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9 JUILLET 2003
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 9 avril 2003 (doc. Sénat, nº 2-1597/1 2002/2003).
Au début des années 90, un groupe de réflexion composé de médecins, de psychologues, d'assistants sociaux, de magistrats et d'avocats est arrivé aux constatations selon lesquelles, dans certaines situations de graves conflits entre les parents, la médiation familiale classique était non seulement irréalisable, mais n'aidait en rien à une évolution positive du conflit en regard de la position de l'enfant ou des enfants.
En effet, lors de l'intervention, le conflit né de la séparation des adultes s'impose comme un fait. Il paraissait dès lors indispensable, dans un premier temps, de sortir l'enfant de ce conflit parental. Il fallait relever le défi de repenser la relation entre l'enfant et son père, la relation entre l'enfant et sa mère.
Une infrastructure nouvelle était nécessaire pour réaliser de telles pratiques; c'est ainsi que sont nés les premiers espaces-rencontre.
L'objectif principal de ces espaces est centré sur l'enfant et sur son droit fondamental de maintenir ou de recréer des contacts avec ses deux parents. Il s'agit de lui offrir un cadre sécurisant et adapté afin de lui donner la possibilité, par exemple, de renouer une relation avec un de ses parents qu'il ne voyait plus. (La notion de « parent » doit évidemment être élargie à toute personne qui revendique un « droit aux relations personnelles » à l'égard de l'enfant et à qui ce droit a été reconnu par décision de justice).
À la suite de nombreuses hésitations et négociations, la majorité des espaces-rencontre ont signé, en 2000, une convention de subside avec le ministère de la Justice en vue d'un financement direct des différents services, ces derniers étant groupés dans un projet national. C'est dans ce cadre que, actuellement, les espaces-rencontre exercent leurs activités.
Ces activités sont centrées sur plusieurs axes :
la volonté politique de dépénaliser les litiges familiaux amène les espaces-rencontre à intervenir majoritairement auprès d'usagers qui leur sont envoyés par les instances judiciaires civiles;
dans le cadre de la « non-présentation d'enfant » considérée comme délit, les espaces-rencontre sont appelés à organiser des rencontres parents-enfants dans le contexte de mesures alternatives;
dans le but de parfaire la qualité des services offerts, les espaces-rencontre peuvent aussi être amenés à aider les usagers qui souhaitent les rencontrer sur le conseil de leur avocat, orientés par les Services de l'aide à la jeunesse ou tout simplement, à leur propre demande (dans ce cas, il pourrait être envisagé de mettre au point une convention de partenariat avec les instances compétentes).
Le droit reconnu à l'enfant de s'exprimer et de donner son sentiment dans un conflit qui oppose ses parents, notamment quant au droit de garde, constitue certes une évolution positive et favorable dans de nombreuses situations. Il est toutefois très important d'encadrer ces relations parents-enfant, afin d'éviter tant que faire se peut que l'enfant ne devienne l'otage, ou la « monnaie d'échange » du conflit parental; coincé dans un conflit triangulaire, l'enfant ne pourra exprimer seul ses propres émotions et ses sentiments profonds parce qu'il se sent pris dans une contradiction entre la loyauté envers son père et envers sa mère. Une structure d'encadrement est à cet égard aussi indispensable tant pour les parents que pour l'enfant. C'est un des objets des espaces-rencontre.
En résumé, dans le cadre judiciaire, les espaces-rencontre sont des centres qui, sur la base d'un mandat ou d'une décision de justice, ont pour mission de créer ou de restaurer un lien entre parent(s) et enfant(s) lorsque le droit au relations personnelles a été interrompu, est devenu conflictuel ou simplement difficile.
Personne ne nie plus aujourd'hui le caractère non seulement utile mais aussi indispensable de ces espaces-rencontre qui, au nombre de 25, sont situés de manière équilibrée tant en Wallonie qu'à Bruxelles et en Flandre. Ils sont à ce jour financés par le SPF Justice. Ils disposent aujourd'hui de 55 emplois équivalents temps plein. Ces emplois sont répartis entre plus ou moins 130 travailleurs occupés à temps partiel.
Le ministre de la Justice lui-même a affirmé, dans sa réponse à une demande d'explications, que : « Le fonctionnement et l'utilité des espaces-rencontre neutres ainsi que la satisfaction des utilisateurs sur le terrain me permettent de constater que ces espaces répondent à un besoin social » (Annales du Sénat, séance du 17 octobre 2002, nº 2-234, p. 4).
Les espaces-rencontre doivent pouvoir continuer à oeuvrer dans un contexte pluri-philosophique; il faut aussi que les rôles et les conditions de leur intervention soient clairs et précis. En effet, dans les cas de graves conflits, toute décision contraignante visant à prévoir l'intervention d'un espace-rencontre ne pourra trouver sa réelle efficacité que s'il existe une détermination claire des enjeux et des conséquences qui seraient appliquées en cas d'inobservation de la décision judiciaire.
En effet, si la dépénalisation des conflits familiaux est dans de nombreux cas une évolution favorable des pratiques judiciaires actuelles, il existe encore de nombreux cas dans lesquels l'intensité et l'enracinement du conflit nécessitent une contrainte de nature pénale. Dans ces dernières hypothèses, il est indispensable de permettre à l'autorité judiciaire de pouvoir faire appel à une instance spécialisée et compétente comme les espaces-rencontre, afin de donner à la décision de justice toutes ses chances d'être appliquée au mieux des intérêts de chacune des parties en présence.
Au vu de l'importance des tâches qu'ils assument, et en considération de la matière dans laquelle ils interviennent, il est donc indispensable de conférer à ces organismes un statut reconnu par le législateur fédéral.
Comme dans d'autres matières, les autorités judiciaires doivent pouvoir compter sur des instances ou organismes extérieurs, créés ou agréés à cette fin, pour venir encadrer l'exécution des décisions prises par les cours et tribunaux, et aider les parties en cause à les appliquer au mieux des intérêts en présence.
Il en est ainsi, par exemple, des commissions de défense sociale, crée par la loi du 9 avril 1930, des commissions de probation, instituées par la loi du 29 juin 1964, du médiateur en matière familiale dont l'institution est prévue par la loi du 19 février 2001.
Tout récemment encore, à l'intervention du ministre des Finances, un système a été mis au point en vue de récupérer les créances alimentaires avec l'aide de l'administration fédérale.
Comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis sur le projet devenu la loi du 19 février 2001 relative à la médiation en matière familiale : « La politique familiale, au sens de l'article 5, § 1er, II, 1º, de la loi spéciale (du 8 août 1980 de réformes institutionnelles), peut comprendre un ensemble d'initiatives et de mesures qui tendent à apporter une assistance et une aide matérielle, sociale, psychologique et éducative aux familles. La protection de la jeunesse n'est attribuée aux communautés qu'à l'exception expresse notamment des règles du droit civil relatives au statut des mineurs et de la famille, telles qu'elles sont établies par le Code civil et les lois qui le complètent.
Ces attributions de compétences s'inscrivent dans le cadre global du système de répartition des compétences entre l'État, les communautés et les régions et ne peuvent porter atteinte aux compétences de l'État fédéral. Elles n'incluent donc pas la compétence de régler les procédures suivies devant les juridictions ainsi que tous les errements et incidents auxquels elles peuvent donner lieu, quand bien même ces procédures toucheraient-elles à la situation familiale des parties. »
Se situant dans le prolongement de l'activité du pouvoir judiciaire statuant en matière de droit civil familial, la matière traitée par la présente proposition de loi relève de la responsabilité du Parlement fédéral.
C'est dès lors à bon droit que, depuis plusieurs années les espaces-rencontre sont aidés financièrement par le budget du SPF Justice.
Les développements qui précèdent ont démontré l'utilité et l'importance des tâches accomplies par les espaces-rencontre. Ils ont aussi démontré la responsabilité de l'autorité fédérale en la matière.
Il me paraît dès lors indispensable et urgent de fixer un cadre légal général pour reconnaître ces institutions qui ont pour mission d'assister le pouvoir judiciaire dans l'application et l'exécution des décisions qu'il est amené à prendre dans les matières du droit civil familial et pour lesquelles il estime que l'intervention de ces institutions peut être efficace dans l'intérêt des parties en présence.
Le cadre légal proposé permettra, par ailleurs, aux autorités compétentes de mieux contrôler l'activité de ces espaces-rencontre et la correcte exécution qu'ils feront de leurs missions.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qui se limite à fixer le principe et les conditions générales de l'existence et de l'intervention des espaces-rencontre, en attribuant au Roi le pouvoir d'en fixer les modalités particulières d'application ainsi que les règles de reconnaissance, d'agrément et de subventionnement.
Clotilde NYSSENS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Lorsqu'il connaît de litiges relatifs à l'exercice de l'autorité parentale ou au droit aux relations personnelles à l'égard d'enfants mineurs, dans le cadre des articles 223, 371 à 387bis et 1479 du Code civil, ainsi que dans le cadre des procédures visées aux sections I à IV du chapitre XI du livre IV de la quatrième partie du Code judiciaire, le juge compétent peut confier à un organisme agréé à cette fin par le Roi, la mission d'assurer le suivi de la décision judiciaire, de contacter les personnes concernées, d'organiser des rencontres entre ces personnes, afin de tenter d'aboutir à une application efficace et utile de la décision concernée, dans le respect des droits fondamentaux de chacune des parties, et principalement dans le souci du respect de la personnalité de l'enfant ou des enfants concernés.
L'organisme visé à l'alinéa 1er est dénommé « espace-rencontre ».
La décision judiciaire précise la mission particulière dévolue à l'espace-rencontre, ainsi que l'identité des personnes qui seront tenues de répondre à toute convocation qui leur sera adressée par l'espace-rencontre.
L'espace-rencontre informe régulièrement l'autorité judiciaire concernée, de l'exécution de la mission qui lui a été confiée.
Art. 3
En cas d'existence d'un conflit familial patent relatif à l'exercice de l'autorité parentale ou au droit aux relations personnelles à l'égard d'enfants mineurs, même préalablement à l'intervention d'une instance judiciaire, les personnes concernées peuvent faire appel à un espace-rencontre en vue de solliciter son intervention aux fins de dégager une solution transactionnelle qui pourrait, le cas échéant, être constatée par l'autorité judiciaire compétente.
Art. 4
Le Roi fixe la procédure et les conditions d'agrément de l'espace-rencontre, qui doit être constitué sous forme l'association sans but lucratif conformément à la loi du 27 juin 1921 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations.
Art. 5
Le Roi fixe les modalités et les conditions auxquelles l'espace-rencontre doit répondre pour obtenir le financement nécessaire à l'exercice de ses missions. Ces conditions de financement doivent tenir compte, notamment, des exigences de viabilité de l'organisme eu égard aux missions qui lui sont confiées.
Le Roi peut fixer des conditions de qualification particulière auxquelles doivent satisfaire les membres du personnel.
Art. 6
La présente loi entre en vigueur le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel les arrêtés royaux d'exécution visés aux articles 4 et 5 auront été publiés au Moniteur belge.
23 juin 2003.
Clotilde NYSSENS. |