3-1578/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

23 FÉVRIER 2006


La Communauté Economique des Pays des Grands Lacs


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR

M. GALAND ET MME VAN de CASTEELE


I. INTRODUCTION

Ces dix dernières années, la région des Grands Lacs a été le théâtre de catastrophes humaines et bouleversements politiques sans précédent: quatre chefs d'État assassinés (deux au Burundi, un au Rwanda, un au Congo), un million de morts au Rwanda, 500 000 au Burundi, 3 500 000 au Congo, tandis que les conflits, avec leurs dynamiques respectives, ont profondément affecté la confiance entre trois pays qui demeurent cependant des partenaires naturels. Ces années de guerre ont littéralement dévasté des économies déjà peu solides, plongeant la quasi-totalité des populations dans la pauvreté la plus extrême.

L'accord de paix de Pretoria, signé en décembre 2002, a lancé en 2003 une transition destiné à mettre fin à une guerre civile et régionale qui a déchiré la RDC pendant près de cinq ans. Si l'actualité nous rappelle sans cesse la fragilité de ce processus de paix (1) , force est de constater que la transition a permis néanmoins d'enrailler significativement le climat d'extrême violence qui avait prévalu jusque là dans la région. L'adoption de la nouvelle Constitution le 18 décembre dernier devrait renforcer cette tendance et permettre, par ailleurs, l'organisation d'élections générales en RDC d'ici le 30 juin 2006. Le Rwanda et le Burundi ont quant à eux achevé leur transition politique suite à la tenue d'élections présidentielles et législatives, respectivement en août 2003 et septembre 2005. Ils sont donc entrés officiellement dans une phase de normalisation politique.

C'est dans ce contexte de stabilisation de la région que plusieurs acteurs dont la Belgique ont amorcé l'idée d'une réactivation de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) comme complément vital au processus de paix et de transition en cours dans ces pays. Le 11 juillet 2004, à l'invitation du ministre belge des Affaires étrangères alors en fonction, Louis Michel, les ministres des Affaires étrangères de la RDC, du Rwanda et du Burundi se sont réunis au Palais d'Egmont à Bruxelles pour discuter des modalités d'une éventuelle relance de la Communauté Economique. À cet effet, ils ont notamment décidé de mettre en place un Commission d'Évaluation et de Relance des mécanismes et instruments existants de la CEPGL en vue de faire des propositions opérationnelles, et ceci dans le cadre d'un agenda et d'un calendrier clairement définis.

La problématique de la redynamisation de la CEPGL a également été abordée dans le cadre de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs et a fait l'objet d'un rapport en octobre 2005.

Dans le même ordre d'idées, l'AWEPA a plaidé dans ses travaux — en particulier dans la « Déclaration de Kigali » d'avril 2005 et dans la « Déclaration de Kinshasa » de novembre 2005 — en faveur de la redynamisation de la CEPGL.

De surcroît, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies (27 janvier 2006, 5359e session) concernant la situation des Grands Lacs, le ministre belge des affaires étrangères, Karel De Gucht, a insisté sur l'effet stabilisateur de la coopération économique régionale, soulignant que la CEPGL pourrait devenir un facteur d'intégration entre les populations de la RDC, du Rwanda et du Burundi. Enfin, se référant à la région, la Commission européenne a insisté sur le fait que la paix et la stabilité d'une part, et le développement économique d'autre part, sont étroitement liés: l'un n'est pas possible sans l'autre.

Ce rapport se veut une base de discussion à la conférence parlementaire des Grands lacs — rassemblant des parlementaires rwandais, congolais, burundais et belges — qui se tiendra du 24 au 28 février prochains à Kigali et aura pour thème principal la relance de la coopération régionale entre les pays de la région.

La première partie de cette note vise à donner un aperçu général de la question de la renaissance de la CEPGL. Des recommandations sont proposées dans un second temps. Nous insistons cependant sur le fait que ce rapport doit être appréhendé comme une simple contribution de la Belgique à la relance de la CEPGL. Il ne s'agit en aucun cas de prescriptions adressées aux pays de la région.

II. LA CEPGL: SA CRÉATION, SES INSTITUTIONS ET SES OBJECTIFS

La CEPGL, fondée le 20 septembre 1976, regroupe trois pays de la région des grands Lacs, à savoir, la RDC, le Burundi et le Rwanda. Elle a son siège à Gisenyi ville rwandaise jumelle de Goma (de l'autre côté du Lac Kivu).

Elle constitue la continuité institutionnelle des accords de sécurité de la Tripartite conclus en 1966 entre ces mêmes pays afin de remédier au climat d'instabilité qui suivit leur indépendance.

Les objectifs déclarés dans les statuts de la CEPGL sont au nombre de quatre:

— assurer la sécurité des États et de leurs populations de façon qu'aucun élément ne vienne troubler l'ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives;

— concevoir, définir et favoriser la création et le développement d'activités d'intérêts communs;

— promouvoir et intensifier les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des biens;

— coopérer de façon étroite dans les domaines social, économique, commercial, scientifique, culturel, politique, militaire, financier, technique, touristique, et plus spécifiquement en matière judiciaire, douanière, sanitaire, énergétique, de transports et de télécommunications.

Pour faire fonctionner la CEPGL, les États membres ont mis en place certaines institutions, des organismes spécialisés et entreprises communes. Les instituions de cette communauté régionale sont les suivantes:

— la conférence des chefs d'État: plus haute instance décisionnelle de la communauté, elle oriente la politique générale dans tous les domaines de coopération;

— le Conseil des ministres et commissaires d'État: chargé de promouvoir toutes les actions tendant à la réalisation des objectifs définis;

— le secrétariat exécutif permanent: a entre autres pour mission d'élaborer des projets d'intérêt commun et de les soumettre aux États membres avec des propositions concrètes ayant trait notamment à l'implantation des industries, compte tenu des critères communs, d'avantages mutuels et du volume des échanges commerciaux provenant de ces mêmes industries; il s'occupe également de suivre la réalisation des projets en cours d'exécution, de formuler des propositions de modification de réajustements éventuels, de signaler les solutions;

— la commission technique d'arbitrage.

Au cours de son existence, la CEPGL a également mis en place des organismes spécialisés et des entreprises communes:

— l'institut de la recherche agronomique et zootechnique (IRAZ): sa mission principale est de faire de la recherche dans le domaine agronomique et zootechnique et de participer à l'exécution des projets communautaires, dans le but de favoriser l'autosuffisance alimentaire des pays membres;

— la Banque de Développement des États des Grands Lacs (BDEGL): a pour objectif principal de mobiliser des ressources en vue de financer des projets visant à poursuivre l'intégration économique et le développement de la région;

— la société internationale pour l'électricité des Grands Lacs (SINELAC): est chargée de l'exploitation de la centrale hydro-électrique communautaire de la Ruzizi II ainsi que de la commercialisation de l'énergie produite aux trois pays membres via leurs sociétés nationales d'électricité;

— l'Organisation de la CEPGL pour l'énergie des Grands Lacs (EGL): sa mission est d'assurer la coopération entre les États membres dans le secteur de l'énergie et de jouer le rôle d'organe de planification, d'études et de réalisation des projets.

La CEPGL se fonde sur des principes proches des expériences de l'Union européenne et du Benelux: le principe de libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services et un droit d'établissement au sein des trois pays; l'ouverture des frontières entre pays membres et une politique douanière commune vis-à-vis de l'extérieur; le développement des infrastructures, des communications, des banques ...; la convergence et l'harmonisation des politiques économiques, sociales et agricoles.

III. BILAN DE LA CEPGL ET DE SES ENTREPRISES COMMUNES

Plusieurs éléments expliquent le fonctionnement laborieux de la CEPGL pendant deux petites décennies. Tout d'abord, la communauté économique est rapidement privée de ressources du fait du non-paiement des contributions par les États Membres. Ensuite, plusieurs incidents surviennent (viol des accords de sécurité et perte de confiance mutuelle), ce qui nécessitera parfois des sommets extraordinaires des chefs d'État pour relancer la coopération.

La crise burundaise puis le génocide rwandais plongent néanmoins la CEPGL dans une crise profonde, suscitant une réunion des chefs d'État en novembre 1994. Le sommet extraordinaire, qui doit redynamiser la Communauté, amène la prise de deux décisions:

— la mise en place de mécanismes de gestion de la sécurité aux frontières;

— la refonte administrative du secrétariat et des organismes spécialisés pour favoriser la relance des activités dans les domaines prioritaires (commerce, agriculture, industrie, énergie, environnement, recherche scientifique, transports et communications, et circulation des personnes). Cette restructuration conduit à une réduction du nombre d'agents de 80 %.

En 1996, tous les accords sont suspendus suite à l'agression de la souveraineté territoriale zaïroise par les troupes de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et de l'Armée Patriotique Rwandaise (APR).

Depuis lors, la CEPGL se trouve dans un état d'apathie totale. Le dernier sommet des chefs d'État remonte au mois de novembre 1994, et la présidence de la Communauté, généralement circonscrite à un an, reste depuis 1992 à la RDC. Le Conseil des ministres et les autres Institutions sont dans la même situation de paralysie.

Si la CEPGL a aujourd'hui cessé ses activités, ses entreprises communes ont connu des destinées plus contrastées:

— la SINELAC est la seule institution de la CEPGL qui fonctionne normalement. Entre 1991 et 2001, elle a fourni, en moyenne, respectivement 45 %, 17 % et 21 % de la production nationale de l'énergie électrique dans le système interconnecté de la CEPGL, destinée au Rwanda, au Burundi et à la RD Congo. La SINELAC doit cependant faire face aujourd'hui aux impayés des sociétés nationales des pays membres pour leurs consommations d'énergie électrique de la centrale Ruzizi II;

— depuis 1996, les activités de l'EGL ont sensiblement diminué en raison de la crise socio-politique qui a ébranlé la région des Grands Lacs. En outre, cet organisme est aujourd'hui confronté à d'énormes difficultés financières et, par conséquent, ne peut faire face aux besoins de son fonctionnement normal. De fait, les contributions financières des États membres ne sont plus versées depuis 1989. Malgré ces difficultés, l'EGL a continué à exercer certaines activités telles que: la planification des études de projets, le suivi des activités du Comité de Pilotage des Projets Ruzizi III et la ligne Haute tension Rwegura (Burundi)-Kigoma (Rwanda). L'enjeu principal dans ce dossier est d'imaginer d'autres sources de mobilisation des ressources financières pour l'EGL;

— l'IRAZ poursuit ses recherches en vue d'assurer « la sécurité alimentaire et l'équilibre nutritionnel de la région ». Confronté cependant à la crise, il a dû suspendre des programmes et réduire son personnel. Fin septembre 2003, 5 programmes faisaient encore l'objet de recherches, dont les plus importants sont le programme bananier et la culture in vitro pour les pommes de terre, le manioc et les colocase. Cela étant, d'après les conclusions d'une étude réalisée sous la coordination des Pays-Bas, l'IRAZ n'offrirait aujourd'hui des services qu'à une clientèle burundaise uniquement;

— la BDEGL est actuellement à l'arrêt. Elle doit faire face au problème de reconstitution se son capital qui a été englouti par les créances sur l'Office de gestion de la dette publique de la RDC (OGEDEP). Des disfonctionnements liés à son organisation interne seraient également à l'origine de la cessation d'activités de la banque.

IV. LA RELANCE DE LA CEPGL: OBSTACLES ET OPPORTUNITÉS

Il existe plusieurs obstacles à la relance de la CEPGL:

1 — les tensions liées à la transgression des limites territoriales, des accords de coopération et de sécurité de base, demeurent le premier obstacle dans cette région instable où les conflits sont encore récurrents. La RDC pose d'ailleurs comme condition absolue à la relance de la Communauté Economique au respect de ses frontières;

2 — le non-respect des droits de propriété et des règles de gestion des richesses naturelles du sous-sol congolais peut aussi empêcher la relance. En effet, ces importantes ressources naturelles éveilleront toujours la convoitise des bandes rebelles;

3 — durant la période d'hostilités dans l'Est du Congo, les divers groupes en présence ont exercé une « main mise » sur une partie de l'économie congolaise à travers l'exploitation des mines, le pillage et la vente à bas prix de sociétés publiques congolaises. Ces contentieux doivent être solutionnés pour garantir une coexistence pacifique dans la région;

4 — les causes de l'essoufflement de la CEPGL: entre autres, le manque de participation de la population et du secteur privé, le fait que la Communauté ait été mise en place trop rapidement et la prolifération des communautés économiques africaines.

Parmi les atouts pour la relance, on peut néanmoins citer:

1 — l'existence des accords de coopération et d'intégration sous régionales;

2 — l'existence du patrimoine immobilier de la CEPGL;

3 — le soutien apporté par certains partenaires au développement pour la relance de la CEPGL.

V. LA POSITION DES ACTEURS RÉGIONAUX DIRECTS ET INDIRECTS

Cette section vise essentiellement à définir brièvement la position des différents acteurs concernés par la relance de la coopération économique dans la région.

Plusieurs raisons expliquent l'intérêt particulier du Rwanda pour la relance de la CEPGL. Tout d'abord, ce pays est soucieux de résoudre son problème énergétique et soutient dès lors vivement la redynamisation de la SINELAC — et accessoirement de l'EGL. Deuxièmement, le Rwanda est toujours désireux d'avoir accès aux marchés de l'est du Congo et de leur fournir des services. De fait, ce pays est confronté à des problèmes de surpopulation, dispose de peu de richesses et ses terres en altitude sont difficilement cultivables. Enfin, certaines de ses richesses, comme le gaz naturel du lac Kivu, sont communes à la RDC. Leur exploitation nécessite dès lors une coopération.

Le Burundi a les mêmes conditions géographiques que le Rwanda et partage les mêmes préoccupations en matière énergétique. Il est cependant intéressant de noter que, tout comme son voisin rwandais, il oriente de plus en plus ses politiques en matière d'intégration sous-régionale vers l'est. Ces deux pays font d'ailleurs partie des États membres de l'ESA (au contraire de la RDC), laquelle est l'organisation reconnue comme interlocutrice par l'UE pour négocier un APE.

En RDC, une partie de la population rejette l'idée d'une reprise de la coopération régionale invoquant l'impunité totale dans laquelle vivent les auteurs de nombreux crimes commis pendant la guerre. Ils craignent également l'exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. D'autres, notamment dans les milieux économiques congolais, ne s'opposent pas au processus de relance mais émettent certaines réserves. Ils considèrent que celui-ci requiert certaines conditions pour être effectif: l'intégrité territoriale du pays, la paix et l'aboutissement du processus de transition vers la démocratie en RDC.

L'Afrique du sud, quant à elle, s'est impliquée dans le processus de paix dans les Grands Lacs (notamment via l'envoi de forces de maintien de la paix). Partenaire économique important de la région, elle s'est engagée également dans divers projets d'infrastructure (ex. réhabilitation des réseaux d'électricité Inga 1 et 2).

Le Kenya, la Tanzanie et l'Ouganda — pays d'Afrique de l'est faisant partie de l'EAC (East African Community) — ne voient pas nécessairement d'avantages à un rétablissement de la CEPGL. L'Ouganda notamment ne souhaite pas être écarté du jeu et veut continuer à participer à l'exploitation des ressources naturelles congolaises.

L'Union Européenne (UE) a appelé à plusieurs reprises à la relance des activités de la CEPGL, considérant que les conditions politiques dans les Grands Lacs sont désormais réunies. Depuis 2002, l'Union a mobilisé pour cette région et ses pays plus d'un milliard d'euros. Elle s'est notamment investie dans des domaines tels que la gouvernance, le processus électoral (149 millions d'euros ont ainsi été débloqués pour la RDC), et la reconstruction des services et infrastructures de base (par exemple la reconstruction des Routes Nationales 12 et 13 en RDC). L'UE a également adopté, le 12 octobre 2005, une nouvelle Stratégie pour l'Afrique élaborée par son commissaire au développement et à l'aide humanitaire, Louis Michel. La stratégie définit un cadre d'action pour l'ensemble des États membres de l'Union européenne et la Commission européenne afin d'appuyer les efforts déployés par l'Afrique pour atteindre les Objectifs du millénnaire pour le développement (OMDs) des Nations unies. Enfin, il est également important de souligner que l'initiative de redynamisation de la CEPGL est en phase avec la politique de développement de l'Union (Accords de Cotonou) qui vise précisément à promouvoir l'intégration régionale en Afrique subsaharienne à travers la négociation d'Accords de Partenariat Economiques (APE).

La Belgique, historiquement liée aux pays des Grands Lacs, estime que la CEPGL pourrait être le moteur d'une paix régionale retrouvée et que le retour à la stabilité dans la région favoriserait de nouveaux investissements. La Belgique dispose également d'un savoir faire qui pourrait être utilement mobilisé pour la relance de la CEPGL.

L'Union africaine (UA) a joué un rôle non négligeable dans la consolidation de la paix et de la sécurité dans la région. Elle est notamment à l'origine, en étroite collaboration avec le Secrétaire général des Nations unies, de l'organisation du premier sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs, qui s'est tenue à Dar-es-Salam en novembre 2004. Concernant plus spécifiquement la problématique de la relance de la CEPGL, l'enjeu consiste ici à étudier les modalités d'insertion de cette initiative dans le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) actuellement promu par l'UA. Il convient de noter à ce sujet que l'intégration et la coopération régionale est l'un des principes guidant le programme d'action du NEPAD.

Enfin, le retour à la stabilité dans la région va certainement inciter la Chine à renforcer sa coopération avec les pays des Grands Lacs. En effet, la montée en puissance de Pékin en Afrique est indiscutable. Au cours des années 1990, le volume des échanges commerciaux entre ce pays et le continent a crû de 700 % et, depuis l'organisation, en l'an 2000 à Pékin, du premier forum sino-africain, plus d'une quarantaine d'accords ont été signés, doublant la valeur totale des échanges en quatre ans (plus de 20 milliards de dollars fin 2004). La Chine devrait d'ailleurs d'ici peu devenir le troisième partenaire (après les États-Unis, la France et devant le Royaume-Uni) commercial de l'Afrique.

VI. RECOMMANDATIONS CONCERNANT LA RELANCE DE LA CEPGL

Dans cette conclusion, nous abordons les trois problématiques suivantes: tout d'abord, les principes devant régir le processus d'intégration régional; deuxièmement, les moteurs de la relance de la CEPGL; enfin, les actions que devrait entreprendre la Belgique en vue de renforcer le développement économique et social des États des Grands Lacs.

A. Fondements du processus d'intégration régional

La redynamisation de la CEPGL devrait avoir pour principaux objectifs la promotion de la croissance économique de la région, la satisfaction des besoins essentiels des populations et le rétablissement de la confiance mutuelle entre ses États membres.

L'accomplissement d'un tel projet impliquerait non seulement la mise à profit des énormes potentialités de la région telles que les ressources minières, énergétiques (pétrole, gaz, électricité, ...) et touristiques mais également l'élaboration de politiques économiques régionales promouvant les industries naissantes et la stabilité financière via l'établissement de contrôles sur les échanges commerciaux et mouvements de capitaux et opérant ainsi une intégration progressive de la région dans l'économie mondiale.

Sur le long terme, la réalisation d'une intégration approfondie entre ces pays pourrait produire les effets économiques suivants: une hausse des investissements, des économies d'échelle, un effet de diversion (i.e. les importations des nations membres seraient favorisées au détriment d'autres importations), ainsi que le passage d'un commerce de type « interrégional » à un commerce « intrarégional ».

Il demeure cependant uniquement du ressort des États membres de la CEPGL de s'engager sur cette voie ambitieuse. Par ailleurs, toute précipitation visant à brûler les étapes menant à une unification économique éventuelle pourrait compromettre l'ensemble du processus.

Aussi, compte tenu du climat de méfiance qui a prévalu ces dix dernières entre les États de la région, il conviendrait, dans un premier temps, d'utiliser la CEPGL comme un cadre institutionnel de concertation dans la sous région ayant pour objectifs, d'une part, la réalisation de projets d'intérêts communs dans le domaine social et économique et, d'autre part, la consolidation de la paix et de la sécurité dans la région. Ces deux points pourraient en effet constituer les instruments de la réactivation de la CEPGL.

B. Les moteurs de la relance de la CEPGL

i. La consolidation de la paix et de la sécurité

La CEPGL peut tout d'abord constituer un cadre permanent de dialogue et de négociations pour les pays des Grands Lacs et contribuer à la confiance mutuelle entre les partenaires. Ainsi, pourrait-elle favoriser la coopération entre les États membres en matière de sécurité aux frontières communes. Dans cette optique, elle pourrait mobiliser les instruments existants de prévention et de gestion de conflits pour la région.

ii. Programmes d'intérêts communs

L'énergie: il s'agit du vecteur de relance principal de la CEPGL et est considéré comme un dossier prioritaire par les États de la région. En témoigne la réunion des ministres en charge de l'Énergie du Burundi, de la RDC et du Rwanda le 5 décembre 2005 à Kigali, Rwanda. Dans un communiqué conjoint, les ministres en question ont exprimé leur désir de relancer la coopération dans le secteur de l'énergie et de poursuivre leurs efforts dans le développement de l'hydroélectricité à partir des ressources communes en consultation avec les autres pays riverains. Ils ont également souligné la nécessité et l'urgence d'augmenter la capacité de production de l'électricité en réhabilitant et/ou en fiabilisant les installations existantes ainsi qu'en mettant en place des nouvelles installations. Dans cette perspective, ils ont convenu de:

— la relance des activités de la CEPGL et de ses Institutions spécialisées, en particulier l'Énergie des Grands Lacs (EGL);

— la réhabilitation des installations existantes suivantes: les centrales hydroélectriques de Ruzizi I, II et de Budana (Bunia);

— l'initiative du Rwanda de l'installation d'une centrale thermique à gaz méthane du Lac Kivu de 35 MW dans la première phase pilote;

— de la tenue de l'Assemblée Générale de la SINELAC du 20 au 22 décembre 2005 à son siège à Bukavu (RDC).

En dehors des conclusions de cette réunion, il convient également de signaler que la SINELAC a mis en chantier un programme visant la construction d'une nouvelle centrale Ruzizi III, d'une puissance de 82 Mwatt. L'étude réalisée par Tractebel, prévoit un budget de 145 millions d'euros.

Enfin, il est important de souligner qu'il existe une demande précise faite à la Belgique de financer (€ 8 millions) la réhabilitation de Ruzizi 2. Il y a également d'autres projets à l'étude auxquels la Belgique pourrait contribuer tels que: la construction de la centrale Ruzizi III ou l'exploitation du gaz méthane du Lac Kivu. D'autres bailleurs pourraient être associés à ces projets.

Les secteurs des transports et communications sont d'évidence essentiels dans la perspective d'une accélération de la coopération régionale. À ce sujet, il conviendrait d'étudier les projets pouvant faire l'objet d'une prise en charge conjointe dans des domaines tels que les transports routiers, ferroviaires, maritimes et aériens et le secteur des télécommunications.

L'agriculture: ce domaine présente également de nombreuses potentialités qui sont encore trop peu développées, notamment: les secteurs sucrier (au Burundi) et laitier (au Nord-Kivu et au Rwanda). L'exploitation conjointe pour le bois, le café, le thé, l'eau et l'écotourisme est également envisageable. Enfin, la pêche constitue également un secteur économique important: le Burundi et la RDC ont en commun un énorme potentiel poissonneux dans le lac Tanganyika. Sur le plan institutionnel, une redynamisation de l'IRAZ a aussi évoquée. Si, à l'origine, cet institut avait pour objet d'étudier et d'exécuter les projets agricoles et zootechniques communautaires, il fonctionne aujourd'hui avec les subsides du gouvernement burundais et ne travaille dès lors plus qu'avec une clientèle exclusivement burundaise. Dans ce contexte, certains suggèrent la transformation de l'actuel IRAZ en un réseau régional, tout en assurant un soutien aux institutions nationales de recherche agricole et zootechnique pour réduire les écarts qui existent aujourd'hui entre elles.

Le secteur bancaire: la relance des activités de la BEDGL a été envisagée afin de faciliter la mise en œuvre des programmes économiques dans la région. Plusieurs solutions ont d'ailleurs été proposées à cet effet (2) . Cette initiative ne fait cependant pas l'unanimité. Certains considèrent en effet que la réactivation cette banque demanderait une mise de fonds assez conséquente pour apurer le passif et doutent de l'intérêt de se doter d'un nouvel instrument financier — à côté de ceux qui existent déjà. À cet égard, ils soulignent que les trois pays appartiennent déjà à des structures régionales ou sous-régionales ayant leurs propres institutions financières.

La mise en œuvre d'une politique régionale sur l'habitat, le genre et la lutte contre le VIH/SIDA constituerait également un moteur d'intégration régional.

C. Le rôle de la Belgique dans la relance du développement régional

L'action de la Belgique dans les Grands Lacs devrait se centrer sur les trois dimensions suivantes: d'une part, poursuivre la consolidation de la paix et des processus de transitions en cours dans la région; d'autre part, assurer aux États de la région des conditions plus favorables à la conduite de leurs affaires économiques; enfin, aider au développement socio-économique de la région.

i. La paix et la sécurité aux frontières constituent un préalable indispensable à la reconstruction de la région. Dans cette perspective, nous demandons au gouvernement belge:

— de conditionner de manière durable toute aide au respect de l'intégrité territoriale de chacun des pays de la région;

— d'œuvrer à la mise en pratique des recommandations du groupe d'experts de l'ONU sur l'Est du Congo, en particulier à la création d'un mécanisme de surveillance du commerce des armes à destination de cette région. Ce mécanisme doit également permettre de contrôler le lien entre le commerce des armes et l'exploitation du diamant, de l'or et du coltan;

— de continuer à appuyer la mise en œuvre des plans de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), et de rapatriement et de réinstallation (DDRRR) dans les Grands Lacs, afin de garantir la démobilisation des enfants soldats, des groupes rebelles et des milices, ainsi que leur réinsertion dans la vie civile;

— de promouvoir renforcement de l'efficacité de la MONUC (la mission des nations unies au Congo);

— d'apporter son appui aux divers processus de transition démocratique dans la région;

— de soutenir la consolidation de l'État de droit et la remise en place de l'administration dans son ensemble dans les pays des Grands Lacs.

ii. Afin d'assurer aux États de la région des conditions plus favorables à la conduite de leurs affaires économiques, nous recommandons au gouvernement belge:

— de plaider pour l'annulation de la dette de la RDC, du Rwanda et du Burundi (3) auprès des créanciers bilatéraux (Club de Paris et autres) et multilatéraux (FMI, Banque mondiale et Banque africaine de développement). Les modalités d'application d'une telle mesure devraient néanmoins être conditionnées à la mise en œuvre effective de mécanismes de lutte contre la corruption et à l'utilisation des fonds dégagés pour la réalisation des objectifs de développement du millénaire dans ces pays. Il faut également veiller à ce que la remise de la dette ne soit pas prétexte à la création d'une nouvelle dette très lourde;

— de poursuivre, sur le plan bilatéral, ses efforts en faveur de l'annulation de la dette de la RDC, du Rwanda et du Burundi, en tenant compte des mêmes conditions;

— de faciliter des enquêtes tant au niveau belge qu'au niveau international afin de réattribuer aux populations de la région l'argent mal acquis et placé dans des banques à l'étranger;

— de veiller à ce que les positions que le gouvernement belge adopte au sein des Institutions Financières Internationales (Banque Mondiale, FMI) soient en adéquation avec les objectifs de développement du millénaire qu'il s'est engagé à promouvoir dans la région des Grands Lacs. Plus particulièrement, il est indispensable que le gouvernement belge procède à un examen approfondi de l'impact socio-économique des mesures macroéconomiques et d'ajustement structurel figurant dans les Documents stratégiques de réduction de la Pauvreté (DSRP) adoptés par la RDC, le Rwanda et le Burundi, sous l'égide de la Banque mondiale et du FMI.

iii. Dans le but de promouvoir un développement économique et social soutenable de la région et rappelant les demandes déjà adoptées par le Sénat concernant la RDC, le Burundi et le Rwanda, nous recommandons tout particulièrement au gouvernement belge (4) :

— d'accorder la priorité au développement humain dans sa politique de coopération avec les États de la région, c'est-à-dire un développement axé sur la satisfaction des besoins prioritaires des populations dans les domaines de la sécurité alimentaire, de la santé, de l'éducation et la formation, l'accent devant être mis sur les catégories les plus démunies ou les plus vulnérables de la population;

— de soutenir les investissements dans les infrastructures dans la région;

— de favoriser la réhabilitation des coopératives d'épargne et de crédit ainsi que des associations mutualistes dans la région;

— de mener une politique active en vue d'aider les entreprises belges qui souhaitent investir dans la région;

— de veiller à ce que le soutien que le gouvernement belge accorde aux entreprises actives dans les Grands Lacs vise à promouvoir l'entreprise socialement et écologiquement responsable;

— d'accorder une importance particulière aux microcrédits dans le cadre de sa coopération avec les pays de la région;

— de soutenir — en partenariat avec l'UE, la Banque Mondiale et les gouvernements de la région — un système de crédit pour relancer les PME;

— de solliciter de l'aide au niveau européen et au niveau international pour la reconstruction de la région;

— de soutenir la restauration des écosystèmes dégradés;

— d'accompagner la coopération au développement avec les pays des Grands Lacs au respect de certains critères, à savoir la mise en œuvre de politiques de bonne gestion des affaires publiques, le respect des droits de l'homme, la reconstruction et la réconciliation, la défense de l'intégrité humaine et territoriale, le respect des principes démocratiques et la mise en place d'un appareil judiciaire indépendant;

— de soutenir le monde associatif en RDC, au Rwanda et au Burundi et de favoriser des actions triangulaires concertées entre les ONG, Universités, organisations patronales, syndicats et mouvements sociaux de ces trois pays.

II. VOTES

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité des 9 membres présents.

Ce rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Les rapporteurs, Le président,
Pierre GALAND.
Annemie VAN de CASTEELE.
François ROELANTS du VIVIER.

(1) RDC: Dans l'Est du Congo, le groupe des insurgés Hutus rwandais, le FDLR, n'a pas tenu sa promesse de mars 2005 l'engageant à un retour pacifique et continue d'être impliqué dans certains massacres. Dans le Nord Kivu, les forces rebelles du général Laurent Nkunda ont attaqué le 18 janvier 2006 plusieurs localités dans le territoire de Rutshuru. Dans le Nord Katanga, les groupes Mai-Mai se sont battus tant entre eux que contre l'armée congolaise, provoquant le déplacement de plus de 280 000 habitants dans la province. Enfin, en Ituri, malgré la présence de la Mission de l'Organisation des Nations unies en République Démocratique du Congo (MONUC), 4 000 à 5 000 combattants attaquent encore régulièrement la population locale, les troupes internationales ainsi que les agents humanitaires. Au Burundi, la situation sécuritaire ne s'est pas améliorée dans les provinces de Bubanza et Bujumbura Rural au cours du mois de décembre en raison de la poursuite des affrontements entre la Force de Défense nationale (FDN) et le mouvement rebelle FNL. Ces combats ont provoqué la mort de plusieurs civils et de nombreuses personnes ont été blessées.

(2) La partie du capital de la BDGEL qui a été payée et libérée représente un montant de 33 millions de DTS. Un règlement de la dette de l'OGEDEP de la RDC vis-à-vis de cette banque devrait être envisagé afin de lui permettre de reconstituer son capital. À ce sujet, la Banque Mondiale, ainsi que d'autres partenaires au développement, seraient intéressés à assister cette banque. Le Prof. Couvreur, auteur du rapport sur l'évaluation de cette banque, propose, quant à lui, que l'on trouve une formule pour racheter la dette de l'OGEDEP, par exemple à 25 % de sa valeur nominale par un consortium de partenaires au développement qui deviendra ainsi créancier de la RDC.

(3) Sénat de Belgique, Les relations de la Belgique avec l'Afrique centrale: le Burundi, session de 2003-2004, 18 mai 2004, Rapport fait au nom de la Commission des relations extérieures et de la défense par Mme Thijs, 3- 256/1; Sénat de Belgique, Les relations de la Belgique avec l'Afrique centrale: le Rwanda, session de 2003-2004, 18 mai 2004, Rapport fait au nom de la Commission des relations extérieures et de la défense par M. Hostekint; Sénat de Belgique, Les relations de la Belgique avec l'Afrique centrale: la République démocratique du Congo, session de 2003-2004, 18 mai 2004, Rapport fait au nom de la Commission des relations extérieures et de la défense par Mme de Bethune et M. Galand.

(4) D'après l'OCDE (2000): « la mise en œuvre intégrale de l'initiative [PPTE] ne se traduira pas par une diminution de la valeur nominale de la dette, car les allégements prendront pour l'essentiel la forme de remises d'intérêts et de dons destinés à financer le service de la dette, et non de réductions directes de l'encours de cette dette ». De UNCTAD merkt op (2000): « les espoirs que l'on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l'initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L'allègement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (...); par ailleurs, l'ampleur de l'allègement de la dette et la manière dont il interviendra n'auront pas d'effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté ».