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Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Ce n'est pas sur un cas particulier fort médiatisé que je souhaite vous interroger, madame la ministre, mais je profite néanmoins de ce cas pour vous poser des questions beaucoup plus générales sur l'exécution des décisions de justice en matière familiale, source de difficultés humaines et juridiques, qui s'amplifient lorsque le litige entre les parties a une dimension internationale.
Indépendamment du cas particulier qui a occupé la presse voici quelques semaines, je voudrais savoir si l'exécution des décisions de justice en application de la Convention de La Haye pose régulièrement problème en Belgique, d'une part, et à l'étranger, d'autre part.
Dans l'affirmative, pouvez-vous me dire comment s'organise pratiquement la procédure d'exécution de la décision, tant en Belgique qu'à l'étranger ?
Est-il souvent fait application des exceptions visées par la Convention de La Haye, notamment celle qui permet le non-retour de l'enfant s'il existe un risque grave dans la mesure où ce retour l'exposerait à un danger physique ou psychique, le placerait dans une situation intolérable, ou encore si l'enfant s'opposait à son retour, ayant atteint un âge et une maturité tels qu'il est approprié de tenir effectivement compte de son opinion ?
Le fait qu'une procédure judiciaire soit en cours à l'étranger, contre la partie qui réclame le retour de l'enfant, ne peut-il justifier que l'autorité judiciaire belge en charge émette des objections au retour de l'enfant ?
Ne pensez-vous pas qu'il faudrait créer une instance supranationale composée de magistrats indépendants qui pourraient statuer sur ces cas très délicats ?
Enfin, selon vous, la création d'une cellule de médiateurs internationaux qui aideraient à renouer un dialogue entre les parties ne serait-elle pas nécessaire ? Les espaces-rencontre, dont on a parlé tout à l'heure à l'occasion de la question orale de Mme Laloy, ne pourraient-ils pas, eux aussi, être utiles et leur mission ne pourrait-elle être étendue à la médiation en cas d'exécution de décisions de justice en matière familiale, lorsqu'un des parents se trouve à l'étranger ?
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - Tout d'abord, je précise que la Convention de La Haye de 1980 vise à assurer le retour immédiat d'un mineur de moins de seize ans qui a été déplacé ou est retenu en violation du droit de garde de l'autre parent.
Lorsqu'une décision sur le retour a été rendue, il appartient à l'autorité centrale de tout mettre en oeuvre en vue d'assurer le retour sans danger de l'enfant. Les obligations de l'autorité centrale à cet égard sont très claires. L'autorité centrale, en coordination avec les autorités judiciaires, examine dans chaque cas d'espèce les possibilités de mise à exécution volontaire des décisions. Ce n'est que lorsqu'une telle exécution est exclue en raison du refus du parent que la mise à exécution par la contrainte est assurée.
Une coordination des actions à entreprendre s'établit alors entre toutes les autorités concernées, en ce compris les instances étrangères requérantes.
Les statistiques permettent de constater que les cas de mise à exécution forcée ne sont heureusement pas majoritaires, ni en Belgique, ni à l'étranger. Il peut cependant être procédé à la mise à exécution forcée soit à l'intervention d'un huissier de justice, soit à l'intervention des autorités judiciaires elles-mêmes qui peuvent recourir aux forces de l'ordre.
Dans les États parties à la Convention de La Haye, l'exécution a lieu conformément aux règles de procédure nationales. C'est ainsi, par exemple, qu'en Allemagne, la mise à exécution forcée relève de la compétence du juge de l'exécution tandis qu'aux Pays-Bas, c'est le ministère public qui y procède.
La Cour européenne des droits de l'homme est très sensibilisée à cette problématique et cela, dans le cadre du respect de l'article 8 de la convention qui porte sur le respect de la vie familiale. Cette année, à deux reprises, la cour n'a pas hésité à condamner des États qui n'avaient pas fait procéder au retour effectif de l'enfant. Cela s'est passé à l'encontre de l'Autriche et du Portugal.
En réponse à la deuxième question, je dirai que les juridictions de l'État où l'enfant a été déplacé ou est retenu illicitement n'ont pas à prendre attitude quant au fond sur le droit de garde. C'est la raison pour laquelle les motifs de refus prévus dans la Convention de La Haye de 1980 doivent être interprétés absolument de façon restrictive. D'ailleurs, de manière générale, les motifs de refus sont fréquemment invoqués par le parent ravisseur mais ils sont assez peu souvent retenus par les juridictions, que ce soit en Belgique ou à l'étranger.
J'en viens à la troisième question. Les autorités centrales en charge des dossiers d'enlèvement d'enfants ou de rétention illicite ont l'obligation de s'échanger des informations sur la situation sociale de l'enfant. Elles ont également l'obligation de veiller à prévenir de nouveaux dangers pour l'enfant ou des préjudices pour les parties concernées en prenant ou en faisant prendre des mesures provisoires. Dans ce cadre-là et compte tenu des circonstances propres à une affaire, par exemple si une procédure judiciaire est en cours à l'encontre du parent qui réclame le retour, l'autorité centrale requérante peut, bien entendu, émettre des objections quant à ce retour. Ces objections peuvent ainsi se traduire par une demande de suspension de l'exécution d'une décision de recours qui aurait été prise et ce, dans l'attente de l'issue de la procédure au fond. Une telle demande est établie à la suite d'une concertation étroite avec les autorités judiciaires compétentes. Ces situations sont heureusement peu fréquentes.
Faut-il envisager de charger une instance supranationale du règlement des cas d'enlèvements d'enfants ? Je ne le pense pas. Le règlement européen sur la responsabilité parentale vient d'être adopté par le Conseil des ministres européens de la Justice, le 3 octobre dernier. L'accord politique n'a pas voulu s'écarter du système mis en oeuvre par la convention de 1980.
Il appartiendra toujours au juge de l'État sur le territoire duquel il y a présence illicite de l'enfant de statuer sur le retour mais, et c'est vraiment une innovation assez remarquable, en cas de décision de non-retour, le pouvoir de dernier mot quant à ce retour de l'enfant appartiendra au juge de la résidence habituelle de l'enfant avant son déplacement. Il s'agit là d'un accord politique très intéressant. Une décision postérieure sur la garde prévaudra sur celle de non-retour et cela, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'exequatur.
De la sorte, l'intérêt supérieur de l'enfant sera pris en compte de manière appropriée. Le nouveau mécanisme mis en place par ce règlement, qui sera d'application le 1er mars 2005, sera soumis au contrôle de la Cour de justice qui assurera l'interprétation uniforme du règlement.
Enfin, en cas d'enlèvement international d'enfants, il importe de mettre fin à la voie de fait le plus rapidement possible. Pour être efficaces, les mécanismes à mettre en place doivent avant tout être dissuasifs des enlèvements. À cet égard, le règlement européen que je viens d'évoquer présente cette caractéristique essentielle. La médiation doit certainement se situer en amont, à l'occasion de la séparation des parties, et en aval une fois que l'enfant est retourné auprès du parent victime.
Peu de parents victimes souhaitent s'engager exclusivement dans la voie de la médiation par crainte soit de la violence du parent ravisseur, soit du risque d'un nouveau déplacement, soit encore d'un allongement de la procédure au regard des délais impartis par les conventions internationales, à savoir six mois pour la Convention de Luxembourg et un an pour la Convention de La Haye.