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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

12 OCTOBRE 2004


Proposition de loi relative à l'acquisition et la détention de chiens par des particuliers

(Déposée par MM. Jean-Marie Cheffert et Alain Destexhe)


DÉVELOPPEMENTS


1. Introduction

L'actualité récente a relaté plusieurs faits divers mettant en cause le comportement agressif de chiens. Les accidents semblent se multiplier et la liste des victimes de chiens s'alourdit de plus en plus.

À Aarschot, en février 1999, une fillette a été dévorée par trois rottweilers. Début 2003, à Leignon, suite au comportement d'un propriétaire négligent laissant divaguer ses rottweilers, trois promeneurs se sont fait agresser. Dans le courant de la même année, à Ciney, un chien a attaqué sauvagement une septuagénaire tranquillement installée à une terrasse; à Mettet, un chien a agressé deux fillettes; à Carnières, un petit garçon de quatre ans a subi le même sort, l'animal a arraché un morceau de chair de l'épaule de l'enfant et l'a mangé. Début 2004, à Deux-Acren, un rottweiler a à nouveau attaqué un père et ses deux enfants. Et on peut ainsi multiplier les exemples : chaque année, plus de 100 000 Belges se font mordre.

À l'occasion d'un symposium « Problématique des chiens agressifs : l'approche multifactorielle », tenu à l'initiative de la ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement, le 18 mars 2000, il a été démontré que de 118 à 148 patients, en moyenne, étaient hospitalisés chaque année à la suite de morsures de chiens. Bien que pouvant paraître a priori relativement faible, ce chiffre doit cependant être relativisé par le fait qu'aucun système fiable de récolte de données statistiques n'existe actuellement. Selon les statistiques des compagnies et organismes assurant les frais médicaux ambulatoires, le coût total des sinistres en responsabilité civile familiale impliquant des chiens est évalué à 849 000 000 francs. Il s'agit manifestement d'un véritable problème de sécurité publique qui ne peut être minimisé.

Or, actuellement, les initiatives visant à enrayer ce phénomène se prennent exclusivement au niveau local. La nouvelle loi communale de 1992 charge les communes « de remédier aux événements fâcheux occasionnés par la divagation d'animaux malfaisants ou féroces ». Plusieurs communes ont, au regard de cette disposition, pris certaines mesures : tantôt en imposant la laisse et la muselière, tantôt en interdisant la détention de certaines races de chiens dits dangereux. Un arrêté ministériel du 29 octobre 1998 établissait d'ailleurs une liste de 13 chiens réputés dangereux; il a été annulé en mai 1999 par le Conseil d'État estimant qu'il était discriminatoire d'interdire telle ou telle race (1). Il n'existe au niveau fédéral aucune réglementation, hormis l'article 556 du Code pénal (2), traitant de ce problème.

2. Analyse comparative

La loi anglaise est très radicale, alors que le Royaume-Uni compte de très nombreux propriétaires d'animaux et que les associations de protection de ces derniers sont très puissantes. La Dangerous Dog Act de 1991 définit un certain nombre de types de chiens dont certains ­ pitbull, tosa inu japonais, dogo argentino, fila brasileiro ­ sont soumis à une politique d'extinction, ce qui signifie qu'ils doivent être stérilisés, enregistrés et muselés. La loi prévoit également d'appliquer cette restriction à d'autres races dès que ceux-ci représentent un danger pour la sécurité publique. Des mesures sont en outre prévues lorsque les chiens sont considérés comme incontrôlables et dangereux.

Aux Pays-Bas, c'est en 1993 qu'est entré en vigueur le Regeling agressieve dieren. Ce règlement prévoit une distinction entre trois catégories de chiens agressifs : le type pitbull terrier, les chiens de garde et de défense et les chiens individuels qui ont présenté un comportement agressif. Pour la première catégorie, le législateur néerlandais a prévu une interdiction d'élevage et de détention. Pour les chiens de ce type déjà présents aux Pays-Bas, un régime de transition a été mis en place (muselage). Pour les autres catégories, un test d'agression a été instauré.

En France, la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux a pour but de renforcer les compétences policières des maires, d'alourdir les sanctions dans la matière des animaux dangereux et de faciliter la saisie de ces derniers.

L'Allemagne a réclamé récemment l'interdiction de détention de « chiens dangereux » au niveau européen. De plus, le Sénat allemand a adopté fin avril 2000 une loi interdisant la possession et la reproduction des chiens de combat comme les pitbulls. Les autorités allemandes cherchent à lutter directement contre les combats mais surtout à limiter les populations de chiens dits dangereux suite à plusieurs accidents survenus avec ces animaux.

3. Notre proposition

Une législation sur les chiens, si elle veut sortir des effets positifs, ne doit pas se baser sur le critère de la race. La génétique intervient pour environ 20 % dans le déterminisme d'un comportement. Cela laisse 80 % d'influence à l'environnement, l'éducation, la socialisation. Il s'agit donc d'intervenir au niveau du comportement du propriétaire; c'est le propriétaire qui doit comprendre que l'animal n'est pas un jouet et encore moins une arme.

Aussi convient-il d'établir une législation tenant compte des éléments suivants :

­ la nécessité de responsabiliser les propriétaires et les gardiens de chiens en instaurant :

1º une obligation de déclarer tous les chiens et de les soumettre à une autorisation de détention;

2º la mise en place d'un code de bonne conduite général et minimum garantissant le bien-être de l'animal, la sécurité de tous, et le respect de l'environnement;

3º une obligation pour les propriétaires et les gardiens de chiens de souscrire une assurance en responsabilité civile en vue d'indemniser les victimes éventuelles du comportement de leur animal;

4º une obligation pour les chiens robustes de passer par un centre de dressage afin pour leur propriétaire ou gardien de toujours en garder la totale maîtrise;

5º la mise en place de sanctions pénales en cas de non-respect des obligations décrites ci-dessus.

­ le renforcement du rôle du bourgmestre en lui confiant un certain nombre de prérogatives susceptibles d'assurer la sécurité publique et en assouplissant la procédure de saisie des chiens.

La présente proposition de loi entend rencontrer le souci de garantir la santé et la sécurité publiques en établissant un minimum de règles essentielles tout en préservant la possibilité pour tout un chacun de s'adjoindre la compagnie d'un chien, considéré depuis toujours comme « le meilleur ami de l'homme ».

Jean-Marie CHEFFERT.
Alain DESTEXHE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La présente loi s'applique à l'acquisition, à titre gratuit ou onéreux, et la détention de chiens par des particuliers.

Art. 3

L'acquisition, à titre gratuit ou onéreux, et la détention de chiens sont soumises au dépôt à la maison communale du domicile du propriétaire ou du gardien de l'animal, d'une demande reprenant les données suivantes :

1º les nom, prénoms, lieu et date de naissance, profession et domicile du propriétaire ou du gardien de l'animal;

2º l'identification complète de l'animal, notamment sa race et sa date de naissance;

3º la preuve de la souscription, par le propriétaire ou le gardien de l'animal, d'une assurance en responsabilité civile, couvrant tout dommage que pourrait causer l'animal aux tiers;

4º la preuve des vaccinations obligatoires;

5º dans le cas d'un chien robuste, dont le Roi fixe les caractéristiques de poids et de taille, la preuve d'un stage de dressage dans une école canine, dont les conditions et la durée sont fixées par le Roi.

Art. 4

§ 1er. Sur base de la demande visée à l'article 3, l'autorité communale délivre une autorisation de détention.

L'autorisation est octroyée pour une durée égale à la vie du chien. L'autorisation est accompagnée d'un code de bonne conduite qui reprend le texte des articles 5 à 14 de la présente loi.

§ 2. L'autorisation est refusée :

1º aux personnes qui ont un casier judiciaire relatif à des faits de violence avec condamnation à une peine d'emprisonnement, même assortie du sursis;

2º aux personnes âgées de moins de 16 ans, sans autorisation expresse des personnes qui exercent l'autorité parentale ou la tutelle;

3º aux majeurs sous tutelle, sans autorisation expresse des personnes qui exercent la tutelle.

Le refus de l'autorisation est motivé.

§ 3. L'autorisation peut être retirée si une condamnation visée au § 2, alinéa 1er, 1º, est prononcée par la suite contre le propriétaire ou le gardien du chien.

En cas de retrait d'autorisation, le chien est saisi et placé, aux frais du propriétaire, dans un refuge pour animaux agréé.

Art. 5

Tous les chiens circulant sur la voie publique ou dans les lieux publics en ce compris les parcs sont tenus en laisse, de manière telle que leur propriétaire ou gardien en ait la totale maîtrise. En outre, les chiens robustes, visés à l'article 3, 5º, portent une muselière.

Art. 6

Il est défendu d'amener les chiens dans tous les lieux publics déterminés par le bourgmestre, où la présence d'un chien compromettrait le caractère du lieu ou incommoderait le public.

L'alinéa 1er n'est pas applicable aux chiens guides de personnes malvoyantes.

Art. 7

Les propriétaires ou gardiens de chiens prennent les dispositions nécessaires pour éviter que leur chien ne trouble la tranquillité publique ou le repos des habitants par des aboiements ou des hurlements répétés.

Art. 8

Les propriétaires ou gardiens de chiens empêchent ceux-ci de salir par leurs excréments les trottoirs, les zones piétonnes, places et aires de jeux, ainsi que les constructions se trouvant aux abords. À cette fin, ils veilleront à ce que le chien n'accomplisse ses fonctions naturelles qu'aux emplacements signalés et aménagés à cet effet ou dans les avaloirs des voies publiques, à l'exception des parties de ceux-ci se trouvant à l'intérieur des passages pour piétons et aux emplacements d'arrêt des véhicules de transport en commun.

Art. 9

Sans préjudice de l'article 4, § 2, de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, les propriétaires ou gardiens de chiens veillent à clôturer leur propriété de façon telle que leur chien ne puisse s'en échapper.

Art. 10

Le dressage des chiens au mordant ainsi que l'acquisition d'objets et de matériel destinés à ce dressage sont interdits. En cas d'infraction, outre les peines prévues à l'article 14, ces objets et matériel sont confisqués.

Art. 11

Le bourgmestre est tenu d'office ou à la requête de toute personne intéressée, de prescrire au propriétaire ou au gardien d'un chien toute mesure de nature à prévenir tout danger pour l'intégrité et la sécurité des personnes et de leurs biens.

Le bourgmestre qui constate qu'un propriétaire ou un gardien de chien ne s'exécute pas volontairement endéans 15 jours, peut procéder, aux frais du propriétaire ou du gardien, au placement de l'animal dans un refuge pour animaux agréé. Le refuge pourra en disposer conformément à l'article 9 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux.

Art. 12

En cas d'agression impliquant un chien, les services de police, sur ordre du bourgmestre, sont habilités à saisir d'office l'animal où qu'il se trouve, et ce même au domicile du propriétaire ou du gardien.

Un test d'agressivité est réalisé par un vétérinaire comportementaliste. Si en analysant les résultats de ce test le vétérinaire confirme la dangerosité du chien, le bourgmestre peut ordonner la mise à mort de l'animal.

Les données du test sont transmises à l'institution chargée de la gestion du registre central d'identification des chiens aux fins de statistiques.

Art. 13

Les chiens errants peuvent être saisis et remis à un refuge pour animaux par les services de police.

S'ils ne sont pas réclamés dans les quinze jours calendrier, le refuge pourra en disposer conformément à l'article 9 la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux.

Lorsque le propriétaire réclame la restitution de l'animal avant l'expiration de ce délai, il est redevable des frais de placement, d'entretien, de garde et de vétérinaire jusqu'au jour de la restitution.

Art. 14

Sans préjudice de l'application éventuelle de peines plus sévères prévues par le Code pénal, toute infraction aux dispositions des articles 5 à 10 sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante à mille euros.

Art. 15

Le Roi crée un comité d'experts composé de trois juristes et de trois vétérinaires comportementalistes, qui peut formuler des avis sur les modalités d'application de la présente loi.

Art. 16

La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui au cours duquel elle aura été publiée au Moniteur belge.

5 octobre 2004.

Jean-Marie CHEFFERT.
Alain DESTEXHE.

(1) Arrêt nº 80 521 du 31 mai 1999.

(2) Article 556 du Code pénal : « Seront punis d'une amende de cinq à quinze francs (...) 3º ceux qui auront excité ou n'auront pas retenu leurs chiens, lorsqu'ils attaquent ou poursuivent les passants, quand même il n'en serait résulté aucun mal ou dommage ».