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Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Ma demande d'explications est justifiée par deux extraits de presse, l'un paru dans Het Belang van Limburg du 20 septembre, l'autre, dans De Standaard du 13 septembre.
Ce n'est pas pour vous flatter mais Eric Donckier, dans Het Belang van Limburg, dit à propos de vous : « Marc Verwilghen is een wijs man met ongelooflijk veel geduld. Zonder deze eigenschappen, kan men niet overleven op justitie ».
Je vous laisse l'appréciation de ces qualités. C'est vrai que le journaliste a pris parti et je situe l'article dans son contexte : il s'agissait bien entendu des événements relatifs au problème de la protection de la jeunesse et de l'enfermement de mineurs dangereux.
À cette occasion, la presse néerlandophone a relayé un certain nombre de considérations générales qui m'ont interpellée. Eric Donckier ajoute, dans le même article, et je lui laisse la paternité de ses propos, que vous aviez tiré des conclusions de vos altercations avec la Communauté française, en particulier, avec la ministre Maréchal, et que vous souhaiteriez une défédéralisation de la Justice. Je cite le journaliste : « Deze discussie is onoplosbaar en laten we er daarom de gepaste conclusie uit trekken. Die conclusie werd gisteren trouwens door minister van Justitie Mark Verwilghen persoonlijk naar voren geschoven: een volledige defederalisering van Justitie. » Ces propos ne sont pas anodins dans la bouche d'un ministre de la Justice. Lorsque l'ancien ministre de la Justice, un CVP, avait osé s'exprimer dans ce sens lors d'une interview réalisée à Gand, les réactions avaient été vives non seulement dans l'opinion publique flamande mais également dans la presse francophone et parmi les différents acteurs de la justice.
D'abord, je voudrais savoir, monsieur le ministre, si Eric Donckier a bien traduit votre intention. Pour les lecteurs dont je suis, il me paraît tout à fait déplacé qu'en tant que ministre de la Justice, vous puissiez plaider pour une défédéralisation de la Justice, bien que vous soyez « een wijs man, met ongelooflijk veel geduld ».
Un autre article, paru cette fois dans le Standaard du 13 septembre porte sur des considérations analogues. Il ne s'agit pas de la défédéralisation de la justice en soi mais d'un jugement que vous auriez porté - et on sait les réserves qui peuvent s'imposer vis-à-vis de propos relayés par des journalistes - à l'égard de magistrats, néerlandophones, d'un côté, et francophones, de l'autre - sur la conception d' « indépendance » des magistrats, différente en Flandre et en Wallonie. Et le journaliste du Standaard de vous demander d'où vient la résistance francophone dans les dossiers justice, notamment dans les dossiers de la jeunesse. Vous auriez répondu : « Dit heeft te maken met een verschillende invulling van het begrip onafhankelijkheid. In Vlaanderen, wordt dat vertaald als: wij moeten in volle onafhankelijkheid recht kunnen spreken en voor de rest moeten we ons gedragen als een goede huisvader en ons werk doen. In Wallonië wordt de onafhankelijkheid van de rechterlijke macht al eens ingeroepen als een excuus. » Ce sont vos paroles à propos de l'évaluation objective de la charge de travail dans les tribunaux.
Monsieur le ministre de la Justice, ou bien les journaux ont complètement déformé vos propos, et je voudrais le savoir, ou bien ce n'est pas le cas et alors il est indécent de la part d'un ministre de la Justice en place - une justice fédérale - de porter un jugement sur des magistrats quant à leur conception de l'indépendance. Si nous en sommes là, je ne suis pas rassurée en ce qui concerne les éventuelles négociations institutionnelles qui pourraient avoir lieu à la fin de l'année. Ou, plutôt, je vois que nous dirigeons tout droit vers une nouvelle forme institutionnelle en avançant à grands pas dans la voie du confédéralisme. En ce qui me concerne, je serais pessimiste pour l'avenir de l'État auquel je tiens si la Justice devait être défédéralisée. Je vous laisse la paternité de vos propos mais je voudrais que vous me fournissiez des explications. Je ne voudrais en tout cas pas que vos propos divisent les magistrats du nord et du sud quant à la manière dont ils travaillent. D'ores et déjà, je vous remercie de vos explications.
M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Mme Nyssens semble offusquée par certains de mes propos. Je m'en étonne car je présume que chaque observateur politique « neutre » a pu les replacer dans leur contexte sans aucune difficulté. J'en veux d'ailleurs pour preuve le peu d'agitation qu'ils ont suscité. Je lui expliquerai toutefois volontiers ce qui a motivé mes déclarations. Je dissiperai tout d'abord toute équivoque. Je n'ai nullement plaidé en faveur d'une défédéralisation de la Justice et, par ailleurs, il ne s'agissait en aucune manière d'une intervention politique. Mme Nyssens connaît mieux que quiconque les problèmes auxquels le gouvernement fédéral est confronté en matière d'accueil de délinquants mineurs. Il apparaît clairement qu'elle a besoin d'un peu de soutien et je lui apporterai avec plaisir. J'ai expliqué à maintes reprises qu'en matière de protection de la jeunesse, les mesures prises par les juges relèvent des compétences et responsabilités exclusives des communautés depuis les lois spéciales de 1980 et de 1988. Les communautés déterminent la capacité des institutions fermées et elles peuvent dès lors mener leur propre politique en la matière. Il leur appartient de veiller à la bonne exécution des décisions des juges fédéraux sur la base du principe de proportionnalité et d'exactitude. La loi Everberg du 1er février 2002 a vu le jour en raison de la capacité insuffisante des institutions fermées des communautés, capacité que ces dernières fixent unilatéralement. Les mineurs ne recevaient plus l'encadrement pédagogique en principe garanti par les communautés. Ils étaient tout bonnement jetés à la rue sans aucun suivi et constituaient dès lors un danger pour les autres. En outre, ils étaient susceptibles de devenir la cible de réactions de leurs victimes. Le législateur fédéral, confronté à un problème ayant exclusivement trait à la sécurité publique et non plus à la protection de la jeunesse, a élaboré une loi fédérale, applicable dans une institution fédérale située à Everberg. L'accord de coopération conclu entre la Communauté flamande, représentée par Mme Vogels, et la Communauté française, représentée par Mme Maréchal, a établi une clé de répartition pour l'établissement fédéral d'Everberg ainsi qu'un encadrement pédagogique adapté garanti par les signataires. Il était prévu que les deux communautés utilisent chacune près de la moitié des places disponibles, soit vingt-quatre places pour chacune d'entre elles, deux places étant réservées à la Communauté germanophone. La Communauté flamande a pris en charge vingt places et a demandé à utiliser quatre places supplémentaires. La Communauté française, quant à elle, a décidé de n'utiliser que dix des vingt-quatre places mises à sa disposition, estimant que cela serait suffisant. C'est donc là que le bât blesse.
Mme Maréchal a refusé d'utiliser les quatorze places supplémentaires disponibles et de prévoir des accompagnateurs francophones. Cette décision a entraîné un effet pervers : les magistrats n'ont pas pu placer les délinquants mineurs francophones à Everberg.
C'est dans ce cadre que j'ai posé la question ouverte de savoir comment nous pouvions sortir de cette impasse. En effet, le refus de Mme Maréchal d'assumer ses responsabilités ne laissaient que deux options possibles : soit la défédéralisation soit une refédéralisation complète. C'est le discours que j'ai tenu, sans prendre position.
Comme vous le savez, ce n'est pas moi, entre-temps, qui ai plaidé avec passion dans ce sens, mais un ancien ministre de la Justice appartenant d'ailleurs à votre famille politique, madame Nyssens.
Toutefois, je me réjouis pleinement que nous n'ayons pas à poursuivre ce débat, puisque Mme Maréchal a pris la seule option juste et raisonnable, à savoir une augmentation de la capacité à Everberg.
Quant à mes propos sur l'indépendance de la magistrature, vous vous trompez aussi, madame Nyssens, sciemment ou inconsciemment, je ne me prononcerai pas. Vous ne placez pas cette intervention dans le cadre d'une interview que vous avez pourtant lue dans sa totalité.
Je vous invite à discuter du thème de la mesure de la charge du travail avec la magistrature assise, en Wallonie et en Flandre, ce que j'ai fait activement et personnellement. Vous parviendrez à une même conclusion.
Au sein de cette assemblée, vous vous êtes toujours souciée, à juste titre d'ailleurs, de la problématique de l'arriéré judiciaire. Nous en avons déjà débattu à plusieurs reprises. Tout le monde s'accorde à dire que l'instrument permettant de mesurer la charge de travail de manière objective et permanente est essentiel. C'est seulement de cette manière que nous pourrons mener à l'avenir une politique appropriée et équilibrée où l'intérêt général prime sur les débats politiques.
Force m'est de constater que certains - heureusement pas tous -, au sud du pays, ne souhaitent pas débattre de cette question de fond. Une partie de la magistrature assise invoque toujours son indépendance. Voulez-vous que j'impose l'instrument de la charge de travail sans la moindre concertation ? Ce n'est évidemment pas possible. J'ai l'impression que cet argument sert d'excuse, et vous m'autoriserez à avoir ma propre opinion sur ce point. Mes collaborateurs ont en effet souligné à plusieurs reprises, au cours des réunions - et je l'ai également fait moi-même -, que je souhaite réaliser cet instrument et que je n'accepte pas cette excuse.
Cela n'a en rien compliqué nos entretiens avec la magistrature. Nous connaissons et respectons nos opinions respectives et recherchons ensemble une solution dans laquelle toutes les parties peuvent se retrouver. Je puis même vous dire que certains premiers présidents de cours ont réagi face à l'opinion de certains de leurs collègues, en affirmant leur volonté de collaborer en ce qui concerne la mesure de la charge de travail. Vous pouvez donc être tranquille, madame Nyssens ; il n'y a pas de friture sur la ligne, si j'ose dire. À moins que vous ne souhaitiez que je participe au débat avec des oeillères et que j'impose tout simplement mon point de vue, mais cela ne correspond ni à vos méthodes ni au miennes.
Mme Clotilde Nyssens (CDH). - En ce qui concerne le premier volet, vous avez replacé les propos dans le contexte de l'aide à la jeunesse et des répartitions entre l'État et les Communautés.
Bien entendu, je n'ignore pas les problèmes en la matière, ni les lois de 1988. Vous devriez vous montrez prudent lorsque vous déclarez qu'il n'y a que deux solutions, soit on fédéralise à nouveau, soit on défédéralise. Il ne faudrait pas que l'alternative que vous posez, exprimée de cette façon, soit interprétée par les citoyens et par les acteurs de la justice comme une volonté de votre part d'ouvrir un débat et de prendre déjà position. Vous comprendrez qu'en lisant cela, on puisse se poser des questions.
En ce qui concerne la charge de travail, j'avais bien lu l'article en entier. À titre personnel, je connais un grand nombre de magistrats qui sont preneurs de critères objectifs d'évaluation de la charge de travail, au moyen de méthodes modernes. Il est grand temps de le faire, d'autant que l'informatique nous y aide ainsi que l'autonomie de chaque juridiction, sans oublier la responsabilité des chefs de corps, durant leur mandat et selon l'esprit de la réforme Octopus, que je soutiens par ailleurs.
S'il existe quelques résistances, je ne prendrai pas la responsabilité de dire qu'il y en a davantage dans le sud du pays que dans le nord. Je désapprouve cette dichotomie. Peut-être disposez-vous d'informations que je ne possède pas, mais je n'apprécie pas que l'on jette l'opprobre sur le sud - ou le nord d'ailleurs - en disant que, dans le sud, il y a des gens qui ne travaillent pas.
Trop souvent, on entend ce genre d'affirmation de la part de gens du nord, et pas seulement en matière de justice.
C'est extrêmement désagréable, surtout lorsqu'on travaille au niveau fédéral et que l'on croit encore à la richesse de l'interaction des deux parties du pays.
Que chacun fasse son travail, qu'on invite les magistrats à utiliser ces moyens modernes auxquels nous croyons tous, et cessons d'affirmer, de manière générale, et j'insiste, que dans le sud, il y a plus de gens qui ne travaillent pas. C'est un cliché que je n'accepte pas.
M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Je souligne que ma question est ouverte, a été relayée par le premier ministre et pourrait être posée à nouveau dans l'hypothèse où nous pourrions ne pas sortir de l'impasse.
Afin de vous rassurer, je tiens à dire clairement que la justice est une compétence fédérale. C'est une chose voulue, également par l'actuel gouvernement, et je soutiens ce point de vue.
-L'incident est clos.