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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 5 FEBRUARI 2004 - NAMIDDAGVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van mevrouw Amina Derbaki Sbaï aan de eerste minister en aan de minister van Economie, Energie, Buitenlandse Handel en Wetenschapsbeleid over «de aangekondigde vermindering van de aardoliereserves: één van onze belangrijkste energiebronnen» (nr. 3-113)

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Au début des années septante, l'on réalisait déjà que les réserves mondiales de pétrole n'étaient pas infinies et que la conséquence de cette limitation serait catastrophique pour l'économie mondiale. Les projections prévues avant d'arriver à un seuil critique étaient d'une cinquantaine d'années.

Les auteurs des projections, émanant principalement de la communauté scientifique, furent ridiculisés et accusés de jouer les Cassandre. En réalité, il ne s'agissait nullement d'exagération, puisque ces projections sont désormais réalité.

Mon intervention ne comportera qu'un condensé des faits, chiffres et statistiques, que je tiens bien évidemment à votre disposition.

Considérant l'équation suivante : pour quatre barils de pétrole consommés, le dispositif actuel d'exploration ne permet d'en trouver qu'un seul. Le problème n'est pas tant le volume des réserves mais le taux de succès des explorations : le prix du pétrole, plus difficile à trouver, plus cher à extraire augmente régulièrement jusqu'à étouffer les économies.

D'après des scientifiques comme le Dr Colin Campbell, géologue irlandais et fondateur de l'ASPO - Association for the Study of Peak Oil & Gas -, association composée de sommités en géologie et géophysique et qui mène des campagnes de sensibilisation et de prise de conscience au niveau politique, les premiers effets négatifs vont apparaître dès 2010.

Il faut savoir qu'au niveau mondial, 40% de l'énergie consommée ainsi que 90% des carburants pour le transports sont des dérivés d'hydrocarbure.

Il est très difficile d'avoir un état des lieux précis du volume des réserves dans la mesure où selon une étude réalisée par l'ASPO, les données en la matière sont fragmentées et pour certaines exagérées. Mais un consensus existe sur la gravité de la situation : selon le département d'État américain des relevés géologiques (USGS), la situation deviendra critique en 2037. Ce département admet cependant avoir été trop optimiste pour ne pas créer de panique sur les marchés financiers.

Selon d'autres experts beaucoup moins soucieux de ménager les marchés financiers, le seuil critique se situe aux alentours de 2010-15. Á titre d'exemple, ce seuil critique est déjà atteint en Mer du Nord où la production décline à raison de 6% par an.

Quelle que soit l'hypothèse envisagée (2037 ou 2010-2015), l'exigence de réformes structurelles de la part des États est évidente.

Sur le plan géopolitique, les implications sont bien évidemment sérieuses. Á mesure que les réserves se raréfieront, le contexte international deviendra de plus en plus tendu. Les États-Unis pour leur part semblent avoir adopté une stratégie frontale : le régime libyen est considéré à nouveau comme fréquentable par la Maison Blanche, les motifs de l'intervention de la coalition menée par les États-Unis en Irak sont largement discrédités, mais un document secret permet à certains journalistes d'avancer comme raison de cette intervention le partage des réserves irakiennes entre une trentaine de compagnies pétrolières issues de pays n'ayant pas manifesté leur opposition à l'invasion.

Notre pays était représenté sur cette liste de pays à travers la société « Petrofina », un scénario qui semble avoir été décidé avant la fusion avec Total et Elf.

Autre théâtre de cet enjeu, le Golfe de Guinée est en ce moment agité par des conflits feutrés. Le magazine Intelligence Online mentionnait récemment une présence accrue de ce que l'on appelle pudiquement des « conseillers militaires ». Pour rappel, il y a eu jusque 500.000 conseillers américains de ce type dans le conflit au Vietnam.

On peut aussi s'interroger sur la correspondance topographique, évidente sur un planisphère, entre les emplacements de bases militaires américaines et les centres de stockage de réserves pétrolières ou leurs points d'acheminement.

Et nous dans tout cela ? Nous faisons partie d'un ensemble, l'Union européenne, mais, de ce côté, le silence est assourdissant.

Nous sommes membres de l'Agence internationale pour l'énergie basée à Paris et de laquelle émanent des rapports annuels mais, toujours selon le Dr. Campbell, leurs extrapolations sont linéaires et ne reflètent pas la gravité de la situation à venir. Il convient d'envisager la question au travers d'une approche économique.

Le premier problème à venir est évident. Si dès 2010, les prix pétroliers commencent à augmenter, comme ce fut le cas lors de la crise de 1973 quand le prix du baril a quintuplé, le baril se chiffrerait entre 80 et 100 dollars US.

Cette augmentation affecterait toute la chaîne économique, de l'agriculture, donc des produits de première nécessité, au transport, avec des coûts de fret exorbitants. D'après une autre enquête sérieuse de 2003, les cinq dernières grandes récessions ont été précédées de hausses du prix du baril.

Pour reprendre une métaphore du Dr. Campbell, la crise de 1973 était une simple secousse sismique, et nous allons subir le tremblement de terre lui-même.

En termes de transport individuel, les alternatives au carburant existent déjà avec des véhicules dits « hybrides » fonctionnant au fuel et à l'électricité. Une firme japonaise commercialise déjà un modèle vendu à une centaine de milliers d'exemplaires par an. Or, la ponction fiscale se fait par les taxes et accises sur le carburant hydrocarbure. D'autres modèles sont équipés de panneaux photovoltaïques. Une firme canadienne commercialise déjà des panneaux qui s'adaptent sur les modèles de voitures classiques et servent à maintenir une charge constante des batteries. Si ce modèle ou d'autres arrivent chez nous massivement, cela signifie une baisse substantielle des recettes fiscales. Je vous laisse imaginer le cauchemar budgétaire, d'autant plus que notre appartenance à l'Euro implique que notre marge de manoeuvre est considérablement limitée. Le problème pourrait d'ailleurs se poser dès la fin de la prochaine législature.

Si l'on considère que la ponction fiscale se fait par les taxes et accises sur les carburants dérivés d'hydrocarbure, l'arrivée massives de ces modèles hybrides entraînerait une baisse substantielle des recettes fiscales.

Envisager qu'une hausse de la taxation sur l'électricité réglerait le problème est illusoire. En effet, même si l'avancée dans la recherche sur le rendement de la cellule solaire permettra qu'une partie de la consommation du véhicule soit prise en charge par ces panneaux, il est difficilement concevable, sur le plan technique, d'instaurer une taxe sur l'ensoleillement.

Entendons-nous bien, nous n'allons pas arriver à un épuisement brutal des réserves énergétiques, mais l'échiquier en termes de réserves est en notre défaveur.

Les données des compagnies pétrolières ne sont pas fiables, car - c'est compréhensible - elles ont un devoir fiduciaire vis-à-vis de leurs actionnaires. Elles ne feront pas fuir l'investissement en admettant que l'industrie va disparaître faute de matières premières.

Mais les faits sont là. Récemment, un des responsables de British Petroleum disait en guise de boutade que BP voulait aussi dire, je cite, « Beyond Petroleum », c'est-à-dire « au delà du pétrole ». Les compagnies pétrolières investissent donc beaucoup dans le solaire, leur logo a d'ailleurs changé.

Nous sommes devant un choix de société, l'essor de nos économies au siècle dernier s'est construit sur une énergie bon marché et abondante. La crise qui se profile est sans précédent.

Mais nous avons un avantage. Nous le savons parce que cette crise est structurelle et annoncée, alors que les récessions ne sont perçues que tardivement.

Imaginez les mesures qui auraient été prises si, au début du 20ème siècle, les conséquence du crash de 1929 avaient été connues de manière aussi détaillée que pour les crises d'aujourd'hui.

Il ressort de ce constat que nous pouvons prévenir et amortir en exerçant notre rôle de mandataire politique qui consiste aussi à être visionnaire.

Madame la ministre, je vous remercie de répondre aux questions que je souhaitais poser au premier ministre. Ne serait-il pas intéressant d'instiguer une conférence à ce sujet, toujours au niveau de l'UE ?

À tout le moins, ne serait-il pas souhaitable de mettre sur pied, au niveau belge, un comité de réflexion composé d'experts émanant de la société civile avec pour mission de nous donner des projections et des pistes quant à des solutions alternatives concrètes ?

Pouvez-vous nous donner une idée des projections et des pistes quant à des solutions alternatives concrètes ainsi que des prélèvements sur les carburants et sur les conséquences d'une diminution graduelle et constante en cas de commercialisation de véhicules hybrides ?

Existe-t-il des projections à long terme sur l'environnement économique global ?

Je me dois de remettre à jour la question que je posais lors du dépôt de la présente intervention après avoir constaté avec plaisir que vous aviez fait, entre-temps, une série de propositions dans le cadre de votre intervention au symposium de Gembloux, relayée dans un article paru dans Le Soir du 2 février dernier.

Avez-vous établi un calendrier des objectifs que vous vous êtes fixés, notamment en ce qui concerne la création de cette vallée européenne du moteur propre ? Comment comptez-vous mettre en oeuvre votre proposition sur les facilités fiscales accordées à l'achat d'un véhicule propre ou sur la recherche ciblée sur des technologies propres sans vous heurter aux directives européennes relatives à la libre compétition ?

Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - En ce qui concerne votre première question relative à la mise sur pied d'une conférence au niveau de l'Union européenne, je pense qu'il s'agit d'un point délicat.

En effet, le débat concernant la définition d'une politique énergétique commune au niveau européen relève davantage de la compétence des institutions européennes. Il s'agit effectivement d'une matière sensible - parce que géopolitique et stratégique - pour de nombreux États membres. C'est la raison pour laquelle il n'existe pas, à l'heure actuelle, de politique énergétique commune telle qu'elle existe pour l'agriculture et pour la pêche.

Dans le même ordre d'idées, la proposition de directive de Mme Loyola de Palacio, commissaire européen à l'énergie, relative à la possibilité d'une mise en commun, au niveau communautaire, des stocks stratégiques pétroliers des différents États membres est restée jusqu'à présent lettre morte.

Pour répondre à votre deuxième question, des pistes de réflexion concrètes seront élaborées grâce au programme « Clean technology ».

Le Conseil des ministres de Gembloux des 16 et 17 janvier 2004 a entériné la décision de créer un cadre favorable au développement et à la commercialisation des technologies propres.

La structure institutionnelle adoptée à cette fin sera composée d'un groupe de travail intercabinets élargi aux gouvernements des régions et des communautés, d'une plate-forme stratégique composée d'experts émanant de la société civile, de l'industrie, des milieux académiques et des centres privés de recherche-développement. Cette plate-forme réunira les experts de terrain et les décideurs au niveau de l'ensemble des sphères du marché des technologies propres.

La plate-forme aura pour mission d'inventorier les initiatives existantes et de rechercher des solutions alternatives concrètes en matière de motorisation, de carburant et de chaînes d'alimentation auxiliaires.

Le développement de sources d'alimentation alternatives, pauvres en carbone, dans l'ensemble de l'industrie et, plus particulièrement, dans les secteurs de l'industrie automobile et du transport, est une piste concrète vers des solutions alternatives.

Cette piste a un double mérite : elle contribue, d'une part, à rencontrer les objectifs de réduction des émissions, assignés à la Belgique dans le cadre de la politique climatique et, d'autre part, à réduire la pression sur les ressources naturelles, notamment pétrolières.

Plusieurs mesures adoptées dans le cadre du programme Clean technologies portent sur des réductions de consommation et sur la mise en valeur des réponses technologiques de transition. Ces réponses défensives et/ou transitoires sont nécessaires pour remplir le fossé qui nous sépare des véritables solutions énergétiques et technologiques du futur, telles que la filière hydrogène.

Les gouvernements fédéral et fédérés sont associés au processus décisionnel du programme Clean technologies dont les résultats seront présentés aux Chambres : le débat parlementaire aura donc lieu sur ces matières très concrètes.

La troisième question relative aux prélèvements sur les carburants et aux conséquences de leur réduction à la suite d'une conversion du marché vers les véhicules hybrides relève davantage des compétences du ministre des Finances.

Concernant le taux de conversion du marché, un baromètre sera établi qui suivra la percée des véhicules hybrides sur le marché belge.

Quant aux carburants classiques à base d'hydrocarbures, le Symposium Clean technologies organisé par le Premier ministre et moi-même le 2 février dernier a clairement montré que les carburants classiques ont encore un bel avenir devant eux pour plusieurs décennies et ce, même avec un taux ambitieux de pénétration des Clean technologies de l'ordre de 30% de l'ensemble du parc technologique.

Le manque à gagner pour l'État à la suite d'une réduction du volume des accises frappant les carburants pétroliers est donc à nuancer. Il faut noter, par ailleurs, que les moteurs thermiques classiques - essence et diesel - ont enregistré d'importants progrès en termes de réduction des consommations et qu'ils continueront dans ce sens. Les carburants classiques à base d'hydrocarbures ne disparaîtront pas de sitôt mais ils seront de plus en plus mélangés à des additifs bio ou synthétiques.

Quant à votre quatrième question, différents modèles économétriques - approche top-down - et/ou technico-économiques - approche bottom-up - existent ou sont actuellement développés notamment au niveau européen avec l'aide des États membres. La Belgique a ainsi participé au développement des modèles MARKAL, PRIMES, HERMES, EPM, ECO-MOD, etc. Ceux-ci établissent des projections sur l'environnement économique global.

Toutefois les approches à long terme sont délicates et difficilement conciliables avec les différents modèles. Elles doivent donc être utilisées avec prudence. Ces projections existent et constituent un élément clé des stratégies européennes, telles que le Livre vert sur l'approvisionnement énergétique en Europe.

Cinquième question : le Conseil européen de l'Énergie traite de questions horizontales, par exemple, la libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité. La problématique plus précise des biocarburants et des carburants de substitution tels que l'hydrogène est traitée au sein du Conseil environnement. Deux directives sont en vigueur, l'une concernant l'encouragement des biocarburants, l'autre concernant les carburants à 10 ppm de souffre.

Sixième question : le Symposium Clean technologies organisé le 2 février 2004 au Palais d'Egmont avait précisément pour objectif de mettre sur les rails un partenariat avec l'ensemble de l'industrie et, plus particulièrement, avec l'industrie automobile et du transport, pour développer et commercialiser les Clean technologies. Les actes du Symposium seront publiés incessamment et mis à la disposition de la Chambre et du Sénat.

(Voorzitter: de heer Hugo Vandenberghe, ondervoorzitter.)

Au sujet de la rencontre entre chercheurs, inventeurs et investisseurs potentiels, le conseil des ministres qui s'est tenu à Gembloux les 16 et 17 janvier 2004 a adopté un programme baptisé « Clean technologies ». Il crée une plate-forme stratégique qui réunira les acteurs de terrain et les investisseurs dans les domaines de la recherche, de l'innovation, de l'industrialisation et de la commercialisation des technologies propres. La plate-forme développera des actions transversales s'appuyant sur les politiques menées par les départements de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Recherche scientifique afin de favoriser l'émergence de synergies. Il s'agira de travailler dans une optique de « rendement social », en termes d'emploi et de croissance au bénéfice de tous.

L'objectif est de mettre sur pied une stratégie qui permettra à la Belgique d'atteindre une « low carbon economy » tout en offrant des plus-values concrètes en termes d'emploi, de recherche et de croissance économique. Les gains seront perceptibles par les citoyens en termes de sécurité et de santé publique.

J'en arrive enfin à la question de la compatibilité des mesures avec les directives européennes. Dans la plupart des pays de l'Union européenne, il existe déjà des incitants fiscaux destinés à stimuler les technologies propres. Je suis convaincue qu'il n'y aura pas trop de difficultés à cet égard. Nous nous efforçons d'être les bons élèves de l'Europe. Nous veillerons donc à assurer la compatibilité avec les directives existantes.

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Je reviendrai vraisemblablement sur les questions relevant des compétences du ministre des Finances. En ce qui concerne l'avenir des carburants, je ne prétends pas que nous sommes à la veille d'une catastrophe. Je crois simplement qu'il convient dès à présent de se pencher sur les solutions qui nous permettraient de pallier l'inévitable raréfaction.

La ministre a déclaré que la problématique des biocarburants est étudiée de manière horizontale et qu'il existe deux directives. Serait-il possible de prendre connaissance de ces documents ?

Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Les directives européennes sont publiées dans le Journal officiel et peuvent également être consultées sur le site Internet.

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - En fait, je faisais référence au dernier document dont vous avez parlé. Je vous prie de m'excuser.

Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Les actes du symposium seront mis à la disposition du Parlement.

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Qu'en est-il du calendrier relatif à la création de la vallée européenne du moteur propre ? Quels seront les objectifs poursuivis ? Je reviendrai sur ces questions ultérieurement.

Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Quant au calendrier, cette plate-forme a précisément pour mission d'établir l'inventaire des différents types de technologie existants et de présenter des propositions concrètes. Par ailleurs, le calendrier a déjà été partiellement fixé par les directives européennes. Les carburants 10ppm, par exemple, doivent être disponibles dans notre pays au début de l'année prochaine. De même, des échéances sont déjà programmées concernant les bioadditifs incorporés aux carburants.