la sécurité, la participation à des opérations de paix pèse beaucoup dans la balance. Il ne fait pas de doute que les petits pays sont désavantagés à cet égard : si certaines années, la Belgique prend part à de telles opérations, il y a des années où ce n'est pas le cas. Il y a par contre une grande probabilité que les grands pays soient eux presque constamment associés aux opérations de paix. Le résultat d'un petit pays dépend donc de l'année pour laquelle la mesure est effectuée.
Par conséquent, je suis d'avis que la méthodologie utilisée pour le calcul des résultats n'est pas non plus tout à fait au point.
Conclusion :
Compte tenu des problèmes posés par la méthodologie utilisée, j'ai des doutes sur l'exactitude du classement de la Belgique dans chacun des domaines politiques examinés. Néanmoins, le fait que la Belgique ait obtenu, dans plusieurs domaines, de moins bons résultats que celui relatif aux flux d'aide, me renforce dans mon intention de maintenir les objectifs de cohérence et de qualité des politiques au rang de priorités dans mon département.