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Mme la présidente. - M. Marc Verwilghen, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique, répondra au nom de M. Guy Verhofstadt, premier ministre.
Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Je déplore l'absence de M. le premier ministre, mais je remercie M. Verwilghen de me répondre.
Mme la présidente. - Nous demanderons au ministre présent d'informer M. le premier ministre du fait que Mme Derbaki Sbaï aurait, à juste titre, aimé lui adresser sa question personnellement.
Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - En février dernier, j'ai interpellé la ministre chargée de l'énergie de l'époque, Mme Fientje Moerman, ainsi que le ministre des Finances, M. Didier Reynders, sur les conséquences d'une augmentation des cours pétroliers due à une diminution des réserves pétrolières.
Mon interpellation est passée inaperçue et les réponses n'étaient pas à la mesure du problème que je soulevais. L'évolution des cours pétroliers me donne malheureusement raison.
Au vu de la situation géopolitique qui entraîne la hausse du cours actuellement, il est à craindre qu'une baisse du cours du baril ne soit pas envisageable pour les mois à venir et quand bien même il baisserait, ce cours ne descendra plus à des niveaux qui ont permis à nos économies de prospérer jusqu'à maintenant. Il suffit d'analyser les raisons principales de cette hausse. L'Irak n'est pas près d'être stabilisé, même si la présidence change à la Maison Blanche la semaine prochaine. Les sabotages des pipelines et des raffineries ne cesseront pas pour autant. La Russie est déjà en surproduction, la situation en Arabie Saoudite est préoccupante - plusieurs attentats ont déjà eu lieu cette année. Le Venezuela a déjà sa part d'instabilité, tant à l'échelon de sa présidence qu'au niveau social, par des grèves dans le secteur pétrolier. Je pourrais continuer ainsi mais je suppose que je ne vous apprends rien.
Cependant, à la lecture de votre déclaration gouvernementale, je n'ai pas vu l'annonce de mesures qui pourraient rassurer nos concitoyens quant à votre prise de conscience du problème.
La hausse actuelle ne verra ses premiers effets que dans quelques mois. Il est à craindre, par exemple, que beaucoup d'entreprises qui réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires en période de fêtes ne soient touchées. On peut également redouter prochainement des heurts avec le secteur agricole, sans parler des transports routiers qui sont les premiers à subir les contrecoups de cette situation.
Que répondre également à un secteur qui a vu ses frais de carburant s'accroître de près de 25% alors que l'État continue à se gaver de 60% sur le litre de carburant ?
Quant à la confection des budgets, j'ai cru comprendre que les rapports du Bureau fédéral du Plan étaient importants. Or, un des rapports, intitulé Perspectives énergétiques pour la Belgique à l'horizon 2030, publié en janvier 2004, nous apprend ceci :
« Les perspectives pour le prix du baril de pétrole brut sont, dans un premier temps (2000-2010), une baisse globale par rapport au niveau élevé de 2000 pour atteindre 20,1 USD en 2010, et ensuite une augmentation graduelle sur la période 2010-2030 jusqu'à atteindre 27,9 USD à la fin de la période de projection. Cette hausse s'explique par une augmentation des coûts marginaux liés à l'exploitation des nouvelles sources de pétrole et à leur transport jusqu'aux lieux de consommation. En prix constants, le prix projeté du pétrole pour 2030 est comparable à son prix moyen en 2000 », c'est-à-dire 20,1 USD.
Le rapport du Bureau du Plan indique que ses données ne tiennent pas compte de critères géopolitiques. Y a-t-il denrée plus géopolitique que le pétrole ?
Au regard de la situation que je viens de vous exposer, avez-vous réellement pris conscience de la mesure des problèmes pour notre économie ? En tant que chef de gouvernement, comment justifiez-vous l'absence de mesures adéquates dans votre déclaration gouvernementale ?
M. Marc Verwilghen, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Je ne manquerai pas de faire savoir au premier ministre que vous auriez préféré une réponse de sa bouche. Vous savez toutefois que le règlement autorise le premier ministre - c'est d'ailleurs le seul ministre habilité à le faire - à demander à l'un de ses collègues du gouvernement de communiquer aux parlementaires ses réponses aux questions qui lui sont adressées. Je vais donc vous donner lecture de la réponse qu'a préparée le premier ministre.
« Nous nous situons, depuis plusieurs mois, dans un contexte de croissance quasi continue des cours du pétrole brut. Cette croissance découle de plusieurs facteurs. Il s'agit tout d'abord de la demande émanant des pays émergents, tels que la Chine, l'Inde et l'Asie en général, mais aussi des États-Unis, tandis que la production pétrolière, notamment en provenance des pays du Moyen-Orient, ne dispose que d'une faible capacité de réserve. Cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait rupture d'approvisionnement.
Il s'agit ensuite des incertitudes géopolitiques qui pèsent sur l'offre. On peut les contester mais elles sont réelles et jouent leur rôle. Je citerai notamment la situation en Irak, les menaces d'attentat au Moyen-Orient, les troubles sociaux au Nigeria et au Venezuela, sans oublier les effets de l'affaire Ioukos, ni les conséquences d'un cyclone comme Ivan.
Il s'agit, enfin, de la forte spéculation qui caractérise les marchés, qui alimente la volatilité et qui constitue un frein supplémentaire aux investissements. On estime d'ailleurs que le prix de la spéculation se situe entre 20 et 30% du coût du baril. Un tiers des volumes est brassé par des opérateurs non pétroliers dont le seul but est le gain rapide.
L'annonce, ce mercredi, d'une hausse plus forte que prévu des stocks américains de brut de 4 millions de barils, contre 1,4 million de barils prévus en moyenne, a entraîné en une journée un recul du prix du baril de Brent à Londres et du prix du baril à New York de près de 3 dollars. La forte volatilité du cours du pétrole s'explique donc aussi par des éléments tangibles.
Cette bonne nouvelle sur les marchés pétroliers en a, bien sûr, entraîné d'autres sur le marché des actions et des changes. Les évolutions vont en effet pratiquement de pair.
En ce qui concerne les hypothèses de travail utilisées par la Bureau du plan, malgré la hausse des prix, l'analyse reste valable. Je dois attirer votre attention sur le fait que des projections au-delà d'un horizon de dix ans comportent une grand degré d'incertitude. Il évident que si l'instabilité politique dans le Golfe persiste, si la croissance mondiale et donc la demande de pétrole continuent leur progression et si les producteurs n'augmentent pas leur production, le prix du baril poursuivra sa croissance. Cela ne veut absolument pas dire que la hausse spectaculaire des dernières semaines continuera. Tant les experts nationaux qu'internationaux tablent sur une baisse du prix du pétrole brut et préconisent un prix autour de 30 dollars le baril. »
Permettez-moi d'ajouter à la réponse du premier ministre que dans les années 70, nous avions déjà connu une hausse plus spectaculaire encore. Si les monnaies de l'époque avaient encore cours aujourd'hui, nous en serions sans doute à un prix de 80 dollars le baril.
Je poursuis la lecture du texte du premier ministre. « En termes économiques, l'appréciation de l'euro par rapport au dollar a, jusqu'à présent, limité l'impact économique de l'augmentation du prix du pétrole. En outre, et ce point est essentiel, la vulnérabilité des pays de l'OCDE aux hausses des prix du pétrole a quelque peu diminué puisque l'intensité énergétique, c'est-à-dire la consommation par rapport au PIB, a été réduite de moitié entre 1973 et 2002. Au contraire, en suivant le même raisonnement, les pays émergents sont plus affectés par la hausse des prix compte tenu de leur dépendance pétrolière et de leur forte intensité énergétique. J'estime donc que dans notre pays, l'impact de la hausse des produits pétroliers sur notre économie devrait resté modéré. »
Vous avez également parlé du contrecoup pour les transports routiers. Cet élément a son importance mais il faut savoir qu'il concerne surtout le consommateur.
Le premier ministre conclut comme suit : « Si ces perpectives économiques apparaissent encore favorables, les déséquilibres globaux au niveau mondial, la hausse des prix des produits pétroliers et la résurgence de pressions inflationnistes constituent autant de risques pour l'économie. Des mesures devront certainement être prises, notamment par le Fonds monétaire international, pour corriger ces déséquilibres. »
Le premier ministre a annoncé qu'une mesure serait prise. Nous savons dans quel sens elle ira mais le groupe de travail concerné planche actuellement sur ses aspects techniques.
Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - La réponse préparée par le premier ministre ne me donne pas satisfaction. Permettez-moi de relever quelques points. Le premier ministre affirme que la hausse n'aura pas d'impact. J'ignore si c'est de l'aveuglement ou le refus de la réalité. En réalité, l'impact est très sérieux et je pense que dans peu de temps, le secteur routier se manifestera parce que sa situation ne sera plus tenable. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure mais je pense qu'il faut prendre conscience de certaines réalités.
Le premier ministre dit que l'analyse reste valable. Je suis désolée de devoir me répéter, mais l'analyse est d'autant moins valable qu'à l'époque où elle a été éditée, le prix était de 24.7 alors que le plan annonçait 20.1.
Vous affirmez que notre économie ne risque rien et qu'aucun élément ne pourrait l'affaiblir. Il suffit de parcourir la presse d'hier pour constater l'impact de cette hausse, qui y est expliqué en long et en large.
Comme je ne désire pas allonger mon intervention, je reposerai ma question ultérieurement parce que je souhaiterais vivement obtenir des réponses concrètes.
Vous avez parlé des mesures que nous serions censés connaître. Je suis désolée de devoir vous dire que je ne suis nullement au courant de celles-ci et que j'aimerais en prendre connaissance.