3-145

3-145

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 12 JANVIER 2006 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Alain Destexhe au ministre des Affaires étrangères sur «l'arrestation d'Hissène Habré et son extradition en Belgique» (nº 3-936)

Mme la présidente. - M. Bruno Tuybens, secrétaire d'État aux Entreprises publiques, adjoint à la ministre du Budget et de la Protection de la consommation, répondra au nom de M. Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères.

M. Alain Destexhe (MR). - Plusieurs parlementaires de cette assemblée avaient, comme moi, déjà demandé à la ministre de la Justice, le 20 octobre, quelle était la position du gouvernement belge quant à la demande d'extradition de M. Hissène Habré. Depuis lors, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dakar s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'extradition de Hissène Habré qui a été à nouveau assigné à résidence à Dakar jusqu'en janvier 2006.

Le dernier recours pour obtenir l'extradition d'Hissène Habré semble être la possibilité pour le président Wade de prendre un décret d'extradition. Malgré ses déclarations allant dans le sens de l'extradition, le président Wade désire d'abord consulter ses pairs de l'Union africaine qui tient une réunion les 23 et 24 janvier prochains.

Peut-on considérer que le dossier de l'extradition de Hissène Habré vers la Belgique rentre dans une phase exclusivement diplomatique ou existe-t-il encore des moyens de recours juridique, notamment par le biais de la Convention de l'ONU contre la torture à laquelle la Belgique et le Sénégal sont parties ? Dans ce dernier cas, quelle serait la procédure utilisée ? J'ai l'impression que nous trouvons plutôt dans une phase diplomatique.

Dans cette phase diplomatique, à travers les contacts que la Belgique entretient avec un certain nombre de pays africains, quelles sont les initiatives que vous avez prises pour attirer l'attention des dirigeants de l'Union africaine sur cette question ? Mme Onkelinx nous avait répondu que la justice belge était tout à fait disposée à faire le nécessaire pour obtenir l'extradition de M. Hissène Habré mais encore faut-il que la diplomatie se mette en marche pour concrétiser ce souhait. On se souvient de cas précédents, de l'affaire Pinochet, de l'affaire du major Ntuyahaga, suspecté de l'assassinat de nos paras au Rwanda et réfugié en Tanzanie, qui a fait très longtemps l'objet d'un mandat d'extradition mais sans la mobilisation de toute la diplomatie belge, il n'était pas possible de mettre la demande d'extradition en oeuvre. Selon différentes sources, la diplomatie belge est très prudente et nos partenaires européens n'ont pas spécialement été contactés alors qu'ils peuvent nous aider. Si la pression exercée sur le Sénégal émanait de l'ensemble de l'Union européenne plutôt que de la Belgique seule, les chances d'aboutir seraient plus grandes. Quelles sont les initiatives que le gouvernement va prendre pour sensibiliser et mobiliser les capitales des pays de l'Union africaine et de l'Union européenne pour qu'elles nous aident à obtenir l'extradition de Hissène Habré vers la Belgique ?

Si le Président Wade refuse de prendre le décret d'extradition, pouvez-vous confirmer la volonté politique du gouvernement belge de saisir la Cour internationale de Justice ?

Le gouvernement belge a-t-il déjà pris des contacts avec ses partenaires de l'Union européenne et le Haut Représentant pour la PESC afin d'amener le président Wade à autoriser l'extradition de M. Habré vers la Belgique ?

M. Bruno Tuybens, secrétaire d'État aux Entreprises publiques, adjoint à la ministre du Budget et de la Protection de la consommation. - Je vous communique la réponse de M. De Gucht qui se trouve à l'étranger.

Le ministre des Affaires étrangères vous informe que plusieurs démarches ont été effectuées auprès du gouvernement sénégalais pour connaître la suite qu'il compte réserver à la demande d'extradition d'Hissène Habré. Les autorités sénégalaises ont confirmé, fin décembre, par voie officielle la décision d'incompétence prise par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar, ainsi que la décision de ces autorités de transmettre le dossier Hissène Habré à l'Union africaine, laquelle devrait l'examiner lors du Sommet de Khartoum fin de ce mois-ci et décider de la suite à y réserver.

Lors de ces démarches, le gouvernement belge n'a pas manqué de rappeler le cadre conventionnel qui sous-tend la demande belge, son interprétation du principe « extrader ou juger » ainsi que la procédure prévue à l'article 30 de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984.

L'Union africaine a été informée de la position du gouvernement belge et du cadre dans lequel il a saisi le gouvernement sénégalais de cette demande d'extradition.

Des démarches similaires ont également été effectuées auprès des pays partenaires de l'Union européenne. De plus, des consultations sont également en cours avec la présidence autrichienne en vue d'examiner la possibilité d'une démarche spécifique de l'Union européenne auprès de l'Union africaine.

Le gouvernement belge continue à suivre cette affaire de près. Il examinera avec soin les décisions qui seront prises par l'Union africaine et celle qui sera communiquée par la suite par le gouvernement du Sénégal.

M. Alain Destexhe (MR). - La réponse est incomplète en ce qui concerne les contacts européens. Une action ou une déclaration commune est-elle possible ? Outre la Belgique, d'autres pays sont-ils prêts à entreprendre des démarches diplomatiques ? L'enjeu est d'importance puisqu'il s'agit de la possibilité de juger quelqu'un qui a commis des crimes horribles et donc de la possibilité de ne pas garantir l'impunité pour tous les criminels et dictateurs qui ne sont pas concernés par la Cour pénal internationale. Je rappelle que le mandat de cette cour commence en juillet 2002 et ne s'applique qu'aux États qui l'ont ratifié ou aux situations voulues par le Conseil de sécurité. Cela laisse un très grand nombre de dictateurs et d'auteurs de crimes contre l'humanité en dehors du champ de la justice internationale. Le cas Hissène Habré est important dans la mesure où il peut créer un précédent qui permettrait de lutter contre l'impunité pour tous ces crimes.