3-208/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003

9 SEPTEMBRE 2003


Proposition de loi visant à respecter des normes obligatoires pour le radon

(Déposée par M. Alain Destexhe)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 23 décembre 2002 (doc. Sénat, nº 2-1413/1 ­ 2002/2003).

Le radon est un gaz d'origine naturelle émanant du sous-sol et, dans une moindre mesure, des matériaux de construction. C'est un produit radioactif, inodore et incolore. Il s'agit d'un problème qui se pose dans la partie sud de la Belgique. Le radon est la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac. Actuellement, il n'existe que des recommandations établies par la Commission européenne fixant un seuil limite d'exposition au radon mais ces dernières n'ont pas été transposées dans la législation belge. La présente proposition de loi a pour objectif de fixer un seuil limite de 400 Bq/m3 (1).

1. Qu'est-ce que le « radon » ?

Le radon est un gaz d'origine naturelle, émanant du sous-sol ou des matériaux de construction. Il est radioactif, inodore et incolore. Il est une étape intermédiaire de la transformation de substances radioactives instables (l'uranium 238) en élément stable (le plomb).

Généralement, ce gaz se dilue rapidement dans l'atmosphère dès qu'il atteint la surface du sol. Le radon constitue la part la plus importante de l'exposition aux rayonnements naturels reçus par l'homme, devant les rayons cosmiques, les eaux et aliments, le rayonnement des sols, ... C'est la deuxième source de rayonnement, juste après les expositions médicales. En Belgique, le radon représente plus du tiers des rayonnements radioactifs auxquels les Belges sont exposés dans la vie de tous les jours.

On estime que globalement, en Belgique, le radon est presque au même niveau que les expositions médicales, entre 35 et 40 % du total de l'irradiation du belge moyen. Au sud du sillon Sambre-Meuse, il est la principale source d'irradiation du public, s'élevant à plus de la moitié du total.

Le radon se trouve principalement dans le sol et dans les matériaux de construction.

1. Dans le sol

L'uranium se retrouve principalement dans certains sous-sols rocheux. En soi, il n'est pas dangereux mais sa désintégration produit le gaz radon qui se propage jusqu'à la surface à travers les couches perméables du sol.

2. Dans les matériaux de construction

Au début des années 80, on pensait que les matériaux de construction constituaient la principale source de radon dans les habitations, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. On retrouve le radon dans certains plâtres utilisés pour le plafonnage ou la fabrication de plaques pour cloisons de séparation mais, la contribution des matériaux de construction ne dépasse généralement pas quelques dizaines de Bq/m3.

2. Où est-il localisé en Belgique ?

Les sous-sols rocheux producteurs de radon se retrouvent surtout en Wallonie et plus particulièrement en Ardenne (surtout dans les arrondissements de Bastogne, Neufchâteau et Verviers), dans le Condroz, l'entre-Sambre-et-Meuse et quelques communes du Brabant wallon le long de la Dyle ainsi qu'à Visé.

La Flandre est épargnée car les sols argileux y renferment parfois des quantités importantes d'uranium mais leur imperméabilité empêche le radon d'arriver à la surface. À Bruxelles, la concentration est également assez faible.

La concentration en radon varie d'une maison à l'autre dans une même zone géologique. Elle varie aussi fortement d'une région à l'autre, en fonction de la nature géologique du sous-sol (le granit et le schiste en contiennent plus). En outre, certaines conditions exceptionnelles, liées à la composition du sol sous la maison (facteurs géologiques très locaux ou résultat d'activités humaines antérieures), peuvent engendrer des concentrations en radon élevées. Enfin, la concentration en radon varie au cours de la journée (plus élevée le matin), d'une saison à l'autre (plus élevée en hiver) et aussi en fonction des conditions météorologiques (plus élevée lors des basses pressions et lors du phénomène d'inversion de température). Plus on s'éloigne de la source (de la cave), plus la concentration diminue. Enfin, plus la ventilation est forte et efficace, moins il y a des risques d'avoir de fortes concentrations de radon dans l'habitation.

Des campagnes de mesure de 1995 à 1999 et des études géologiques pratiquées de 1996 à 1999 par la faculté polytechnique de Mons arrivent aux conclusions suivantes pour la Wallonie :

­ dans 10 000 habitations le taux de radon dépasse 400 Bq/m3;

­ dans environ 1 000 habitations, la concentration radon dépasse le niveau de 1 000 Bq/m3.

3. Quels sont les effets sur la santé ?

En 1987, le radon a été classé cancérogène pulmonaire par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) (2).

Aux États-Unis, le « surgeon general » (ministre de la Santé publique) a considéré le radon comme la deuxième cause de cancer du poumon. Un rapport d'experts américains chargés d'étudier les effets biologiques des radiations ionisantes a estimé, en 1995, que sur 157 400 Américains morts du cancer du poumon, entre 15 400 et 21 800 avaient été victimes de l'inhalation du radon (3).

Contrairement aux autorités médicales américaines, les services de la santé français estiment que les études épidémiologiques n'ont pas établi le risque du cancer du poumon lié à l'exposition au seul radon. Ils reconnaissent toutefois que le radon associé au tabac est particulièrement nocif.

En soi, le radon n'est pas dangereux : la plus grande partie du radon inhalé quitte les poumons sans y laisser la moindre trace de rayonnement. Cependant, comme il s'agit d'un élément instable, il donne naissance à d'autres éléments radioactifs (le plomb par exemple) susceptibles d'affecter gravement les tissus pulmonaires. Ces particules peuvent être à l'origine d'un cancer (4).

Les risques pour la santé ont été établis à partir de nombreuses études menées chez l'homme et chez l'animal. C'est le risque de cancer du poumon qui motive la vigilance à l'égard du radon dans les habitations. Le radon et ses descendants solides pénètrent dans les poumons avec l'air respiré. Les descendants solides émettent des rayonnements alpha (a), peu pénétrants, qui irradient les cellules les plus sensibles des bronches. Ce phénomène peut induire le développement d'un cancer. Les estimations du risque dû au radon proviennent des études épidémiologiques sur les causes de décès des mineurs d'uranium. Ces études ont permis d'établir que l'exposition au radon accroît de façon certaine le risque de cancer du poumon chez ces travailleurs. La prévention de ce risque repose aujourd'hui essentiellement sur la ventilation des galeries des mines. L'attention s'est ensuite portée sur l'exposition des populations au radon dans les habitations : dans certaines maisons, les concentrations sont proches de celles des mines.

En Belgique, le radon est la deuxième cause de cancer du poumon (5). Les spécialistes estiment entre 500 et 800 le nombre annuel de décès par cancer du poumon dus à une exposition au radon.

En France, d'après une estimation des risques liés au radon, fondée sur l'extrapolation des courbes doses-risques établies aux fortes expositions, ce gaz radioactif serait responsable de quelque 2 000 cas annuels de cancers du poumon.

4. Les législations en vigueur

Il n'existe pour l'instant aucune norme obligatoire en matière de radon, ni en Belgique, ni au niveau de l'Union européenne.

En revanche aux USA et au Luxembourg, la norme à ne pas dépasser est fixée à 150 Bq/m3.

Le Royaume-Uni applique une norme de 200 Bq/m3 pour toutes les maisons.

Faute de législation belge, il faut se contenter des recommandations européennes : il faut agir pour des concentrations dépassant 400 Bq/m3 pour les maisons existantes et 200Bq/m3 pour les nouvelles habitations.

Plusieurs experts estiment cependant que ces recommandations sont trop tolérantes et sont d'avis qu'il faudrait fixer la limite à 40 Bq/m3 (6), soit dix fois moins.

La discussion sur le niveau des normes résulte de l'antagonisme entre deux approches. L'une vise à limiter l'impact de la norme et demande une norme correspondant au niveau au-delà duquel le risque est formellement prouvé, se refusant à extrapoler aux faibles concentrations les constatations observées pour les fortes concentrations. Le chiffre de 400 Bq/m3 répond assez bien à cette philosophie. D'autres, par analogie avec ce qui se fait pour beaucoup de substances toxiques, demandent qu'on introduise un facteur de sécurité, ou encore qu'on n'applique pas au public une norme pour la radioactivité naturelle qui soit trop nettement plus laxiste que celle retenue pour la radioactivité artificielle, à savoir 1 mSv/an. Cela pourrait conduire à 40 Bq/m3. Cependant, ce dernier chiffre est clairement inapplicable. Les positions anglaises et américaines relèvent du compromis entre les deux.

5. Actions entreprises

Entre 1995 et 2000, le département « Protection contre les radiations ionisantes » au sein du ministère de la Santé a effectué quelques 9 000 relevés en collaboration avec les services de santé au niveau provincial. À partir de ces relevés, on a pu dresser une carte belge du radon et reprendre les différentes régions à risque.

La Région wallonne a prévu une prime à la rénovation destinée à aider ceux qui veulent effectuer d'importants travaux dans leur maison en raison de concentrations excessives de radon. Mais cette prime n'a encore jamais été versée car la plupart des cas ont pu être résolus sans trop de frais. L'arrêté du gouvernement wallon du 8 septembre 1994 prévoit un montant minimal des travaux de 2 000 euros de factures HTVA ou 1 000 euros de factures d'achats de matériaux HTVA, si l'on effectue des travaux de moins de 2 000 euros en tout ou en partie par soi-même.

Les communes des régions concernées ont reçu une brochure du ministère de la Santé qu'elles doivent distribuer à toutes les personnes qui demandent un permis de bâtir. Les communes du Brabant wallon ont également reçu une brochure destinée aux habitants.

La situation en France

En France, une cartographie détaillée de l'exposition au radon dans l'habitat a été dressée par l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, avec l'aide des services extérieurs du ministère de la Santé. En 1997, un groupe de travail interministériel (auquel a participé le Centre scientifique et technique du bâtiment ­ CSTB) sur les mesures à prendre vis-à-vis du risque radon a été mis en en place sous l'égide du ministère de la Santé.

Suite à ces travaux, les ministères du Logement et de la Santé on défini une politique d'intervention qui a donné lieu à une circulaire conjointe relative à l'organisation de la gestion du risque lié au radon.

Cette circulaire liste notamment les vingt-sept départements français présentant les moyennes de concentration les plus élevées. Elle définit les bases d'une action systématique de mesurage dans certains établissements publics et les modalités d'une information de la population.

De plus, à la demande du ministère du Logement, le Centre scientifique et technique du bâtiment a rédigé deux guides qui proposent des solutions techniques pour réduire la concentration en radon dans les bâtiments neufs et existants : des techniques pour réduire le risque d'exposition au radon mises à disposition des professionnels et des propriétaires de bâtiments pour les constructions existantes ainsi que des dispositions spécifiques de construction pour les constructions neuves.

La situation en Suisse

En Suisse, l'Ordonnance sur la radioprotection (ORaP), entrée en vigueur en octobre 1994, introduit une valeur limite de 1000 Bq/m3. Elle a pour but de protéger la population contre de trop fortes concentrations de radon. Lorsque la teneur en radon dans une maison dépasse cette limite, le propriétaire est tenu de faire assainir son bâtiment.

6. Comment le dépister et quelles sont les actions à entreprendre ?

La seule façon de savoir s'il y a une concentration de radon élevée est de faire mesurer le radon par un organisme spécialisé. En Belgique, à l'initiative de l'Institut supérieur de recherche appliquée pour l'Industrie nucléaire, on peut procéder au dépistage du radon en se procurant un détecteur qui sera fourni avec le mode d'emploi dans un colis pré-timbré permettant le renvoi par la poste au laboratoire ad hoc. Après analyse en laboratoire, un rapport est envoyé à l'intéressé. Le coût de l'analyse est compris dans le prix d'acquisition du détecteur soit entre 25 et 30 euros.

L'Institut supérieur industriel de Bruxelles est un organisme actif en Belgique francophone pour les mesures de radon. Il procède à des mesures dans les maisons et dans le sol, et dispose d'une base de données accessible pour la Wallonie et Bruxelles, incluant l'analyse géologique.

Une fois les résultats obtenus, il ne faut pas nécessairement intervenir. En effet :

­ moins de 60 Bq/m3 : la situation est normale, aucune action ne s'impose;

­ de 60 à 150 Bq/m3 : la concentration est un peu plus élevée que la normale mais n'est pas inquiétante. Une bonne ventilation et un colmatage des fissures par lesquelles le radon peut passer;

­ de 150 à 400 Bq/m3 : une action peut être envisagée mais n'est pas obligatoire. Il faut toutefois faire attention si il y a un enfant ou un fumeur dans l'habitation. Il faut essayer de réduire les concentrations;

­ de 400 à 1 000 Bq/m3 : prendre des mesures simples (ventilation et colmatage) et faire une étude détaillée du problème et un dépistage dans toutes les pièces.

Dans ce cas, des mesures d'abaissement du niveau de radon devraient être prises en appliquant le principe d'optimisation radiologique à savoir maintenir les expositions au radon à un niveau aussi bas qu'il est raisonnablement possible compte tenu des facteurs économiques et sociaux;

­ plus de 1000 Bq/m3 : le problème est inquiétant et il faut intervenir assez rapidement.

Si une maison est construite dans une zone dite « à risque », il est important de respecter certaines mesures de prévention afin d'éviter l'infiltration de radon ainsi que des mesures visant à bien aérer l'habitation. Il est préférable de s'adresser à un architecte, à un entrepreneur ou au Centre provincial de la Santé de sa région pour obtenir des conseils.

7. Mission de l'Agence fédérale de contrôle nucléaire

L'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) est un établissement public doté de la personnalité juridique (organisme d'intérêt public de la catégorie C), établi par la loi du 15 avril 1994 relative à la protection de la population et de l'environnement contre les dangers résultant des rayonnements ionisants et relative à l'Agence fédérale de Contrôle nucléaire.

L'agence est pleinement opérationnelle depuis le 1er septembre 2001. En effet, à cette date, est entré en vigueur l'arrêté royal du 20 juillet 2001 portant Règlement général de la protection de la population, des travailleurs et de l'environnement contre le danger des rayonnements ionisants.

Pour la radioactivité naturelle dont fait partie le radon, l'Agence identifie les activités professionnelles soumises à déclaration. Elle évalue l'augmentation de dose et fixe les mesures qui doivent être prises pour, si nécessaire, diminuer de façon substantielle la dose.

L'agence peut aussi imposer des mesures particulières de protection radiologique pour les entreprises.

Elle coordonne et centralise, en étroite collaboration avec les autorités régionales et locales et les institutions scientifiques compétentes, toutes les actions concernant le radon dans les habitations.

La prévention dans les nouvelles constructions, la recherche et les actions correctives dans les habitations à concentration élevée en radon sont prioritaires.

Le programme radon existe depuis 5 ans et est géré par l'Agence fédérale de contrôle nucléaire. Ce programme s'est concrétisé dans un programme d'action s'articulant autour de 5 éléments :

­ la rédaction d'une carte radon,

­ l'information du public,

­ l'information et la formation des architectes et entrepreneurs,

­ l'information sur les techniques de remédiation et de prévention,

­ la réglementation et le contrôle de qualité.

La présente proposition de loi a pour but de fixer un seuil limite d'exposition au radon et de se conformer à la recommandation de la Commission du 21 février 1990 relative à la protection de la population contre les dangers résultant de l'exposition au radon à l'intérieur des bâtiments.

Pour l'instant, il n'existe que des recommandations établies par la Commission européenne. Celles-ci n'ont pas d'effet contraignant et n'ont pas été transposées dans la législation belge.

Alain DESTEXHE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La valeur limite applicable aux concentrations de gaz radon dans les locaux d'habitation et de séjour est de 1 000 becquerels par mètre cube (Bq/m3) en moyenne par année.

Pour autant que des travaux de construction permettent de l'atteindre, la valeur directrice de 400 Bq/m3 est applicable en matière de transformations de bâtiments ainsi que d'assainissements de bâtiments.

La valeur directrice en matière de nouvelle construction est fixée à 200 Bq/m3.

Art. 3

La concentration de gaz radon est mesurée par un organisme spécialisé.

29 juillet 2003.

Alain DESTEXHE.

(1) Le Becquerel (Bq) est une des unités de mesure de l'activité radioactive.

(2) Test Santé, nº 40, décembre 2000-janvier 2001.

(3) Le Monde, 17 mars 1999.

(4) Test Santé, nº 40, décembre 2000-janvier 2001.

(5) Test Santé, nº 40, décembre 2000-janvier 2001.

(6) Test Santé, nº 40, décembre 2000-janvier 2001.