2-1356/2

2-1356/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

22 JANVIER 2003


Projet de loi modifiant le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le défaut et abrogeant l'article 421 du même code


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME NYSSENS


I. PROCÉDURE

Le projet de loi à l'examen, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, a été adopté à l'unanimité par la Chambre des représentants, le 14 novembre 2002.

Il a été transmis le 18 novembre 2002 au Sénat, qui l'a évoqué le 3 décembre 2002.

La commission de la Justice l'a examiné lors de ses réunions des 8 et 22 janvier 2003, en présence du ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le projet de loi en discussion vise à aligner le droit interne sur la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme, en particulier sur l'arrêt Van Geyseghem du 21 janvier 1999 et les arrêts Stroek et Goedhart du 20 mars 2001.

Aux termes de l'arrêt Van Geyseghem, l'État belge a été condamné pour violation de l'article 6, §§ 1er et 3, c), de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) pour avoir refusé la représentation du prévenu dans une procédure d'opposition en appel. Dans les arrêts Stroek et Goedhart, la Cour européenne des droits de l'homme a retenu, outre une violation de l'article 6, §§ 1er et 3, c), une infraction à l'article 6, § 1er, de la CEDH, consacrant le droit d'accès à la justice.

Lignes de force du projet de loi :

1) Modification des dispositions du Code d'instruction criminelle concernant la comparution en personne du prévenu par l'insertion du droit de représentation du prévenu en matière pénale

Concrètement, cela implique une adaptation des articles 149, 150, 151, 152 et 153 du Code d'instruction criminelle concernant les procédures devant le tribunal de police, des articles 185, 186, 188 et 190 du Code d'instruction criminelle concernant les procédures devant le tribunal correctionnel ainsi que des articles 208 et 210 du Code d'instruction criminelle concernant les procédures en degré d'appel.

En vue de garantir une procédure équitable, le projet de loi prévoit la possibilité d'assurer la présence des parties à l'audience. A cet effet, les articles 152 et 185 du Code d'Instruction criminelle relatifs à la comparution du prévenu devant le tribunal de police et le tribunal correctionnel prévoient expressément que le tribunal peut, en tout état de cause, ordonner la comparution en personne. Un mandat d'amener peut être décerné à l'égard du prévenu.

En ce qui concerne la comparution en personne, le projet de loi prévoit que si le prévenu ne satisfait pas à l'obligation de comparaître en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat après avoir comparu à l'audience d'introduction, le jugement rendu sera réputé contradictoire. Ce jugement est signifié au prévenu à la requête du ministère public.

Le gouvernement a choisi de laisser telles quelles les règles relatives à la procédure d'assises. Vu son caractère essentiellement oral, la procédure devant la cour d'assises a un caractère bien spécifique, malgré la récente modification de loi, et elle exige la présence de l'accusé.

2) Abrogation de l'article 421 du Code d'instruction criminelle

L'article 421 du Code d'instruction criminelle dispose que « les condamnés, même en matière correctionnelle ou de police, à une peine emportant privation de la liberté, ne seront pas admis à se pourvoir en cassation, lorsqu'ils ne seront pas actuellement en état, ou lorsqu'ils n'auront pas été mis en liberté sous caution ... »

Dans les arrêts Stroek et Goedhart, la Cour européenne des droits de l'homme a précisé, dans un de ses attendus, que l'irrecevabilité du pourvoi en cassation fondée uniquement sur la circonstance que l'inculpé ne s'est pas constitué prisonnier en exécution de la décision judiciaire faisant l'objet de ce pourvoi, contraint l'intéressé à s'infliger d'ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu'il n'a pas été statué sur le pourvoi et que le délai de recours ne s'est pas écoulé. Il y a donc atteinte au droit de recours.

L'abrogation de l'article 421 du Code d'instruction criminelle est proposée en vue de mettre le droit interne en conformité avec cette jurisprudence.

III. DISCUSSION

Mme Nyssens signale avoir reçu, à propos du projet en discussion, un certain nombre d'observations, émanant notamment du barreau.

L'intervenante approuve l'idée fondamentale du projet, qui est de mettre la législation en concordance avec les droits de l'homme et de modifier la procédure par défaut. Cependant, elle se demande si, par cette législation, on n'opère pas une discrimination injustifiée entre la personne qui se présente ou se fait représenter à l'audience d'introduction, puis ne se présente plus, et celle qui décide de ne pas venir.

La sanction, qui est le caractère réputé contradictoire de la décision et la suppression du recours de l'opposition, n'est-elle pas disproportionnée dans le premier cas ?

Une telle législation ne risque-t-elle pas d'entraîner un effet pervers, les justiciables préférant ne pas venir pour se ménager la voie de l'opposition ?

L'intervenante constate en outre que le projet vise les procédures devant le tribunal de police et le tribunal correctionnel et le degré d'appel de ces juridictions, mais pas les cours d'assises, les juridictions d'instruction et les juridictions de la jeunesse.

Est-il opportun de procéder de la sorte ?

Il semble également que le texte soit muet quant à l'appel du jugement rendu dans le cadre des nouvelles procédures.

Quand le délai d'appel commence-t-il à courir ?

Les praticiens s'interrogent aussi sur le point de savoir, à l'article 5 (article 152, § 2, alinéa 2), ce que visent les termes « le jugement rendu « .

S'agit-il du jugement sur le fond, ou du jugement rendu à l'audience d'introduction sur le problème de la représentation ?

Enfin, le texte prévoit le mandat d'amener mais n'en règle pas les modalités. Ce mandat est réglé par la loi sur la détention préventive.

Le texte déroge-t-il aux règles générales en la matière, ou ces règles sont-elles applicables ?

Mme Taelman constate qu'à la suite de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a fixé le cadre auquel doit répondre la législation en matière de représentation, la loi belge doit être adaptée.

Le droit de représentation du prévenu ne souffre aucune discussion.

L'intervenante se demande cependant, comme la précédente oratrice, quelle est la portée exacte du § 2, alinéa 2, de l'article 152 figurant à l'article 5 du projet.

Cette disposition a-t-elle trait seulement au § 2, et au fait qu'un mandat d'amener a été rendu ou une comparution en personne ordonnée, ou au contraire à l'ensemble de la procédure au fond ?

Plusieurs situations peuvent en effet se présenter.

Si, à l'audience d'introduction, aucun mandat d'amener n'a été délivré, ni aucune comparution personnelle ordonnée, mais que l'affaire est remise pour une autre cause, ce deuxième alinéa est-il ou non d'application ?

En ce qui concerne l'article 14 du projet, il abroge l'article 421 du Code d'instruction criminelle.

Cet article prévoit que « les condamnés, même en matière correctionnelle ou de police, à une peine emportant privation de la liberté, ne seront pas admis à se pourvoir en cassation, lorsqu'ils ne seront pas actuellement en état, ou lorsqu'ils n'auront pas été mis en liberté sur caution ».

L'intervenante aimerait davantage de précisions à ce sujet, notamment par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et au principe de l'accès au juge.

M. Caluwé précise que son groupe n'a pas d'objection fondamentale quant au contenu du projet de loi, qui met en oeuvre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Il se demande cependant pourquoi cette mise en oeuvre n'est que partielle.

Comme le ministre l'a dit, le texte ne s'applique pas à la procédure d'assises.

Il comporte aussi des lacunes en ce qui concerne la représentation dans le cadre de la procédure pénale militaire, la représentation des membres d'un gouvernement régional ou communautaire et des ministres fédéraux, la problématique des mineurs, et la procédure de flagrant délit.

En outre, la loi du 7 avril 2002 a introduit la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police. Le projet à l'examen est en contradiction avec ce que prévoit l'article 37ter du Code pénal.

Réponses du ministre

En ce qui concerne la sanction que constitue le caractère réputé contradictoire du jugement, il faut rappeler que le droit de faire défaut est un droit fondamental dans le cadre de la procédure.

Cependant, celui qui, après avoir comparu ou s'être fait représenter à la première audience, décide de ne plus le faire, alors que le tribunal estime nécessaire de l'entendre, est considéré comme se soustrayant volontairement à la suite des débats.

C'est pourquoi une sanction spécifique, étant le caractère réputé contradictoire des débats, est prévue dan ce seul cas.

Quant au fait que le projet ne concerne que les affaires correctionnelles et de police, le ministre renvoie à ce qu'il a précédemment exposé à propos de la procédure d'assises.

Le projet se limite à ce qui est visé dans l'arrêt Van Geyseghem.

L'observation relative aux modalités de l'appel sort également du cadre du projet à l'examen, qui ne concerne que la simple représentation par un avocat.

Le délai d'appel court à partir du prononcé du jugement réputé contradictoire.

En ce qui concerne le « jugement rendu « dont il est question au § 2, alinéa 2, de l'article 152 figurant à l'article 5, il s'agit bien du jugement rendu au fond.

Quant aux dispositions générales relatives au mandat d'amener, elles sont inchangées et applicables en l'espèce.

À propos de l'article 421 du Code d'instruction criminelle, les arrêts Stroek et Goedhart indiquent que cette disposition contient des limitations du droit d'accès au juge, de sorte que la seule possibilité est de supprimer cet article.

Répliques des membres et réponses complémentaires du ministre

Mme Taelman demande confirmation de ce que la sanction du caractère réputé contradictoire de la procédure ne joue que dans l'hypothèse décrite par le ministre, et non lorsque l'affaire est remise pour une autre cause.

Le ministre le confirme.

Mme Nyssens demande s'il faut comprendre que la possibilité de se faire représenter ne serait garantie qu'à l'audience d'introduction.

Le ministre répond que cette possibilité vaut pour l'ensemble de la procédure.

En ce qui concerne la peine de travail, il s'agit d'un des cas particuliers où la représentation par un avocat n'est pas possible.

Un autre exemple est celui de la procédure de réhabilitation.

Mme Nyssens demande si cela signifie que les nouvelles règles en matière de représentation ne valent que pour le tribunal de police et le tribunal correctionnel et que toutes les législations non visées par le projet restent inchangées (par exemple la loi de 1964 sur la suspension, le sursis et la probation, où le problème de la représentation se pose également).

Le ministre confirme que les procédures devant le tribunal correctionnel et le tribunal de police sont seules visées.

Comme déjà indiqué, il subsiste par ailleurs une série de situations particulières qui tombent en dehors du droit de représentation par l'avocat.

Aucune disposition ne doit dès lors être prévue à ce sujet dans le projet à l'examen.

IV. VOTES

L'ensemble du projet de loi est adopté par 6 voix contre 1 et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Clotilde NYSSENS. Josy DUBIÉ.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte
du projet évoqué par le Sénat
(voir doc. Chambre, nº 50-651/6)