2-104

2-104

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 29 MARS 2001 - SÉANCE DU MATIN

(Suite)

Demande d'explications de Mme Clotilde Nyssens au ministre de la Justice sur «l'incarcération de mineurs d'âge et la Convention internationale relative aux droits de l'enfant» (n° 2-401)

Mme Clotilde Nyssens (PSC). - Deux circonstances me poussent à vous interroger sur l'article 53 de la loi relative à la protection de la jeunesse : j'ai lu avec intérêt la dernière version du rapport sur la convention des droits de l'enfant rédigé notamment par le délégué aux droits de l'enfant de la Communauté française, M. Lelièvre et j'ai par ailleurs eu l'honneur et le plaisir de participer à un colloque sur la protection de la jeunesse au cours duquel un membre de votre cabinet a esquissé les grandes lignes d'une éventuelle réforme en préparation. Il a pris beaucoup de précautions oratoires, le public étant très varié. Je tiens à dire que j'ai admiré la franchise, la liberté et le ton personnel avec lesquels il s'est exprimé.

Nous savons que l'article 53 de la loi de 1965 relative à la protection de la jeunesse restera en application jusqu'au 1er janvier 2002 puisqu'une telle disposition fut votée il y a quelques années. Les parlementaires s'étaient en effet mis d'accord sur le principe de la suppression de cet article mais ils avaient aussi fixé un délai. Il semble que l'emprisonnement tel qu'organisé dans notre pays est contraire à la Convention internationale des Droits de l'Enfant.

Puisque la Belgique continue à incarcérer des mineurs d'âge, à tout le moins jusqu'au 1er janvier 2002, il me paraît opportun de vous poser les questions suivantes.

Combien de mineurs d'âge sont-ils tombés sous le couperet de cette disposition durant ces dernières années ? Disposez-vous de chiffres précis ? Disposez-vous d'un inventaire précis des mineurs incarcérés en vertu de l'article 53 ?

Quels sont les motifs réels de ces incarcérations si l'on sait qu'un vol simple est déjà punissable d'une peine pouvant dépasser un an ? En d'autres termes, l'article 53 ne reste-t-il pas une échappatoire pour devenir une sanction en soi ?

Les services ad hoc s'assurent-ils bien qu'aucune place dans les institutions de placement, voire dans les centres d'hébergement d'urgence, n'est disponible avant d'emprisonner le jeune en cause ? On sait en effet que c'est à défaut de place dans les institutions spécialisées pour jeunes que l'on envoie des jeunes dans des prisons destinées aux adultes.

Les mineurs d'âge incarcérés bénéficient-ils d'un traitement approprié, par exemple l'isolement par rapport aux détenus adultes ? L'actualité nous rappelle que l'état de nos prisons et la manière dont on y incarcère des détenus ne répondent pas toujours aux principes fondamentaux de la Convention des Droits de l'Enfant et pas non plus d'ailleurs, de manière plus générale, à ceux de la Convention des Droits de l'Homme.

Les directeurs des établissements pénitentiaires sont-ils suffisamment informés quant à l'infraction commise par le mineur, à son état de santé physique et psychologique ? Il est en effet bon qu'ils le soient afin de tenir compte de la personnalité des mineurs dans les cas où ils doivent être incarcérés en dépit de notre législation restrictive à cet égard.

Il ne m'appartient pas de vous interroger sur vos intentions mais pourriez-vous malgré tout nous dire quelles sont les échéances pour le dépôt d'un éventuel projet de loi relatif à la protection de la jeunesse ?

M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Je répondrai à votre dernière question en disant que j'ai l'intention de mener à terme les travaux sur le nouveau droit de la jeunesse si possible pour le mois d'avril ou de mai, afin de le soumettre alors au Conseil des ministres. Tout dépendra de l'évolution des travaux lors des réunions intercabinets.

J'ai obtenu de l'Institut national de criminalistique et de criminologie une liste que je mets à votre disposition. On y trouve les données relatives aux années 1980 à 1999. Je vous cite les chiffres pour trois d'entre elles. En 1985, le nombre d'écrous sur la base de l'article 53 était de 1368 alors que la population journalière moyenne de mineurs sur la base du même article était de 35 et que la durée moyenne de détention était de 9,2 jours. En 1995, on comptait 460 écrous - soit un tiers par rapport à 1985 -, une population journalière moyenne de 12 mineurs et une durée moyenne de 9,4 jours. Pour 1999, les statistiques sont les suivantes : 437 pour le nombre d'écrous, 11 pour la population journalière et 9,1 jours pour la durée moyenne de la détention.

Les juridictions belges ont admis que l'impossibilité matérielle requise par l'article 53 peut avoir pour origine non seulement le manque de place dans une institution appropriée, mais aussi le défaut de conditions adaptées aux exigences du cas, notamment en matière de sécurité. Un arrêt de la Cour de cassation du 8 février 1978 laisse au juge l'appréciation souveraine de pareille impossibilité.

Les services ad hoc apparemment visés dépendant des Communautés, il faudrait scruter leur conscience en interrogeant les ministres communautaires compétents. Il ne revient pas au personnel des établissements pénitentiaires de s'assurer du bien-fondé d'une ordonnance de placement d'un juge.

La réponse à votre quatrième question est positive. Conformément à l'article 146 de l'arrêté ministériel du 12 juillet 1971 portant instructions générales pour les établissements pénitentiaires, les mineurs doivent être séparés des détenus adultes. Ceci est conforme l'article 37 c de la Convention des Droits de l'Enfant.

En pratique, les directeurs des établissements pénitentiaires prennent connaissance de l'ordonnance de placement, mais il n'est pas sûr qu'ils soient de ce fait suffisamment informés du fait qualifié d'infraction commis par le mineur ni de son état de santé physique et psychologique. Selon l'article 145 de l'arrêté ministériel du 12 juillet 1971, les conditions de détention doivent faire l'objet de concertation entre le juge plaçant et la direction de l'établissement pénitentiaire. Il va de soi que ces informations doivent normalement circuler entre le juge s'occupant du mineur d'âge et la direction de l'établissement pénitentiaire.

Mme Clotilde Nyssens (PSC). - Il s'agit d'un débat de fond que nous mènerons quand votre projet de loi sera déposé. La question de l'isolement des mineurs sera longuement débattue. J'attends donc avec impatience de connaître le contenu de votre projet.

-L'incident est clos.