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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 14 MAART 2002 - NAMIDDAGVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van mevrouw Sfia Bouarfa aan de vice-eerste minister en minister van Werkgelegenheid over «het optreden van de rechterlijke macht in collectieve arbeidsconflicten» (nr. 2-738)

Mme Sfia Bouarfa (PS). - L'actualité de ces dernières années nous a fourni de nombreux exemples de conflits sociaux. Très souvent, les employeurs, dont l'entreprise est, soit occupée par des grévistes, soit bloquée par les membres d'un piquet de grève, introduisent une procédure judiciaire d'extrême urgence devant le tribunal civil afin d'obtenir de celui-ci une ordonnance prescrivant l'expulsion immédiate, sous peine d'astreinte, des occupants ou des membres du piquet de grève. Souvent, l'huissier chargé de signifier la décision intervenue est assisté par des forces de l'ordre.

Traditionnellement, les relations collectives du travail, en ce compris les conflits collectifs, étaient réglées par les partenaires sociaux eux-mêmes par le biais de la concertation et/ou de la conciliation. En effet, pendant très longtemps, le pouvoir judiciaire était resté à l'écart des conflits sociaux. Les parties tentaient de régler leurs litiges à l'amiable, grâce au dialogue. Cette démarche s'expliquait principalement en raison d'une tradition de non-intervention de tiers - juridictions ou pouvoirs publics - dans les conflits collectifs du travail. Le règlement de ces derniers relevait alors exclusivement de la négociation qui se jouait entre les interlocuteurs sociaux.

Par ailleurs, cette non-intervention du juge dans les conflits sociaux se justifiait également pour des raisons d'ordre juridique. En effet, les cours et tribunaux ne pouvaient connaître que les conflits de droit, c'est-à-dire les conflits portant sur des droits dont un protagoniste se prévalait et dont un autre contestait l'étendue, voire l'existence.

Or, le plus souvent, voire dans la quasi-totalité des cas, les conflits collectifs du travail portent sur des intérêts, c'est-à-dire tendent à faire triompher des revendications qui ne sont pas encore consacrées par une source de droit. Il peut s'agir d'une majoration salariale, d'une réduction du temps de travail, etc. Le pouvoir judiciaire ne devrait pas, dès lors, pouvoir trancher de tels conflits en raison du fait que leur règlement implique une appréciation non pas en légalité, mais en opportunité.

Toutefois, la jurisprudence a progressivement évolué. En effet, à la fin des années septante et au début des années quatre-vingt, les juridictions des référés sont intervenues, de façon ponctuelle, au cours des conflits collectifs du travail pour prescrire des mesures conservatoires de gestion de ces conflits.

Cette tendance s'est accentuée à partir de 1986 avec l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 12 novembre concernant le conflit « Cuivre et Zinc ». Depuis cette date, en effet, le pouvoir judiciaire intervient beaucoup plus fréquemment dans les conflits sociaux, généralement afin d'ordonner la cessation de ce qu'il considère être des voies de faits commises par les grévistes, alors que de tels comportements étaient tolérés jusqu'alors.

À l'examen des faits, on ne peut que faire le constat qu'un certain patronat fait appel systématiquement, aujourd'hui, au pouvoir judiciaire afin de museler les grévistes et de leur interdire d'exercer librement leur droit de grève.

Il convient aussi de rappeler que dans le cadre d'une procédure sur requête unilatérale, c'est-à-dire lorsque la situation revêt un caractère qualifié « d'urgence extrême », les délais de procédure sont supprimés. Dans l'état actuel des choses, la qualification d'une situation « d'extrêmement urgente » justifie le fait que seule la partie demanderesse soit entendue.

Cette procédure est introduite par une requête signée par l'avocat de la demanderesse et déposée au greffe civil du tribunal de première instance territorialement compétent. La décision est rendue le jour même ou le lendemain, sans que les défendeurs mentionnés dans la requête soient informés de l'existence d'une procédure dirigée contre eux et sans qu'ils puissent faire valoir leurs moyens de défense. Cette procédure peut être dirigée « erga omnes », c'est-à-dire de façon générale, contre toute personne qui occupe ou entrave le libre accès d'une entreprise déterminée.

En raison des « avantages » décrits ci-dessus, la procédure sur requête unilatérale est devenue, pour le patronat, la procédure standard afin d'évacuer les conflits sociaux.

Du point de vue de la jurisprudence dominante, des actes tels qu'une occupation d'entreprise ou une action de piquets de grève entravant le libre accès des lieux de travail sont généralement considérés comme des voies de fait portant atteinte, selon le cas, au droit de propriété ou de bail de l'employeur, à la liberté du travail, aux droits des tiers et à la liberté d'entreprise.

Ces actes qualifiés de « détachables » du conflit social, selon l'expression désormais consacrée, constitueraient, à ce titre, une atteinte illégitime à un ou plusieurs droits considérés comme hiérarchiquement prioritaires et incontestables. Ils peuvent, dès lors, justifier le recours à la juridiction des référés.

Toutefois, la jurisprudence n'a pas, fort heureusement, une position monolithique à cet égard. Mais cette jurisprudence reste minoritaire. À titre illustratif, on peut citer, par exemple, la motivation d'une ordonnance rendue le 5 avril 1993 par la chambre des référés du Tribunal de première instance de Bruxelles :

« Attendu qu'il n'existe pas d'unanimité concernant le fait que l'occupation d'une entreprise constituerait une atteinte flagrante aux droits invoqués par Volkswagen ;

Les attendus de cette décision sont révélateurs d'une certaine réticence du pouvoir judiciaire à intervenir systématiquement dans les conflits collectifs du travail.

Un autre volet de la problématique qui nous préoccupe ici concerne le fait que le Code judiciaire institue, d'une part, une juridiction ordinaire, le tribunal de première instance, et, d'autre part, des juridictions d'exception, c'est-à-dire des juridictions à compétences restreintes, spéciales et énumérées limitativement par la loi.

Faut-il dès lors rappeler qu'en vertu de l'article 569, alinéa 1, du Code judiciaire, « Le tribunal de première instance connaît toutes demandes hormis celles qui sont directement dévolues à la cour d'appel et à la cour de cassation » ? Le principe est donc clair : sauf exception prévue par la loi, toute matière peut être soumise au tribunal de première instance.

Ainsi, le tribunal du travail est une juridiction d'exception, c'est-à-dire que ses compétences - qui font l'exception à la compétence générale du tribunal de première instance - sont énumérées limitativement par la loi. À cet égard, je vous rappelle l'article 578 du Code judiciaire. Il en résulte, comme d'ailleurs d'après une doctrine et une jurisprudence actuellement dominantes, que le tribunal du travail n'est pas compétent en matière de conflits collectifs de travail. Ainsi, le tribunal du travail ne peut intervenir en cours de conflit pour prescrire des mesures de gestion de celui-ci. Par conséquent, le seul organe juridictionnel habilité à se prononcer en cours de conflit social ou même à titre préventif est le tribunal de première instance et, en cas d'urgence extrême, son président ou le magistrat qui le remplace.

Ne faudrait-il pas s'assurer, madame la ministre, que le tribunal du travail soit, de manière expresse, seul compétent en ce qui concerne les conflits collectifs du travail ?

Malgré le tableau plutôt noir que je viens de brosser, je voudrais rappeler - il ne faudrait pas l'oublier - que la grève est un droit en Belgique. En tant que tel, l'exercice d'un droit ne pourrait être constitutif d'une quelconque faute, et encore moins d'une soi-disant « voie de fait ». Les employeurs doivent accepter les conséquences résultant de l'exercice de ce droit légitime issu du processus, toujours inachevé, de démocratisation de la vie socio-économique.

L'intervention du pouvoir judiciaire dans les conflits collectifs du travail est un phénomène récent. En effet, il y a encore une vingtaine d'années, le système de négociation collective en vigueur en Belgique s'était, le plus fréquemment, avéré suffisant pour dégager une solution pacifique aux conflits sociaux.

Aujourd'hui, la controverse autour de la juridictionnalisation des conflits collectifs du travail révèle un féroce conflit de logique entre le droit social et le droit civil. Fait collectif sans statut propre, le conflit collectif est amené à être appréhendé par le droit via des mécanismes civils basés sur la notion de rapports individuels datant du début du XIXème siècle et tout à fait inadéquate pour rendre compte de la réalité sociale contemporaine.

La juridictionnalisation des conflits collectifs du travail tend à remettre en cause les libertés syndicales et les droits de ceux qui les incarnent. En effet, les astreintes contre les grévistes vont parfois de pair avec le licenciement des délégués syndicaux.

Ainsi, outre la demande d'interdiction des recours par la voie de requêtes unilatérales et des astreintes dans les conflits collectifs, il convient également d'envisager une formule susceptible d'empêcher de manière effective le licenciement de délégués syndicaux pour des raisons liées à l'exercice de leur mandat. La loi de protection actuelle ne suffit pas dans la mesure où les grosses entreprises sortent facilement quelques millions pour se séparer d'un délégué syndical.

Il y a quelques semaines, madame la ministre, vous aviez annoncé que vous prendriez une initiative visant la solution de la problématique née de l'intervention du pouvoir judiciaire dans les conflits sociaux, dans le sens d'une plus grande protection des libertés et droits syndicaux. Pourriez-vous nous informer, madame la ministre, de l'état d'avancement de ce dossier ?

Je vous demande de m'excuser d'avoir été longue mais j'espère que le message de mon groupe, le groupe socialiste, sera bien perçu.

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). - Indépendamment de l'intérêt de la question de ma collègue, je me demande si des questions aussi longues n'auraient pas plutôt leur place dans une commission parlementaire qui aurait, par exemple, à son ordre du jour la discussion du projet de Mme la ministre. Par ailleurs, celui-ci a été fort discuté par les partenaires sociaux. Je me demande si cet hémicycle est l'endroit le plus approprié. En réunion du bureau du Sénat, la semaine passée, à propos d'une question de M. Destexhe relative au projet de prix unique du livre de M. Picqué, j'avais fait remarquer qu'il était quelque peu incongru, lorsqu'un ministre a l'intention de déposer tel projet de loi, que des parlementaires se positionnent par rapport à ce texte avant même son dépôt. Le PS aura la possibilité de s'exprimer en commission. Je plaide pour des demandes d'explications relativement courtes. Je tenterai de poser la mienne le plus brièvement possible sans exposer le point de vue de mon parti sur un projet qui est presque sur la table. Ce travail doit être fait en commission là où le projet est véritablement discuté.

De voorzitter. - Ik herinner de leden van de Senaat eraan dat artikel 72 van het reglement de spreektijd voor een vraag om uitleg beperkt tot een kwartier. Het mag geen gewoonte worden lange vragen om uitleg te stellen. Het Bureau houdt ons vaak voor dat we moeten proberen onze debatten levendig te houden.

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi. - Eu égard à l'échange qui vient d'avoir lieu, je vais essayer de me limiter à une information relative à l'actualité de ce problème très important. Madame Bouarfa, je partage évidemment vos convictions quant à la gestion actuelle des conflits collectifs du travail.

Dans la note des priorités du gouvernement, il était question d'un projet de loi permettant aux tribunaux du travail d'avoir la compétence exclusive, lorsqu'il y a conflit collectif du travail et que ces problèmes surgissent, de rendre obligatoire une mesure de conciliation avant la saisine. Notre volonté est vraiment de placer le dialogue social au coeur même de la gestion des conflits collectifs. C'est le modèle social à la belge. J'ai transmis une note générale aux partenaires sociaux expliquant ma position et mes propositions en décembre dernier. Les partenaires sociaux m'ont demandé de patienter quelque peu. Il y a quelques semaines à peine, j'ai reçu un protocole d'accord entre partenaires sociaux qui concernait l'harmonisation des plans d'emploi, la gestion des conflits collectifs du travail et le rapprochement des statuts des ouvriers et des employés, notamment en ce qui concerne le problème très sensible des jours de carence.

Ce protocole devait être ratifié par les différents mandants des partenaires sociaux présents.

Nous savons, depuis quelques jours à peine, que les mandants de certains partenaires sociaux n'acceptent pas la solution préconisée du code de conduite entre partenaires sociaux, en ce qui concerne notamment la gestion des conflits collectifs.

J'ai donc proposé aux partenaires sociaux de les rencontrer lundi prochain. Je leur demanderai si le protocole d'accord tient toujours ou s'ils me proposent un code de conduite amendé, notamment pour la gestion des conflits collectifs.

Si nous parvenons à un accord sur ce code de conduite amendé, je répète que je le respecterai car j'estime que les accords entre partenaires sociaux doivent être soutenus.

En l'absence d'accord, je « reprendrai ma liberté » et, conformément à la note de priorités du gouvernement, je déposerai un projet de loi que je transmettrai aux partenaires sociaux afin de recueillir leurs observations. Nous aurons alors largement l'occasion d'en discuter en commission des Affaires sociales.

Votre question est parfaitement d'actualité puisque l'on sait à présent que le projet de loi en tant que tel devra sans doute être déposé faute d'accord sur un code de conduite entre les partenaires sociaux.

Mme Sfia Bouarfa (PS). - Je vous remercie de votre réponse. Nous suivrons de près l'évolution de ce dossier.

-Het incident is gesloten.