3-787/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

28 JUIN 2004


Proposition de loi complétant le livre II, titre Iter, du Code pénal en vue de réprimer l'incitation au ou l'apologie du terrorisme

(Déposée par M. Alain Destexhe et Mme Anne-Marie Lizin)


DÉVELOPPEMENTS


1. Introduction

En Belgique, des publications (livres, articles, sites Internet, ...) justifient les actes de terrorisme ou constituent une incitation à les commettre. La Belgique ne dispose pas d'une législation réprimant ces actes.

D'autres pays disposent d'une législation spécifique permettant d'interdire ces publications et d'en punir les auteurs. En France, l'apologie du terrorisme est punie par la loi : 300 000 francs français d'amende, cinq ans de prison (article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, plusieurs fois modifié). En Espagne, l'apologie du terrorisme est également passible de poursuites (article 18 du Code pénal, livre I). Certains aspects de la récente législation anti-terroriste britannique vont également dans le même sens.

En Belgique, les seuls instruments juridiques disponibles sont la loi du 31 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie et la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide par le régime national socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. La récente loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes ne prévoit pas le délit d'apologie du terrorisme. Comme nous le verrons plus loin, cette absence de disposition spécifique est assez logique étant donné que l'apologie du terrorisme ne doit pas être confondue avec les infractions terroristes.

À l'évidence, notre législation n'est plus adaptée à certaines formes de propagande justifiant le terrorisme comme le démontre par exemple la plainte déposée depuis 2002 contre le Centre islamiste belge.

2. Apologie du terrorisme et liberté d'expression

Comme pour les deux lois citées plus haut, la difficulté principale réside dans la possibilité d'interdire, de réprimer et de punir l'apologie du terrorisme sans réduire ou entraver les droits ou libertés fondamentales tels que la liberté de réunion, d'association ou d'expression.

Ces débats ont eu lieu au parlement lors des débats sur les lois précitées. Rappelons que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme prévoient des possibilités de restrictions relatives à l'exercice de ces droits. Nous citons ci-après les passages pertinents de ces deux conventions internationales (1).

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

« Article 19

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :

a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui;

b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

Article 20

1. Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi.

2. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdite. »

La Convention européenne des droits de l'homme :

« Article 10 ­ Liberté d'expression

1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

3. Terrorisme et apologie du terrorisme

Dans un arrêt du 23 mai 2002 (2), le Tribunal suprême d'Espagne a clairement établi la distinction entre le terrorisme et l'apologie du terrorisme qui sont des délits de nature différente. Le second est défini comme des actes qui expriment une forme d'appui ou de solidarité morale avec les auteurs d'actes de terrorisme. Pour le tribunal espagnol, l'apologie du terrorisme ne relève pas du délit de terrorisme : la manifestation publique en terme d'éloges ou d'un appui ou d'une solidarité morale ou idéologique vis-à-vis d'activités délictuelles déterminées ne peut pas être confondue avec ces activités.

Alain DESTEXHE.
Anne-Marie LIZIN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi vise une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'intitulé du livre II, titre Iter, du Code pénal, inséré par la loi du 19 décembre 2003, est complété comme suit :

« , de l'incitation au terrorisme et de l'apologie du terrorisme ».

Art. 3

Un article 141quater, rédigé comme suit, est inséré dans le même titre du même code :

« Art. 141quater. Toute personne qui incite au ou fait l'apologie du terrorisme, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de vingt-six à deux cents euros.

Par terrorisme au sens de l'alinéa 1er, il faut entendre, les infractions terroristes visées à l'article 137, ainsi que toute entreprise individuelle ou collective tendant à perturber gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. »

3 mai 2004.

Alain DESTEXHE.
Anne-Marie LIZIN.

(1) Lors des travaux à la Chambre sur la loi relative au terrorisme, un article nouveau a été inséré dans le projet avec le soutien du gouvernement. Il s'agit d'un nouvel article 141ter du Code pénal qui s'appliquerait à l'ensemble du nouveau titre insérant les infractions terroristes dans le Code pénal. Cet article précise qu'« aucune disposition (de ce) titre ne peut être interprétée comme visant à réduire ou à entraver les droits ou libertés fondamentales tels que le droit de grève, la liberté de réunion, d'association ou d'expression, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts, et le droit de manifester qui s'y rattache ». En outre, l'article se réfère explicitement, mais non exclusivement aux articles 8 à 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.

(2) Affaire Perfecto Andrés Ibane, Nº de Recurso 29/2002, 23/05/2002, publiée au Revista Electrónica de Ciencia Penal y Criminología le 3 juin 2002.