3-451/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

14 JANVIER 2004


Proposition de résolution visant à garantir l'égalité des hommes et des femmes et la neutralité de l'État dans l'enseignement public obligatoire et dans les administrations publiques en interdisant le port de signes ostensibles d'appartenance religieuse

(Déposée par M. Alain Destexhe et Mme Anne-Marie Lizin)


DÉVELOPPEMENTS


Pourquoi légiférer ?

1. Pour défendre dans les espaces publics que sont l'école et les administrations, l'égalité homme-femme, la neutralité de l'État et l'ordre public.

2. Pour réaffirmer le rôle de l'école comme un lieu d'apprentissage de l'autonomie individuelle et de la conscience critique.

3. Pour protéger des mineures, favoriser leur émancipation et leur intégration dans la société où elles vivent.

4. Pour ne pas exposer excessivement les enseignants aux conséquences de décisions qui relèvent du pouvoir politique.

5. Parce qu'à l'école, l'apprentissage de la vie en commun passe par une certaine réserve dans l'affirmation de son identité, notamment religieuse.

Les auteurs,

· les principes

réaffirmant les principes fondamentaux de la liberté de conscience, de l'égalité des hommes et des femmes et de la neutralité de l'État;

réaffirmant le principe de la neutralité et de l'égalité de l'enseignement public;

réaffirmant le rôle de l'école comme lieu d'éveil de la conscience critique;

rappelant que comme toute liberté publique, la manifestation de la liberté de conscience peut être limitée en cas de trouble à l'ordre public;

· les textes juridiques

rappelant les textes internationaux protégeant les droits de l'homme et notamment la Convention sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes;

rappelant les articles 10 et 131 de la Constitution;

rappelant aussi les articles 19, 20, 21 et 181 de la Constitution;

constatant que, selon la Constitution, l'enseignement de la Communauté est soumis au respect de trois principes majeurs : la liberté, l'égalité et la neutralité;

prenant note des décrets de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité dans l'enseignement publique et du 24 juillet 1997 consacrant le principe d'égalité;

rappelant la loi du 29 mai 1959 dite du « pacte scolaire »;

prenant note des décrets « missions » du 24 juillet 1997 et « neutralité » du 31 mars 1994 de la Communauté française;

ayant pris connaissance, entre autres :

­ des déclarations du ministre de l'enseignement secondaire, Pierre Hazette;

­ de la réponse de Bernard Carlier, juriste, à la question posée par Pierre Hazette, ministre de l'enseignement secondaire sur « manifestations d'appartenance religieuse, philosophique ou politique en milieu scolaire : est-il interdit d'interdire ? »;

­ des arrêts de la cour d'appel de Liège du 23 février 1995 et du tribunal de première instance de Bruxelles du 11 décembre 1997.

rappelant les différents arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, et notamment celui du 1er février 2001, mais aussi pour d'autres pays les arrêts du 27 juin 2000 (France), du 15 février 2001 (Suisse), du 3 mai 1993 (Turquie) et du 6 juillet 1995 (Grèce);

concluant de ces arrêts que si la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales protège la liberté religieuse, elle n'en fait pas un droit absolu et que l'État peut dans certaines circonstances lui apporter des limites;

· les exemples d'autres pays

rappelant, en ce qui concerne la France :

­ l'avis du Conseil d'État du 27 novembre 1989;

­ la circulaire ministérielle nº 1649, dite « circulaire Bayrou »;

­ le rapport de la présidence de l'Assemblée nationale du 4 décembre 2003 sur la question du port des signes religieux à l'école (président et rapporteur M. Jean-Louis Debré);

­ le récent rapport sur la Laïcité de la république française (rapport Stasi);

­ la déclaration du 17 décembre 2003 du président de la République Jacques Chirac et les réactions qu'elle a suscitées tant auprès des partis et personnalités politiques qu'auprès des autorités religieuses.

rappelant la décision du Tribunal fédéral suisse du 12 novembre 1997;

constatant que la construction européenne ne repose sur aucun fondement religieux particulier et que la sécularisation de l'État est une notion centrale dans tous les pays européens;

constatant qu'en Turquie, un pays dont la majorité de la population est de confession musulmane, le port du voile est interdit, y compris dans l'enseignement supérieur;

reconnaissant que les significations de la laïcité ne sont pas nécessairement les mêmes en France qu'en Belgique;

constatant cependant que sur certains aspects la Belgique est une démocratie plus « laïcisée » ou « déconfessionnalisé » que la France. Ainsi la Belgique a adopté des lois sur la dépénalisation de l'euthanasie et le mariage homosexuel qui n'existent pas en France;

· de l'administration

rappelant que l'administration doit non seulement donner les garanties de la neutralité mais en présenter aussi les apparences. Toute manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public devrait être interdite même lorsque les agents ne sont pas en contact avec le public;

· de l'égalité des sexes et du prosélytisme religieux

constatant que c'est le port du voile islamique dans certaines écoles qui a déclenché la controverse et le débat;

constatant que, dans l'épisode de l'athénée de Bruxelles à Laeken, malgré le règlement de la ville de Bruxelles, ce sont les professeurs et la hiérarchie de l'école qui se retrouvent en première ligne, qu'ils ne disposent pas d'assistance spécifique (juridique ou autres) pour régler ces situations (ainsi la décision finalement prise a dépendu d'un vote des professeurs à la majorité !);

constatant que dans un nombre significatif de cas, le port du voile témoigne d'un prosélytisme religieux et que le nier frise l'aveuglement;

déclarant que revendiquer la neutralité de l'État est peu conciliable avec l'affichage d'un prosélytisme agressif dans le milieu scolaire;

réaffirmant la nécessité de défendre la liberté de conscience individuelle contre tout prosélytisme et que cette exigence s'applique d'abord à l'enseignement où les élèves doivent pouvoir s'instruire dans un climat de sérénité afin d'accéder à l'autonomie de jugement. Comme l'écrit la commission Stasi « L'école ne saurait devenir la chambre d'échos des passions du monde, sous peine de faillir à sa mission éducative »;

constatant que le port du voile peut être dans certains cas un choix personnel mais qu'il peut aussi être une contrainte particulièrement intolérable;

constatant que dans certains cas le port du voile renvoie à une conception inacceptable d'infériorité de la femme présentée « comme seule responsable du désir de l'homme » (commission Stasi);

constatant que le port du voile contrevient au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, un principe que l'école doit précisément enseigner;

rappelant que l'école à aussi pour but d'assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale;

profondément choqués par des déclarations de jeunes filles comme par exemple « une femme sans voile est une femme sans pudeur, c'est comme un aliment sans saveur »;

constatant que des jeunes filles sont contraintes de porter le voile contre leur gré, et qu'à défaut de le faire, certaines sont stigmatisées et traitées de putes ou d'autres qualificatifs du même genre;

constatant également que des jeunes femmes préfèrent porter le voile pour échapper aux problèmes quotidiens et à la stigmatisation sociale;

rappelant que les adolescents ne sont pas des adultes, qu'ils sont encore fragiles, sujets aux influences et aux pressions extérieures. L'école doit leur permettre d'acquérir les outils intellectuels destinés à assurer à terme leur indépendance critique;

constatant que le problème ne se limite pas au port du voile, mais concerne les cours de gymnastique, de natation, d'histoire, de biologie, et parfois le sexe ou les convictions religieuses des enseignants ou l'attitude à l'égard du personnel soignant;

rappelant que la prise en compte de revendications liées à des prescriptions religieuses ne peut aller jusqu'à affecter les missions de l'enseignement : que tout boycott de cours ou de professeurs en fonction de leur sexe ou de leurs convictions religieuses est absolument inadmissible et doit être combattu avec une grande vigueur;

rappelant cependant, à la suite de la commission Stasi que les signes religieux ne doivent pas être prohibés sauf s'ils revêtent un caractère ostentatoire ou revendicatif (rapport Stasi);

· nos convictions

convaincus depuis longtemps de la nécessité de légiférer, mais ayant voulu nous donner le temps de la réflexion;

convaincus qu'il faut un cadre clair, une norme formulée au niveau fédéral, prise et assumée par le pouvoir politique;

rappelant qu'apprendre à vivre ensemble, permettre la rencontre de tous dans l'espace public, c'est aussi accepter d'adapter l'expression publique de ses particularités confessionnelles et mettre des limites à l'affirmation de son identité;

engagés en faveur des droits des femmes et de leur égalité avec les hommes;

partageant l'avis du Président de la République française M. Jacques Chirac, que « le degré de civilisation d'une société se mesure à la place qu'y occupent les femmes »;

constatant que, après une longue et remarquable réflexion, la France a l'intention de légiférer;

constatant que la situation actuelle en Belgique reste caractérisée par une approche au cas par cas sans sécurité juridique et qui expose exagérément les enseignants;

convaincus que ce n'est ni aux professeurs, ni aux chefs d'établissements, ni aux pouvoirs organisateurs locaux d'établir une règle qui relève de la décision politique;

conscients des difficultés d'application qui peuvent surgir de l'application du texte proposé;

reconnaissant qu'une loi ne suffit pas à régler les questions complexes soulevées et que des recours juridiques sont inévitables;

persuadés cependant qu'il faut mener ce débat à son terme,

concluent de tout ce qui précède qu'il n'y a désormais plus de raisons de reporter le dépôt d'une proposition de résolution et le débat au Sénat dans son rôle de chambre de réflexion.

Alain DESTEXHE.
Anne-Marie LIZIN.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat

estime que le Parlement fédéral et les assemblées régionales et communautaires doivent légiférer chacun pour les matières relevant de ses compétences, afin que :

1º dans le respect de la liberté de conscience, soient interdits dans l'enseignement public fondamental et secondaire, les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse.

Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles tels que grande croix, voile, tchador, calot blanc ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse, les signes discrets comme par exemple : petites croix, étoiles de David, mains de Fatimah ou petits Coran.

Commentaire

Il s'agit d'un texte proche de celui adopté par la commission Stasi à l'unanimité des membres de cette commission moins une abstention. Jacques Chirac a lui défini les signes ostensibles, comme ceux dont le port conduit à se faire remarquer et reconnaître immédiatement à travers son appartenance religieuse;

2º le port de signes religieux soit interdit aux agents de la fonction publique dans le cadre de leurs fonctions;

décide de mener le débat avec toutes les parties concernées, au sein d'une commission ad hoc, qu'il compose en associant toutes les assemblées.

6 janvier 2004.

Alain DESTEXHE.
Anne-Marie LIZIN.