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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

4 MARS 2004


Proposition de loi portant le Code de droit international privé


AVIS DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR MMES VIENNE ET NYSSENS


SOMMAIRE

  1. Introduction
  2. Objet de l'avis : l'article 57 de la proposition de loi
  3. Exposé introductif de Mme Onkelinx, ministre de la Justice
  4. Auditions
    1. Auditions des représentantes du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et du Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen
      1. Exposé de Mme Fatima Hanine, représentante du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme
      2. Exposé de Mmes N. Babazia, J. Perneel et K. Aznag, représentantes du Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen
      3. Échange de vues
    2. Auditions des représentantes de la Plateforme Répudiation et du Cercle européen de la communauté marocaine et des amis du Maroc
      1. Exposé de Mme Hafida Bachir, représentante de la Plateforme Répudiation
      2. Exposé de Mme Véronique Lefrancq, représentante du Cercle européen de la communauté marocaine et des amis du Maroc
      3. Échange de vues
    3. Auditions des représentantes du Conseil des femmes francophones de Belgique
      1. Exposé de Mme Magdeleine Willame-Boonen, présidente du CFFB
      2. Exposé de Mme Khadija El Hajjaji, membre de la Commission des femmes maghrébines du CFFB
      3. Échange de vues
  5. Avis
  6. Votes

I. INTRODUCTION

À la demande de plusieurs de ses membres, le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a décidé de rendre un avis à l'intention de la commission de la Justice sur l'article 57 de la présente proposition de loi. Cette disposition règle les effets en Belgique de la dissolution du mariage opérée à l'étranger et fondée sur la volonté du mari.

Le Comité d'avis a consacré les réunions du 28 janvier, des 11 et 18 février et des 2 et 4 mars 2004 à l'élaboration de cet avis.

Le Comité d'avis a procédé à plusieurs auditions avant de prendre position. Ont ainsi été entendues des représentantes :

­ du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme;

­ du Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen;

­ de la Plateforme Répudiation;

­ du Cercle européen de la communauté marocaine et des amis du Maroc;

­ du Conseil des femmes francophones de Belgique;

­ de la Commission des femmes maghrébines du Conseil des femmes francophones de Belgique.

Le Comité d'avis a adopté un avis lors de la réunion du 4 mars 2004.

II. OBJET DE L'AVIS : L'ARTICLE 57 DE LA PROPOSITION DE LOI

L'article 57 de la proposition à l'examen dispose que :

« § 1er. Un acte établi à l'étranger constatant la volonté du mari de dissoudre le mariage sans que la femme ait disposé d'un droit égal, ne peut être reconnu en Belgique conformément à l'article 22 que s'il a été homologué par une juridiction de l'État où il a été établi.

§ 2. La décision judiciaire étrangère n'est pas reconnue en Belgique si, outre l'existence d'un motif de refus prévu par l'article 25 :

1º la femme n'a pas été mise en mesure d'être présente lors de cette homologation;

2º lorsqu'elle a été mise en mesure d'être présente ou lorsqu'elle a été présente lors de cette homologation, la femme n'a pas accepté la dissolution de manière certaine et sans aucune contrainte à ce moment;

3º l'un des époux résidait habituellement en Belgique lors de cette homologation; ou

4º l'un des époux était belge lors de cette homologation; toutefois, le juge peut écarter cette condition si la situation ne présentait pas d'autre lien significatif avec la Belgique à ce moment.

La reconnaissance peut également être refusée si cette forme de dissolution du mariage n'est pas susceptible d'être reconnue dans l'État de la résidence habituelle ou de la nationalité de l'un des époux, en raison de cette résidence ou de cette nationalité. »

Divers amendements à cet article ont été déposés, à savoir l'amendement nº 6 de MM. Willems et Coveliers, l'amendement nº 41 de Mmes Lizin et Bousakla, l'amendement nº 47 de Mme de T' Serclaes, l'amendement nº 56 du gouvernement et l'amendement nº 64 de Mmes de Bethune, De Schamphelaere et Thijs.

III. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE MME ONKELINX, MINISTRE DE LA JUSTICE

La question de la répudiation est délicate. La position de Mme Onkelinx, ministre de la Justice, est fondée à la fois sur des principes et sur la volonté d'appréhender la complexité des situations qui se présentent. La ministre a notamment reçu une délégation de la Plateforme Répudiation regroupant une quarantaine d'associations solidaires dans le combat contre la répudiation afin de se faire expliquer les difficultés humaines et juridiques auxquelles sont confrontées les femmes répudiées.

La reconnaissance de la répudiation dans notre ordre juridique n'est pas une chose inconnue. En vertu d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation, les cours et tribunaux reconnaissent des effets juridiques à la répudiation à certaines conditions, moins strictes que celles posées par l'article 57 en projet. Cette jurisprudence ne se soucie pas, par exemple, du lieu de résidence des époux.

L'article 57 est dicté par le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et par le souci de protéger la personne la plus fragile dans la relation. Il applique en outre la règle selon laquelle toute personne résidant sur le territoire belge est soumise aux lois belges. Il ne peut en effet être question d'un « tourisme » de la répudiation : les personnes résidant en Belgique ne peuvent profiter de vacances à l'étranger pour contourner les règles du divorce applicables en Belgique. La dissolution du mariage obtenue selon d'autres règles ne serait pas reconnue en Belgique.

Conformément au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, la répudiation n'est pas reconnue en Belgique. Cependant, il faut éviter une double victimisation des femmes. Imaginons une femme née et mariée au Maroc avec un Marocain, puis répudiée par celui-ci, et qui souhaiterait, des années plus tard, s'installer en Belgique et y épouser un Belge. Peut-on, à supposer que ce soit possible, obliger cette femme à introduire une demande en divorce en Belgique ?

Pour éviter le risque de double victimisation, l'article 57 permet la reconnaissance de certains effets à la répudiation à plusieurs conditions extrêmement strictes :

1. Il faut être sûr que la répudiation a fait l'objet d'une homologation par une autorité publique;

2. Il ne peut être question de répudiation lorsque l'un des époux habite ordinairement dans un pays qui ne connaît pas la répudiation;

3. Il faut une acceptation de la femme, certaine et sans contrainte, de la dissolution de son mariage.

Cette troisième condition sera présumée remplie si c'est la femme elle-même qui introduit une action en justice, par exemple pour obtenir une pension alimentaire, ou si elle entreprend des démarches pour se remarier. Dans le cas où l'initiative vient de l'homme, le juge devra s'assurer de l'acceptation de la femme. L'homme n'en devient pas pour autant l'otage de la volonté de la femme, mais plutôt de la bilatéralisation de la relation.

Une deuxième piste pourrait être envisagée, à savoir l'instauration d'une procédure de divorce accélérée pour cause déterminée, cette cause étant la répudiation.

Toutefois, cette solution ne vaudrait pas dans tous les cas. Les tribunaux belges ne sont pas compétents pour prononcer un divorce entre des personnes qui n'ont aucun lien avec la Belgique. Si l'on acceptait cette compétence, il faudrait d'ailleurs admettre qu'inversement, des ressortissants belges puissent aller divorcer à l'étranger selon les règles d'un pays avec lequel ils n'ont aucun lien.

Enfin, la ministre attire l'attention sur une complexité supplémentaire. La solution du droit international privé dépendra aussi de la conclusion de conventions bilatérales sur les effets juridiques des actes en matière d'état et de capacité conclus ou commis en Belgique. Si la Belgique refuse de reconnaître toute répudiation effectuée dans un pays musulman, entre personnes habitant ce pays, en ayant la nationalité et n'ayant à l'époque aucun lien avec la Belgique, il est peu probable que ce pays accepte de conclure une convention l'obligeant à reconnaître un divorce prononcé en Belgique entre des personnes originaires de ce pays.

IV. AUDITIONS

1. Auditions des représentantes du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et du Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen

1.1. Exposé de Mme Fatima Hanine, représentante du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme

Le Centre pour l'égalité des chances est familiarisé avec la question de la répudiation car il a été consulté à de nombreuses reprises depuis sa création par des femmes victimes de répudiation. Il a ainsi été confronté à quelques situations-types :

a) La pratique des officiers d'état civil n'est pas uniforme, certains acceptant de transcrire la répudiation, d'autres le refusant. Il arrive dès lors que l'un des deux conjoints soit encore marié aux yeux de la loi belge, et l'autre pas.

b) Certains tribunaux refusent systématiquement de reconnaître l'acte de répudiation car ils le jugent contraire à l'ordre public sur la base du principe d'égalité des sexes (position de principe); d'autres vérifient la procédure d'homologation prévue dans le code de procédure civile marocain sur la base du respect des droits de la défense (position pragmatique).

c) La femme d'un certain âge ou de la première génération qui a rejoint son époux dans le cadre du regroupement familial, dont les enfants atteignent la majorité, se voit répudiée soudainement lors d'un retour au Maroc avec son mari. Elle se retrouve sans ressources financières, sans pension alimentaire et ne peut prétendre aux biens acquis avec les revenus de l'immigration au Maroc.

Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme condamne la répudiation (1). Il ne peut l'accepter dans notre état de droit vu la violation des droits de la défense et du principe d'égalité entre l'homme et la femme.

L'article 57 a plusieurs avantages. Il permettra l'uniformité au niveau des tribunaux et des officiers de l'état civil en posant un ensemble de règles claires. L'un des éléments les plus importants est le rattachement au lieu de résidence. Autrement dit, la règle de conflit de lois ne renverra plus à la nationalité des personnes concernées mais à la loi du lieu de leur résidence habituelle. Cela aura une conséquence importante pour les femmes immigrées puisqu'elles ne seront plus victimes en Belgique du fait accompli et pourront faire valoir leurs droits en fonction du droit belge. Cet article s'applique même s'il s'agit d'un couple mononational.

Le législateur veut clairement protéger la femme et lui assurer une plus grande sécurité juridique. Les tribunaux ne devront plus se pencher sur le contenu du droit étranger et se tourner vers l'exception de l'ordre public.

La seule remarque concerne le fait que rien n'est prévu pour les pays européens dans lesquels une reconnaissance serait encore possible, par exemple en France.

Il est difficile de ne reconaître aucune répudiation. Cela rendrait la femme habitant au Maroc ainsi que son époux, dont le mariage a été dissous par une répudiation en conformité avec leur loi nationale, exposés à de nouvelles discriminations. Par exemple, la femme ne pourrait se remarier dans notre pays car elle serait bigame, sans oublier les problèmes au niveau d'une éventuelle filiation.

1.2. Exposé de Mmes N. Babazia, J. Perneel et K. Aznag, représentantes du Steunpunt Allochtone meisjes en vrouwen

Le Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen, opérationnel depuis novembre 1999, est une association agréée d'égalité des chances qui s'adresse aux jeunes filles et aux femmes allochtones de Flandre et de Bruxelles.

La mission principale de cette association est de soutenir le processus d'émancipation et de participation des jeunes filles et des femmes allochtones a) en répondant à leurs besoins et nécessités spécifiques et b) en assurant la visibilité de ce groupe au sein d'une société multiculturelle. Une attention toute particulière est accordée à cet égard aux associations de jeunes filles et de femmes allochtones.

Le statut juridique complexe et fragile des femmes allochtones continue à donner lieu à des situations affligeantes. Les problèmes (répudiation, mariages forcés, ...) résultent essentiellement de la double nationalité, que la plupart des femmes marocaines possèdent en Belgique. Les pouvoirs publics marocains continuent à considérer ces personnes comme des ressortissantes marocaines, quel que soit leur lieu de résidence. Il s'ensuit que ces femmes tombent sous le coup de la législation marocaine de la famille (Moudawana) dès qu'elles posent le pied en territoire marocain. Les abus sont nombreux, mais aussi les erreurs, qu'il est possible d'éviter partiellement en informant correctement les femmes et en leur indiquant les procédures à suivre; à cet égard, les conseils préventifs peuvent être cruciaux pour les possibilités d'avenir des jeunes filles.

Il faut que le nouveau droit international privé contienne des directives claires en ce qui concerne, notamment, la répudiation. Le Steunpunt allochtone meisjes en vrouwen est favorable au droit du domicile (c'est-à-dire du lieu où l'on réside. Pour les femmes allochtones qui résident en Belgique, ce serait donc, quelle que soit leur nationalité, le droit belge).

Il y a encore pas mal d'imprécision au sujet de la reconnaissance ou non des actes de répudiation marocains par les instances belges. En principe, un acte de répudiation ne pourrait être reconnu que s'il concerne deux personnes possédant uniquement la nationalité marocaine et à condition que les droits de la défense de la femme aient été respectés. En pratique, il s'avère qu'il n'y a pas uniformité en la matière. En prévoyant d'appliquer le droit du domicile, c'est de toute manière la législation belge qui s'appliquerait et on serait débarrassé des problèmes posés par la reconnaissance des jugements marocains de divorce ou de répudiation; seul un juge belge serait en effet compétent dans ce cas. Les femmes marocaines résidant en Belgique, qu'elles possèdent ou non la double nationalité, sont elles aussi des ressortissantes belges et elles doivent donc également, en tant que telles, être protégées par la loi belge.

Il est indispensable aussi d'organiser une coopération légale entre le Maroc et la Belgique au moyen d'accords bilatéraux et multilatéraux qui soient effectivement approuvés et ratifiés.

Jusqu'à ce jour, les rapports personnels entre « étrangers » sont encore réglés en partie par des régimes familiaux étrangers. En Belgique, le cas le plus fréquent est celui des femmes et des hommes d'origine marocaine. Cela implique qu'en cas de litiges opposant les conjoints, il faudra tenir compte également du droit islamique de la famille. Il pourra ainsi arriver qu'une personne divorcée pour la loi belge doive intenter une nouvelle procédure au Maroc, parce que ce pays ne reconnaît pas le divorce prononcé en Belgique. Cela prend du temps, coûte cher et est cause de souffrances humaines.

On pourrait éviter tout cela par la conclusion d'accords bilatéraux et multilatéraux (répondant également aux exigences de la Convention CEDAW, de la Convention de La Haye, de la Convention relative aux droits de l'enfant) dans lesquels il serait précisé quand la Belgique et le Maroc reconnaîtront ou non leurs jugements respectifs. Par rapport au droit du domicile, cela voudrait dire qu'un juge marocain ne pourra plus être compétent pour toutes les affaires relevant du droit de la famille à l'égard des citoyens marocains qui résident en Belgique.

1.3. Échange de vues

Mme Nyssens s'interroge sur le contenu du nouveau Code de la famille marocain. Celui-ci maintient l'institution de la répudiation mais en l'assortissant de sévères conditions, notamment en exigeant l'autorisation du tribunal. Toutefois, exige-t-il aussi l'acceptation de la femme lors de la procédure ?

En effet, pour que la répudiation puisse être reconnue en Belgique, l'article 57 de la proposition de loi exige que la femme ait été convoquée au tribunal et qu'elle ait accepté la répudiation. Cette condition d'acceptation est-elle purement formelle si la femme n'a en réalité aucun choix ?

D'autre part, le projet de Code de droit international privé consacre un chapitre distinct aux obligations alimentaires (articles 73 et suivants), l'idée étant de bien distinguer la question de la reconnaissance de la dissolution d'un mariage prononcée à l'étranger de celle des effets de celle-ci. Cette dissociation ne va-t-elle pas à l'encontre des intérêts de la femme qui souhaite voir reconnaître les effets de la répudiation pour obtenir des aliments ?

Mme Hanine déclare que la réforme du droit de la famille au Maroc n'est pas allée aussi loin qu'on l'avait imaginé au départ. La loi exige désormais que la femme soit convoquée au tribunal et que la répudiation soit homologuée par le juge. Pour le reste, la répudiation demeure un pouvoir exclusif de l'époux et, même si la femme n'est pas d'accord, elle sera de fait obligée d'accepter.

L'un des grands acquis de la réforme est l'instauration du divorce par consentement mutuel. La femme peut plus facilement demander le divorce car le champ de la preuve a été élargi.

Actuellement, en Belgique, très peu de répudiations sont reconnues. Les juges peuvent soulever une exception d'ordre public pour refuser cette reconnaissance.

M. Willems estime que l'on ne peut reconnaître l'institution de la répudiation en soi dans notre ordre juridique. Si la femme répudiée se retrouve parfois dans une situation boîteuse, c'est peut-être parce que la législation belge n'est pas adaptée dans des cas précis.

Mme Hanine est plus nuancée. Si le droit belge refuse de reconnaître l'institution de la répudiation pour des personnes qui étaient, au moment de la répudiation, rattachées à un autre pays connaissant l'institution, on viole le droit de ce pays. Imaginons un couple de Marocains vivant au Maroc. L'épouse est répudiée par son mari. Dix ans plus tard, elle rencontre un Belge et souhaite venir s'installer en Belgique avec lui. Faut-il dénier tout effet à la répudiation qui a eu lieu conformément au droit maghrébin ?

Mme Onkelinx, ministre de la Justice, déclare qu'il n'est pas question de reconnaître la répudiation, mais de protéger les femmes répudiées en leur appliquant des règles propres à nos valeurs. Dans cette optique, l'article 57 de la proposition de loi écarte toute possibilité de reconnaissance si la femme réside en Belgique. Il faut recourir à la procédure « normale » du divorce.

La question est plus délicate si le couple est de nationalité étrangère et habite dans un pays qui applique la répudiation. Dans l'exemple cité par Mme Hanine, doit-on obliger la femme à engager une procédure en divorce coûteuse parce que la répudiation ne serait pas reconnue en Belgique ? Il faut éviter de faire de la femme une double victime.

L'article 57 vise à clarifier la situation mais les conditions figurant dans cet article pourraient encore être affinées.

Que pense le Centre pour l'égalité des chances de la condition d'acceptation ? Selon les termes de l'article 57 en projet, la répudiation ne peut être reconnue que si la femme a été « mise en mesure d'être présente » et si elle a accepté la dissolution « de manière certaine et sans aucune contrainte ». Or, si la femme reçoit une convocation au tribunal, on sait que c'est en général l'homme qui va l'ouvrir et qu'elle risque de ne pas être informée.

Mme Hanine répond que ce genre de condition lui paraît en effet purement formelle car de toute manière, la femme n'a pas d'autre choix que d'accepter. Poser une telle condition implique que la procédure de répudiation s'apparente à une procédure de divorce par consentement mutuel, mais c'est extrêmement rare.

La question de la reconnaissance du droit marocain en Belgique et inversement doit aussi être réglée par des accords bilatéraux. Ceux-ci permettent de mieux protéger les parties.

La ministre de la Justice répond que la Belgique et le Maroc ont conclu des conventions concernant l'état civil et les extraits d'actes de naissance à partir de 1979. Trois autres conventions ont été signées dans les années 80 mais elles n'ont pas été ratifiées. L'une de celles-ci permettrait de soumettre à exequatur en Belgique les actes de répudiation posés au Maroc.

Mme Vienne fait remarquer qu'il est beaucoup question du Maroc, mais que la répudiation existe dans d'autres pays de droit islamique. L'article 57 a une portée universelle.

La ministre de la Justice admet que la conclusion de conventions bilatérales avec un pays déterminé et l'élaboration de règles de droit international privé sont des questions à envisager de façon distincte. On ne peut pas se baser sur les relations avec un pays déterminé pour définir une règle générale.

2. Auditions des représentantes de la Plateforme Répudiation et du Cercle européen de la Communauté marocaine et des Amis du Maroc

2.1. Exposé de Mme Hafida Bachir, représentante de la Plateforme Répudiation

La Plateforme Répudiation regroupe une quarantaine d'associations. Le secrétariat et la coordination en sont assurées par Vie féminine.

Mme Bachir explique que Vie féminine a été sensibilisée à la problématique de la répudiation il y a une quinzaine d'années à travers les femmes qui fréquentaient les cours d'alphabétisation et les différents ateliers organisés par l'association. Certaines femmes étaient répudiées pendant les vacances au Maroc et d'autres redoutaient d'y partir en vacances.

Un travail d'information juridique a commencé. Un réseau de solidarité s'est mis en place de telle sorte que les femmes victimes de répudiation puissent prévenir Vie Féminine, même si elles se trouvaient dans des zones reculées du Maroc.

La réalité est très dure : les femmes répudiées se voient parfois privées de leur papiers au Maroc et on ne les revoit jamais en Belgique.

Au début des années nonante étaient conclues des conventions belgo-marocaines dont une disposition envisageait la reconnaissance de la répudiation comme forme de dissolution d'un mariage. Celles-ci n'ont pas été ratifiées. Mais Vie féminine a décidé alors de prendre position contre la répudiation, affirmant qu'il s'agissait d'une forme de dissolution du mariage intolérable.

À la demande de Vie féminine, l'interdiction de reconnaître la répudiation comme forme valable de divorce a été reprise dans le cahier des revendications de la Marche mondiale des femmes de l'an 2000 pour ce qui concerne la Belgique. Cette revendication a dès lors été relayée au sein de toutes les organisations partenaires de la Marche.

Après la Marche mondiale, Vie féminine a souhaité rendre plus structurel son combat contre la reconnaissance de la répudiation. C'est ainsi qu'a vu officiellement le jour, le 29 juin 2001, la Plateforme Répudiation, composée à la fois d'associations de femmes et d'autres organisations qui veulent manifester leur solidarité dans ce combat. Peu de temps auparavant avait été adoptée, sur la base d'une proposition déposée par Mme Lizin et consorts, une loi visant à supprimer la mention de la répudiation sur la carte d'identité (loi du 12 août 2000 modifiant l'article 2, alinéa 1er, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques.)

Sur l'article 57 de la proposition de loi instaurant le code de DIP, la Plateforme Répudiation veut rendre un avis dans un climat serein. Il ne faut pas bâcler le travail qui est l'aboutissement de quinze années de combat.

La Plateforme prendra position officiellement au début du mois de mars, compte tenu des éléments suivants :

­ il ne faut pas sortir l'article 57 du contexte de droit international privé. L'examen de cette disposition nécessite donc un travail juridique approfondi;

­ il faut observer la disposition à la lumière du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, mais en tenant compte aussi de la situation concrète des femmes. Certaines femmes victimes de répudiation se retrouvent entre deux chaises parce que la répudiation n'est pas reconnue ici. On ne peut faire abstraction de cette réalité;

­ focaliser sur la problématique de la répudiation peut aller à l'encontre des intérêts des femmes qui en sont victimes. La question doit être replacée dans le contexte plus général de la défense des droits des femmes.

En bref, la Plateforme est catégoriquement opposée à l'institution de la répudiation comme acte unilatéral et droit exclusif du mari. Toutefois, sa position au sujet de l'article 57 en projet sera dictée à la fois par le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et par les possibilités d'autonomie que cette disposition donnera aux femmes.

Même si le débat se situe ici dans le cadre belge, il faut signaler que les associations qui luttent pour les droits des femmes au Maroc partagent cette idée que la répudiation est une institution intolérable, à bannir de tout arsenal juridique.

L'article 57 proposé comporte des verrous, tels que la condition de résidence habituelle en Belgique. Sous réserve de l'opportunité de cette condition, se pose la question de l'interprétation de la notion de résidence habituelle. Les familles marocaines gardent des liens très étroits avec le Maroc. Il est courant que la première génération d'immigrés marocains maintenant à la retraite retournent passer la moitié de l'année dans leur pays d'origine. Il est donc important que la notion de résidence habituelle soit précisée dans le code de DIP.

Il faudra être attentif aux directives qui seront données aux administrations communales pour la retranscription de la répudiation dans les registres d'état civil car c'est une réelle humiliation pour la femme de voir mentionnée la répudiation sur un acte officiel. L'absence du terme « répudiation » à l'article 57 est en tout cas un élément positif.

2.2. Exposé de Mme Véronique Lefrancq, représentante du Cercle européen de la communauté marocaine et des amis du Maroc

Le Cercle européen de la communauté marocaine et des amis du Maroc n'a pas à proprement parler d'assise européenne, mais il organise des actions à travers l'Europe avec la France, les Pays-Bas et la Belgique.

Le droit de la famille vient d'être réformé en profondeur au Maroc. Cette évolution du droit dans un pays musulman mérite d'être soulignée. Parmi les modifications importantes, on peut épingler l'instauration de la responsabilité des deux époux au sein de la famille, le relèvement de l'âge auquel la jeune fille peut contracter mariage de 15 à 18 ans, les restrictions très sévères mises à la polygamie qui devient presque impossible, le droit pour la femme de demander le divorce ...

La répudiation verbale n'est plus valable. Elle est désormais soumise à l'autorisation d'un tribunal et devient donc de facto un divorce réglé par une procédure judiciaire. Cette procédure comprend le règlement préalable des droits de la femme et des enfants.

Certes le terme « répudiation » est conservé, mais s'il a une connotation très négative à nos yeux, il faut être conscient de ce qu'il recouvre maintenant dans la pratique. C'est pourquoi, si l'on veut prendre position sur l'article 57 en projet, il faut prendre en compte la situation des femmes sans s'arrêter au terme « répudiation ».

2.3. Échange de vues

M. Destexhe demande aux oratrices si elles estiment qu'il faut aller dans le sens de l'article 57, c'est-à-dire la non-reconnaissance de la répudiation lorsque l'un des conjoints est belge ou réside en Belgique, ou plutôt suivre la position de Mme Lizin, selon laquelle il faut interdire toute forme de répudiation et donc n'autoriser en aucun cas sa reconnaissance en Belgique.

Si l'on opte pour la première solution, le critère de résidence habituelle n'est-il pas trop restrictif ? N'y a-t-il pas des cas où la femme, bien que résidant en Belgique, a intérêt à ce que la répudiation soit reconnue ?

Mme de T' Serclaes précise que le texte de la proposition de loi créant le code de DIP a été rédigé par des professeurs d'université et que les critères utilisés dans l'article 57 sont repris de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation.

M. Willems signale que le groupe VLD a adopté sur la question de la répudiation une position de principe qui vise à refuser que la répudiation faite à l'étranger puisse être reconnue d'une manière ou d'une autre en Belgique. Un amendement a été déposé en ce sens à la commission de la Justice (amendement nº 6 de MM. Willems et Coveliers, doc. Sénat, nº 3-27/3).

Le membre se demande ce qui empêche de traiter en Belgique la répudiation dans le cadre d'une procédure de divorce, ce qui donnera lieu à un jugement contradictoire au terme d'une procédure où les droits de chacune des parties auront été respectés.

Mme Nyssens rappelle que la répudiation, quoi qu'on en pense, est une forme de dissolution du mariage dans certains pays. Il est clair que la Belgique, dans son droit international privé, ne peut dénier tout effet à la dissolution du mariage effectuée suivant les formes et les usages d'un pays étranger.

Le problème de la répudiation, c'est son caractère unilatéral. L'article 57 impose dès lors l'acceptation de la femme. Mais comment la femme peut-elle accepter un acte qui est par définition en droit maghrébin un acte unilatéral ?

Ensuite, comment attribuer en Belgique des effets à la répudiation pour les femmes dont c'est l'intérêt ? Serait-il envisageable de traiter en Belgique la répudiation comme une cause de procédure accélérée de divorce ?

Mme Bousakla estime que la répudiation est une humiliation pour toutes les femmes et elle ne voit pas comment on pourrait transformer un acte unilatéral, venant de l'homme, en un divorce. Comme alternative à cette voie, elle propose de considérer que quiconque habite en Belgique doit se soumettre aux lois belges et de punir les hommes qui utilisent les lois de leur pays d'origine pour contourner le droit belge.

Si l'on reconnaît néanmoins la dissolution du mariage, il est clair que l'homme va venir en Belgique avec sa seconde épouse sur la base du principe de regroupement familial, ce qui sera très pénible pour la première épouse qui aura déjà dû encaisser la répudiation.

Ceci montre que les conséquences pratiques de l'article 57 sont importantes et qu'il nécessiterait un examen objectif approfondi. En tout état de cause, la membre continue à refuser le principe de la répudiation et à plaider pour une solution alternative.

Mme de T' Serclaes signale que la commission de la Justice travaille sur la proposition de loi portant le code de DIP avec l'aide des quatre professeurs d'université qui ont élaboré le texte, et qui sont de grands spécialistes en la matière. Le but n'est d'ailleurs pas d'inventer une nouvelle législation, mais de codifier la législation et la jurisprudence actuelle.

La membre remarque en outre que la discussion se concentre sur les femmes marocaines. Il est vrai que la population marocaine est importante en Belgique, mais d'autres pays connaissent l'institution de la répudiation et leur droit de la famille n'est pas nécessairement aussi moderne que le droit marocain. Il ne faut pas perdre de vue que l'article 57 du code de DIP a vocation à s'appliquer de manière universelle.

Mme De Roeck estime aussi que le comité d'avis doit veiller à se détacher du contexte du droit marocain pour rendre un avis. Il ne faudrait surtout pas en arriver à modifier l'article 57 de la proposition de loi dans un sens qui conviendrait à la situation des femmes marocaines mais qui causerait des problèmes pour les femmes d'autres nationalités.

Mme Van de Casteele reconnaît qu'elle n'est pas juriste, encore moins spécialiste du droit de la famille. Il reste que la reconnaissance de la répudiation est une question très symbolique et il est regrettable que tous les projecteurs soient braqués sur cette problématique. Le VLD a déposé un amendement semblable à celui de Mme Lizin (amendement nº 6, doc. Sénat, nº 3-27/3) en vue d'interdire la reconnaissance de la notion même de répudiation dans l'ordre juridique belge, y compris telle qu'elle figure dans l'article 57 à l'examen. Cependant, parallèlement, il faudrait prendre l'initiative d'instaurer une procédure simplifiée permettant à la femme préjudiciée par une répudiation opérée sur la base d'une législation étrangère, de se fonder sur l'acte de répudiation pour obtenir aisément le divorce.

Mme Nyssens aimerait savoir si beaucoup de femmes ayant la double nationalité sont encore répudiées aujourd'hui à leur insu, par des procédures par défaut. Le phénomène est-il en régression ou non ?

Mme Lefrancq se contentera de répondre sur la base de sa connaissance du droit marocain, mais elle reconnaît évidemment la nécessité d'élargir le débat.

Dans le nouveau droit de la famille marocain, la répudiation doit être homologuée par un tribunal. La répudiation verbale, à l'insu de la la femme, n'est plus possible. Celle-ci est convoquée devant le juge qui essaie de réconcilier les parties, et, à défaut de réconciliation, règle les questions de pension alimentaire, garde des enfants, etc. De plus, la femme ne doit plus quitter le domicile.

L'intervention du tribunal est fondamentale : certes, la répudiation reste un acte unilatéral du mari, mais la situation se distingue finalement peu d'une procédure en divorce introduite en Belgique par un homme. Le mot « répudiation » choque nos sensibilités parce qu'on le considère à la lumière de nos propres valeurs et usages. Il faut se replacer dans le contexte, à la lumière d'une autre religion et d'un droit différent.

Remet-on en cause l'institution de la répudiation ou le vocabulaire utilisé ? Si c'est le vocabulaire utilisé, il faut savoir que la notion de répudiation n'a plus la même connotation qu'autrefois. C'est une forme de dissolution rapide et facile du mariage. Certaines femmes la demandent à leur mari.

Mme Bachir précise que la Plateforme Répudiation se préoccupe des femmes les plus fragiles, celles qui seront réellement victimes de la répudiation. Elle n'est guère confrontée aux femmes qui seraient en mesure de demander la répudiation à leur mari.

Contrairement à l'intervenante précédente, l'oratrice estime que la répudiation demeure un acte unilatéral intolérable. Le noeud du problème consiste à rejeter le principe de la répudiation tout en lui reconnaissant certains effets positifs permettant aux femmes de s'en sortir sur le plan de la pension alimentaire, de la garde des enfants, de la possibilité de se remarier, etc. Or, ces effets sont liés à la transcription de l'acte de répudiation dans les registres d'état civil, ce qui équivaut à une reconnaissance symbolique de la répudiation et que la Plateforme refuse.

S'il est vrai que le droit marocain a évolué, il n'est pas nécessairement appliqué, en particulier dans les petits villages isolés. Le législateur se heurte à des pratiques séculaires patriarcales. La répudiation reste donc pratique courante, même pour des femmes qui ont vécu en Belgique ou ailleurs.

Mme Lefrancq est d'avis qu'il y a une nette diminution en Belgique du nombre de femmes répudiées.

Mme Bachir objecte que 81 % des dissolutions du mariage au Maroc se font par répudiation. Tant que la répudiation sera permise, elle sera pratiquée.

Le terme « répudiation » n'existe pas en droit marocain : on parle de « talak », c'est-à-dire de divorce. C'est l'évolution des mentalités par rapport aux principes démocratiques tels que le principe d'égalité entre les hommes et les femmes qui fait prendre conscience du caractère intolérable de l'acte parce qu'unilatéral.

M. Destexhe retient de l'exposé de Mme Bachir qu'il faut plutôt s'orienter vers l'option prise par l'amendement de Mme Lizin ou du VLD qui est beaucoup plus clair que l'article 57 proposé, sur le plan du principe de l'interdiction de la répudiation. Si l'on veut cependant être pragmatique, le membre voit deux pistes : la première consisterait à créer une procédure de divorce spécifique accélérée pour les femmes répudiées ­ à supposer que ce soit possible ­; la seconde piste consisterait à interdire de reconnaître la répudiation « sauf si la reconnaissance de celle-ci va dans l'intérêt de la femme ».

Plus spécifiquement, le membre aimerait connaître la différence entre le « talak » et le « khôl ».

Mme Bousakla confirme les propos de Mme Bachir sur le fait que les mentalités n'ont pas changé. Elle-même a eu connaissance en 2003 de dossiers concernant des femmes originaires de villages du nord du Maroc, vivant en Belgique, qui avaient été répudiées au Maroc sans en avoir été mises au courant bien que la loi l'exige. Il suffit pour l'homme de se présenter au tribunal avec une femme voilée qu'il fait passer pour son épouse. On n'a absolument aucune garantie quant à la manière dont les droits des femmes sont respectés dans les campagnes au Maroc.

D'autre part, la membre ne peut pas croire que des femmes demandent spontanément à être répudiées. Si des cas existent, ils concernent des femmes désespérées, qui n'ont aucune alternative.

Mme Lefrancq réplique que le contenu de la loi et son application sont deux questions différentes. Le fait que la loi ne soit pas correctement appliquée dans les villages isolés n'enlève rien au fait qu'il y a dans le droit marocain une réelle amélioration du statut de la femme.

Comme on l'a dit, le terme « répudiation » n'apparaît pas dans le droit marocain. On parle de « talak », c'est-à-dire de divorce. Or, avant l'entrée en vigueur du nouveau code de la famille, la femme n'avait pas le droit de demander le divorce. Quand elle demandait à son mari de pouvoir divorcer, elle lui demandait donc en fait de la répudier, mais ce n'est pas là la répudiation avec le sens péjoratif que nous lui donnons en Belgique.

Quand on dit que la répudiation concerne 80 % des dissolutions de mariage, on ne précise pas si c'est la volonté de l'homme ou de la femme. Certes, dans la culture marocaine, l'initiative du divorce viendra plus souvent de l'homme, mais c'est un autre débat.

L'objectif de ces discussions est de protéger les droits des femmes en Belgique, non de modifier le droit marocain.

Mme Bachir précise que le talak désigne le divorce unilatéral tandis que le khôl consiste dans l'achat du divorce. Le khôl implique évidemment que la femme ait les moyens financiers suffisants, ce qui concerne peu les femmes immigrées en Belgique. À côté existe encore le divorce classique, avec respect des droits de part et d'autre, mais il semble que très peu de couples y recourent.

M. Willems tient à souligner qu'il n'est pas en soi opposé à l'existence d'une forme de dissolution unilatérale du mariage existant dans une autre culture juridique, mais le problème vient de ce que cette prérogative n'appartient qu'à l'une des parties. Celui qui vient en Belgique est soumis aux droits et devoirs de notre ordre juridique et doit accepter que l'acte de répudiation qu'il invoque soit examiné à la lumière du droit belge. C'est pourquoi selon le membre, la répudiation ne peut être envisagée que comme un élément de fait à prendre en considération dans une procédure de divorce devant nos cours et tribunaux.

Mme De Roeck s'interroge sur les conséquences concrètes qu'aurait l'adoption éventuelle de l'amendement VLD sur la situation des femmes répudiées qui se trouvent sur le territoire belge.

3. Auditions des représentantes du Conseil des femmes francophones de Belgique

3.1. Exposé de Mme Magdeleine Willame-Boonen, présidente du CFFB

Au sein du CFFB, la Commission des femmes maghrébines, dont les membres connaissent particulièrement la problématique de la répudiation, a pris position sur le sujet. Son avis a été discuté au bureau et au conseil d'administration du CCFB pour en arriver à l'avis que la présidente présente aujourd'hui. Il convient de signaler aussi que le Conseil des femmes francophones de Belgique fait partie de la Plateforme Répudiation.

Face à la problématique de la répudiation, pratique discriminatoire, totalement contraire au respect de la dignité humaine, il faut absolument que le futur code de droit international privé désigne de façon claire le droit national applicable et détermine les conditions dans lesquelles une décision judiciaire étrangère ou un acte authentique étranger peut recevoir effet en Belgique.

Il faut supprimer cette possibilité de discrimination entre les conjoints sur la base du sexe.

La répudiation est à ce point intolérable qu'elle détermine les relations de couple comme fondamentalement précaires. La combattre est ainsi promouvoir un mariage égalitaire.

Cependant, s'il est urgent de se préoccuper du sort de certaines femmes étrangères victimes d'un pouvoir unilatéral qui est le droit du mari de demander la dissolution du mariage, il y a lieu de tenir compte de situations très concrètes.

En effet, « le refus de reconnaître toute répudiation en raison de la nature de l'institution conduirait à des résultats inéquitables. Il serait excessif que, par exemple, une femme de statut musulman, nationale d'un pays de culture islamique et résidant dans un tel pays, ne puisse pas invoquer, en Belgique, une répudiation pour attester de sa qualité d'épouse divorcée, à propos d'une action de nature patrimoniale » (doc. Sénat, nº 3-27/1, p. 90).

Le maintien d'un tel mode de dissolution du mariage permet de continuer à protéger les intérêts des femmes originaires de certains pays dont le seul mode de dissolution du mariage est la répudiation (Soudan, Yémen ...). Il leur est permis ainsi d'avoir accès à leurs droits et surtout de bénéficier des droits dérivés d'une telle dissolution du mariage.

Supprimer toute référence à ce mode de dissolution du mariage, par principe, et sans se préoccuper des conséquences concrètes et normalement prévisibles pour les intéressées, reviendrait à pénaliser ces femmes qui seraient « divorcées » de leur plein gré et ne pourraient prétendre aux effets positifs de ce « divorce », notamment la réorganisation de leur vie et celle de leurs enfants.

En ce qui concerne la condition de résidence en Belgique (article 57, § 2, 3º), il existe un risque que, si une disposition semblable n'existe pas dans les autres pays européens, les maris désirant répudier leur femme fassent élection de domicile ailleurs en Europe (France, ...).

Il conviendrait peut-être de recommander une position commune sur ce plan au sein de l'Union européenne.

Au nom de l'ordre public belge et en vue du progrès, il faudrait que la Belgique ne s'engage dans des conventions bilatérales avec le Maroc (et les autres pays qui pratiquent la dissolution unilatérale du mariage) que pour autant que ces conventions souscrivent au principe d'égalité entre les femmes et les hommes (dissuader ces pays en ce qui concerne la procédure de répudiation).

À titre personnel, Mme Willame trouve qu'une autre perspective intéressante est celle évoquée par Mme de Bethune dans sa proposition d'amendement (amendement nº 64, doc. Sénat, nº 3-27/4). La dissolution unilatérale du mariage est contraire à l'ordre public et aux droits de la défense et, en particulier, au principe de l'égalité entre les femmes et les hommes, consacré dans la Constitution belge. Le fait même de la dissolution unilatérale du mariage et la gravité de ses effets créent une cause de divorce pour cause déterminée, à savoir l'injure grave (article 231 du Code civil). Juridiquement, il pourrait être donné à la femme la possibilité de demander au juge belge de convertir la dissolution unilatérale du mariage en divorce pour cause déterminée, aux dépens de l'époux qui a obtenu la dissolution unilatérale du mariage.

3.2. Exposé de Mme Khadija El Hajjaji, membre de la Commission des femmes maghrébines du CFFB

Étant elle-même marocaine et s'occupant de consultations dans les centres de planning familial, Mme El Hajjaji sait qu'aucune femme musulmane n'est favorable à la répudiation. Toutefois, il faut être conscient du fait que le terme « répudiation » dans la plupart des pays musulmans n'a pas le même sens que chez nous. Dans les pays arabes et dans une grande partie des pays d'Afrique noire, c'est souvent le seul et unique moyen de dissoudre un mariage. Les femmes n'ont pas d'autre choix si elles veulent quitter un mari qui pose problème, que de demander elles-mêmes cette répudiation et elles négocient pour l'obtenir. Supprimer la répudiation pour protéger les femmes pourrait donc en fait les pénaliser.

Il y a chez nous des situations concrètes de femmes qui, pour pouvoir se remarier, sont contraintes de partir au Maroc pour essayer d'obtenir que la répudiation fasse l'objet d'une décision judiciaire et puisse être plus facilement reconnue en Belgique. C'est très pénible et humiliant pour la femme qui doit acheter sa liberté une deuxième fois.

Il est important que l'article 57 mette des verrous importants à la reconnaissance de la répudiation, mais qu'il permette quand même à la femme de l'obtenir sans devoir s'humilier.

La reconnaissance des effets de la répudiation pour la femme marocaine est essentielle. Si le juge belge constate des inégalités par rapport aux enfants, par exemple, il peut appliquer à la situation les dispositions du Code Civil. Par contre, l'idée de transformer la répudiation en divorce pour cause déterminée devant les tribunaux belges semble assez difficile à mettre en oeuvre.

Enfin, l'oratrice rappelle que le nouveau code de la famille marocain ne connaît plus la répudiation verbale, c'est-à-dire la plus humiliante, mais maintient l'institution en la soumettant à décision judiciaire. Le code contient encore d'autres concepts qui choqueraient les mentalités occidentales. Or, il est intéressant de souligner que, si la version arabe du code existe déjà, les juristes travaillent encore à sa version française afin d'adapter au mieux la traduction des concepts de droit musulman aux conceptions occidentales et de prévenir les conflits avec les systèmes européens.

3.3. Échange de vues

Mme Nyssens remarque que le nouveau droit de la famille marocain permet en principe à la femme de demander le divorce. Dès lors, y aura-t-il encore des répudiations demandées par la femme et devront-elles encore négocier pour obtenir leur liberté, comme c'est apparemment le cas actuellement ?

Mme El Hajjaji répond que le nouveau code ­ qui n'est pas encore en vigueur ­ supprime la répudiation verbale, mais maintient l'institution à certaines conditions, à côté de l'institution du divorce. Non seulement il faut une procédure judiciaire mais le procureur est tenu de vérifier si la femme a été régulièrement convoquée. L'homme est en outre tenu de payer une pension alimentaire pour sa femme et pour les enfants et ce paiement doit se faire avant l'enregistrement de la répudiation.

Par ailleurs, la femme peut désormais réellement prendre l'initiative de demander le divorce car les conditions restrictives (obligation de produire douze témoins confirmant ses dires) qui existaient jusqu'à présent ont été abolies.

La femme a également des droits qu'elle peut faire valoir au moment du mariage, soit faire inscrire une clause de monogamie et des dispositions relatives à la répudiation dans le contrat de mariage.

La répudiation est donc toujours possible mais ces différents éléments sont de nature à dissuader l'homme d'y recourir.

Mme de Bethune salue l'évolution positive du droit marocain mais le code de DIP belge n'est pas limité aux relations avec celui-ci. La membre aimerait savoir dans combien de pays la répudiation verbale est admise. Quels systèmes juridiques prévoient une homologation de la répudiation par le tribunal, telle que l'exige le projet d'article 57 ?

Pour Mme de Bethune, il faut adopter une position très stricte : il faut interdire la reconnaissance de la répudiation et n'admettre aucune exception. La double victimisation des femmes doit être résolue par d'autres voies que la reconnaissance de la répudiation à certaines conditions. Adopter l'article 57 tel qu'il est proposé donnera des arguments aux pays de droit musulman comme l'Irak qui doit reconstruire son système juridique, en faveur du maintien de telles institutions dans leur arsenal juridique.

Mme El Hajjaji ne dispose pas d'informations sur l'ensemble des pays de droit musulman, mais il est évident que, parmi ceux-ci, le Maroc et la Tunisie sont les deux pays les plus progressistes. Dans les autres États, le système juridique est certainement plus inégalitaire.

Mme Bousakla rappelle que la répudiation découle de la charia, la loi fondamentaliste appliquée dans certains pays musulmans. Elle n'a évidemment pas sa place dans un pays démocratique comme la Belgique. Même si le droit marocain reconnaît certains droits à la femme, celle-ci reste victime et humiliée par la répudiation. On n'aidera pas ces femmes, on n'apportera pas de solution en reconnaissant dans certains cas une institution inacceptable au regard de leurs droits.

Dans la commission pour l'égalité entre les femmes et les hommes du Conseil de l'Europe, le thème est discuté de manière approfondie avec 45 pays. Une délégation de pays arabes a clairement demandé de ne pas reconnaître la répudiation.

Si des femmes demandent parfois la répudiation, c'est précisément parce qu'elles n'ont pas d'alternative. Au Maroc, elles auront désormais la possibilité de mettre fin au mariage par d'autres voies. Dès lors, la membre ne peut pas croire que les femmes seront encore demandeuses d'une répudiation, si ce n'est sous la contrainte, ce qui est un argument de plus pour ne pas la reconnaître.

La vraie solution consiste à punir les hommes qui pratiquent encore la répudiation.

Mme Lizin rappelle que le comité d'avis défend l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Au nom de ce principe, la répudiation doit être interdite.

L'article 57 de la proposition de code de DIP doit se limiter à affirmer le principe d'interdiction de la reconnaissance de la répudiation. Une fois ce principe posé, la situation des victimes de cet acte illégal qu'est la répudiation peut être appréhendée par un article, voire par une loi distincte.

On peut comparer cette approche avec la législation sur la violence conjugale. La loi du 24 novembre 1997 visant à combattre la violence au sein du couple érige en infraction pénale la violence entre partenaires. Elle ne fait pas d'exception pour les cas où le partenaire est d'accord de se faire frapper ! La loi pose un principe et les victimes de la violation du principe ont accès à réparation devant les cours et tribunaux.

La répudiation est légale dans de nombreux pays, tels que le Soudan, le Pakistan, l'Afghanistan ... Dans d'autres pays, notamment dans les régions reculées d'Algérie ou dans le sud de l'Égypte, elle existe de facto. Si l'immigration en Belgique est originaire de ces régions, la répudiation sera aussi pratiquée à l'égard de ces femmes qui ne savent même pas qu'elles peuvent faire valoir des droits. Beaucoup de communautés sont concernées en Belgique, même si la plus importante est évidemment la communauté marocaine.

Les juristes de la délégation marocaine reçue il y a quelques semaines par la commission des Relations extérieures et de la Défense ont eux-mêmes conseillé de ne pas autoriser d'exception à l'interdiction de reconnaître la répudiation car tous les hommes vont l'utiliser. Les femmes seront par diverses pressions contraintes d'accepter la répudiation.

De même, au sujet des clauses de monogamie, un véritable marché risque de se développer. Une fille vaudra plus cher si elle renonce à demander la monogamie.

L'article 57 tel qu'il est proposé est la négation de tous les combats menés pour l'égalité entre les hommes et les femmes. On ne peut accepter d'introduire une disposition de droit protectionnel pour les femmes répudiées.

En résumé, l'article 57 doit affirmer clairement le principe selon lequel la répudiation est interdite. Un autre article doit viser la protection des femmes victimes de cet acte illégal.

Mme de T' Serclaes constate qu'il y a unanimité sur le caractère inacceptable de la répudiation. La difficulté consiste à trouver la possibilité pour les femmes d'obtenir la reconnaissance des effets de la répudiation quand elles n'ont pas d'alternative dans le droit belge, c'est-à-dire à des conditions très strictes. Pour toute personne ayant un rattachement avec la Belgique, tel que la nationalité ou la résidence, il est logique que la répudiation soit interdite. Cette personne doit recourir à la procédure du divorce.

Il y a cependant des cas pour lesquels il faut envisager une autre solution juridique, tout en sachant qu'ils sont exceptionnels. En effet, en vertu de l'article 42, 3º, de la proposition de loi portant le code de DIP, une femme arrivant en Belgique après avoir été répudiée au Maroc pourra déjà demander le divorce après douze mois de résidence sur le territoire belge.

Mme de Bethune propose de formuler un avis en trois parties. Premièrement, le comité d'avis estime à l'unanimité que la répudiation doit être interdite et donc sa reconnaissance de principe aussi.

Deuxièmement, le comité d'avis est conscient du risque de double victimisation pour certaines femmes et considère qu'il faut trouver une solution pour ces femmes sur le plan juridique.

L'article 57 proposé, de même que certains amendements, résolvent le problème par des exceptions au principe de l'interdiction de reconnaître la répudiation, et ce à des conditions très strictes, c'est-à-dire en fait pour un nombre très limité de femmes.

L'oratrice juge cette stratégie mauvaise, d'autant plus qu'elle ne s'applique qu'à quelques cas. La piste qu'elle propose consiste à donner aux femmes victimes non pas le bénéfice d'une exception, mais un droit qu'elles tireraient de leur condition de victime.

Différentes suggestions peuvent être faites pour concrétiser ce droit. On peut considérer la répudiation comme une injure grave ouvrant automatiquement le droit au divorce. L'inconvénient de cette formule est d'obliger les femmes à introduire en Belgique une procédure en divorce, ce qu'elles vont peut-être hésiter à faire.

On pourrait aussi imaginer dans le DIP une procédure sui generis sur la base d'une requête introduite par la femme. Celle-ci serait ouverte à toutes les femmes victimes de répudiation, sans exiger l'acceptation de la répudiation ou autre condition que pose l'article 57.

Enfin, troisièmement, il faut insister pour que la problématique continue à être suivie au niveau international. On se réfère un peu trop à l'évolution positive de la moudawana au Maroc. Le comité d'avis pourrait éventuellement suggérer que l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes réalise une étude sur l'évolution des systèmes juridiques sur ce point dans les pays de droit musulman.

Mme Bousakla trouve intéressante la piste consistant à faire naître un droit de la condition de victime. Cependant, si la femme obtient le droit de demander le divorce en Belgique et si ce divorce est reconnu au Maroc, ne perd-elle pas ses droits à la succession au Maroc ?

Mme El Hajjaji répond qu'il s'agit de questions distinctes. Si la femme obtient le divorce en Belgique, ce divorce pourra être reconnu au Maroc à condition qu'il soit conforme à l'ordre public marocain. Là se situe le problème car on trouvera des raisons pour ne pas accepter ce divorce là-bas.

Par ailleurs, elle signale que les femmes victimes de répudiation dans des villages reculés du Maroc, de Tunisie, etc., dont il a été question précédemment, sont précisément les femmes immigrées en Belgique.

L'oratrice se dit fondamentalement opposée au principe de la répudiation, mais dans la pratique, si la répudiation n'est pas reconnue, l'homme va de toute façon prendre une seconde femme dans son pays d'origine où la polygamie est admise.

Mme Lizin déclare qu'après la répudiation, le législateur s'attaquera au problème de la polygamie qui est aussi une institution intolérable.

Concernant la répudiation, il n'est évidemment pas question d'oublier les femmes qui sont dans une situation où elles n'ont pas d'alternative dans le droit belge. Mais on peut envisager une formule selon laquelle l'état civil belge leur reconnaîtrait la qualité de femme divorcée. Quant à l'homme qui se rendrait dans le pays d'origine pour y répudier sa femme, il se verrait ensuite refuser l'accès au territoire belge.

Mme Nyssens est d'accord sur le plan des symboles. Ce qui heurte nos sensibilités, c'est l'inscription dans le code des conditions d'ordre public d'une institution que l'on rejette. Mais ce n'est que la consécration d'une jurisprudence acceptée. La solution consiste peut-être à essayer de modifier la forme. Est-il indispensable au niveau juridique d'utiliser à l'article 57, § 2, le terme « reconnaissance »?

À titre d'information, la membre aimerait savoir si les victimes de répudiation que Mme Hajjaji reçoit dans les plannings familiaux sont majoritairement marocaines ou si elles ont la double nationalité.

Mme El Hajjaji répond qu'il s'agit surtout de femmes marocaines car celles qui ont obtenu la nationalité belge sont souvent plus sensibilisées à la question de leurs droits, elles ont davantage accès à l'information. Le profil-type de la femme qui vient la consulter est une Marocaine vivant en Belgique depuis trente ans, qui ne sort pas de chez elle et qui vient solliciter une consultation en l'absence de son mari parce qu'elle vient de recevoir une lettre. Lorsque la femme a la nationalité belge, l'époux hésite à la répudier pendant les vacances car il craint qu'elle ne cherche assistance au consulat de Belgique au Maroc. C'est en tout cas l'évolution qu'on perçoit ces dernières années.

Mme Onkelinx, ministre de la Justice, se réjouit de l'écoute très large que reçoit la problématique de la répudiation. L'important est d'élaborer des solutions pratiques pour les situations que vivent certaines femmmes. C'est là le but poursuivi par l'article 57 proposé. Si l'expression juridique peut en être améliorée, la ministre est prête à proposer un amendement pour le faire.

On peut envisager une formule en deux temps affirmant d'abord clairement le principe de non reconnaissance de la répudiation, puis admettant la reconnaissance de certains effets quand la femme veut bénéficier de ceux-ci et qu'il n'existe pas d'autre possibilité en droit belge.

L'instauration d'une procédure de divorce simplifiée constitue un élément de solution valable pour une partie de ces femmes. Le gouvernement a d'ailleurs déposé un amendement en ce sens (amendement nº 56, doc. Sénat, nº 3-27/4). Cependant, le divorce n'est pas accessible à quiconque se trouve sur le territoire belge. Il est impossible d'admettre une disposition octroyant le droit de demander le divorce en Belgique à des individus n'ayant aucun lien avec notre pays.

La proposition du gouvernement est la suivante. Lorsque la femme a la possibilité de recourir au droit du divorce en Belgique, il n'est pas question de reconnaître d'effet juridique à la répudiation. Si cette possibilité n'existe pas et si la femme veut voir reconnaître certains effets en Belgique, ces effets juridiques lui sont reconnus le plus simplement possible sans l'obliger à se soumettre à une procédure créée uniquement pour cela.

Il faut en tout cas régler le sort de toutes les femmes victimes de répudiation sans se limiter à celles qui ont la possibilité de demander le divorce en Belgique.

Pour répondre encore à la question de Mme Nyssens sur la formulation, on ne reconnaît jamais en soi les effets d'actes posés à l'étranger, on ne fait que « prendre acte », c'est-à-dire reconnaître l'acte posé à l'étranger, soit ici l'acte de dissolution du mariage. Cela permet alors à l'acte de sortir ses effets juridiques.

Mme Nyssens est d'avis que la meilleure formule trouvée jusqu'à présent est celle proposée par le gouvernement ou par l'amendement de Mme de T' Serclaes (amendement nº 47, doc. Sénat, nº 3-27/3). Elle-même n'est pas favorable à l'idée d'une procédure de divorce simplifiée car elle trouve injustifié de modifier le droit belge du divorce à l'occasion d'un problème de droit international privé. En outre, l'introduction d'une procédure simplifiée à certaines conditions créerait d'autres discriminations.

Mme Bousakla pense qu'il faut aussi réfléchir à la manière dont les hommes pourraient être sanctionnés. De la sorte, on leur donnerait un signal clair les avertissant qu'ils se trouvent dans un pays où une telle pratique n'est pas admise.

V. AVIS

Sur la base de ces auditions et des discussions menées, le Comité d'avis exprime l'avis suivant :

1. Considérant que la répudiation est une pratique discriminatoire contraire au respect de la dignité humaine et au principe d'égalité entre les femmes et les hommes. En effet, cette institution qui s'apparente à une forme de sujétion est attentatoire à la dignité de la femme. Ce pouvoir unilatéral dans le chef du mari de demander la dissolution du mariage est tout à fait discriminatoire puisqu'il repose uniquement sur le critère de sexe, et doit donc être supprimé. La répudiation, en tant qu'elle rend les relations du couple fondamentalement précaires, est intolérable. Il est donc essentiel de la combattre afin de promouvoir un mariage égalitaire;

2. Considérant néanmoins que le refus de reconnaître toute répudiation en raison de la nature de l'institution conduirait à des résultats inéquitables. Il y a lieu de tenir compte de la situation concrète des femmes et adopter une position dictée non seulement par le principe d'égalité entre les femmes et les hommes, mais également par les possibilités d'autonomie que cette disposition donnera aux femmes. À cet égard, comme l'indiquent les développements de la proposition de loi, il serait excessif que, par exemple, une femme de statut musulman, nationale d'un pays de culture islamique et résidant dans un tel pays ne puisse pas invoquer en Belgique une répudiation pour attester de sa qualité d'épouse divorcée, à propos d'une action de nature patrimoniale ou encore en vue d'un remariage. Si l'on refusait à ces femmes la reconnaissance, dans une certaine mesure, de la répudiation, elles seraient prisonnières de leur propre statut et seraient placées dans une situation juridique boiteuse : leur mariage étant dissous dans leur pays d'origine, elles ne pourraient y obtenir un divorce et elles ne pourraient pas non plus divorcer en Belgique, le juge belge n'ayant aucune compétence pour prononcer le divorce dans une situation ne présentant aucun lien avec la Belgique;

3. Considérant par ailleurs qu'il ne faut pas perdre de vue que l'article 57 du projet de Code doit avoir vocation à s'appliquer de manière universelle. Le maintien d'un tel mode de dissolution du mariage permet de continuer à protéger les intérêts des femmes originaires de certains pays dont le seul mode de dissolution du mariage est la répudiation (Soudan, Yémen ...);

4. Considérant que dans certains pays la répudiation est la seule forme possible de dissolution du mariage et que dans ces cas, les effets juridiques de la dissolution doivent être reconnus pour les époux de la même manière;

5. Considérant en outre que des accords bilatéraux et multilatéraux, par exemple avec le Maroc, doivent encore être approuvés et ratifiés par la Belgique. Ces accords permettront de définir à quelles conditions la Belgique et le Maroc, par exemple, reconnaissent mutuellement les décisions judiciaires rendues sur leur territoire;

Le Comité d'avis

1. estime que la règle de rattachement au lieu de résidence est une bonne chose : si l'un des époux a sa résidence dans un pays dont le droit ne connaît pas la répudiation comme mode de dissolution du mariage ou a la nationalité d'un tel pays, ce sont les règles du droit belge qui s'appliquent et donc seul un divorce est possible, et en aucun cas la répudiation. Le but est d'éviter les répudiations « touristiques »;

2. estime qu'il y a lieu de maintenir le principe selon lequel la répudiation, comme acte unilatéral et droit exclusif du mari ne peut être reconnu comme forme valable de dissolution du mariage;

3. estime cependant que, pour ne pas placer la femme répudiée dans une situation de « double victimisation », il y a lieu, après avoir réaffirmé le principe de la non reconnaissance de la répudiation, de prévoir, dans le cas où les époux n'ont pas de lien de rattachement avec la Belgique, à quelles conditions restrictives la femme répudiée pourrait, en tant que victime, invoquer la répudiation en vue de faire valoir certains effets de cette forme de dissolution du mariage;

4. prône une réécriture de l'article 57 du projet de Code de manière à ce qu'une distinction soit faite plus clairement, au besoin par le recours à deux dispositions distinctes, entre le principe général de la non-reconnaissance de la répudiation en Belgique et les exceptions à ce principe, à savoir les conditions restrictives auxquelles la femme répudiée pourra, en tant que victime, faire valoir certains effets de cette forme de dissolution du mariage;

5. souhaite par ailleurs attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de convaincre les États membres de l'Union européenne d'adopter une position commune sur la question de la reconnaissance de la répudiation, qui pourrait s'inspirer de la solution retenue par le droit belge.

VII. VOTES

L'avis a été adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Confiance a été faite aux rapporteuses pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteuses, La présidente,
Christiane VIENNE.
Clotilde NYSSENS.
Fatma PEHLIVAN.

(1) Le Centre pour l'égalité des chances entend par « répudiation » toute forme de dissolution du mariage à l'initiative du mari, dont la procédure ne permet pas d'assurer les droits de la défense ou l'égalité entre les époux.