Questions et Réponses

Sénat de Belgique


Bulletin 2-40

SESSION DE 2000-2001

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Ministre de la Justice

Question nº 1438 de Mme Nyssens du 24 juillet 2001 (Fr.) :
Conventions de droit pénal international. ­ Mise en oeuvre dans l'ordre juridique belge. ­ Article 12bis de la loi du 17 avril 1878 tel que modifié par la loi du 12 juillet 2001. ­ Interprétation.

L'article 12bis de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle vient d'être modifié par une loi votée en séance plénière du Sénat ce 12 juillet.

Cet article 12bis réglait la compétence des juridictions belges pour connaître, en vertu de la Convention sur la protection physique des matières nucléaires faite à Vienne et à New York le 3 mars 1980, d'infractions visées par cette même convention.

Depuis lors, la Belgique est devenue partie à plusieurs conventions de droit international pénal des Nations Unies, reprises à l'annexe du projet de loi (doc. nº 1178/002) (telles la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention internationale pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures, la Convention unique sur les stupéfiants, la Convention européenne pour la répression du terrorisme, la Convention internationale contre la prise d'otages, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, ...) qui contiennent également des obligations d'extension obligatoire de compétences des juridictions des États parties, donc notamment des cours et tribunaux belges, pour connaître des comportements incriminés par ces conventions.

L'adaptation de l'article 12bis vise donc à mettre cet article en conformité avec les obligations similaires convenues dans ces conventions, et tend aussi, de manière prospective, à assurer la conformité avec les autres conventions de droit international pénal pour lesquelles le gouvernement belge a entamé ou entamera des procédures de ratification.

Grâce à ce nouveau libellé de l'article 12bis, les juridictions belges seront systématiquement compétentes dans les cas où une convention de droit pénal international oblige les États parties à étendre leur juridiction en application du principe classique aut dedere aut judicare, c'est-à-dire lorsque l'auteur présumé de l'infraction se trouve sur le territoire belge et que le gouvernement belge n'a pas accordé l'extradition vers l'un des États compétents en vertu de cette convention. Toutefois, ce n'est pas seulement l'application de ce principe classique qui est visé par ce projet, puisque les juridictions belges seront aussi compétentes dès qu'une convention leur impose, de « quelque manière que ce soit », de soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice des poursuites. Cette expression floue utilisée dans le nouvel article 12bis signifierait, selon l'exposé des motifs du projet de loi, dès qu'il existe une obligation conventionnelle en la matière, quelle qu'elle soit. L'honorable ministre peut-il me donner une explication complémentaire quant à la signification à donner à ces termes ?

Cet article 12bis, qui n'a pas suscité de réactions des commissaires ni à la Chambre ni au Sénat, est susceptible cependant de soulever des problèmes d'interprétation.

En vertu de ce nouvel article 12bis, les juridictions belges seraient compétentes lorsque la convention internationale l'impose et seulement dans les limites de ce que cette convention impose. Par ailleurs, l'article 12bis doit se lire en combinaison avec l'article 12 qui le précède qui précise que, sauf exception énumérée par l'article lui-même, « la poursuite des infractions n'aura lieu que si l'inculpé est trouvé en Belgique ».

La question se pose dès lors, de savoir si cette règle générale contenue dans l'article 12bis peut connaître des dérogations :

­ L'une d'entre elles serait l'éventuelle future loi insérant un article 10, 6º, dans le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, actuellement en discussion au Sénat. Cette loi en projet (Doc. Parl. Chambre, nº 1179, 2000-2001) permet d'étendre la compétence des tribunaux belges à des faits infractionnels décrits à l'article 2 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme de Strasbourg de 1977, pour lesquels la convention n'établit aucune règle obligatoire d'extension de compétence des juridictions belges. On pourrait cependant encore dire que, dans ce cas, il n'y a pas d'ambiguïté puisque la loi en projet s'inscrit dans le cadre de l'article 6, § 2, de la convention qui autorise les États parties à adopter une législation plus large en matière de compétence. On reste donc dans les limites de ce que la convention, non pas impose, mais autorise en termes d'extension de compétence.

­ Une autre exception, bien actuelle celle-là, dont la presse fait écho aujourd'hui, et bien réelle, serait la loi du 16 juin 1993 (modifiée par la loi du 10 février 1999) relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire. En effet, il faut noter que sont notamment visées par le projet de loi modifiant l'article 12bis dont question, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Paris, 1948), ainsi que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (New York, 1984). Ces deux conventions contiennent, en effet, des règles d'extension obligatoire de compétence. Toutefois, ces règles s'avèrent bien moins ambitieuses que la règle de compétence universelle contenue dans la loi de 1993. En effet, à titre d'exemple, la Convention de 1948 relative au crime de génocide impose, en matière de compétence, à l'État du lieu où l'infraction a été commise (loci delicti) de punir, et aux autres États de déférer le prévenu à la juridiction de l'État du lieu de la commission de l'infraction ou vers la cour criminelle internationale qui serait compétente, alors que la loi de 1993 contient, en son article 7, une véritable règle de compétence universelle. En vertu de cet article 7, les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la loi ­ à savoir crime de génocide, crime contre l'humanité, et infractions graves à la Convention de Genève et à ses protocoles additionnels ­ indépendamment du lieu de la commission de l'infraction, de la nationalité de son auteur ou de sa victime, peu importe que l'infraction soit incriminée ou non dans l'État où elle a été consommée et peu importe aussi, quoique là il peut y avoir controverse, que l'auteur du crime se trouve en Belgique ou non.

Il s'avère donc que l'article 12bis ainsi modifié peut poser des problèmes d'interprétation et pourra susciter des problèmes pratiques d'application. Doit-on considérer, en effet, que la loi votée, qui est nécessairement postérieure à la loi de 1993, prime sur cette dernière (lex posterior) ? Ou au contraire, doit-on considérer que c'est la loi de 1993 (1999), plus spéciale, qui l'emporte sur les dispositions plus générales contenues dans la loi en projet (lex specialis) ?

De manière générale, cette modification de l'article 12bis du Code d'instruction criminelle entend-elle entrer dans le jeu de la révision de la loi de 1993 (1999) relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire ?

Il est, à mon sens, important de lever tout ambiguïté à ce sujet, afin que la mise en oeuvre du droit pénal international dans l'ordre juridique belge soit effective, comme nous le souhaitons tous, particulièrement lorsqu'il s'agit de violations graves du droit international humanitaire.

Réponse : J'ai l'honneur d'informer l'honorable membre que la loi du 18 juillet 2001 portant modification de l'article 12bis de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale met le droit belge en conformité avec les conventions internationales de droit pénal auxquelles la Belgique est ou deviendrait partie lorsque ces conventions prévoient une règle d'extension obligatoire de compétence des juridictions des États parties.

La raison pour laquelle il n'est pas fait référence uniquement au principe aut dedere aut judicare dans le texte de loi s'explique par le fait que certaines règles d'extension obligatoire de compétence contenues dans des conventions internationales, notamment la Convention internationale contre la prise d'otages de 1979, ratifiée par la Belgique en 1999, contiennent, outre le principe aut dedere aut judicare, des règles d'extension dépassant les règles de compétences ordinaires.

Ainsi, la convention contre la prise d'otages, que je viens de citer, prévoit en son article 5, paragraphe 1er, point a), l'obligation pour les États parties d'étendre la compétence de leur tribunaux aux cas où une prise d'otages a pour seul lien de rattachement avec l'État partie, ici la Belgique, le fait qu'elle est opérée pour la « contraindre à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir ».

C'est donc pour couvrir ces règles d'extension obligatoire de juridiction qui sortent du droit commun (compétence territoriale et compétence personnelle active ou passive) et qui vont au-delà du simple principe aut dedere aut judiciare qu'une formulation générale a été retenue dans la loi du 18 juillet 2001.

En ce qui concerne les deux cas relevés par l'honorable membre, il n's'agit pas en fait de règles portant exception à la règle couverte par le projet d'article 12bis.

En effet, la loi du 18 juillet 2001 ne concerne qu'une adaptation du droit belge aux obligations internationales de la Belgique en matière d'extension de compétence de ses cours et tribunaux.

Par contre, en droit international, rien n'interdit à un État d'étendre la compétence de ses tribunaux au-delà de ses obligations internationales. La Cour permanente de justice internationale de La Haye, ancêtre de la Cour internationale de justice, l'affirmait déjà le 7 septembre 1927 dans le cadre de son arrêt « Lotus ».

Les deux cas cités comme exceptions par l'honorable membre (le projet de loi relatif à l'introduction d'un article 10, 6º, au titre préliminaire du Code de procédure pénale ou les règles de compétence contenues à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire) concernent justement des matières où le droit international n'oblige pas la Belgique à étendre la compétence de ses tribunaux, mais où le gouvernement propose (en ce qui concerne le projet d'article 10, 6º) et où la Belgique a décidé (loi du 16 juin 1993) d'aller au-delà de ses obligations internationales.

Il n'y a donc pas de contradiction entre la loi du 18 juillet 2001 et les dispositions légales visées par l'honorable membre. Ces dispositions, en fait, se complètent.

La loi du 18 juillet dernier ne porte donc aucunement atteinte à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 concernant la compétence universelle des juridictions belges en matière de crime de génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre. Seul un amendement à cet article 7 pourrait en modifier la portée.