3-419/1

3-419/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

12 DÉCEMBRE 2003


Proposition de loi relative à la stérilisation contraceptive et thérapeutique

(Déposée par Mme Christine Defraigne)


DÉVELOPPEMENTS


La stérilisation concerne tant les hommes que les femmes, elle consiste à supprimer la fécondité chez un être humain en le rendant incapable de procréer, sans pour autant modifier ses fonctions sexuelles ou endocrines. Par contre, la stérilisation n'offre aucune protection contre les maladies sexuellement transmissibles.

La vasectomie chez les hommes consiste en une section des canaux déférents. La ligature des trompes chez la femme consiste à sectionner les trompes de Fallope (trompes utérines) ou à poser des pinces ou des anneaux pour obturer les cavités tubaires.

Différentes techniques peuvent être utilisées pour aboutir à une telle stérilisation.

La plus fréquente est la laparoscopie, technique qui permet de visualiser l'intérieur de l'abdomen, les ovaires, les trompes, l'utérus à l'aide d'un laparoscope. Cette intervention consiste à faire une ou deux incision(s) : l'une au niveau de l'ombilic, l'autre au niveau du pubis. On sectionne ensuite les trompes de Fallope empêchant ainsi l'ovule d'aller jusqu'à l'utérus.

La ligature peut aussi se faire au cours d'un avortement ou d'une césarienne.

Les progrès dans les techniques laissent néanmoins espérer la possibilité d'une restauration secondaire de la fonction de reproduction tant chez l'homme que chez la femme. Ce point est très important, puisqu'il permet de ne plus ranger la stérilisation dans les « mutilations » dites irréversibles.

La suppression de la fonction de reproduction est un acte dont la gravité ne peut échapper. Il faut des motifs très sérieux pour réaliser une stérilisation chirurgicale.

Ces interventions peuvent avoir différents motifs.

D'abord la stérilisation dans un but thérapeutique. Cette opération est rendue nécessaire par des lésions sérieuses de l'appareil génital ou lorsque la grossesse, la pilule ou le stérilet sont fortement contre-indiqués pour la santé de la femme (cardiopathie, néphropathie, sclérose en plaque, ...) ou pour l'enfant à naître (risques de malformations graves).

Enfin la stérilisation peut être réalisée sur demande d'un couple inspiré par un conseil génétique. Ces parents, dont l'un ou les deux sont porteurs d'un gène responsable d'une maladie grave, ne veulent pas prendre le risque de contaminer leur descendance et préfèrent renoncer à tout projet de procréation.

Existe aussi la stérilisation eugénique.

Il s'agit de la stérilisation volontaire de personnes porteuses de tares héréditaires ou bien de mesures systématiques « pour la protection de la société ».

On est étonné de constater que malgré l'expérience nazie (en 1935, 70 000 malades mentaux ont été stérilisés), malgré le code de Nuremberg, existent des législations eugéniques notamment au Japon, dans les pays scandinaves, aux États-Unis où déjà en 1931, 33 États étaient pourvus d'une loi d'inspiration eugéniste. Dans ces pays, la stérilisation peut être imposée sans le consentement de l'intéressé à certains psychopathes, délinquants, pervers sexuels et même déficients mentaux, épileptiques (la liste varie selon les États), par décision de l'autorité publique. Aux États-Unis, entre 1907 et 1949, dans 33 États, 50 000 personnes dont la moitié était des faibles d'esprit ont été stérilisées de force.

D'autres arguments que celui de la protection de la société sont avancés pour justifier la stérilisation non thérapeutique et non volontaire de handicapés mentaux, à savoir l'argument économique parce que la société n'a plus les moyens de payer des soins et des services sociaux de longue durée pour les handicapés mentaux et leur descendance; ou l'argument social, le handicapé mental éprouve des difficultés à contrôler sa fécondité, à assumer l'ensemble des responsabilités parentales et il lui est souvent difficile de subvenir à ses propres besoins matériels.

Enfin la stérilisation contraceptive. La ligature des trompes ou la vasectomie est alors envisagée comme procédé de contraception simple et sûr sans raison médicale précise et réalisé à la demande des intéressés.

Au Québec, la ligature des trompes s'avère un mode de contraception très utilisé : il s'en effectue plus de 18 000 par an. 17 000 vasectomies sont réalisées par an.

Toujours au Québec, une personne sur cinq se fait stériliser avant 30 ans. Ce recours précoce à la stérilisation implique que 20 % des femmes regrettent leur geste avec une intensité variable, d'autant plus importante que la stérilisation est précoce. Dans cette perspective, le problème essentiel est la qualité du consentement donné par la personne pour une stérilisation, surtout sur le caractère irréversible de l'opération, sur les autres modes de contraception temporaires, sur le réel désir de ne pas ou plus avoir d'enfants et sur les effets de la stérilisation au niveau psychologique (1).

En pratique, la ligature des trompes et la vasectomie nécessitent une intervention chirurgicale de courte durée puisqu'elle est réalisée en 15-20 minutes. Elle est exécutée sous anesthésie générale pour la femme et sous anesthésie locale pour l'homme.

Le retour aux activités normales se fait 24 à 48 heures après l'opération. La ligature est efficace immédiatement après l'opération.

Outre la ligature des trompes, la stérilisation de la femme peut également être obtenue par une salpingectomie (ablation des trompes de Fallope), moins fréquente ou par hystérectomie (ablation de l'utérus).

Actuellement, le droit belge n'autorise pas la stérilisation. Plus exactement, il est muet sur la question. Un chirurgien qui a pratiqué une stérilisation pourrait donc être poursuivi pour coups et blessures. De plus, depuis quelques années, les anesthésistes réanimateurs, se trouvant engagés pour pratiquer une anesthésie pour un acte susceptible de relever du Code pénal, ont émis des réserves et parfois refusé de pratiquer une anesthésie dans de tels cas, notamment lorsqu'ils n'étaient pas informés des indications. En effet, le médecin anesthésiste pourrait être poursuivi pour complicité.

En outre, ce vide juridique ne met pas à l'abri certaines catégories de personnes (les handicapés notamment) d'une éventuelle stérilisation non thérapeutique et non volontaire à la demande soit de l'État ou de leur entourage.

Par contre, le code de déontologie médicale, en son article 54, indique que « bien que le plus souvent bénigne, la stérilisation chirurgicale constitue une intervention lourde de conséquences. Dès lors, le médecin ne peut l'exécuter qu'après avoir informé correctement le patient sur le déroulement de l'opération et ses conséquences. La personne qui subira l'intervention devra pouvoir prendre sa décision librement et l'opposition éventuelle du conjoint ou partenaire sera sans effet ».

Il serait donc souhaitable que, dans les cas comportant une raison médicale sérieuse ou en cas de réelle détermination de la femme/de l'homme, la loi dépénalise cet acte de stérilisation afin de mettre à l'abri le ou la patiente intéressé(e) et les médecins qui pratiquent ou participent à une telle intervention.

C'est l'objectif de la présente proposition de loi.

COMMENTAIRES DES ARTICLES

Article 2

Cet article est important puisqu'il détermine le champ d'application de la proposition de loi.

Les techniques de stérilisation ne sont pas toutes énumérées pour n'en omettre aucune et laisser la porte ouverte à celles qui pourraient voir le jour dans le futur. On pense actuellement à la ligature des trompes, à l'hystérectomie, à la salpingectomie pour la femme et à la vasectomie pour l'homme.

Cette intervention chirurgicale est réservée aux majeurs. Envisager à moins de 18 ans une stérilisation est une chose extrêmement grave. Le consentement des parents ne peut suffire. L'auteur préfère les écarter du champ d'application de la loi.

Seules les stérilisations à visées contraceptive et thérapeutique sont tolérées par la loi. L'auteur refuse de tomber dans l'eugénisme et donc d'envisager des situations comme au Pérou où une enquête rendue publique dévoilait que plus de 200 000 personnes auraient été stérilisées de force sous le mandat de l'ex-président Alberto Fujimori, dont une large majorité de femmes issues de la population indienne des Andes. Le contrôle des naissances était l'une de ses priorités.

Le consentement du sujet dûment éclairé est indispensable.

Le médecin devra également s'assurer de la détermination du patient à vouloir subir une telle intervention, comme cela est requis dans la loi dépénalisant l'avortement. Le médecin devra le conseiller en prenant en compte l'âge du patient, le nombre de ses enfants existant, le sexe de ceux-ci, les contre-indications aux autres méthodes contraceptives et son état psychique.

Article 3

L'opération ne peut être effectuée n'importe où et par n'importe qui. Elle doit être réalisée par un médecin et dans un hôpital.

Article 4

La stérilisation tant masculine que féminine constitue une intervention chirurgicale qui présente comme toute autre des risques et des échecs éventuels. Les échecs sont estimés à 1 ou 2 % pour ligature des trompes chez la femme et de 0,5 % pour la vasectomie chez l'homme. Ces pourcentages sont faibles mais cette éventualité doit être abordée avec le médecin. Cela constituera une sécurité pour le praticien.

Ce type d'opération n'est pas non plus sans effets secondaires. Il importe qu'ils soient également connus par le patient avant l'intervention.

En effet, dans les 48 heures suivant l'intervention, le patient peut ressentir de la fatigue, de légères nausées, des étourdissements et un ralentissement des réflexes. La femme peut avoir des saignements vaginaux les jours qui suivent l'intervention et ses cycles menstruels peuvent être irréguliers les premiers mois.

Après la laparoscopie, il est possible d'avoir de légères douleurs abdominales, des douleurs musculaires et des douleurs aux épaules causées par le gaz utilisé pour gonfler l'abdomen durant l'intervention (le gaz est absorbé durant les 24 à 36 heures suivant l'opération).

La question de la reperméabilisation pour la ligature des trompes et la vasctomie devra également être envisagée. Cette technique a actuellement 70 % de réussite pour la femme, au prix d'une intervention chirurgicale délicate.

Pour l'homme, il y a 80 % de succès. Cette opération ne demande pas de laparotomie (ouverture chirurgicale de l'abdomen).

Le praticien devra aussi informer son patient de la possibilité de stocker par congélation son sperme avant l'intervention. En cas de regret, la faculté de procréer restera possible grâce à la technique de la fécondation in vitro.

Article 5

Il se peut que la mutilation (hystérectomie, salpingectomie ou castration) non prévue préalablement, soit décidée en cours d'intervention mais cela est rare. Seule l'urgence médicale peut donc justifier le non respect du délai d'un mois avant la prise de décision finale.

Pendant ce mois de réflexion, la personne concernée devra consulter un médecin psychiatre pour envisager avec lui les conséquences psychologiques et morales souvent imprévisibles de cette opération.

Après ce mois d'attente, la volonté de la patiente doit être confirmée par écrit avant de procéder à l'intervention. En effet, la réflexion est de rigueur pour un tel acte.

Article 6

Pour ce type d'intervention, la clause de conscience peut toujours être invoquée par le praticien par exemple pour des raisons de convictions religieuses ou quand il ne cautionne pas la motivation du patient. En pareil cas, il est important que celui-ci le fasse savoir le plus tôt possible à son patient.

Articles 7 et 8

La stérilisation des personnes handicapées est un sujet sur lequel il existe très peu de données précises. De même, on ne connaît pas le nombre d'enfants nés de parents « handicapés mentaux ».

Souvent déniée en raison de son caractère illégal, la stérilisation est sous-estimée quant à son étendue réelle si l'on considère le nombre de demandes de la part des parents qui souhaitent une telle solution, tant ils sont effrayés par la sexualité de leurs enfants handicapés mentaux et par ses conséquences possibles. La demande de stérilisation n'émane pratiquement jamais spontanément des personnes qui subissent l'intervention, mais des membres de leur entourage. Ce qui permet de douter de leur pleine conscience quant au consentement à l'opération pratiquée sur elles.

Dès lors, il est légitime pour certains de se poser la question de savoir de quel droit on peut porter atteinte à l'intégrité corporelle des personnes sans que celles-ci aient donné leur « accord libre et éclairé », et quelles sont les conditions d'accès à ce type d'intervention.

Premier argument le plus souvent invoqué pour justifier ce type d'intervention est l'intérêt général. On remarque ainsi que le sujet concerné n'est pas toujours le bénéficiaire direct de l'intervention. C'est ce qui justifie la question du consentement afin de protéger les intérêts et les droits de ces personnes.

Ensuite vient le constat de la part des professionnels de la prise en charge des personnes handicapées, quant à leur incapacité à prendre en charge un enfant.

Néanmoins, même si ces femmes reconnaissent qu'elles sont incapables de pouvoir élever un enfant, ça ne les empêche pas de vouloir procréer. Plusieurs personnes travaillant dans des centres pour personnes handicapées mentales affirment que ces femmes font semblant d'avaler la pilule ou font exprès de l'oublier en week-end par exemple, sans doute pour pouvoir partir du foyer et vivre en couple.

D'où la difficulté de parler de consentement à la stérilisation. Le fait d'expliquer les raisons de la stérilisation peut aider à admettre la décision. Mais cela met en jeu les capacités cognitives de ces personnes, leur aptitude à comprendre les problèmes les concernant directement. Cela dépend donc du degré de déficience de la personne handicapée mentale : elle ne comprendra pas toujours le sens et la portée de l'intervention pratiquée sur sa personne.

La stérilisation est aujourd'hui réversible. Elle est donc considérée comme un moyen contraceptif et plus comme une mutilation. Pratiquer la ligature des trompes apparaît dès lors moins dramatique. L'obtention du consentement de la personne concernée se pose alors de manière moins grave. Il s'agit néanmoins d'être attentif aux abus de stérilisation commis à l'égard des personnes handicapées mentales.

Idéalement, la stérilisation devrait être réalisée en tout dernier recours et avec le consentement effectif de ces personnes. Une large part doit être réservée à la médiation afin de les aider à prendre une décision et d'éviter autant que possible l'arbitraire. Il s'agit d'établir un contrôle social de la sexualité vis-à-vis d'un groupe fragile soumis très souvent à l'autorité de leur entourage.

C'est pourquoi, le texte prévoit que c'est au juge de paix que revient la décision. L'article 591 du Code judiciaire a été modifié à cet effet (article 8). Le juge de paix doit, pour ce faire, entendre la personne concernée, chercher à obtenir son consentement si elle est apte à exprimer sa volonté. Le juge écoutera également l'avis des père et mère ou représentant légal et de toute personne dont l'audition serait utile.

Article 9

Des dispositions pénales sont évidemment prévues à l'encontre de toute personne ne respectant pas la loi en la matière.

Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La ligature des trompes ou des canaux déférents ou tout autre technique ayant pour objet une stérilisation à visée contraceptive et/ou thérapeutique ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé par écrit une volonté libre et motivée après une information claire et complète sur les conséquences de sa décision.

Le médecin sollicité pour procéder à l'intervention s'assure de la détermination de son patient à subir une stérilisation telle que visée à l'alinéa 1er.

Art. 3

L'acte chirurgical est pratiqué par un médecin spécialiste en milieu hospitalier et après deux consultations médicales telles que décrites aux articles 4 et 5.

Art. 4

Au cours de la première consultation, le médecin informe la personne concernée :

— des risques médicaux éventuels qu'elle encourt et des conséquences de l'intervention, conformément à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient;

— du risque d'échec lié à la technique de stérilisation utilisée et du risque lié à l'anesthésie;

— de la technique de reperméabilisation;

— de la possibilité de stocker du sperme ou des ovocytes avant l'intervention.

Cette consultation est consignée dans un formulaire ad hoc.

Art. 5

Sauf urgence médicale, il ne peut être procédé à l'intervention visée à l'article 2 qu'à l'issue d'un délai de réflexion d'un mois minimum après la première consultation médicale.

Au cours de ce délai, la personne concernée consulte un médecin psychiatre qui fait rapport au médecin visé à l'article 4.

À l'expiration de ce délai, la personne concernée confirme par écrit sa volonté suite à un nouvel entretien avec le médecin chargé de l'intervention. Celui-ci constate l'absence de modification de son état de santé et la constance de sa volonté.

Art. 6

Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer un acte de stérilisation à visée contraceptive, mais il informe l'intéressé de son refus dès la première consultation.

Art. 7

§ 1. La ligature des trompes ou des canaux déférents ou toute autre technique ayant pour objet une stérilisation à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne placée sous tutelle ou sous administration provisoire que s'il existe une contre-indication médicale absolue aux autres méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement. Cette circonstance est dûment constatée par un médecin.

§ 2. L'intervention visée au § 1er est subordonnée à une décision du juge de paix, en application de l'article 590 du Code judiciaire, saisi par les père et mère ou par le représentant légal de la personne concernée.

Le juge se prononce après avoir entendu en chambre du conseil la personne concernée. Si elle est apte à exprimer sa volonté, son accord est systématiquement recherché et pris en compte après que lui a été donnée une information adaptée à son degré de compréhension. Il ne peut être passé outre son refus ou son changement d'opinion.

Le juge entend les père et mère de la personne concernée ou son représentant légal ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile.

Le juge se fait remettre le dossier médical de la personne concernée avant de prendre sa décision.

Art. 8

L'article 591 du Code judiciaire est complété comme suit :

« 23º. des demandes de personnes placées sous tutelle ou sous administration provisoire, de ses père et mère ou de son représentant légal pour obtenir l'autorisation de subir une stérilisation à visée contraceptive en vertu de la loi du ... relative à la stérilisation contraceptive et thérapeutique ».

Art. 9

Quiconque aura, volontairement, pratiqué ou fait pratiquer une stérilisation en dehors des conditions prévues dans la présente loi sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 20 000 euros, ou de l'une de ces peines seulement.

Art. 10

Le Roi fixe le modèle du formulaire qui constate l'accomplissement des formalités visées aux articles 4, 5 et 7.

1er août 2003.

Christine DEFRAIGNE.

(1) Hottois, Missa, Nouvelle Encyclopédie de biomédecine, p. 760.