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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 5 DÉCEMBRE 2002 - SÉANCE DU MATIN

(Suite)

Demande d'explications de Mme Clotilde Nyssens au ministre de la Justice sur «les maisons de justice» (nº 2-904)

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Les maisons de justice, créées sous la précédente législature, se développent dans tous les arrondissements. Elles ont retenu l'attention du groupe de travail « droits des victimes » du Sénat.

À titre personnel, je me suis rendue à plusieurs reprises à la maison de justice de Bruxelles et une fois à l'invitation du président de ce groupe de travail.

D'autres visites sont encore programmées ; certains de mes collègues ont visité la maison de justice de Verviers. N'ayant malheureusement pas pu assister à cette visite, je n'ai pas pu comparer le fonctionnement de la maison de justice de Bruxelles et de celle de Verviers.

Lors de ces visites, certaines questions ont été posées. Je me fais ici le relais des remarques que j'ai entendues.

Il me revient que la réforme Copernic aurait des incidences sur l'organisation des maisons de justice. Leur réorganisation serait donc envisagée ou attendue.

La réforme Copernic entraîne-t-elle un changement de vision quant aux missions ou au concept même des maisons de justice telles qu'elles ont été créées à l'origine ?

Le cadre du personnel n'est pas rempli dans toutes les maisons de justice. Des procédures de recrutement sont-elles engagées pour combler les manques ?

Qu'en est-il du personnel administratif à Bruxelles ? Pour quelles raisons ce personnel est-il, semble-t-il, difficile à recruter ?

Par ailleurs, le personnel des maisons de justice serait confronté à une surcharge de travail. La raison en est simple : la plupart des travailleurs sont des femmes et, parmi elles, beaucoup sont en congé de maternité et ne sont pas remplacées, conformément à la législation actuelle.

Comment pallier la surcharge de travail qui découle, logiquement, de ces absences tout à fait justifiées ?

Personnellement, j'ai été très frappée du pourcentage de femmes travaillant dans ces maisons de justice. Comment expliquez-vous cette situation, monsieur le ministre ? La nature du travail proposé attire-t-elle le personnel féminin ? Selon moi, le personnel devrait compter autant d'hommes que de femmes. Ces maisons de justice ont en effet également pour mission de suivre des condamnés parmi lesquels se retrouvent davantage d'hommes que de femmes. Il me paraît souhaitable d'assurer une certaine mixité du personnel.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Y aurait-il trop de femmes dans les maisons de justice ?

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Le personnel y est quasi totalement féminin. Pour ma part, je suis favorable à une mixité équilibrée dans tous les milieux professionnels et je suis quelque peu étonnée que ce ne soit pas toujours le cas.

Je suis pleine d'admiration pour les personnes que j'ai rencontrées, pour leur enthousiasme, leur énergie, leur dévotion : il s'agit en effet, en l'occurrence, d'un organisme nouveau qui reste à créer, à penser. Comme le personnel en a lui-même fait le constat, il est essentiellement composé de femmes.

Combien de conseillers ou de conseillers adjoints sont-ils effectivement affectés près les parquets généraux en vue d'assurer l'appui des procureurs généraux pour le développement de la politique d'accueil aux victimes et la médiation pénale ? Où en manque-t-il ?

Y a-t-il une permanence juridique de première ligne organisée par les barreaux dans toutes les maisons de justice. Il me semble que selon les arrondissements où sont situées les maisons de justice, le barreau choisit soit d'assurer une permanence juridique à l'intérieur de la maison de justice, soit d'organiser ses permanences juridiques dans un autre endroit, notamment dans les lieux plus classiques des palais de justice. Y a-t-il une politique différente selon les arrondissements ?

Les commissariats de police sont en général le premier lieu où les victimes se rendent pour déposer plainte. Les victimes sont-elles informées par les commissariats de l'existence des services d'accueil des victimes près les parquets et dans les maisons de justice ? Vous m'inviterez peut-être à poser cette question au ministre de l'Intérieur. Cependant, cette question est revenue à diverses reprises dans le groupe de travail « droits des victimes ». Une victime qui n'est pas informée des différents endroits où elle peut être accueillie, arrive tout naturellement d'abord dans un commissariat de police. Je souhaiterais que les victimes soient plutôt dirigées vers des milieux plus spécialisés, à savoir les services d'accueil près les parquets ou les maisons de justice.

Enfin, comment améliorer le réseau des multiples structures assurant la prise en charge des victimes ?

Personnellement, je considère qu'il y a de nombreux endroits où les victimes peuvent être informées, aidées, accompagnées mais trop de gens ne les connaissent pas encore. Je ne demande pas que l'on crée de nouveaux lieux mais j'estime que l'on devrait mieux organiser le réseau, ce qui, selon moi, est une des missions importantes du Forum national d'aide aux victimes. J'ai également entendu dire que ce forum souhaiterait disposer de compétences plus larges et que des réformes seraient en cours. Pouvez-vous me dire ce qu'il en est, monsieur le ministre ?

M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - La réforme Copernic prévoit que certains secteurs, ainsi que le personnel des Maisons de Justice actif dans ces secteurs, qui dépendent actuellement de la Direction générale Organisation judiciaire, seront transférés à la Direction générale Exécution des Peines et Mesures. Pour l'instant, la scission n'a pas encore eu lieu, un nouveau directeur général de la Direction générale Organisation judiciaire n'ayant pas encore été désigné.

Dans la lettre du 14 novembre 2002 du directeur général de la Direction générale Exécution des Peines et Mesures aux membres du personnel des Maisons de Justice, on lit :

« À court terme, le personnel des Maisons de Justice sera réparti entre ceux qui y resteront et ceux qui rejoindront la Direction générale Exécution des Peines et Mesures. Les secteurs qui ne seront pas transférés sont les suivants : Médiation, Missions civiles, Aide juridique de première ligne, Accueil, Accueil des Victimes. La décision en ce sens a été prise en concertation avec le Président, le Secrétaire général et les représentants des Directions générales Organisation judiciaire et Exécution des Peines et Mesures selon l'orientation définie par les consultants qui nous ont aidés à élaborer l'organigramme approuvé par le Conseil des ministres fin 2000.

Les prochaines semaines seront donc décisives pour déterminer nominativement les personnes qui rejoindront ou pas la Direction générale Exécution des Peines et Mesures, tant au niveau des Maisons de Justice mêmes que de la Direction régionale et de l'Administration centrale. Ces désignations s'effectueront bien entendu en concertation avec et sur la proposition de la Direction générale de l'Organisation judiciaire. Dans l'intérêt de chacun, il importe que la situation soit rapidement clarifiée ».

La réorganisation se justifie par la nécessité de permettre une gestion rationnelle et globale de l'exécution des peines au sein d'une seule direction générale. Cela implique l'exécution de toutes les mesures et peines. Le concept ou la philosophie des Maisons de Justice n'est en rien modifié.

Le cadre du personnel du Service des Maisons de Justice n'est pas encore complet en raison du blocage des recrutements, du caractère instable du cadre du personnel et du manque de clarté quant aux possibilités de recrutement futures. Les procédures de recrutement nécessitent du temps mais ne peuvent être organisées qu'à partir du moment où l'on sait que de nouveaux recrutements pourront avoir lieu.

Le blocage des recrutements s'applique aux nouveaux agents statutaires et a surtout eu une incidence sur la fonction d'assistant de justice. Le cadre administratif statutaire est pratiquement complet. Le caractère instable du cadre du personnel implique qu'il évolue constamment : certains agents prennent congé, interrompent leur carrière, démissionnent...

Cette évolution, associée à un blocage des recrutements, a pour effet que les places devenues vacantes ne peuvent en principe pas être pourvues. Le manque de clarté quant à l'avenir implique que l'on doit attendre de savoir si l'enveloppe en personnel allouée à la Justice permettra le recrutement d'agents, qu'ils soient statutaires ou contractuels.

En ce qui concerne Bruxelles, je vous communique les chiffres du cadre du personnel pour les deux Maisons de Justice répartis par rôle linguistique. À propos des difficultés de recrutement, je renvoie aux remarques précitées, en soulignant toutefois que des efforts particuliers ont été fournis pour la Maison de justice francophone de Bruxelles. Un agent administratif francophone sera muté prochainement et une demande de mutation d'un autre agent francophone est à l'examen. Ainsi, deux emplois statutaires restent vacants sur un total de quatorze emplois administratifs francophones. L'effectif de la Maison de Justice francophone de Bruxelles se compose d'un directeur, d'un conseiller adjoint, de quatre chefs administratifs, de neuf assistants administratifs, d'un fonctionnaire d'accueil et de nonante et un assistants de justice.

La maison de justice néerlandophone de Bruxelles compte un directeur, deux chefs administratifs, cinq assistants administratifs et vingt et un assistants de justice.

À l'exception de quatre emplois d'assistant administratif francophone, tous les emplois administratifs statutaires ont été pourvus.

En ce qui concerne la fonction d'assistant de justice, six emplois statutaires francophones et trois emplois statutaires néerlandophones peuvent encore être pourvus.

Concernant la répartition hommes-femmes, la maison de justice de Bruxelles est caractéristique de la structure du personnel du service des maisons de justice.

Le personnel administratif est en équilibre, mais, pour la fonction d'assistant de justice, le rapport est de 80-20 en faveur du sexe féminin.

Quant à la troisième question, les conseillers adjoints des services extérieurs, soit sont désignés temporairement pour une fonction dirigeante, soit reçoivent leurs missions du directeur régional. Ces missions ne sont pas liées à une structure au sein du service des maisons de justice. Par conséquent, on ne peut parler d'un « manque » de conseillers adjoints à l'échelon de l'accueil aux victimes et de la médiation pénale. Dans les deux parties du pays, plusieurs conseillers adjoints accomplissent régulièrement des missions au profit de ces deux secteurs.

Les commissions d'aide juridique ont pour mission d'organiser les permanences d'aide juridique de première ligne assurées par des avocats et de veiller, si nécessaire, à leur décentralisation ; voir l'article 508/3 du Code judiciaire.

Pour ce faire, elles peuvent faire appel aux maisons de justice, qui mettent des locaux à disposition pour l'organisation de l'aide juridique de première ligne ; voir l'arrêté ministériel du 23 juin 1999 fixant les instructions de base destinées aux maisons de justice. Cette offre de services est proposée aux commissions d'aide juridique à l'occasion de l'ouverture de chaque maison de justice.

J'en arrive à la cinquième question. L'information de la victime par les services de police relève de la compétence du service public fédéral « Intérieur ». Le service public fédéral « Justice » ne dispose pas des données nécessaires pour répondre de manière exacte à cette question. Le ministre de l'Intérieur devrait, dès lors, pouvoir y répondre de manière plus précise.

Par ailleurs, une assistance et un service de qualité en faveur des victimes nécessitent une coopération structurelle entre les services publics fédéraux « Justice » et « Intérieur » et les services d'aide agréés et subventionnés par les Communautés et les Régions. Une telle coopération suppose la conclusion d'accords de coopération en matière d'assistance aux victimes, accords qui doivent veiller à une coordination de la politique en faveur des victimes, à un renvoi vers les services d'aide efficace et à une concertation structurelle.

L'accord de coopération entre l'État et la Communauté flamande en matière d'assistance aux victimes a été approuvé par une loi et un décret. Des problèmes de compétences entre la Communauté française et la Région wallonne expliquent le fait que l'accord entre ces deux entités n'ait pas été approuvé formellement. Un transfert de compétences vers la Région wallonne a eu pour effet la mise sur pied d'une nouvelle concertation en vue d'un nouvel accord. Un accord bruxellois en matière d'assistance aux victimes est en préparation.

Le Forum national pour une politique en faveur des victimes - créé en 1994 - a pour principale mission de fournir un avis au sujet de la politique en faveur des victimes et de promouvoir la collaboration et la concertation entre les services de l'État et ceux des Communautés et Régions. Un groupe de travail a étudié la manière d'attribuer au forum un statut plus formel et des compétences plus larges. Toutefois, une institutionnalisation s'avère problématique, par manque de crédits et en raison de la réorganisation interne du service public fédéral « Justice », où le secrétariat du forum est localisé.

L'accord de coopération du 7 avril 1998 conclu entre l'État et la Communauté flamande en matière d'assistance aux victimes confie l'évaluation de l'application de l'accord de coopération au Forum national pour une politique en faveur des victimes. Le groupe de travail chargé de l'évaluation de l'accord de coopération rassemble les commentaires et les problèmes soulevés par les trois secteurs concernés, à savoir le service public fédéral « Justice », le service public fédéral « Intérieur » et les services d'aide agréés et subventionnés par la Communauté flamande. L'évaluation doit encore être complétée par les informations issues de la police locale avant d'être remise aux ministres compétents.

Enfin, les maisons de justice ne développent en aucun cas des initiatives dans les domaines de la justice réparatrice ou de la médiation pour les petits conflits de voisinage ou les conflits familiaux.

Il existe dans le cadre du Plan global des projets pilotes de médiation locale qui ont pour but de traiter des situations de conflits de voisinage ou de conflits familiaux, mais ces initiatives ne sont pas de la compétence du service public fédéral « justice ».

Par contre, ce dernier octroie des subsides à des projets spécifiques visant à mettre en place des dispositions de médiation après poursuites. Deux associations reçoivent un soutien afin de développer de telles initiatives : l'asbl Médiante et l'asbl Sugnommé.

Ces projets visent à créer un espace de médiation dès l'engagement des poursuites, jusqu'à la première citation à comparaître et ce, dans le but de restaurer le lien entre la victime et l'auteur.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Force est de constater que ce secteur est en pleine innovation. Tout est en gestation. D'énormes chantiers sont ouverts depuis quelques années et le travail n'est pas encore terminé en ce qui concerne les victimes, la justice réparatrice et les relations entre ces services et votre administration.

Je souhaite que le dialogue soit renforcé entre votre département qui doit gérer tous ces éléments et les acteurs sur le terrain. Ceux-ci créent en quelque sorte leur métier. Je me souviens que le concept de maison de justice est apparu quasi avant la loi ; celui d'assistant de justice est arrivé par la suite. J'espère que des avancées en bonne intelligence pourront avoir lieu entre votre département et les acteurs de terrain.

-L'incident est clos.