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26 JUIN 2002
M. Monfils déclare vouloir autoriser la publicité pour le tabac au cours de la période 2003-2006 pour les activités qui sont organisées à l'échelle mondiale. En effet, durant cette période, la publicité pour le tabac sera interdite en Belgique, mais elle sera encore autorisée dans d'autres pays de l'Union européenne. Il s'ensuit que le Grand Prix international de Francorchamps subira un sérieux handicap par rapport à d'autres manifestations européennes. Il est plus que probable dès lors que le Grand Prix quittera Francorchamps. Il ne reviendra plus en Belgique par la suite, même pas après 2006.
La publicité pour le tabac est en effet possible jusqu'au 31 juillet 2003 pour les événements et les activités qui sont organisés au niveau mondial, étant donné que, par son arrêt 102/99 du 30 septembre 1999, la Cour d'arbitrage a partiellement annulé la loi du 10 décembre 1997.
Dans toute l'Union européenne, ce type de publicité aurait été interdit après le 1er octobre 2006, étant donné que la directive européenne 98/43/CE du 6 juillet 1998 aurait normalement dû entrer en vigueur à cette date-là comme l'indiquent les développements de la proposition de loi. La directive en question a toutefois été annulée par la Cour de justice des Communautés européennes (affaire C-376/98 du 5 octobre 2000, Allemagne contre le Parlement et le Conseil). Une nouvelle directive sera très probablement adoptée d'ici 2006.
Par conséquent, il reste indispensable de franchir la période entre le 1er août 2003 et le 30 septembre 2006 et d'autoriser malgré tout en Belgique la publicité pour le tabac pour des événements importants.
Le départ du Grand Prix aura plusieurs conséquences économiques négatives pour le circuit de Francorchamps même (le Grand Prix garantit 50 % des recettes du circuit), pour la région et pour l'image de la Belgique, alors que la publicité qui est faite pour le tabac pendant trois jours, dans le cadre d'un événement sportif, n'a qu'une faible incidence sur la demande de tabac.
L'intervenant demande dès lors que l'on approuve sa proposition de loi. Elle permet à titre exceptionnel de faire de la publicité pour les produits du tabac jusqu'au 1er octobre 2006 pour un événement ou une activité par région, dans le cadre du parrainage d'activités très importantes.
Pour indiquer clairement que la dérogation proposée doit être interprétée de manière très restrictive, M. Monfils dépose un amendement (amendement nº 1) qui le prévoit.
M. Happart souscrit à l'argumentation développée par son collègue. Il tient à ajouter les réflexions suivantes :
· Le Grand Prix de Francorchamps fait beaucoup pour le rayonnement international de la Belgique;
· Étant donné la situation actuelle de la Formule 1, un Grand Prix peut seulement s'organiser par le recours à la publicité pour le tabac;
· Le Grand Prix et ses organisations connexes ont une importante incidence économique sur la région de Francorchamps;
· On peut se douter de l'influence que la publicité pour le tabac qui est faite dans le cadre de cette organisation, a sur le tabagisme effectif;
· Au cas où le Grand Prix ne serait pas organisé en Belgique, il le serait ailleurs et les retombées économiques seraient également engagées ailleurs.
L'objectif est d'assurer, grâce à l'adaptation proposée à la législation en vigueur, le maintien en Belgique de l'organisation de cet événement sportif important sur le plan économique et important en ce qui concerne l'image de notre pays.
L'intervenant déclare qu'il n'aime ni la consommation de tabac ni la publicité pour le tabac. Il ne met pas en doute que le tabagisme a des effets nocifs pour la santé. Il tient surtout à attirer l'attention sur les répercussions économiques positives du Grand Prix, parce qu'il importe à son avis d'en informer le Parlement et d'essayer de convaincre ses collègues de l'importance économique de l'organisation dudit événement pour la région.
En outre, il faut accepter l'idée qu'il y aura de la publicité pour le tabac au cours de la période en question et que les spectateurs la verront, que le Grand Prix soit ou non organisé à Francorchamps.
M. Vankrunkelsven estime que la publicité a bel et bien un effet sur le comportement des gens et que l'association de la vitesse au volant, du machisme et de la publicité pour le tabac constitue précisément l'alchimie idéale pour influencer l'attitude de certains groupes cibles vis-à-vis du tabac, dans le monde entier.
Par ailleurs, la logique économique d'un seul homme, M. Ecclestone, ne justifie pas que l'on modifie une loi votée démocratiquement. Il importe en effet que l'on mène en matière de santé publique une politique déterminée ne souffrant aucune exception.
L'intervenant est certes sensible à la logique économique sous-jacente, mais il s'empresse d'ajouter que le secteur sait depuis longtemps déjà qu'il y a une loi du 10 décembre 1997 qui est applicable. Le manque de temps ne peut donc être un argument pour justifier la modification d'une loi qui a été votée démocratiquement et qui s'applique à l'ensemble de la population belge.
Il importe donc de rechercher des solutions de rechange, comme d'autres formes de parrainage de la Formule 1 ou tout simplement le développement d'autres activités pour le circuit.
M. Malcorps dit comprendre la problématique qui est posée. Mais face aux rentrées économiques, il faut voir aussi les charges économiques car les victimes du tabagisme représentent également un certain coût économique.
L'intervenant insiste ensuite sur l'importance d'une politique globale en matière de tabagisme, s'appuyant sur le critère de la santé publique (interdiction de la publicité, interdiction de fumer dans les lieux publics, ...). On ne peut en fait tolérer aucune exception à ces règles. Il faut au contraire renforcer nos efforts.
Par ailleurs, le tabagisme tue treize fois plus que la route et des études internationales montrent que 7 % des fumeurs le sont devenus à cause de la publicité pour le tabac. Les conséquences du tabagisme et de la publicité pour le tabac sont donc considérables.
On ne peut écarter le problème comme étant mineur. D'ailleurs, il n'est toujours pas maîtrisé. Le législateur ne peut donc pas se permettre d'émettre un signal contraire.
La Belgique n'a du reste pas le monopole de l'interdiction de la publicité pour le tabac. La France, le Danemark, l'Italie, le Portugal et la Finlande l'ont adoptée aussi. Il doit donc être possible de trouver des solutions de rechange à ces recettes publicitaires. Il est inconcevable que l'existence d'une manifestation soit suspendue à un seul type de recettes.
Mme Pehlivan dit comprendre les arguments des collègues wallons. Elle se demande toutefois si la Région wallonne ne pourrait pas réaliser d'autres investissements dans la région. Elle propose aussi de ne pas créer de problème communautaire à propos des lois touchant à la santé publique.
M. Lozie pense que certains grands prix de Formule 1 survivent déjà sans le produit de la publicité pour le tabac.
Le sénateur réaffirme que le circuit de la Formule 1 est l'otage d'une analyse purement économique de coûts-bénéfices. Or, le défi à relever consiste à prendre une décision en ne se basant pas uniquement sur les aspects économiques mais aussi sur les aspects de durabilité. On observe que des entreprises appliquent déjà ce principe. Actuellement, les entreprises qui veulent véritablement subsister à l'échelle internationale attachent une importance considérable à une image positive. Et nul n'ignore à cet égard que le tabac nuit à l'image d'une entreprise. La Formule 1 aussi prend conscience que le tabac nuit à son image de marque et elle va remédier au problème à terme. Faut-il dès lors, dans le contexte global qui vient d'être rappelé, que le Parlement cautionne une régression de la santé publique au nom du profit à court terme ?
Enfin, l'intervenant s'interroge sur la rentabilité totale de Francorchamps. Peut-on encore parler d'une rentabilité suffisante si on prend en considération l'ensemble des coûts, y compris ceux qui sont supportés par la communauté ?
M. Happart fait observer que la modification de lois qui ont été adoptées démocratiquement relève de la mission fondamentale du Parlement. Pourquoi ne pourrait-il pas modifier l'article 7, § 2bis, 2º, de la loi du 24 janvier 1977, inséré par la loi du 10 décembre 1997 interdisant la publicité pour les produits du tabac ?
Grâce à la modification de cet article, on disposerait du temps nécessaire pour mettre les dispositions belges en harmonie avec les dispositions européennes. Par ailleurs, l'infrastructure et l'organisation déjà prévues pourraient demeurer en Belgique.
M. Monfils déclare vouloir consigner également dans un amendement la raison d'être de la mesure transitoire de trois ans. En effet, le seul objectif de la proposition est de permettre le franchissement de la période pendant laquelle la Belgique souffre d'un handicap concurrentiel au niveau international.
Les lois de l'offre et de la demande sont également applicables à d'autres manifestations sportives, et c'est celui qui fait la meilleure offre qui peut assurer l'organisation d'un événement (par exemple, l'organisation du championnat du monde cycliste à Zolder). Si l'offre de Francorchamps présente un handicap comparatif par rapport à celle d'autres circuits, il s'ensuivra une délocalisation de l'activité, comme dans l'industrie. On entend donc prendre des mesures visant à prévenir la concurrence déloyale, de matière que le Grand Prix de Francorchamps, qui se déroule sur le plus beau circuit au monde, puisse subsister. Si, toutefois, on réalisait ailleurs tous les investissements nécessaires à construire un circuit semblable, on ne le ferait que dans une perspective à long terme, c'est-à-dire dans l'espoir que cette activité puisse se développer là un certain temps. Une fois que le Grand Prix international aura quitté Francorchamps, il l'aura perdu définitivement.
La perte de ce Grand Prix s'accompagnera d'une perte de prestige pour Francorchamps, d'une perte d'investissement de la Région wallonne pour le circuit et d'une perte d'incitants économiques de voyages et de compétitions liés aux rallyes automobiles. Cette perte entraînera une diminution de revenus et une régression économique pour la région.
En ce qui concerne l'interdiction de la publicité pour les produits du tabac en France, le sénateur fait observer que toutes les voitures qui roulent là-bas portent une version légèrement modifiée du logo des marques de tabac, ce qui permet de tourner l'interdiction dans les faits.
Par ailleurs, l'intervenant nie qu'on puisse trouver des sources de publicité alternatives; l'organisation du prochain rallye d'Ypres le montrera. L'objectif est-il peut-être de décourager l'organisation de tous les rallyes automobiles ?
La concurrence déloyale persiste et on fera certainement de la publicité pour les produits du tabac à la télévision, même si le Grand Prix est organisé ailleurs. N'est-il pas possible dès lors d'autoriser la publicité pour les produits du tabac dont l'influence n'est pas certaine pendant trois jours, dans l'intérêt économique de la région ?
Le sénateur se demande enfin si les intérêts du circuit de Zolder ne jouent pas un rôle en la matière. En effet, quand le Grand Prix de Francorchamps aura disparu et que l'interdiction générale de la publicité pour les produits du tabac sera entrée en vigueur, à partir de 2006, le circuit de Zolder pourra se proposer pour organiser un grand prix.
La ministre déclare que le gouvernement n'approuve pas unanimement les dispositions contenues dans la proposition de loi à l'examen. À ce propos, elle tient à signaler :
que la loi du 10 décembre 1997 interdisant la publicité pour les produits du tabac découle d'une initiative parlementaire. Dans le souci de programmer les choses, on a fixé à l'époque l'entrée en vigueur de cette loi au 1er janvier 1999. Ensuite, dans un arrêt du 30 septembre 1999, la Cour d'arbitrage a reporté l'entrée en vigueur de cette loi au 31 juillet 2003 pour les activités et les événements qui sont organisés au niveau mondial. Son arrêt a donc encore prolongé le délai en question.
Le gouvernement s'est rangé, à l'époque, à la décision de la Cour d'arbitrage et n'a pris lui-même aucune initiative législative. Francorchamps a donc eu suffisamment de temps pour se préparer.
Pour ce qui est du contexte européen, la directive initiale, qui prévoyait une interdiction générale, a été annulée par un arrêt de la Cour de justice de Luxembourg (affaire C-376-98 du 5 octobre 2000, Allemagne contre Parlement et Conseil). Une nouvelle proposition de directive est toutefois en discussion en Commission de la santé publique, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac (COM/2001/0283 final). Cette discussion devrait, normalement, aboutir à une nouvelle directive applicable à partir du 1er janvier 2005.
En plus de la Belgique, il y a un nombre grandissant de pays qui interdisent ce type de publicité. Il n'est plus exact de présenter les choses comme si la Belgique faisait cavalier seul. Plusieurs pays européens n'attendent pas l'entrée en vigueur de la nouvelle directive et inscrivent une interdiction de la publicité pour le tabac dans leur législation interne.
Bien que l'on ait à plusieurs reprises souligné les retombées économiques positives que le Grand Prix génère pour la région de Francorchamps, une étude non publiée d'Arthur Andersen, commandée par la Région wallonne, donne une image guère brillante de la situation à Francorchamps. L'étude fait état, notamment, de toute une série de problèmes qui doivent être solutionnés.
M. Monfils fait remarquer que le ministre a oublié de mentionner que la première directive a été annulée pour cause de distorsion de concurrence. La nouvelle proposition de directive, quant à elle, en a tenu compte, puisqu'un de ses considérants énonce que « pour supprimer ces distorsions, il est nécessaire d'interdire le parrainage d'activités ou de manifestations ayant des effets transfrontaliers, sans le réglementer pour autant au niveau purement national, car cela constituerait sinon un moyen de contourner les restrictions applicables aux formes de publicité directe ».
Pour ce qui est ensuite de l'audit de la firme Andersen, on y a fait nettement la distinction entre Francorchamps avec et sans la Formule 1. Sans Formule 1, la Région wallonne devrait accorder des subsides supplémentaires, qui se justifient en fait difficilement. La fin de la Formule 1 à Francorchamps signifierait dès lors la fin du circuit de Francorchamps. On peut en conclure dès lors que la Formule 1 est en fait le moteur de Francorchamps.
MM. Dallemagne et Galand déclarent qu'ils feront primer la santé publique et voteront dès lors contre la proposition.
Mme Van Riet soutiendra la proposition pour des raisons économiques, considérant que faire de la publicité pour le tabac à l'occasion d'une seule manifestation et pendant un nombre limité d'années n'incitera pas à fumer. De plus, la législation belge n'est à l'heure actuelle pas conforme aux directives européennes, ce dont la proposition tient compte.
L'article 1er est adopté par 5 voix et 6 abstentions.
L'amendement nº 1 est rejeté par 5 voix contre 5 et 1 abstention.
L'article 2 est rejeté par 5 voix contre 5 et 1 abstention.
L'ensemble de la proposition de loi a été rejeté par 5 voix contre 5 et 1 abstention.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 12 membres présents.
Le rapporteur, Alain DESTEXHE. |
Le président, Jacques D'HOOGHE. |