3-206/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003

9 SEPTEMBRE 2003


Proposition de loi relative à la détention de chiens réputés dangereux

(Déposée par M. Alain Destexhe)


DÉVELOPPEMENTS


1.1. Introduction

La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 31 août 2000 (doc. Sénat, nº 2-543/1 ­ 1999/2000).

L'actualité récente a relaté plusieurs faits divers mettant en cause le comportement agressif de chiens. Les accidents semblent se multiplier et la liste des victimes de ces chiens dangereux s'alourdit de plus en plus.

À Paris, le 10 mars 1998, un rottweiler a mordu plusieurs passants et un policier qui se trouvaient sur les Champs-Élysées. À Hamburg, en juin 2000, un enfant a été déchiqueté par deux chiens de combat dans la cour de l'école. En Belgique aussi de nombreux accidents se sont passés. À Herstal, près de Liège, un homme de 28 ans a récemment perdu la vie à cause de ses propres pitbulls. En juillet 1995, à Soumagne, un enfant de trois ans a été sauvagement attaqué par un pitbull. À Aarschot, en février 1999, une fillette a été dévorée par trois rottweillers. Et on peut multiplier les examens.

À l'occasion d'un symposium tenu à l'initiative du cabinet de la ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement le 18 mars 2000, il a été demontré que de 118 à 148 patients en moyenne étaient hospitalisés chaque année à la suite de morsures de chiens. Bien que pouvant paraître a priori relativement faible, ce chiffre doit cependant être relativisé par le fait qu'aucun système fiable de récolte des données statistiques n'existe actuellement.

Ainsi, dans le cadre de ce même symposium, on a pu relever que le nombre de chiens appartenant au groupe cible répertorié « chiens dangereux » était évalué à environ 60 000, ce qui représente une moyenne de 5 % de chiens « à risques ». Selon une étude de la KUL (1), en Belgique, chaque année, 30 à 40 000 personnes seraient mordues par un chien. Il s'agit donc d'une question de santé publique.

Selon les statistiques des compagnies et organismes assurant les frais médicaux ambulatoires, le coût total des sinistres en responsabilité civile familiale impliquant des chiens est évalué à 849 000 000 de francs, soit près de un milliard de francs (2).

Ce phénomène pose dès lors un réel problème de sécurité publique et ne peut être minimisé.

Or, actuellement, les initiatives pour contrer le développement de ce problème apparaissent exclusivement locales. La nouvelle loi communale de 1992 charge les communes « de remédier aux événements fâcheux occasionnés par la divagation d'animaux malfaisants ou féroces ». À Grez-Doiceau, les pitbulls sont interdits depuis 1988 et désormais les chiens appartenant à l'une des 12 autres catégories réputées dangereuses (fixées par l'arrêté du ministre Pinxten) doivent être tenus en laisse et portés en muselière dans tout lieu public ou privé accessible au public. Il en va de même pour la commune de Waterloo. À Liège, le port obligatoire de la muselière et la tenue en laisse pour les chiens dangereux sont prévus dans un règlement communal. D'autres communes sont beaucoup plus radicales. À Quaregnon par exemple, depuis le 1er août 2000, l'acquisition de chiens dangereux sur le territoire communal est interdite et le port de la muselière est obligatoire pour ceux se trouvant déjà sur le territoire. Le bourgmestre de Maasmechelen a fait également abattre fin juillet de cette année quatre chiens considérés comme agressifs. À la ville de Bruxelles, le règlement général de police stipule que « les propriétaires de chiens ou les personnes qui en ont la garde, même occasionnellement, doivent veiller à ce que ces animaux n'incommodent le public de quelque manière que ce soit et qu'au besoin, les chiens devront être tenus en laisse ».

Toutefois, il n'existe aucune réglementation générale sur les chiens dangereux, l'arrêté ministériel de l'ancien ministre de l'Agriculture du 21 octobre 1998, qui obligeait les propriétaires des chiens appartenant à une liste de 13 races dites dangereuses à procéder à leur identification, ayant été annulé par le Conseil d'État (le 31 mai 1999). Seul l'article 556 de la loi du 8 juin 1867 prévoit que « seront punis d'une amende de cinq francs à quinze francs (...) 3º ceux qui auront excité ou n'auront pas retenu leurs chiens, lorsqu'ils attaquent ou poursuivent les passants, quand même il n'en serait résulté aucun mal ou dommage (...) ».

La présente proposition de loi entend rencontrer le souci de garantir la santé et la sécurité publique tout en préservant la possibilité pour chacun, de s'adjoindre la compagnie d'un chien, considéré depuis toujours comme « le meilleur ami de l'homme ».

1.2. Analyse comparative

La loi anglaise est très radicale alors que le Royaume-Uni compte de très nombreux propriétaires d'animaux et que les associations de protection de ces derniers sont très importantes. Le « Dangerous Dog Act » est entré en vigueur en 1991. Cette loi définit un certain nombre de types de chiens dont certains ­ pitbull, tosa inu japonais, dogo argentino, fila brasileiro ­ sont soumis à une politique d'extinction, ce qui signifie qu'ils doivent être stérilisés, enregistrés et muselés. La loi prévoit également d'appliquer cette restriction à d'autres races dès que ceux-ci représentent un danger pour la sécurité publique. Des mesures sont en outre prévues lorsque les chiens sont considérés comme incontrôlables et dangereux.

Aux Pays-Bas, c'est en 1993 qu'est entré en vigueur le « Regeling agressieve dieren ». Ce règlement prévoit une distinction entre trois catégories de chiens agressifs : le type pitbull terrier, les chiens de garde et de défense et les chiens individuels qui ont présenté un comportement agressif. Pour la première catégorie, le législateur néerlandais a prévu une interdiction d'élevage et de détention. Pour les chiens de ce type déjà présents aux Pays-Bas, un régime de transition a été pris (muselage). Pour les autres catégories, un test d'agression a été instauré.

En France, la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux a pour but de renforcer les compétences policières des maires, d'alourdir les sanctions dans la matière des « animaux dangereux » et de faciliter la saisie de ces derniers.

L'Allemagne a réclamé récemment l'interdiction de chiens « dangereux » au niveau européen. De plus, le Sénat allemand a adopté fin avril 2000 une loi interdisant la possession et la reproduction des chiens de combat comme les pitbulls. Les autorités allemandes cherchent à lutter directement contre les combats mais surtout à limiter les populations des chiens dits dangereux après plusieurs accidents survenus avec ces animaux.

1.3. Notre proposition

Une législation sur les chiens, si elle veut sortir des effets positifs, ne doit pas se concentrer uniquement sur l'animal et se limiter à certaines races. Il est important de souligner que la prévention des accidents est basée sur l'éducation du chien comme celle des humains et en particulier de ses maîtres qui souvent ne savent pas s'en occuper.

Aussi convient-il d'établir une réglementation tenant compte des éléments suivants :

­ la prise en compte de la dangerosité de certains chiens : la dangerosité d'un animal peut être objective ­ il s'agit alors d'établir une liste de chiens dont la dangerosité est établie par diverses données scientifiques ou autres ­ ou subjective ­ un chien peut se révéler dangereux, bien qu'il ne fasse pas partie d'une race réputée comme telle.

­ la nécessité de responsabiliser les propriétaires et les gardiens : la mise en place de sanctions pénales et l'obligation, pour ceux-ci, de souscrire une assurance en vue d'indemniser les victimes éventuelles du comportement de leur animal, paraissent, sur ce point, de nature à rencontrer cette nécessité.

­ l'existence de mesures effectives et dissuasives : à cet effet, il convient de confier au bourgmestre un certain nombre de prérogatives susceptibles d'assurer la sécurité publique. La loi communale permet pour l'instant à chaque commune de prendre par règlement de police des mesures de prévention du danger mais cela n'est pas obligatoire.

­ la sauvegarde de la relation entre l'homme et le chien : il ne peut s'agir d'interdire purement et simplement la détention de chiens réputés dangereux ou de procéder à leur élimination systématique. La mise en place de mesures spécifiques peut suffire à préserver la relation entre le propriétaire d'un chien et celui-ci, tout en assurant la sécurité publique.

Alain DESTEXHE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'acquisition, à titre gratuit ou onéreux, la détention, l'importation ou l'introduction dans le Royaume, l'exportation, l'élevage et la reproduction, et, de manière générale, toute opération mettant en cause des chiens réputés dangereux, est soumise à la présente loi.

Art. 3

Est réputé dangereux :

1º tout chien susceptible, compte tenu des modalités de sa garde, de présenter un danger pour l'intégrité et la sécurité des personnes ou de leurs biens;

2º tout chien figurant sur la liste dressée, en application de la présente loi, par le ministre qui a l'Agriculture dans ses compétences.

Art. 4

Le bourgmestre est tenu, d'office ou à la requête de toute personne intéressée, de prescrire au propriétaire ou au gardien d'un chien visé à l'article 3, 1º, de la présente loi, toute mesure de nature à prévenir tout danger pour l'intégrité et la sécurité des personnes ou de leurs biens.

Si le propriétaire ou le gardien du chien ne s'exécute pas volontairement, le bourgmestre peut procéder, aux frais du propriétaire ou du gardien, au placement de l'animal dans un lieu de dépôt adapté à l'accueil et à la garde de celui-ci.

Si le propriétaire ou le gardien du chien persiste au-delà d'un délai de 15 jours à ne pas exécuter les mesures imposées par le bourgmestre, celui-ci peut ordonner qu'il soit procédé à l'euthanasie de l'animal.

Le bourgmestre détermine les conditions, autres que celles prévues par la présente loi, dans lesquelles un propriétaire ou un gardien d'un chien visé l'article 3, 2º, de la présente loi, peut faire l'une ou l'autre opération visées à l'article 2 sur le territoire de la commune.

Art. 5

Toute opération visée à l'article 2 de la présente loi est interdite aux personnes suivantes :

1º les mineurs;

2º les incapables;

3º les personnes ayant été condamnées à une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à six mois;

4º les propriétaires ou gardiens visés à l'article 4 de la présente loi dès lors qu'ils n'ont pas exécuté volontairement les mesures imposées par le bourgmestre telles que prévues au même article.

Art. 6

Toute opération visée à l'article 2 de la présente loi est soumise, pour toute personne, au dépôt à la maison communale du domicile du propriétaire ou du gardien de l'animal, d'une déclaration reprenant les données suivantes :

1º les nom, prénom, lieu et date de naissance, profession et domicile du propriétaire ou du gardien de l'animal;

2º l'identification complète de l'animal, et notamment sa race, sa date de naissance et toutes données relatives à sa vaccination;

3º la preuve de la souscription, par le propriétaire ou le gardien de l'animal, d'une assurance familiale ou autre, couvrant tout dommage que pourrait causer l'animal.

Le bourgmestre qui constate qu'un propriétaire ou un gardien d'un chien réputé dangereux n'a pas satisfait aux obligations visées à l'alinéa précédent, peut procéder, aux frais du propriétaire ou du gardien, au placement de l'animal dans un lieu de dépôt adapté à l'accueil et à la garde de celui-ci.

Si, dans un délai de 15 jours, le propriétaire ou le gardien du chien n'a pas satisfait aux obligations visées, le bourgmestre peut ordonner qu'il soit procédé à l'euthanasie de l'animal.

Art. 7

Tout propriétaire ou gardien d'un chien réputé dangereux ne peut circuler sur la voie publique que pour autant que l'animal soit tenu en laisse et muselé.

Art. 8

Sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante à mille euros, toute infraction aux dispositions de la présente loi.

Art. 9

L'arrêté reprenant la liste visée à l'article 3, 2º, de la présente loi prévoit le délai endéans lequel les personnes détenant un chien réputé dangereux ou effectuant l'une des opérations visées à l'article 2 sont tenus de se conformer aux obligations prévues par la présente loi.

29 juillet 2003.

Alain DESTEXHE.

(1) Étude du docteur Nolens de la KUL; De Standaard du 15 février 1999 et Assurinfo du 25 février 1999.

(2) Symposium « Problématique des chiens agressifs : l'approche multifactorielle », tenu à l'initiative du cabinet de la ministre de la Protection, de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement, 18 mars 2000.