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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003

9 JUILLET 2003


Proposition de loi modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le remboursement des frais de justice

(Déposée par Mme Clotilde Nyssens)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 29 novembre 1999 (doc. Sénat, nº 2-207/1 ­ 1999/2000).

Elle vise à apporter un remède au coût de la Justice en étendant aux frais exposés par l'avocat les dispositions de l'article 1017 du Code judiciaire qui prévoient la condamnation aux dépens de la partie qui a succombé.

Chacun sait que la Justice est un service public onéreux, notamment en raison de la complexité des problèmes qu'elle pose. Il y a donc lieu de déterminer qui doit en supporter le coût. La réponse dépend en fait très largement d'une option politique. Ou bien l'on considère que la justice civile concerne essentiellement des litiges entre particuliers et à eux d'en supporter les frais. Ou bien l'on admet que le fait de rendre la justice est un service d'intérêt public au même titre que la protection de la santé ou l'éducation et qu'aucun barrage financier ne doit en limiter l'accès.

Si chacun s'accorde à reconnaître et à proclamer que la Justice remplit un rôle social éminent et si la Constitution consacre en son article 23 le droit à l'aide juridique, il n'en reste pas moins que les moyens de la Justice en général et ceux affectés à l'aide légale en particulier ne suffisent pas à rendre effectif ce droit constitutionnel, malgré une augmentation constante de ces moyens depuis dix ans et les deux derniers plans pluriannuels pour la Justice.

La plus grande partie des frais de justice incombe encore au justiciable. Certains États comme l'Allemagne et l'Italie, par exemple, connaissent le régime de la « répétabilité » des honoraires en vertu duquel la partie qui succombe est condamnée à payer à la partie gagnante les honoraires des avocats auxquels elle a dû recourir pour assurer sa défense. Un tel système suppose une tarification des honoraires des avocats, à fixer par la loi et non par des barèmes établis par les ordres professionnels, puisque ceux-ci ont été considérés comme contraires aux règles de concurrence européennes.

Sans attendre l'application d'un régime de « répétabilité » des honoraires et donc d'une tarification légale en Belgique, nous proposons l'instauration d'une mesure calquée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure français dans sa dernière version arrêtée par le décret nº 91-1266 du 19 décembre 1991 entré en vigueur le 1er janvier 1992. Cette disposition vise à permettre un remboursement plus complet des frais de justice et permet donc au juge de condamner la partie succombante non seulement aux dépens, mais aussi au remboursement d'autres frais non compris dans ces dépens.

Cette somme est déterminée par le juge en fonction de divers éléments d'appréciation. Elle ne revêt pas un caractère de peine fondée nécessairement sur une faute, mais est fixée essentiellement en équité et compte tenu des situations concrètes propres au litige.

L'équité a notamment un but de conciliation : juger en équité, c'est rechercher une solution d'apaisement entre des intérêts divergents ou opposés. D'autre part, la prise en compte de la situation économique de la partie condamnée permet au juge d'envisager des solutions adaptées au cas d'espèce. L'intérêt pratique d'une disposition souple telle que celle de l'article 700 du Code de procédure français et ses facilités d'adaptation devraient en permettre une utilisation fréquente par les juges.

Le texte proposé vise donc au remboursement de frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens.

Une fois posé le principe même du remboursement, il y a lieu d'en proposer la mise en oeuvre. Même si la disposition proposée est applicable en vertu des principes qui régissent les relations entre les règles de procédure civile et de procédure pénale devant toutes les juridictions, y compris les juridictions répressives, le texte proposé complète l'article 194 du Code d'instruction criminelle relatif aux frais découlant des procédures devant les tribunaux correctionnels et l'article 369 du même Code relatif aux frais découlant des procédures d'assises. Il ne convient pas, selon nous, d'appliquer les nouvelles règles proposées aux tribunaux de police et donc de modifier l'article 162 du même Code. La partie qui entend obtenir le remboursement des frais exposés pour sa défense doit bien entendu les demander, les formuler et les justifier. Il n'y a pas, en la matière, d'automatisme. Les éléments de la somme allouée par le juge ne peuvent, en aucun cas, comprendre les frais couverts par les dépens et donc les actes matériels visés par l'article 1022 du Code judiciaire et, par conséquent, par le tarif civil fixé par l'arrêté royal du 30 novembre 1970 pris en vertu de cet article 1022.

Pour le reste, la somme déterminée par le juge pourra comprendre, notamment, les honoraires de l'avocat et des honoraires de consultation ainsi que les frais de déplacement et d'obtention de certaines pièces. Le montant de la somme allouée est laissé à l'appréciation du juge.

Cette évaluation ne soulèvera pas de difficultés particulières pour le coût d'obtention de certaines pièces et les frais de déplacement qui pourront être remboursés moyennant justification : le juge a seulement un droit de regard sur leur utilité.

L'évaluation des honoraires de l'avocat pose plus de difficultés. Le juge peut condamner à un remboursement intégral ou partiel des frais exposés et donc au remboursement intégral ou partiel des honoraires. Le justiciable devra évidemment apporter la preuve du paiement des honoraires et donc produire l'état des frais et honoraires de son avocat (cette publicité ne sera pas du goût de tous). De plus, cette pièce justificative devra être déposée avant la clôture des débats et, à cette date, le travail de l'avocat ne sera pas terminé.

L'évaluation par le juge aura donc lieu le plus souvent en fonction de ce qu'il considérera être le montant normal des honoraires des avocats, à défaut d'une évaluation basée sur la réalité des coûts. Le texte proposé constituera sans doute une amorce d'une tarification de l'honoraire par le juge.

Le texte proposé, d'apparence anodine, touche en définitive à des problèmes complexes, tant au plan de la technique juridique qu'à celui de la fonction de Justice, du principe de sa gratuité, de la fonction et de l'indépendance des avocats. Il ne résout pas le problème fondamental, celui du coût de la Justice et de sa facilité d'accès, dans la mesure où le coût pèse encore sur le justiciable. Les frais visés par le texte proposé ne représentent qu'une partie des dépenses que doit assumer le plaideur. Il ne faudrait pas oublier l'importance accrue des frais de procédure. Le texte proposé ne rend pas la Justice gratuite mais constitue un simple aménagement de la répartition des frais entre les justiciables eux-mêmes.

Clotilde NYSSENS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 1017 du Code judiciaire, remplacé par la loi du 24 juin 1970 et modifié par les lois du 30 juin 1971 et du 19 février 2001, dont le texte actuel formera le § 1er, est complété par un § 2, rédigé comme suit :

« § 2. Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie qui a succombé, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. »

Art. 3

L'article 194 du Code d'instruction criminelle, remplacé par la loi du 25 octobre 1950, est complété par l'alinéa suivant :

« Lorsqu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle et non comprises dans les frais, le juge peut condamner l'auteur de l'infraction à lui payer le montant qu'il détermine. »

Art. 4

L'article 369 du même Code, remplacé par la loi du 21 décembre 1930, est complété par l'alinéa suivant :

« Lorsqu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle et non comprises dans les frais, le juge peut condamner l'accusé qui succombe à lui payer le montant qu'il détermine. »

23 juin 2003.

Clotilde NYSSENS.